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À Taiwan (Fr)

Initialement écrit en 2010 à partir d’un texte de 2003, pour Scratch publée à Taipei en 2014 dans Stranger Than Cinema : A Study of Taiwanese Experimental Films organisé par Tony Chuin-Hui Wu

À Taipei, on trouve des cinéastes expérimentaux qui travaillent avec les moyens du bord. Jusqu’à la fin des années 90, l’intérêt pour le cinéma expérimental était très irrégulier, de plus, il était difficile pour la plupart des cinéastes et artistes, de retour, de continuer une telle pratique non seulement par manque de moyens mais manque d’accessibilité et visibilité à Taïwan.

Si la cinémathèque de Taipei a montré par le passé des films, elle n’accompagnait ni un mouvement, ni des cinéastes, quand bien même la production  cinématographique sporadique de certains plasticiens et les nombreuses traductions que la revue de la cinémathèque a entrepris depuis les années 901. Le festival de Taipei de 2005, avait été exemplaire à cet égard en incluant de nombreux films et vidéos expérimentales contemporaines.

Jusqu’il y a peu de temps, presque tous les futurs cinéastes découvraient le cinéma expérimental lors de leurs études à l’étranger : Hsiu–Ching Wu, au début des années 90, est à Chicago où elle réalise quelques films dont A Play in Water (1992), avant de s’orienter vers un cinéma plus documentaire, une fois réinstallée à Taipei. Rue Yi Hung et Wu Chun Hui étudient à San Francisco. Ce dernier poursuivit sa formation à Bard, tout en organisant des programmes à Taipei dans le cadre d’Image Mouvement. Il a été l’un des rares à continuer de faire sur place des films avec la plasticienne Mei-ling Hsiao, qui a étudié au Fresnoy vers la fin des années 90. D’autres encore, récemment émigrés, décident de rester dans leur pays d’accueil. Pour ceux qui revenaient, le retour signifiait en tout cas, jusqu’au début 2000 l’abandon d’une pratique face aux difficultés rencontrées face à la culture cinématographique taiwanaise. Comme le reconnaissait Wu Chun Hui, les cinéastes n’avaient pas grand choix à leur retour :“ Ils doivent avant tout survivre, les seules solutions qui leur sont offertes sont l’enseignement ou le cinéma commercial, ce qui a pour résultat qu’ils continuent rarement de travailler le cinéma expérimental. ” Pour Vincent Wang, lui-même cinéaste2 : “ Toute la question est de savoir si l’on peut continuer à faire des films lorsqu’on sait que le gouvernement taiwanais ne reconnaît le cinéma que sous deux formes : les long-métrages ou les documentaires. ” Depuis cet entretien, en 2002, la situation a changé car l’enseignement de cinéastes et théoriciens a modifié le paysage et entraîné  la production de films. Taiwan Video Club (1999) de Lana Lin illustrait cette dépendance entre la culture importée la production chinoise traditionnelle que l’on retrouve dans ces soaps et séries, consommées avec avidité par des générations de Chinois émigrés, comme l’illustre le documentaire.

Un grand nombre de cinéastes privilégient les formes courtes, s’exprimant à travers le documentaire, l’animation et parfois le cinéma expérimental, tandis que d’autres investissent le cinéma sous la forme de vidéos et d’installations, comme Mei-ling Hsiao, qui réalise parfois de courtes pièces : dans Lettre L’être (1996), le visage du peintre apparaît au fur et à mesure du transvasement de l’eau d’un récipient à l’autre. L’artiste Yin-Ju Chen fait appel à des formes courtes. Elle met en scène des micro-récits, quasiment des courtes performances, qu’elle filme de manière simple. Dans Untitled (2001), le visage d’une femme grimaçante, se tordant de douleur, fait écho au fait qu’elle donne naissance à un phallus : elle l’expulse de son corps. Des situations simples mais efficaces sont enregistrées sans commentaire, se suffisant à elles-mêmes : Escaping For a While nous montre une tentative de noyade dans un bol. L’artiste plonge son visage pour un long moment, puis relève la tête, reprend le bol et quitte le champ. Dans Recycle System (2002), elle nous propose une vision également absurde : elle passe l’aspirateur alors que le tuyau est connecté à sa bouche, faisant du corps féminin un aspirateur autonome. La position critique n’a pas à être soulignée, les images se suffisent.  Depuis plusieurs années le monde de l’art accueille les propositions de cinéastes aussi bien sous la forme d’installation et approche critique permettant ainsi à des plasticiens et à des cinéastes de croiser les pratiques en atteignant d’autres publics. Taiwan n’échappe pas à cette inclusion du medium film part et dans le monde de l’art. La biennale de Taipei, mais aussi les revues comme Artco Monthly3 jouent un rôle dans la propagation du cinéma à travers le monde de l’art.

Le cinéaste Machunfu, privilégie l’animation. Il partage avec nombre de ses contemporains une exploration de l’animation selon une pluralité de registres4; il fait le lien avec le monde de la publicité, des vidéos clips et le monde de l’art. Mélange des genres mais aussi imbrications des techniques qui redistribuent les icônes de comics et de manga selon des modalités inattendues : Unblessed Love (2008). C’est le graphisme qui dynamise le traitement et la dynamique des images, ainsi dans Murder A Face (2005), le processus de destruction de document, papier est mis à profit afin de mettre en pièces (en lamelles) un portrait d’enfant en noir et blanc.

Murder a face MachunfuLa maîtrise technique rappelle les manipulations de photos de Spacy (1981) de Takashi Ito. Dans Lost in Remembering (2005) c’est la soustraction du même personnage à différentes étapes de sa vie qui interroge le souvenir selon un registre qui fait de l’effacement la condition d’une maîtrise et qui sait, de la survie. Par ailleurs on remarque que le cinéaste joue avec les jeux vidéos et son esthétique en recourrant au machinéma dans la série kodomo ?

La découverte du cinéma expérimental au cours d’études à l’étranger est révélatrice d’une attitude spécifiquement occidentale vis-à-vis du cinéma. On constate son importance et son influence dans les premiers travaux de Lana Lin, RueYi Hun, Anita Chang, Wu Chun Hui, Chen HsinWei. Certains de leurs films font état de préoccupations relatives au développement artisanal (Untitled, 2001, RueYi Hung). D’autres utilisent des found footage (I Begin to Know You, Through The Door, Sphere and Circle Round, 1992, Lana Lin ; Intimacy , puis More Intimacy (1999, Wu Chun Hui), Pluto 2008, de Yang Kai Yen, où affirment une subjectivité au travers des journaux filmés (A Play in Water, 1992 ; Untitled, RueYi Hung, Far Side of the Snow 2007 de Zhen Niam Kuo). Chacun s’approprie les images à sa manière : Lana Lin choisit de représenter l’activité des femmes, alors que Tony Wu utilise des images pornographiques homo dans Intimacy et ses variantes successives, qui trouveront un prolongement troublant dans Making Maps (2001). Dans ce film Tony Wu mêle à des images de jeunes garçons se baignant à la mer, en vacances des images pornographiques. Chaque série d’images induit des relectures en regard de celles qui les précèdent ou les suivent ; comme David Wojnarowicz, le faisait avec Untitled (One day this kid…,1990), dans une forme plus activiste en associant à la photo d’un jeune garçon un texte dénonçant ce qu’il endurera socialement en tant que gay. Le montage dense de Making Maps privilégie les éruptions sporadiques de grappe de photogrammes aux longues séquences, afin de dresser une cartographie potentielle des désirs. Making Maps utilise le sang et le sperme afin de créer des textures sur les images pornographiques autant qu’ils sont objets de la représentation, et comme on le voit parfois chez Andres Serrano5.

Certains artistes s’écartent de cette approche, privilégiant de longs plans (Chen Chieh-jen) ou le plan-séquence, comme Shuo-wen Hsia dans Intrude Sanctuary (2000) qui offre au regard un moment dans le métro de Taipei, alors que les défilent les stations, que les gens entrent et quittent la rame au son des annonces trilingues. Un film sans prétention qui rend indirectement hommage à Ernie Gehr, filmant les passants dans une rue de Brooklyn ou le temps qui s’écoule dans une avenue de Manhattan. L’écoulement du temps appréhendé différemment dans l’espace clos d’une caserne est à l’œuvre dans 03 : 04 (2000) de Ting Fu Huang. L’aspect photographique du documentaire restitue la banalité de la vie des conscrits, la rendant presque attrayante par sa plasticité. Quelques visages, quelques attitudes sortent de l’anonymat, tranchent sur l’ennui inhérent à l’enfermement. Sans commentaire, utilisant différentes vitesses d’enregistrement, le film dresse un portrait accablant d’une jeunesse confinée, réduite à un champ d’activités restreint, dans un lieu pour le moins désolé, une des îles dans le détroit de la Mer de Chine. Ici, comme dans She Wants to Talk to You (2001) d’Anita Chang (émigrée de la seconde génération, née aux Etats-Unis), où des Népalaises racontent leur expérience de l’émigration, c’est l’aspect expérimental du documentaire qui, au-delà des sujets, retient l’attention.

Anita Chang She wants to talk to you Dans 30 : 04, l’utilisation de l’accéléré permettait de condenser l’expérience routinière des soldats, dans le film d’Anita Chang, le refilmage de documents et le développement manuel confère au film des textures, un grain, des taches et des rayures, qui deviennent la marque d’une subjectivité. Subjectivité de ces femmes qui commencent à faire l’expérience d’une certaine liberté. La personne déplacée est également au cœur du film de Lana Lin, Taiwan Video Club, comme de la courte fiction And Now Happiness (2001) de Tung Wang, qui oppose désir et religion dans la vie d’un garçon à New York.

Beaucoup de cinéastes d’origine taiwanaise travaillent sur la mémoire selon des modalités propres à chacun.  Le journal filmé et l’évocation d’un temps plus ou moins distant sont à l’œuvre dans Grandma (2008) de Sumigyen et dans les films de Zhen Niam Kuo. Ces retours vers un ailleurs sont explorés plus systématiquement dans les films de Ming-yu Lee. Depuis That Day (2005) en passant par Going Home (2008)6 et jusqu’à Home Not Yet Arrived (2010) le cinéaste recourt prioritairement au super 8 où au téléphone portable pour réaliser ses films qui se focalisent sur de micro événements du quotidien, ou s’absorbent dans les regards et les gestes anodins, presque sans qualité et qui pourtant permettent de saisir une atmosphère, des émotions, des sentiments. 

Home not Yet Arrived Mingyu LeeHome Not Yet Arrived revêt la forme d’une lettre adressée au père décédé, l’informant de la vie familiale actuelle, et ce alors que le souvenir du père s’estompe et qu’on finit par y penser moins fréquemment. Les films sont développés par le cinéaste et souvent refilmés selon des stratégies évoquant les matérialités des laboratoires alternatifs d’Europe ou d’Asie. Sont privilégiés les liens que Ming-yu Lee entretient avec les groupes de super 8 et, avec le mouvement des laboratoires dont l’esthétique affirme  similairement la matérialité et les spécificités du support argentique. La plasticité du portable est affirmée par de nombreux cinéastes contemporains et, qui à l’instar de Lionel Soukaz pensent que: « L’image est moins bonne que celle des caméras DV, mais elle est plus chaude, plus proche de l’image du super 8.7 ». De plus, comme le remarque justement Yung Hao Liu8, ce n’est pas tant l’authenticité qui est privilégie, bien que ce soit celle ci qui fasse écran au film, qui est recherché par le cinéaste que l’affirmation d’un style à travers le flou, le baclé, etc. Il partage cette volonté de ne pas se plier à une esthétique policée dominante que l’on retrouve chez quelques cinéastes et artistes contemporains.

Deux artistes plus anciens se distinguent : Wu Chun Hui et Chieh-Jen Chen. L’un venant du théâtre et du cinéma, l’autre des arts plastiques et plus particulièrement de la photographie.

Pour Wu Chun Hui, la rencontre avec le cinéma se réalise en priorité à travers le found footage. Travaillant à partir d’objets déjà filmés, on peut manipuler à son gré, surtout si l’on développe soi-même les images trafiquées à la tireuse optique. Dans le cas d’Intimacy puis de More Intimacy, une séquence de film porno homo, retravaillée, permet de montrer le rapport entre le grain de la peau et celui du film, et met en jeu notre capacité à trier les informations dans une image complexe. Que voit-on vraiment, qu’appréhende-t-on ? Ce qui est enregistré où ce que l’on aurait aimé voir enregistré ? En manipulant cette séquence, et grâce au jeu des surimpressions, le cinéaste crée des relations qui n’ont pas d’autre existence en dehors de la pellicule. Il induit des rencontres inédites, mais moins fortuites qu’elles ne paraissent de prime abord. Tony Wu propose de nombreuses versions de ses films: Cemetery  en compte 7, sur différents supports : super 8 et 16mm, ou plus récemment la série d’installation et film Resurrection, qui en compte 5.

Dans Pycho Shower (2001), comme dans Intimacy ou Cemetery, le bleu domine.

tumblr_mbqiqdW5J31ql18tio1_500L’écran en est saturé.  Hommage au film d’Hitchock, Psycho avec la scène de la douche,dans laquelle l’irruption du meurtre joue un rôle capital.  Le refilmage de cette scène centrale procède par saccades. Les saccades, les délais, les retards étirent la scène initiale et la métamorphosent. Un univers s’ouvre alors. En ralentissant la scène, en la décadrant, le cinéaste convoque un passé cinématographique qui inclus non seulement le cinéma des années 60, comme la Jeanne d’Arc de Dreyer. La scène initiale s’étire (mais à la manière de Douglas Gordon), elle se replie afin de mieux se déployer selon des modalités qui rappellent les procédés utilisés par Raphaël Ortiz et Martin Arnold. Il ne s’agit pas de la citation d’un processus : le cinéaste propose une médiation sur le regard, sur la distance et la mémoire du cinéma, à travers le cinéma. Déconstruction de la scène image par image et remontage, un remixage qui ne respecte pas nécessaire la continuité initiale.  Cette douche devient la mémoire d’un cinéma à venir. Tony Wu structure ses trois films grâce au travail chorégraphique qu’il accomplit avec les différents éléments mis en jeu.  L’arrangement des mouvements, leurs reprises, les variations et permutations du cadre, d’un geste, les répétitions d’une action, d’un plan deviennent ainsi des moments dans l’acquisition d’un savoir, qui travaillent notre capacité à gérer l’information déjà vue. Il convoque nos souvenirs comme il le fera plus directement encore en introduisant dans Making Maps (2002) des séquences de home movies, montrant des enfants qui se baignent.  Un futur éventuel est envisagé pour un enfant asiatique qui vit dans le monde des Blancs : écho lointain de la situation du cinéaste dans un monde dominé par le cinéma expérimental occidental.

De la même manière, nos souvenirs sont envahis d’images qui ne nous appartiennent pas directement, mais que nous incorporons, que nous faisons nôtres : images de conflits, images pornographiques, clichés cinématographiques. Tout concours à faire de notre mémoire un paysage traversé d’images dont nous n’avons été que spectateurs. Les images font surgir les possibilités masquées qu’elles contiennent (le travail de Martin Arnold irait dans ce sens), ou bien elles sont le miroir9 de nos pensées les plus secrètes, images sur lesquelles on revient sans cesse. Le travail sur le retour des images irradie la pratique filmique de Tony Wu. Des images de Making Maps déclencheront Maps Dreaming (2001). Incarnation (Boy) donnera naissance à Re : Incarnation (Boy) (2003). On pourrait multiplier les exemples qui font du recyclage, de la recombinaison et du retraitement des outils de prédilection du cinéaste, qui prolonge un travail en jouant avec les variations.

On en trouve une récente manifestation dans la série : Resurrection ( 2006 à 2008)10. Cette série travaille la relation que les émulsions entretiennent à la photographie, à la vitesse et au cinéma. Le défilement et la granularité des émulsions, 16mm, Super 8 et 8mm accumulés au fil des ans lors de voyages en Europe s’opposent aux images gelées majoritairement en négatif dans Europe Ressurection (2006). Dans ce projet somme, Tony Wu, explore les seuils de perception et de reconnaissance des images qu’il avait entrepris avec exTaipeit (2005) qui associe quatre couches de flux d’images: travellings latéraux de plan des fenêtres de métros de différentes villes du monde et transcriptions rapides de textes, à quatre sources audio selon une construction qui induit conflagration et télescopage d’informations et questionne nos seuils de perception. L’impression de collage en flux domine dans ce film, alors qu’avec la série de Resurrection, l fait face à une mosaïque de mouvement et de textures produisant par couches de fragment concassé, une topographie de ville, dans Europe Resurrection et une ville : Paris plus précisément dans les trois opus de 2008: Last Night I Had a Dream, About My Mother, But I Could Not See Her Face et Paris Ressurection. Ce dernier se distingue par le traitement des photos, qui syncopé et parfois en surimpression sont trouées, déchirées, en lambeaux laissant apparaître la lumière et permettent ainsi la production d’images composite proche du vitrail. En ce sens l’esthétique déployée se rapproche de celles qui sont développées par Carolyn Avery ou Cécile Fontaine selon des techniques de décollages (liftings) des couches émulsives.

Cette série se singularise par la production d’image composite, images non-inscrites sur le ruban, mais que la pulsation cinématographique rend possible. La série se déploie selon des champs qui vont du personnel et de l’intime dans son usage de bandes de films dont on distingue de un à quatre photogrammes pour le premier opus de la série (Europe Resurrection), quittant progressivement le champ cinématographique pour affirmer par degré une dimension graphique et composite qui font entrer le travail dans un champ plus contemporain et proche d’une esthétique numérique, alors que les moyens utilisés ne le sont pas. Cette interrogation sur les vestiges d’un passé lointain ou proche, Chieh-Jen Chen, la met admirablement en scène dans ses photos et dans ses films : “ Je ne peux m’empêcher de regarder à ces images d’anonymes torturés, exécutés. Il semble qu’on peut voir par-delà ces images, d’autres couches d’images et de mots, latents, non dits. …/… Dans cette compulsion à regarder ces photographies, souvent je me voyais être la victime, ou le bourreau, ou un collaborateur de ces photos. ”11

Depuis quelques années, cet artiste a travaillé à partir de photos de supplices, de massacres ou de torture. Le supplice s’est toujours montré, a toujours été pensé sous forme de spectacle : on se souvient de la description étonnante de Michel Foucault qui ouvre Surveiller et punir.

Une des photos de la série Genealogy of Self est réalisée à partir d’une photo du supplice du Lingchi, prise en 1905 par Georges Dumas. La photo historique, agrandie et transformée, est à l’origine du projet cinématographique de Chen.  

Il recrée, grâce au pinceau numérique, le supplice du Lingchi consistant à découper une victime en petits morceaux tout en évitant qu’elle ne meure trop rapidement. Comment ménager la victime et le spectacle ? À quoi pense la victime alors qu’agonisante, elle subit de nouvelles interventions, quel regard porte t-elle sur nous qui regardons ?  Ces questions sont centrales pour comprendre le travail de la photo et du film. La scène du film a été tournée en 16mm, puis manipulée image par image. Lingchi – Echoes of a Historical Photograph (2002) existe en deux versions: en simple écran ou comme installation en triple écran – forme sous laquelle il a été montré lors d’une Biennale de Taipei (2002). Dans sa forme en installation, la dimension mystique du travail est soulignée par le choix du triptyque.

3. Lingchi 2

Suite de lents travellings latéraux et de plans rapprochés de la victime, le film est pour la plus grande part teintée en sépia. Il montre les instruments et la préparation du supplice, puis son exécution. On est immédiatement saisi par la qualité de l’image, qualité que l’on retrouve dans tous ses films. Les compositions minutieuses, les mouvements fluides et lents d’appareils plongent les scènes filmées dans un temps suspendu, qui permettra de constituer une mémoire d’un évènement, d’un lieu, par le changement de point de vue. Cette composition est comparable à celles dont la religion et l’art ont fait grand cas à savoir la représentation  de corps souffrants ou hystériques. L’image est traitée comme le supplice : on n’est jamais directement confronté à la représentation du supplice, ce n’est ni “ gore ” ni même “ trash ”, et à la différence du Blow Job (1963) d’Andy Warhol, le hors champ n’est pas le moteur de  représentation12. Avec ce film, Chen Chieh-jen (se) demande si l’on peut accéder à ce que pensent le bourreau, la victime lors de l’accomplissement d’un tel rite? Et que dire, des transformations provoqués par le spectacle d’un tel supplice, dans la psyché des spectateurs ?   Seul un léger flou souligne la distance entre l’objet de notre regard – le supplicié – et le sujet qu’est le rite du supplice des huit couteaux. Par cet écart, nous pouvons continuer à voir encore et encore. Parfois, comme dans le Salo de Pasolini, la distance et le sentiment de voyeurisme sont accentués par l’irruption d’un photographe fabriquant un cliché stéréoscopique du supplice et de ses instruments. Il ne s’agit pas de body-art ou même de sa représentation13, tels que les promurent les actionnistes viennois ou les artistes chinois contemporains, mais plutôt d’une re lecture de l’histoire, à travers une reconstitution du supplice de la mort languissante. Tenus à distances, mais parfois nous passons de l’autre côté à l’intérieur du supplice, notre regard occupant la place des plaies. Nous sommes en présence d’une œuvre singulière qui interroge les techniques d’enregistrement d’un châtiment en faisant appel à l’histoire de ses représentations et à ses mésinterprétations culturelles. La souffrance du supplicié est muette, déréalisante elle finit par abolir les sens, d’où l’extrême malaise lorsque se fait entendre la présence ponctuellement un son sourd, transfert d’ondes électromagnétiques de la peau de l’artiste.

Le film interroge notre ambivalence vis-à-vis de la représentation de la violence, de sa mise en scène entre fiction et réalité, autant que les usages que nous en avons, que nous en faisons et ce d’autant que la photo du supplice et le film renvoient à l’économie du colonialisme et de son exploitation de l’exotisme qui évince l’autre confisquant toute parole singulière en dehors des siennes.

On retrouve le silence des exclus, des chômeurs, des déclassés dans d’autres films de Chen Chieh-jen, les ouvrières d’une usine de textiles dans Factory (2003), des étudiants, chômeurs, et sans abris dans Military Court and Prison (2007-08). 

factory À chaque fois, il est question de revenir sur un lieu, de revisiter des usines fermées pour cause de transfert de production vers d’autres pays, ou bien d’immeubles abandonnés, tours ou institutions judiciaires comme le tribunal militaire et sa prison afin d’inscrire une continuité malgré l’arrêt, l’abandon. Le film fait archive, il permet de constituer dans les lieux, la mémoire des outils de productions ou d’exclusions… Le film garde la trace, et permet d’écrire une histoire, de se réapproprier un évènement qui aurait pu avoir lieu; ainsi ce piquet de grève dans The Route (2006)14 des dockers de Kaohsiung, qui en 1997 avaient déchargé un cargo auquel les dockers du monde entier s’étaient refusés jusqu’alors face à la privatisation des docks dans le monde. Alors qu’ Empire ‘s Borders 1 (2008-09) met en jeu la disqualification d personnes désirant se rendre à l’étranger, par exemple aux Etats-Unis, ou à Taiwan. Les services administratifs refusant d’écouter les requêtes des voyageurs, des immigrants. Cette disqualification des personnes est devenue à ce jour l’une des techniques les plus utilisées par les démocraties du monde qui s’arroge le droit de laisser circuler les marchandises, mais pas les humains. Privés de parole et par conséquents de droits, les Chinois mariés à des taïwanais désirant se rendre à Taiwan, se retrouvent dans la même situation.

Tout le travail de Chen se focalise sur la possibilité de renouer avec des histoires, avec une histoire avec son histoire qu’il s’agisse de celle d’une personne autant que d’un pays; la dimension politique est centrale: « Taiwan est devenue une société de consommation avec une grande facilité d’oubli qui a abandonné son droit de se conter et cela m’a incité à m’opposer à cette tendance. Ainsi chaque film que je réalise incarne une modalité de résistance, on doit voir chaque film que j’ai comme un acte de connexion, qui lie l’histoire des gens exclus du discours dominant, les situations de vie réelle de sphères ignorées ou isolés. Je m’oppose, ainsi à l’état d’amnésie dans la société de consommation. » Avec Empire’ Border II, Western Entreprises Inc (2010), Chen Chieh-jen continue son investigation sur les lieux de mémoire et leur effacement. Cependant bien que les architectures et les lieux de travail déliquescents sont voués à s’effacer, les corps conservent encore la trace de l’aliénation. L’espace du travail a marqué les corps qui êtres fantomatiques errent dans les anciens lieux de travail délocalisés ou bien inutilisés, car obsolètes. Dans ce film l’irruption de l’histoire du père en préambule, il fit partie en effet de la NSA (National Salvation Army). Cette unité était une organisation militaire mise en place par la CIA pour combattre la Chine communiste. Ce préambule modifie le rapport que nous avons aux lieux l’immeuble de la Western Entreprises Inc et aux ouvriers, soldats (mais le sont-ils qui hantent cette fabrique désaffectée qui était en fait l’immeuble de couverture de la CIA à Taiwan). L’étirement des plans fait surgir le Stalker d’Andrei Tarkovski, alors que leur plastique s’apparente à celle que travaillait Serguei Loznitsa dans ses documentaires ou films de compilations. La présence d’un son lourd en rotation constante s’interrompt brièvement pour faire entendre quelques échanges laconiques entre différents personnages se souvenant ou essayant de comprendre. Tout participe dans ce film d’une tentative qui vise à écrire, ré écrire une histoire qui a été effacée, évincée. Comment faire face à cette absence, comment un peuple, des hommes peuvent-ils élaborer leur histoire si celle-ci est marquée par ses hiatus, ses trous noirs. Tout le travail de Chin Chieh-jen se polarise sur cette question de la constitution d’une mémoire qui n’existe pas car elle a été délibérément annihilée. C’est ainsi qu’il faudrait alors comprendre l’importance du noir et blanc dans la majeure partie des travaux de Chen. Dans Empire’ Border II, Western Entreprises Inc ont fini par ce demandé si il s’agit vraiment de noir et blanc ; la plastique et le soin apporté au traitement des teintes, confèrent à ses films une dimension picturale indéniable.

La pluralité et la diversité des œuvres retenues remettent en question notre regard autant que notre aptitude à  comprendre des cultures étrangères et dont nous n’avons en tout cas, en ce qui me concerne, qu’une connaissance limitée15. Pour reprendre les termes de son analyse, on pourrait dire que toute la difficulté réside précisément dans le fait que, nous nous attendons à voir ce que nous projetions d’y trouver. Et, si jamais cette attente n’est pas satisfaite, alors, notre jugement peut devenir négatif ; ce qui est dommage dans la mesure où la confrontation avec les cultures est justement ce qui permet d’envisager un dialogue c’est-à-dire ce qui permet de transformer notre regard. Mais dialoguer c’est envisager et confronter les points de vue, multiplier les interprétations.

yann beauvais

1 Yung hao Liu et Pai Zhang Wang ont traduit pour Film Appréciation Journal, le catalogue Le Je filmé (Centre Pompidou, ed scratch sous la direction de yb) n° 82, Taiwan Jui/Aug 96, de même celui sur Audio in Vision Out Mars avril 1999  à cet égard, exemplaire.les numéros  106 Jan Fev  et 107 Mars Avril  sur le super 8, coordonné par Wu Chun Hui en 2001, depuis de nombreux autres numéros ont été consacré où ont abordé le cinéma expérimental de manière plus régulière.

2 Cofondateur avec Pai-Zhang Wang d’Image Movement Cinematheque. Il a réalisé un film expérimental à San Francisco et travaille depuis 2002 sur un documentaire.

3 Sylvie Lin a écrit plusieurs articles sur différents cinéastes, vidéastes dans le cadre de cette revue.

4 Pour une mise en perspective des enjeux de l’animation contemporaine voir Dominique Willoughby : Le cinéma graphique; Editions Textuel, Paris 2009

5 Par exemple Untitled 8 (ejaculate in trajectory), 1989, ou  Semen Blood 3, 1990

6 Dans ce film, plusieurs formats sont utilisés: super 8 et 16mm et Hi-8.

7 Le Monde 19/06/10.

8 Donner un peu de couleur au ciel, in Paysages du contresens, Lee Ming-yu, Commabooks, Taipei 2010

9 Sur les rapports entre mémoire et miroir, voir Lin Chi-ming, “ Mémoire, histoire, généalogie ”, in Asiatica II, Paris / Galerie du Jeu de Paume, 2001.

10 Cinq opus à ce jour.

11 Chieh Jen Chen : About the Form of my Works, http://www.asa.de

12 Roy Grundmann a consacré à ce film de Warhol une étude passionnante, Andy Warhol’s Blow Job, Philadephie, Temple University Press, 2003. Cette étude s’attach principalement à la représentation et au hors-champ.

13 Voir Kurt Kren et Otto Mühl ont filmé de nombreuses performances des actionnistes viennois tout en y participant.

14 Le film prend le pretexte des grèves ayant fait suite au chargement dans le port de Liverpool du Neptune Jade : http://www.iww.org/unions/iu510/jade/

15 Fei Davei à très bien analysé les limites de la compréhension d’œuvres par un regard étranger in Another Long March  in Chinese Conceptual and Installation  Art in the Nineties, Chris Driesen et Heidi Van Mierls, Fundamental Foundation, Breda 1997

d’un couvre-feu

Ce film travaille à partir de quelques éléments glanés ici et là pendant ce mois de novembre 2005. Il s’agissait de s’approprier et de redistribuer quelques séquences, en les recadrant lors de leurs capture autant que lors du montage afin de les redonner à voir ou à revoir. Des rythmes du rap et de funk des favelas de Rio permettent de situer autrement ces images en les inscrivants comme des sons de noirs, autant que comme sons de banlieues ou de favelas. Ces musiques écrasent le comment taire officiel des bandes d’actualités, elles permettent d’envisager d’autres lignes de fuite que les émeutiers ont su manifesté en se jouant du colonisateur blanc.

bus

En novembre, à la suite de l’électrocution de deux adolescents dans un transformateur EDF, alors qu’ils tentaient de fuir la police qui les poursuivait, des émeutes éclatèrent dans de nombreuses banlieues françaises. Du jour au lendemain les jeunes des banlieues occupent un espace politique et forcent ainsi l’attention des médias.
On constate que les émeutes dévoilent avec éclat l’aveuglement sidérant de la société française vis-à-vis du racisme inhérent de sa pensée universalisante qui disqualifie toutes différences au profit d’un intégrationisme abreuvé de colonialisme.
L’aveuglement de la société et que révélèrent les émeutes se ressent dans les lois d’exceptions mises en place par un gouvernement néo-libéral qui justifiait la déferlante répressive autant que dans l’assentiment d’une majorité de citoyens quant à l’application de ses lois. La reprise de la loi instaurant l’état d’urgence de 1955, ne manquait pas de souligner la permanence refoulée de la guerre d’Algérie. On aurait pas pu imaginer meilleur moyen pour perpétuer l’exclusion, sauf à faire appel aux services de nettoyage du ministre de l’intérieur qui piaffe d’impatience d’user de ses Kärcher.

http://www.ubu.com/film/beauvais_duncouvrefeu.html

This film is based on several sequences recorded here and there last November, 2005. What was at stake was to redistribute these sequences by reframing while re-shooting them and by editing in such way as to see again or differently those sequences. Rap beats as much as Rio’s favella funk , contribute to give another environment to these by affirming the fact that there are sound produced by blacks, as much as sounds made in the suburb and in the favelas. These songs smash through the official voiceover of the news, they permit us to consider other points of view that the rioters had already shown in questioning the white colonizer.

In November, following the electrocution of two teenagers in a power substation, while they tried get away from the cops, riots broke out in many French suburbs. Each of those days, young people of the suburbs occupied a political space, forcing the attention of the media.

People frequently realized that the riots revealed the glaring blindness of French society with respect to the inherent racism of its universalizing thought which disqualifies all differences in favor of an integrationism strongly tinged by colonialism. The blindness of society that the riots revealed, was felt in the laws of the “State of Exception” established by a neo-liberal government which was enough to justify the wave of repression for the majority of the citizens of France. The reinstatement of the law establishing the state of emergency of1955, underscored the enduring though repressed presence of the War in Algeria. One could not have imagined a better means of perpetuating exclusion, except to call upon the special clean-up squad of the Minister of Interior, eager to deploy the tools of its trade.

en joue
http://www.ubu.com/film/beauvais_duncouvrefeu.html

A s batidas do rap, tanto quanto o funk das favelas do Rio de Janeiro contribuem para dar um outro ambiente para estes lugares, afirmando o fato de que há som produzido por negros, assim como som feitos no subúrbio e nas favelas. Essa canções esmagam através da narração oficial da notícia, elas permitem-nos considerar outros pontos de vista que os manifestantes já haviam mostrado no questionamento do colonizador branco.  Food footage das motins nas suburbia de Paris em Novembro 2005.

Toque de alerta

http://bcubico.com/dun-couvre-feu-legendas/

A indiscernibilidade entre arte e acontecimento está na trama de d’Un couvre feu, 2005, de yann beauvais, cineasta experimental que aborda aí o video, e também a televisão e arquivos da internet, criticando os mediums de dentro, mas em um desvio extradisciplinar rumo a um pensamento da métropole contemporânea. A atenção aos ruídos do mundo é a marca desse artista. O vídeo, cuja operação principal beauvais vai nomear como monter/sampler, retoma, reenquadra e busca desestabilizar o sentido da informação disseminada em diversos circuitos, em torno dos distúrbios de jovens nas periferias de Paris, em outubro de 2005. Ao retrabalhar em sampling o material filmado diretamente do monitor de tv por Edson Barrus, mixando-o a imagens da internet, beauvais extrai o máximo de possibilidades da sua estratégia de resistência à indústria cultural:

Restos de uma indústria que se recicla, a imagem cinematográfica – mas deveríamos dizer a imagem em movimento em seu conjunto – chega a um paroxismo de ubiquidade e de consumo, índices de uma sociedade espetacular. A imagem, como a matéria e a energia, entra em um ciclo infinito de recuperação-transformação-difusão.[1]

Compreendendo a criação como ‘coleção, destruição e reconstrução, recriação’, beauvais insiste em que ‘toda fonte visual, sonora ou musical é hoje reciclável’. Ele escreve, com Bouhours: ‘Sob a noção de recuperação, aflora uma tipologia de processo da imagem, de détournement, estoque, remix, reapropriação.’[2] Em sua pesquisa, yann beauvais interroga ao mesmo tempo o filme, o vídeo e a televisão enquanto veículo de enunciação. As práticas auto-críticas do cinema experimental são deslocadas para o campo das novas medias, assumindo um domínio de problemas advindos do uso da tecnologia:

Na era do numérico, a desmaterialização dos suportes, a ausência de perda de qualidade entre o original e cópia poem em crise seu estatuto respectivo. (…) Através dos instrumentos de reprodução e difusão surgem zonas de livre troca, que escapam por um momento às leis da performance econômica.[3]

A estratégia fílmica de Barrus que detona o processo de d’Un couvre feu é esboçada em seus Documentos (registros singulares da informação multi-mediática que envolve a vida nas métropoles globais). Ao assumir a reciclagem de modo enfático, essa série de vídeos reescreve o numérico, confrontando criticamente as novas modalidades de extração da imagem com as táticas do filme estrutural dos anos 1960 – a não-linearidade discursiva, o caráter processual, a anti-montagem. A tecnologia do vídeo é investigada por Barrus em seus parâmetros sonoros e visuais, de mesmo modo que em sua temporalidade, como no curtíssimo Página Virada (2006), espécie de homenagem a Yasser Arafat, então recém-desaparecido. O vídeo dura um sopro, o tempo exato em que a página do Le Monde com a imagem do grande líder palestino estampada leva para ser virada pelo leitor. Montagem=Sampleagem=Captura.

A impureza e o caráter direto dos Documentos, em que os trechos captados não recebem tratamento posterior, mas o ritmo é definido no próprio processo de filmagem, trazem a vibração do dispositivo metropolitano – que ressurge ‘inatualizado’. Como oberva beauvais, a refilmagem ‘torna claros alguns mecanismos de assujeitamento a que nos dobramos quando vemos o acontecimento difundido por nossas telas catódicas’.[4] A câmera de Barrus traz indícios do lance da captura, suspensos em atraso: a respiração, a sombra, as hesitações de seu corpo marcam a imagem, de mesmo modo que o jogo deliberado dos reenquadramentos. No caso de Barrus, ‘é a resposta com relação ao lance direto que constitui e motiva a apropriação ao vivo e, por consequência, o détournement’[5]. A difusão de tv, nos Documentos, é ainda transformada pela textura intensa, a explosão dos píxeis, os moirés multicores que podem invadir parte da tela, traços dos deslocamentos de mediums. ‘Não se trata sem dúvida da mesma espetacularização – escreve o cineasta francês, recusando uma assimilação historicista do monter-sampler – nós não estamos em um néo-situacionismo, mas em uma outra operação, que visa dispor dos elementos audio-visuais afim de pensar.’[6] Para ambos os artistas, a proliferação implicada no procedimento de samplear promove um tipo de distância que evidencia a fabricação da imagem, seu aspecto não-verossímel.

Em d’Un couvre feu, a captura de Barrus ela mesma deflagraria a operação crítica desdobrada em complexidade por beauvais em sua montagem-sampleagem: a filmagem direta da tela de tv sublinha o ‘tratamento’ ideológico do acontecimento – em um ‘no comment’ que traduz a imediaticidade de sua intervenção. Já beauvais investigará, em sua proposta de sampling, outros canais de informação, buscando arquivos de imagens que seriam posteriormente reciclados. Nesse desdobramento de autorias cada vez mais provisórias, é gerado um ready-made de segundo, n graus, e configuram-se desvios, dissociações e interrupções da estrutura som/imagem. Jogando com mais um clichê das periferias globais, beauvais toma emprestado o batidão ‘Som de preto’[7] das nossas comunidades, dando outra dinâmica às ações dos jovens discriminados em Paris. O funk brasileiro reenquadra o caos e o abandono da periferia parisiense, redesenha as imagens dos ônibus incendiados, grita por sobre as vozes brandas dos debates televisivos. d’Un couvre feu ressalta o aspecto caótico das métropoles cognitivas, manifestando a articulação poético-política de um dispositivo em aceleração crítica.

Cecilia Cotrim, outubro de 2009.

in Querer a multidão: arte contemporânea e dispositivo metrópole de Cecilia Cotrim  no VII Fórum Brasília de Artes Visuais Arte e arquitetura: balanço e novas direções

[1] yann beauvais, Jean-Michel Bouhours, ‘La propriété, c’est le vol’. In Monter Sampler, Paris, Centre Georges Pompidou, 2000, p. 18.

[2] Idem.

[3] In ibid, p. 20.

[4] yann beauvais ‘La vidéo selon Edson Barrus’. in Revue & Corrigée nº 78, dez. 2008.

[5] Idem.

[6] In ibid.

[7] funk de Amilcka e Chocolate.   

Pain Bagna

 coréalisé avec Edson Barrus

Des films de famille 16mm des années 70 sur la côte d’Azur, re-filmés en numérique lors de leurs projections.
Le montage fait dans à la caméra par un cinéaste anonyme n’est pas plus élaboré que la succession des plans composant chaque bobine, dans lequel on ressent ce désir de bien faire, du film.
Le léger ralentissement lors de la projection, conjugué au recadrage de l’image, la transforme en un enregistrement souligné par l’utilisation de l’appareil photo numérique.
Un montage secondaire a été effectué afin d’induire d’autres rythmes de ces représentations d’un autre temps dont la seule trace serait ces quelques images vacillantes aux filages irréguliers, aux grains ténus, fortement marquée par un amateurisme sans qualité.
On souhaitait retrouver à la projection la pratique de l’enregistrement.

Film based on 16mm found footage from the 70’s. They were diary films made on the French Riviera, which we refilmed while screening with a digital caméra. 

The editing made by the anonymous filmmaker reflects the shooting. The slow motion due to the screening projection speed we choose and the reframing reshaped the document.
During the projection we were making new editing while shooting.

Soft Collisions Dream of a Good Soldier

 3E , 3S , 3T Triple Screen

[Coréalisation : Frederick Rock
soft collision 1

À la suite de la guerre économique déclenchée par l’Amérique et ses alliés, alors que j’enseignais dans ce pays, j’entrepris avec un cinéaste américain de faire un film à partir de et contre la guerre. Ainsi, puisque toutes les images du conflit étaient censurées par les autorités militaires avant que d’être propagandisées par les télés du monde, nous décidâmes de ne travailler qu’avec des found footage des années quarante. Le film se décompose en plusieurs mouvements qui inscrivent, chacun à sa manière, l’absurdité, la conformité aux rôles sociaux, aux genres, l’obéissance, la tyrannie et la mort. Deux écrans noir et blanc encadrent une image colorée centrale.
soft collision 3

soft collision 2

 

A found footage film about the war. A film which inscribed his refusal of the manipulation of the media coverage of the last holy war of the American and their allies. No image of that war which was also a media propagandist war. An evocation against the stupidity of war in seven parts.

Work and Progress

en/em 16mm  double écran / twin screen/ dopla telas

work & progress

extrait/ extract/ extrato https://www.youtube.com/watch?v=-QgiRuK1sUQ

Coréalisation : Vivian Ostrovsky www.vivianostrovsky.com

En 1990, Vivian et moi sommes allés ensemble à un festival de films à Riga puis à Moscou, pour quelques jours. Nous filmions tous les deux en Super-8. Je développai et fis un film avec ce métrage alors que j’enseignais à Tampa en 1991. Cela devint We’ve got the red blues. Malgré ce film, nous avions toujours pensé réaliser un film ensemble dont l’origine serait les séquences que nous avions tournées l’un et l’autre à Moscou.Work and Progress est ce film, qui articule nos images de Moscou avec des films d’archives de provenances diverses (des bandes d’actualités autant que des extraits de films d’Eisenstein et Vertov) ainsi que des journaux filmés s’étalant au moins sur trois décades. Il s’agit d’une déambulation à travers le paysage d’une ville qui est soumise à l’empire du cliché. Ce film n’aurait pas été possible sans l’aide de Tania Cypriano, la Cinémathèque de Jérusalem et la confiance de Vivian.

Capture d’écran 2014-09-20 à 11.25.13

« D’un court séjour à Moscou, qu’il découvrait pour la première fois en 1990, yann beauvais a conçu deux films. D’une part, We’ve got the red blues (1991), un journal filmé à la manière d’Amoroso et de Divers-Épars, où se mèlent impressions visuelles et mémoire cinématographique des lieux. D’autre part, Work and progress, composé en binôme avec Vivian Ostrovsky et projeté sur double écran, manifestant ainsi une volonté de diversifier les points de vue et d’écarter toute lecture globale. Les séquences tournées par les deux cinéastes à Moscou sont entrecoupées de nombreuses images d’archive extraites de bandes d’actualité et de films de Serguei Eisenstein et Dziga Vertov. L’articulation et le rythme saccadé des séquences, selon une division territorialisée coïncidant avec la diversité des plages de temps de la vie urbaine qui se succèdent ou se superposent (repos, déplacement, travail, communication, loisir, consommation, politique, religion…) peut évoquer l’Homme à la Caméra (1929) de Vertov. Contrairement aux autres films de yann beauvais dans lesquels la présence humaine est plus suggérée que montrée (par le biais de l’architecture, façade reflétant l’empreinte de l’homme) ici, à plusieurs reprises sont donnés à voir des rassemblements de foule dans l’espace urbain (qu’il s’agisse d’extraits de parades militaires, de vues d’un marché, d’un attroupement autour d’un kiosque à journaux…). Sur fond de chants populaires russes, ce film reconstitue une épopée a-historique dans laquelle architecture et hommes témoignent de l’invincible dualité constitutive de la vie entre permanence et mobilité : si la statue de Staline déboulonnée, remet à l’honneur les coupoles d’églises orthodoxes, la misère du peuple est toujours évidente. » Muriel Caron

Œuvre appartenant à la cinémathèque de Jerusalem et au MOMA (New York)

work & progress Capture d’écran 2014-09-20 à 11.27.08

When we returned from a trip to Russia in 1990, armed with our super 8 cameras, yann beauvais and myself decided to share our images and make a 4-handed film. We agreed to mix what we had shot with other material that meant something to us in that context and edit the film together. For yann, the references for Russia were classics he had seen, such as Vertov and Eisenstein. Mine were the Cold War years and propaganda films I’d been exposed to on my annual trips to visit family in the USSR in the late 60’s, 70’s and 80’s.
We also wanted a twin screen projection wherein all the footage would be mixed rather than have a « his » and « her » screen.
This double imaged film is a collage of S8 and archival material and the sound track is made along similar lines. We used mainly Russian sounds : music of all kinds, some excerpts of Lenin’s speeches and some street recordings.
Originally the film was projected on two 16mm projectors placed side by side. Both images have been now transferred and blown up to 35mm film with the 2 images side by side.

In 1990, Vivian and I went to a film festival in Riga and then we went to Moscow for a couple of days. We were both shooting in super 8. I process and edited my footage while teaching in Florida in 91 it became : We’ve got the Red Blues. Despite that film, we always thought that we will make a film together based at least (at a starting point) from those footage.

Work and Progress is such a project which articulate our images of Moscow with archival footage (newsreel as much as work by Eisenstein and Vertov), and diary films from at least three decades. A wandering through landscape and memories loaded with cinematic clichés.

Film belonging to the Cinématheque of Jerusalem and to the MOMA (New York)

Luchando

Luchando  5

A la suite d’un voyage, le film interroge l’histoire de Cuba à travers les rapports que nous entretenons avec les différents mythes de quant à la révolution cubaine…
Les questions de l’homosexualité et du racisme permettent d’investir ces tensions. Recyclage et appropriation de documents visuels de toutes provenances : cinéma de propagande nord américain, cubain, soviétique, mais aussi documents d’actualité (historique et contemporain, films de fiction et documentaires, superposés à des séquences réalisées au portable. Le travail sonore croise des sons originaux et prélevés ainsi que différents discours de Fidel Castro… et en voix off une réflexion sur la question du racisme par un intellectuel dissident.

Tissage polyphonique à propos de Cuba.

Luchando 2

Ken Jacobs Film – As a Phantom Image (Eng)

published in 1994 for the Ken Jacobs retrospective at the American Center in Paris and in the Oberhausen catalogue (42ème international – short film festival, 1996) for the Ken Jacobs presentation : « Das Kino Als Geisterbild ».

Ken Jacobs is one of the most important figures in American experimental film. For more than 35 years, he has questioned the nature of moving pictures in a variety of approaches. Whatever the genre – film diary, analytical film, « personals film », picaresque film, 3D performance – he is always interested in film as a process of recording and reconstituting (in the projection) an event or a more or less open narrative. The narrative structure is never absent on Ken Jacobs’s films, although some of his works break up the classic form of representation and its narrative traditions. Film replays in the present a time long gone, another life. Cinema as an enterprise producing phantoms and ghosts whose visual performances constitutes its magnificent outcome. A work on the ephemeral and the fragility of the filmic illusion, revealed by Jacob’s installations.

Since his early films, which celebrates a way of living, long gone since, as with Orchard Street or Little Stabs at happiness, 50’s bohemian life in New York city, to the latest performances of electrical shadows, Ken Jacobs has always been the outsider within the experimental film scene. H has always claimed and promoted a free cinema, a cinema close to home movies as those made about Flo’s family for Urban Peasants, and which share the same feeling as some of Ron Rice and Jack Smith. Many of his early works have been done with Jack Smith (even if some times they were done with some disagreement). Ken Jacob’s film mixes styles which until then dispersed, the use of found footage, authorize him to question the narrative in Doctor’s Dream, investigate the notion of authenticity with Perfect Film, out-takes from a film dealing with Malcolm X assassination. With Tom, Tom The Piper ’s Son, themes and variations transformed the narratives codes from a recycle so called primitive film. This recycling of footage is also very active within the performance, a French porno film of the 20’s is used withXCXHXEXRXRXIXEXSX, while Making Light of History : The Philippines Adventureused newsreel. Within the 3D film the history of cinema is present ; as a reference or as a quotation, Lumière’s film within Opening the Nineteenth Century : 1896, Buster Keaton with Keaton’s Cops.

He works by approaching sounds and music as well as recycled and redirected images. This recycling does not stop at his own films which are never completely finish, always work in progress. The soundtrack of Blonde Cobra uses a radio transmission which punctures the stretches of the black silence, is inserted between the sequences in order to oppose the present and the vision of scenes that took elsewhere, long ago. The invasion of parasites into the ghosts of a story that is still to come for the audience of the presence. The characters of the picaresque films are put into question, opened for discussion by the scenes that interrupt the plot, as in Star Spangled to death and The Sky Socialist. His work his always on the periphery, marginal. In With Tom, Tom The Piper ’s Son, it is the rereading of the story, its abstraction, that makes us aware of the details of the images we have missed. Likewise in Perfect Film, where none of the found footage film was modified. By this process of appropriation and naming, Ken Jacobs forces us to exercise a critical view. Ken Jacob always tries to break our seeing habits to make us aware of all that can be contained by in the filmed image. The representation is haunted by a multitude of events we don’t know how to perceive. Only the filmmaker’s insistence – as well as the spectator’s- makes them visible. The ghost images recover shape for all who knows how to take time to look at them.

Films d’archives (Fr)

Archives sous la direction de Valérie Vignaux, in 1895, n°41, oct 2003

http://1895.revues.org/264

em Português : Filmes de arquivos in Revista do Festival Internacional de Cinema de Arquivo– Recine, nº1. Rio de Janeiro: Arquivo Nacional, setembro de 2004

 

Films d’archives 

Depuis de nombreuses années, le cinéma expérimental fait un usage intense du found footage. Ce terme de found footage désigne autant l’objet – une séquence trouvée -, qu’une pratique qui consiste à réaliser un film en s’appropriant des éléments trouvés, dérobés, prélevés, détournés, non tournés par le cinéaste, mais que ce dernier recycle.

0Cette pratique englobe les films de compilation comme les films plus personnels qui incorporent un extrait ou une séquence d’un ou plusieurs films. À la différence des films de compilation, les films personnels ne sont ni des catalogues, ni des collections, ils ne font qu’occasionnellement appel à des extraits de bandes d’actualité ou de films de familles.

Protéiforme, l’utilisation du found footage ne peut en aucun définir un genre : elle recouvre une trop grande variété d’interventions de la part des cinéastes. Interventions qui se sont multipliées depuis que l’accès aux magnétoscopes puis aux ordinateurs grand public s’est élargi, faisant de chaque usager un programmateur potentiel. Le recours à la numérisation permet de manipuler à volonté les informations stockées en système binaire. De ce fait, un déplacement s’est opéré, qui consacre l’empire de la variation : ce sont les données qui sont manipulables et non plus la pellicule. C’est à l’ombre de cet abandon du Celluloïd au profit du numérique que se comprennent les derniers films de Peter Tscherkassky, son insistance radicale à travailler le support argentique.

L’usage de found footage n’est pas réservé aux documentaristes et cinéastes expérimentaux. Les chaînes de télévision, grandes consommatrices d’images, font de plus en plus fréquemment appel à des archives lorsqu’elles élaborent une émission ou des programmes. Par ailleurs, les journaux télévisés ou les programmes d’actualités des chaînes thématiques ressassent les mêmes séquences, prélevées des archives auxquelles elles s’abreuvent goulûment. Quelques archives en viennent à dominer le marché ; elles tentent alors de faire évoluer le domaine du cinéma sur le modèle de la photographie, à savoir constituer des monopoles.

Si pendant longtemps les archives cinématographiques ont privilégié l’acquisition de films narratifs, depuis les années 90 elles ont pris en compte d’autres pans du cinéma, qui étaient jusqu’alors le domaine réservé d’archives spécialisées. Paradoxalement, l’intérêt récent des archives pour des films jusqu’alors ignorés rend leur accès de plus en plus difficile. Les films restaurés, étant prêtés en priorité – et presque seulement – aux établissements reconnus par les instances officielles, voient leur circulation très limitée. La notion de préservation entraîne paradoxalement une diffusion restreinte : l’objet film devient précieux puisque restauré.

Ne reste, pour les cinéastes d’aujourd’hui qui souhaitent travailler le film de found footage, que la possibilité de s’approprier plus ou moins légalement les éléments convoités.

Dans les années 50, il était aisé de se procurer des films éducatifs, à partir desquels on pouvait faire une œuvre. A Movie, le premier film de Bruce Conner est un bon exemple de l’usage qui peut être fait de films éducatifs et de bandes d’actualité. Il critique la société de consommation et sa fascination pour le spectacle de la destruction à travers un assemblage de séquences jusque-là réservées à un usage domestique. Le détournement prend le contre-pied des intentions originelles des films ; reflets de la société qui les produit, ils en représentent les rites, les tragédies humaines ou naturelles, quotidiennes ou exceptionnelles, les catastrophes. Au moyen de la collision, de la juxtaposition et de l’enchaînement, Bruce Conner suscite d’autres interprétations. Les certitudes que sont censés transmettre ces films vacillent ; d’autres perspectives surgissent grâce à l’humour des raccords, des contresens viennent entamer les idées reçues.

Bruce Conner travaille les clichés cinématographiques d’un passé récent et déjà périmé, qui sont avant tout une mémoire commune à un groupe, une classe, une société. Sa démarche s’apparente à l’appropriation des objets domestiques prônée par le pop art en Angleterre et aux Etats-unis à la fin des années 50. Bien que singulier, A Movie, comme les films de Raphael Montanez Ortiz, Maurice Lemaître et quelques autres, détourne des séquences de films, se les appropriant et les recyclant de manière à créer de nouvelles relations qui pervertissent le sens premier.

Les utilisateurs de found footage, en sortant des images de leur contexte, révèlent leur sens caché, souvent aux antipodes du sens originel, de la même façon que les Nouveaux Réalistes remettaient en cause la signification première des images qu’ils prélevaient par lacération d’affiches. Ce déplacement est essentiel dans la mesure où il marque l’appropriation, mais aussi l’irruption de l’intempestif, constitutif de nouveauté signifiante. Pour désigner ce décalage, les lettristes parlent de ciselure à propos de l’image et de “ discrépance ” à propos du son[1]. A la différence d’autres cinéastes, les lettristes n’utilisent pas seulement du found footage, ils tournent parfois des séquences qu’ils altèrent de nombreuses manières : rayures, peintures, appositions de lettres…

Remarquons qu’en ces années-là, les questions relatives à la propriété et aux droits d’auteurs ne se posaient pas de la même manière qu’aujourd’hui, le juridique n’étant pas encore devenu l’étalon à partir duquel se définit le statut économique de l’auteur, tel que l’envisagent le plus souvent les sociétés (corporates) qui les représentent.

L’appropriation de séquences modifie la manière dont les objets cinématographiques sont appréhendés : ce n’est pas l’entièreté du film[2] qui est objet du détournement mais une ou plusieurs parties. Son intégrité est remise en question lorsqu’il est considéré comme un catalogue de plans et non comme un tout indivisible. On pioche, on cite, on prélève, afin de constituer un nouvel objet. On travaille non plus à constituer une vision originale au travers de plans que l’on tourne soi-même, mais en montant des scènes tournées par d’autres. Le travail du cinéaste consiste surtout en la recherche de documents, d’où la nécessité d’avoir accès à des bibliothèques, à des archives publiques ou privées et  à divers magasins vendant des copies de films et des bobines en tout genre.

Faire des films de found footage c’est, dans les années 50 et 60, avant tout travailler à partir de documents d’actualité ; on verra beaucoup plus rarement des images prélevées de films commerciaux. Le format est souvent un obstacle majeur pour les cinéastes expérimentaux qui n’ont pas les moyens de faire des réductions à partir du format standard, le 35mm. Plus tard, principalement à partir des années 80, le recours au found footage prendra d’autres significations, qui dépasseront la critique des représentations. C’est l’importance de l’image animée, son impact sur le quotidien, qui sera à l’origine du travail de certains cinéastes : ils utilisent des images qu’ils vénèrent ou haïssent, renversant du même coup la manière d’envisager le rapport au cinéma et à sa spectacularisation du monde au XXe siècle.

Le matériel facilement accessible dans ces années est le 16mm : des bandes d’actualité dont l’actualité se limite à la pérennité du support et des films éducatifs. Le recours à ces images manifeste avant tout la perpétuation d’une tradition critique de l’art moderne, qui a toujours pris en compte la dimension ludique du détournement, au même titre que sa dimension politique : le dadaïsme, le surréalisme, le situationnisme et aussi le pop art, dans une moindre mesure…

Le travail du détournement au cinéma, à partir de found footage, implique l’appropriation d’un document que l’on utilise tel quel ou que l’on transforme ; on le recycle[3]. On s’éloigne de la citation au profit de la critique et de l’analyse, selon le projet artistique du cinéaste. Si, pour les lettristes, l’incorporation de séquences de films célèbres permet de rendre hommage à un moment de l’histoire du cinéma, la plupart du temps pour d’autres cinéastes, il s’agit de s’attaquer à la nature de la représentation telle que la propose le cinéma commercial. C’est l’attitude qu’adopte Raphaël Montanez Ortiz dans ses deux premiers films, Cow-boy and Indian Film (1958) et News Reel (1958), dans lesquels il tronque, remonte, transforme et modifie un western afin de dénoncer le parti pris idéologique et racial des productions hollywoodiennes autant que des bandes d’actualités des années 40 et 50. News Reel dénonce la guerre d’une façon ouverte, ainsi que certains de ses promoteurs, tel Pie XII. Une même démarche se retrouve chez des cinéastes et vidéastes contemporains lorsqu’ils interrogent les questions d’identité, d’appartenance à une race, une culture, un genre. Richard Fung, Nguyen-tan Hoang, Charles Lofton, Wayne Yung et Shawn Durr… incluent dans leurs vidéos des éléments de found footage pour mettre l’accent sur l’appartenance à une double minorité, gay , asiatique ou black en Amérique du Nord. Leurs travaux font preuve d’un d’humour corrosif, différent de celui des années 50 ou 60[4]. L’appropriation de séquences de films de genre chez Nguyen-tan Hoang, ou Charles Lofton favorise une lecture camp de ces mêmes films, qui les dynamisent autant qu’elle les dynamitent. Attitude que l’on retrouve dans 1000 Cumshots (2003) de Wayne Yung, qui dénonce l’empire du mâle blanc de la pornographie gay.

Un tel mode d’appropriation artistique n’est pas nouveau : de tout temps, les musiciens, les écrivains, les peintres se sont inspirés d’œuvres plus anciennes, empruntant un motif, une mélodie, un thème, une idée, jusqu’à recopier allègrement tout ou partie d’ouvrage. Il n’y a pas d’œuvre sui generis qui ne fasse appel ou qui n’emprunte à des réalisations antérieures. Aujourd’hui la différence notoire est que le droit s’est transféré de l’auteur à ses représentants légaux qui, au nom du pouvoir économique, en viennent à confisquer le droit de l’auteur au profit des intérêts qu’ils défendent.

Ce qui explique que l’usage des found footage dans le cinéma et la vidéo contemporaines se heurte souvent à la question de la diffusion en dehors de leurs propres circuits, dans la mesure où ces derniers échappent au contrôle des représentants légaux.

Le recyclage d’images peut s’exercer sur toutes sortes de films, à partir du moment où les moyens de reproduction, de capture, sont disponibles. Envisageons sous l’angle du recyclage deux films importants pour des raisons distinctes, qui tous deux s’intéressent à des pans du cinéma moins fréquemment utilisés dans les années 60 et qui vont irriguer la plupart des travaux de la fin des années 80 à nos jours, La Verifica incerta (1964) de Gianfranco Baruchello et Alberto Grifi, et Au début (1967) d’Artavazd Pelechian.

Le film de Pelechian met en place une alternative au montage “ des attractions ” comme l’a défini Eisenstein, en recourant à un montage qui privilégie les formes circulaires et la constitution de blocs au sein desquels s’effectuent des variations. Il s’agit d’un montage qui, par la répétition de séquences au sein d’un même bloc ou d’un bloc à l’autre, fait éclater le sens unique au profit de la résonance. A côté de bandes d’actualités de toutes provenances célébrant les révoltes, figurent des extraits de films d’Eisenstein et de Vertov. Cette irruption de classiques marque une reconnaissance de dette vis-à-vis des œuvres autant que leur dépassement au profit d’un nouvel art d’envisager le film. Afin de leur redonner un impact qu’elles auraient perdu, Pelechian duplique les séquences connues sur des émulsions à haut contraste.

Pour faire leur film, Grifi et Baruchello ont racheté 47 copies de films 35mm des années 50 et 60 en cinémascope, avant leur destruction[5]. Ces films commerciaux, en majorité américains, sont déconstruits puis remontés pour élaborer un film qui, bien que respectant le canevas des films classiques, désacralise les clichés hollywoodiens. La Verifica reconnaît à Hollywood son importance de pourvoyeur de stéréotypes et de clichés fascinants autant que révulsants, tout en révélant les limites de cette entreprise du divertissement qui recourt aux mêmes codes indépendamment du sujet du film. Il propose une critique ludique des clichés, des codes hollywoodiens, qui opère par excès, surenchère et accumulation. L’efficacité de la démonstration tient à l’utilisation d’un grand nombre de séquences tirées de différents films ; elle ouvre une voie possible d’investigation aux cinéastes à venir, que ceux-ci aient vu ou non La Verifica. Ce qui met encore une fois l’accent sur l’importance de l’accessibilité aux films.  L’accessibilité, la démocratisation favorisent l’appropriation. Cette “vérification incertaine ” préfigure les gestes iconoclastes des cinéastes des années 90 qui, à partir de leurs magnétoscopes, privilégient un art du spectateur, ou plus exactement un art du programmateur, et constituent des collections de morceaux choisis au détriment de l’intégrité d’une œuvre. Le regard s’est déplacé, grâce aux outils qui permettent la consommation privée d’un divertissement qui était jusqu’alors un spectacle de masse[6].

Par leur mode d’appropriation et de recyclage des images, La Verifica et Au début annoncent la pratique de l’échantillonnage telle qu’elle s’est développée dans le domaine musical puis dans celui de l’image en mouvement, depuis la fin des années 80. Cet art de l’œil qui privilégie le choix de celui qui regarde permet de transformer la manière d’aborder les notions d’auteur et d’œuvre.

Les films et vidéos contemporains interrogent le cinéma, fournisseur et diffuseur d’images du réel, mais aussi artisan, manipulateur de ce même réel et du même coup de notre imaginaire. L’envahissement progressif du cinéma au fil du siècle a fait que beaucoup de séquences de films sont devenues des icônes contemporaines, des images publiques, qui hantent la mémoire de chacun. D’autres images, à caractère privé, provenant de films de famille, nous permettent de nous revoir tels que nous étions en d’autres temps, et nous montrent aussi la manière dont nous appréhendions le monde, retransmise par le regard de témoins proches ou lointains. On peut ainsi revisiter l’histoire familiale à travers quelques-unes de ses représentations (comme le rituel du repas familial dans Stories de Cécile Fontaine), ou à travers une véritable célébration du temps définitivement révolu dans Nikita Kino (2001) de Vivian Ostrovsky. Ce film renouvelle l’approche du voyage en URSS tel que nous l’avions cofilmé, Vivian et moi-même, dans Work & Progress (1999). Ici ce n’est plus le voyage, la découverte, qui déclenche le recyclage d’actualités, mais la visitation du passé à travers les séquences glanées par la cinéaste au fil des ans.

C’est dans cet esprit de reconsidération du passé que les cinéastes travaillent des films de famille trouvés ici ou là, qui permettent de montrer d’autres usages du monde sous couvert d’anonymat : Peter Tscherkassky présente dans Happy-End (1996) une collection de films de Nouvel An tournés par un couple, des années 60 aux années 80. Cette investigation s’apparente à une analyse qui nous permet de saisir l’évolution du regard porté par ce couple sur sa propre image ; elle interroge également la position de tiers invisible que nous occupons lorsque nous regardons le film : à qui s’adresse cette famille bourgeoise lorsqu’elle mime le bonheur d’une nouvelle année? Happy-End appartient à la même veine que les films qui profitent de l’altération du support pour investir le passé. Il ne s’agit pas de revoir des événements filmés dans le passé mais de profiter de la matérialité du passage du temps, de la transformation du grain de l’émulsion. Il n’est pas question de sentimentalité nostalgique mais d’esthétique.

Si La Verifica incerta préfigure les travaux de compilation que génèrent le cinéma expérimental et l’art vidéo depuis les années 80, c’est parce qu’il travaille à partir du cinéma commercial, qui reste la pratique dominante du cinéma.

Depuis les années 80, les salles de cinéma n’ont plus le monopole du cinéma de fiction : on peut le voir dans les galeries ou chez soi, grâce au magnétoscope. Cet outil permet aussi bien l’accéléré, le retour en arrière que la duplication et la compilation. Le consommateur peut alors fabriquer des bandes personnalisées, à son goût, ce qui signifie que le pillage de séquences s’accroît en même temps qu’il favorise la production de nouvelles œuvres à partir du séquençage, de l’échantillonnage de films en tous genres. Le résultat en est un certain nombre de travaux qui proposent des sommes particulières de situations (Home Stories, 1991, de Matthias Müller ; Scratch, 2002, de Christoph Girardet) ou de gestes (Téléphones, 1995, de Christian Marclay).

Des cinéastes tirent de nouveaux signifiants de films classiques ou connus. C’est le cas de Martin Arnold qui utilise le bégaiement de l’image en tant qu’instance de dévoilement et d’effacement dans Pièce touchée (1989) comme dans ses films plus tardifs, et c’est aussi le cas de Chun-hui Wu qui, dans Psycho Shower (2001), travaille les différents plans de la célèbre scène de douche du film de Hitchcock. À partir d’une scène archi-connue, le cinéaste crée une chorégraphie qui met en scène le corps extatique d’une femme avant son meurtre. Dans ce film comme dans ceux d’Arnold ou d’Ortiz, c’est le jeu du différé et de l’avance saccadée avec ses détours, ses reprises, ses délais, qui constitue le moteur de l’action cinématographique. Travail ludique qui met en crise le défilement normé d’une projection au profit de la saccade, ce paradigme du cinéma, aboli depuis l’apparition de l’image électronique.

Mais le cinéma hollywoodien peut aussi être l’objet de manipulations et de transformations qui permettent d’écrire d’autres histoires, des histoires que Hollywood n’a pas su ou pas voulu conter. Dans Meeting of Two Queens (1991), Cecilia Barriga propose une histoire d’amour entre Greta Garbo et Marlene Dietrich, à partir d’un montage de séquences qui, par-delà les histoires, fonctionnent comme d’habiles champs contre-champs fictifs. De son côté, Barbara Hammer incorpore dans Nitrate Kisses (1992) un film célèbre de Watson et Webber, Lot in Sodom (1933), ainsi que des séquences de rayons x de films scientifiques tournés dans les années 40 par le même Watson. Dans Matinee Idol (1999), Ho Tam dresse le catalogue du roi du cinéma de la Chine du Sud, des années 30 à 60, en prélevant de courts extraits dans sa filmographie. A la différence de Home Stories ou Phantom (2001) de Matthias Müller, Matinee Idol ne donne pas à voir une nouvelle fiction, c’est avant tout la transformation d’un visage.

Ces quelques films réutilisent des films de divertissement. Ils évoquent une époque, un moment dans l’histoire du cinéma, une fascination pour un genre de cinéma, celui des stars…, ils ne créent pas des mondes, mais commentent à la fois le monde et le cinéma. Ils proposent de nouvelles lectures, de nouveaux assemblages, des arrangements différents, en piochant dans un catalogue de séquences plus ou moins connues, qui sont souvent des archétypes. Chez Matthias Mueller  nombreux sont ses dernières œuvres qui, constituées de représentations hollywoodiennes, baignent dans un climat de pure nostalgie[7].

Matthias Müller, comme de nombreux cinéastes apparus dans les années 80, mêle aux images qu’il a tournées une grande quantité de séquences trouvées et empruntées à l’histoire du cinéma – principalement aux mélodrames et aux comédies musicales hollywoodiennes. Son film Aus der Ferne est symptomatique de ce phagocytage progressif de Hollywood par les cinéastes expérimentaux dans les années 80. De leur côté, Mike Hoolboom et Caspar Strake annexent tout le cinéma et pas seulement les films hollywoodiens. Tom (2001) de Mike Hoolboom convoque l’histoire des représentations de New York au cinéma, pour faire la biographie du cinéaste Tom Chomont. Des couches d’images tissent une histoire composite de la ville. Ces épaisseurs d’images renvoient à la constante transformation architecturale de Manhattan. Elles évoquent des paysages imaginaires d’une cité qui associe à notre vision des résidus d’un autre temps, ainsi que nombre de clichés. La ville n’est plus vue directement, mais éprouvée selon un brouillage visuel qui la rend cependant plus tangible, plus palpable. La sensation devient beaucoup plus physique, matérielle : on a envie d’y mettre les mains[8]. C’est un peu comme si la vidéo permettait de sentir la peau de la ville grâce à des surimpressions, des superpositions d’images qui sont comme des vitraux.

La texture particulière de ces images rapproche le style de ce film de celui des travaux utilisant le found footage, qui mettent l’accent sur la décomposition, l’altération, donc sur la fragilité du support cinématographique. La fascination pour la décomposition du support peut s’envisager comme une nostalgie de l’émulsion, de ses qualités particulières, de son grain et de sa texture. Cela conduit les cinéastes à travailler des séquences repiquées de bandes-vidéo, les développant de manière artisanale afin de leur redonner la qualité si caractéristique du support argentique. Le travail de Jürgen Reble se situe exactement dans cette ligne, qui vise à transformer le support, faisant exploser littéralement sa matérialité dans Instabile Malerei (1995), ou dans ses performances filmées d’Alchemy (2000). La manipulation radicale du support au développement ou lors du tirage, par virage, et les attaques chimiques en direct s’effectuent sur des éléments dérobés pour la plus grande part à des films scientifiques ou à des documentaires animaliers.

On est en présence d’une procédure qui révèle le support des images au détriment des figures qui s’y manifestent, afin de nous conduire vers d’autres horizons par l’abolition progressive des éléments figuratifs, sans lesquels le cheminement vers cet au-delà ne pourrait avoir lieu. Dans cette démarche s’inscrit une dimension mystique qui n’est pas si éloignée de l’esprit dans lequel travaille Mike Hoolboom, même si les objets cinématographiques et les intentions diffèrent et même si le cinéaste travaille depuis quelques années la vidéo plutôt que le film. Mike Hoolboom radicalise encore son approche dans certaines parties d’Imitations of Life (2002), en étendant le champ de ses emprunts aux clips vidéo, aux publicités et aux films sportifs qu’il entremêle, avec les films hollywoodiens, à certains de ses films. Abigail Child et Craig Baldwin avaient, à la fin des années 80, travaillé dans la même direction, en mêlant divers genres de films. Mais parfois la narration classique reprend le dessus : lorsque la cinéaste refilme des home movies anonymes pour en faire Covert Action (1984), elle s’aperçoit que ce matériau est source de fiction. Ignorant la provenance de ces films de famille, n’en n’ayant que des fragments, elle complète les manques pour reconstituer une histoire à partir du found footage[9]. Alors que dans les Mercy (1989), elle multiplie les sources d’emprunt en incorporant des films éducatifs et des films scientifiques, sans se référer à un quelconque récit.

Si une importante partie des films de found footage réalisés dans les années 90 sont des vidéos, No Damage (2002) de Caspar Strake annexe des pans entiers du cinéma afin de rendre à la ville sa pluralité, à travers la multiplicité de ses représentations. C’est ce qu’avait réussi de manière étourdissante Craig Baldwin dans Tribulations 99, Alien Anomalies under America, en créant à partir d’une mosaïque de documents cinématographiques une fable paranoïaque dont le fil conducteur est constitué par les voix de la bande-son. Ces discours lient les représentations issues d’origines si diverses, dans un récit qui se déroule comme une suite de complots, dont le film serait l’une des manifestations virtuelles.[10].

Dans leurs derniers travaux, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi continuent le travail amorcé au début des années 80 et dont Dal Polo all Equatore (1986) est l’une des plus grandes réussites : le recours à des films d’archives ou à des collections privées. Dans ce film et dans les suivants, ils sélectionnent, teintent, recadrent les séquences choisies en s’effaçant devant le matériau qu’ils remettent en circulation. Pas ou peu d’intertitres sont ajoutés, qui situeraient le matériau. Cette plongée nostalgique dans un passé à jamais révolu oscille entre fascination pour un temps de la représentation au cinéma et plasticité d’un matériau abusé par les ans et stocké dans de mauvaises conditions. Dans Dal Polo all Equatore, les deux cinéastes ont assemblé des films de la collection de Luca Comerio, opérateur qui, à la fin des années 20, a réuni sous le même titre différentes séquences tournées par lui – notamment celle du pôle Nord et celles de la première guerre mondiale – ainsi que des films scientifiques tournés par d’autres cameramen. Le pillage du film initial se limite à sa réorganisation en quatre chapitres[11].

Dal Polo all Equatore illustre l’intérêt croissant des cinéastes, à partir des années 80 et 90, pour l’éphémérité du support, sa vulnérabilité, sa dégénérescence. Cet objet fascinant – le film – qui veut que le support succombe se dissolve, s’effrite, se torde, en un mot se décompose.

Dans No Damage comme dans Dal Polo, les cinéastes s’approprient des films pour en recréer un autre : ils respectent totalement le support, ne se permettant aucun glissement vers un autre matériau ou à partir d’un autre matériau. Le film ne peut être généré que par du film. A cette logique appartiennent le travail de  Peter Delpeut dans Lyrisch Nitrat (1990) ou les deux films de Gustav Deutsch, Film ist 1-6 (1998) et sa suite Film ist 7-12 (2002), qui recourent tous à des emprunts autorisés de films d’archives.

Par contre, Mike Hoolboom, Marc Plas et d’autres ne s’encombrent pas de telles contraintes lorsqu’ils pillent allègrement le cinéma : ils font œuvre de cinéma à partir d’images tirées de cassettes ou de dvd, sources les plus accessibles aujourd’hui pour qui veut travailler à partir de représentations existantes. En Chine, par exemple, un collectif d’artistes détourne et pervertit des films publicitaires, à l’image de ce que fait Negativland[12] dans ses émissions de radio et dans quelques CD. De nombreux vidéastes agissent de même actuellement, lorsqu’ils ont besoin de contrer l’information officielle en cas de conflit armé, par exemple. Lors de la seconde guerre du golfe, cinéastes et vidéastes ont produit des films véhiculés par l’internet, qui se présentaient comme une alternative à la propagande officielle.

Autre domaine d’appropriation, considéré comme un genre mineur et réservé la plupart du temps à un usage privé : le cinéma pornographique. Voilà le terrain d’appropriation de Lary Brose (De Pofondis, 1996), Steve Reinke (quelques bandes de sa série The Hundred Videos), Michael Bryntrupp (All you can eat,1993) , Yves Mahé (Fuck, 1999 et Va te faire enculer, 1999). Les cinéastes reprennent parfois les mêmes images : All You Can Eat utilise des séquences que l’on retrouve aussi dans Barely Human[13]. Dans les deux cas, il s’agit d’une accumulation de plans de visages d’hommes en train de jouir, dérobés à des vidéos hard gay. Pour Steve Reinke, cette accumulation de visages extatiques rend les protagonistes presque inhumains : pas tout à fait des fantômes, plutôt des anges. De son côté, De Profundis privilégie des images pornographiques moins familières (elles datent en majeure partie de la fin des années 20), qui sont refilmées et traitées de sorte que leur ancienneté et leur altération, à travers les agressions que leur fait subir le cinéaste, soient palpables. La manipulation des images, qui crée une texture, les rend plus tactiles. Elles sont pour ainsi dire (visuellement) caressées. L’insistance à dévoiler le caractère palpable de la matière argentique se retrouve chez les vidéastes, lorsque, aux moyens de surimpressions et de ralentis, ils redonnent une épaisseur à l’image, qui n’est plus une fine pellicule, mais devient peau.

Qu’ils utilisent la vidéo ou le dvd, les cinéastes en reviennent toujours à privilégier l’aspect matériel du film ; ils cherchent à le rendre tangible pour les spectateurs. Même lorsqu’ils prélèvent des images virtuelles, ils cherchent à faire passer une sensation de texture, ils ne se satisfont pas de l’aspect lisse des nouvelles images. Ils apprécient avant tout la matérialité de la pellicule, les effets esthétiques que produit seule le vieillissement du support. Il semble donc bien nécessaire aujourd’hui de préserver les images animées, autant qu’il est nécessaire de favoriser leur accessibilité. Les archives, les banques de données appartiennent souvent à des institutions dont la gestion se révèle très lourde, mais elles sont un mal nécessaire : elles permettent la sauvegarde et la conservation dans les conditions optimales et agissent comme une mémoire qui devient vive à condition qu’elle fasse partager ses trésors.



[1] Voir Isidore Isou, “ Esthétique du cinéma ” et Maurice Lemaître “ Le film est déjà commencé ”, ION numéro spécial sur le cinéma, 1er avril 1952, Paris, éditions André Bonne, 1952.

[2] Parfois le détournement s’effectue sur l’intégralité du film. Joseph Cornell réduit un long-métrage à une vingtaine de minutes dans Rose Hobart (1939) en utilisant des sous-titres. René Vienet reprend les films entiers dans La dialectique peut-elle casser des briques (1974) et Les filles de Kamaré (1974). Ou bien encore Ken Jacobs appose sa signature à un film anonyme (Perfect Film). Pierre Huyghe ainsi que de nombreux artistes contemporains s’emparent intégralement de films qu’ils montrent côte à côte dans leurs différentes versions (Titanic) ou qu’ils étirent jusqu’à 24 heures : 24 Hour Psycho (Douglas Gordon, 1993).

[3] Pour une analyse historique plus détaillée des techniques employées par les cinéastes de found footage voir Jay Leyda, Films beget film, A study of compilation film, Londres, Georges Allen & Unwin Ltd, 1964 ; “ Found Footage Filme aus gefundenem Material ”, Blimp n° 16, Vienne, 1991 ; William Wees, Recycle Images, New York, Anthology Film Archives, 1993 ; Eugeni Bonnet (directeur d’ouvrage), Desmontage : Film, video/apropiacon, reciclaje, Valence, Ivam 1993 ; yann beauvais, “ Plus dure sera la chute ” (1995), reprint in yann beauvais, Poussière d’images, Paris, Paris expérimental, 1998.

[4] À cet égard les films The Situationist Life (1958-67) de Jens Jorgen Thorsen sont des exceptions, qui s’inscrivent dans une tradition provocatrice héritée du lettrisme et du surréalisme.

[5] Pour une présentation de ce film, voir Germano Celant (directeur d’ouvrage), Identité italienne, Paris, Centre Pompidou, 1981

[6] Peter Szendy a magnifiquement décrit cet art du spectateur, dans le domaine musical, dans Un art de l’écoute, Paris, Minuit, 2000.

[7] Comme nous le faisait justement remarquer Isabelle Ribadeau-Dumas, cela s’applique aussi à de nombreux épisodes du cycle Phoenix Tapes (1999) coréalisé avec Christoph Girardet autour des films de Hitchcock.

[8] Sur cette qualité haptique de la vidéo contemporaine, voir Laura U Marks, Touch, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002.

[9] Voir Abigail Child dans William Wees, Recycled Images, op. cit.

[10] L’introduction d’une version livresque du film maintient cette interprétation, à travers la signature “ Jane Austen ”, qui plus tard se manifestera à nouveau dans une vidéo de Keith Sanborn, à propos des notions d’appropriation et de copyright, ce dont le film de Baldwin ne s’était guère soucié. Tribulation 99 Craig Baldwin, New York, ediciones La Calavera, 1991.

[11] Pour une description détaillée de la pratique des deux cinéastes, voir Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi, catalogue du Museo Nazionale del Cinema, Florence, Hopefulmonster editore, 1992.

[12] Negativland est un collectif de musiciens qui a questionné la notion de l’usage respectueux du recyclage. Leur combat s’est illustré lors de leur emprunt d’une chanson de U2. Voir site :www.negativland.com

[13] Cette bande est la dixième de la série The Hundred Videos de Steve Reinke, voir le catalogue du même nom édité par Philip Monk Power Plant, Toronto, 1997.

Keith Sanborn (Fr)

Revue&corrigée n° 70 décembre 2006

Keith Sanborn est un cinéaste qui interroge les représentations que produisent le cinéma, la télévision. Il interroge les films afin de créer des espaces de réflexion autour de ces représentations. Il ausculte la société américaine à travers ses médias de film en film. C’est à la fin des années 70 qu’il commence à travailler dans le champ du cinéma expérimental en suivant d’une part les cours de Hollis Frampton à Buffalo [1], mais en se plongeant dans une tradition cinématographique, fortement renouvelée par les situationnistes, qui consistent, à travailler à partir de séquences trouvées afin de les remettre en circulation selon d’autres modalités. Ce travail oscille entre pillage et détournement et s’inspire d’un ensemble de pratiques que l’on trouve aussi bien chez Bruce Conner que chez les Lettristes, tout autant que dans les films plus politiques des situationnistes. Chacun des films de Keith Sanborn offre simultanément au moins deux discours parallèles, l’un qui affirme par le choix des séquences un amour du cinéma alors que l’autre déconstruit les mécanismes à partir desquels fonctionnent les films.

Si la sensibilité du travail de Keith Sanborn relève du cinéma expérimental, il le contourne en recourrant depuis plusieurs années au numérique. Il a œuvré pendant de nombreuses années avec le support argentique, mais, depuis plusieurs années il recourt aux outils qui lui confèrent une plus grande autonomie et qui de plus n’est pas trop onéreuse. La vidéo, le dvd ont facilité l’accessibilité à un nombre d’œuvres qui avaient souvent disparues du répertoire. Ces outils contribuent à la découverte d’images méconnues ainsi qu’à la redécouverte et à l’appropriation (devrait-on dire la réappropriation ?)d’images qui nous ont été familières à un moment ou à autre. Dans cet article, nous nous intéresserons avant tout aux dernières productions de Keith Sanborn.

Le film, The Artwork in the Age of its Mechanical Reproductibility by Walter Benjamin as told to Keith Sanborn (1999) est emblématique du travail contemporain du cinéaste. En effet, dans ce film, Keith Sanborn s’approprie ces avertissements qui ouvrent toutes les cassettes vidéos ou dvd et dans lesquels la loi s’inscrit en tant qu’impératif catégorique sous l’égide du FBI. Tout le film est composé d’une multitude de panneaux d’avertissement en regard de la notion de droits d’auteur tels que la compréhension de la loi américaine l’impose. Ces panneaux se succèdent au son d’une mélodie ressassée et qui fut une musique populaire des années 50, un réarrangement d’une musique dont l’original est Mac the Knife (Die Moritat von Macheath) from Dreigroschen Oper de Brecht [2]. Le film pose la question du droit d’auteur par le biais du copyright et de la protection de ces droits au moyen des administrateurs qui patentent où représentent les auteurs.
De plus, cette bande (comme plusieurs autres de KS) a la particularité d’être attribuée à Jayne Austen, laquelle n ‘est plus alors l’auteur que l’on croyait mais une fiction [3] . Comme le dit Keith Sanborn : « J’ai pris comme alter Ego Jane Austen car cela a à voir avec la question de la réception du travail. Étant anti- essentialiste, le fait de s’attribuer une œuvre nous enferme dans un genre, et cela est une fausse production d’autorité. Je comprends cela dans deux sens, à la fois l’autorité sociale mais aussi dans le sens d’auteur. Et par conséquent l’attribution de Jane peut subvertir ce genre de construction. » [4]
Par cette attribution à un alter ego, autant que, par son titre, le film de Keith Sanborn se différentie de Warnings (1988) de Muntadas qui travaillait à partir des mêmes cartons d’avertissements. Dans les deux cas, cependant, ces énoncés sont copyrightés alors qu’ils édictent la loi. Sont-ils par conséquent hors la loi ? Peut-on s’approprier la loi comme le font les administrations qui gèrent et protègent les droits d’auteurs ? Mais comme le dit si bien Sanborn si l’œuvre avait été réalisée en 1936, comme son titre l’indique, alors elle serait de fait l’œuvre numérique la plus vielle du monde… une œuvre qui interroge le sens politique de la propriété intellectuelle qui ici « s’approprie les imprécations de contre l’appropriation de la propriété intellectuelle » [5]. d’une œuvre d’un auteur vivant et celui qui représente (a produit) l’œuvre.
Un autre travail de la même année déplace la question de l’autorité en examinant une séquence de film qui a bouleversé l’Amérique autant par son invisibilité que par ce qu’elle contenait. Il s’agit de la séquence de Zapruder.
En 1999, Keith Sanborn s’est approprié la séquence à partir de laquelle il a réalisé un film à partir de variations, permutations, altérations de la séquence initiale de 26 secondes. Ces permutations sont accompagnées de la musique Jajuka, qui est au dire de Brion Gysin la plus vielle musique du monde. Pour Keith Sanborn, le choix de cette musique est fondamental dans la mesure ou elle est à la fois une musique de célébration des rites funéraires, elle est de plus, pré-islamique. [6] La juxtaposition de cette musique avec cette séquence retravaillée, accélérée, ralentie, inversée, masquée, procure un sentiment d’inquiétante étrangeté. On ne peut s’empêcher aujourd’hui, d’inscrire cette musique dans un cadre de penser magique, comme si elle illustrait déjà les conflits à venir.
Une fois de plus Keith Sanborn recourt à une séquence qui est devenu comme il le dit si bien l’événement même. Cette séquence s’est substituée à l’assassinat du président Kennedy, elle est devenu l’Histoire, même. En travaillant avec cette séquence, Keith Sanborn s’approprie l’événement pour le dépasser, pour enfin en faire son deuil. Ce sont ces images, qui ont été l’objet de tant d’analyses, et qui sont devenues les agents du mythe, de cette tragédie américaine, puis détournées par le cinéaste qui, s’appropriant cet enregistrement vise à construire d’autres discours.
« Je voulais à la fois reconnaître ce moment comme une tragédie mais peut-être comme une tragédie grecque, reconnaître ce moment pas seulement comme un deuil mais aussi comme une célébration, il y a des traditions et les funérailles sont l’occasion d’une célébration, c’est ça que je voulais faire de ce moment une célébration et pas seulement de l’accepter comme une partie de l’histoire, car on aimerait très bien comme effet idéologique …/… Ce que je voyais c’est que cet événement historique avait été transformé en un mythe religieux, pas seulement l’évènement, son enregistrement même et ça je trouvais bizarre. Parce que ce film de Zapruder est sans aucun doute le film le plus analysé dans l’histoire du monde, il avait été analysé mais, cependant même pas vu. » [7The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination, constitue par son traîtement , un remarquable hommage au cinéma structurel, en tout cas celui qui travaille les permutations et les variations sans pour autant épuiser son sujet. Les différentes variations que nous propose Keith Sanborn semblent faire des clins d’œil à différentes procédures et à quelques films célèbres dans ce corpus. On pense bien évidemment à tous ces films qui travaillent les boucles courtes, mais aussi à des films distincts comme Artificial Light de Hollis Frampton (1969), ou même du plus tardif Keaton Cops (1991) de Ken Jacobs. Dans ce film de Keith Sanborn, la juxtaposition de l’élément visuel avec ce son induit une séduisante désacralisation des deux éléments au profit d’un mirage synesthésique. L’instabilité relative occasionnée par ce rapport est dynamisée à chaque variation qui renouvelle l’étrangeté et magnifie le métrage retraité. S’élabore au fil des transformations une étonnante pyrotechnie qui ne semble pas suivre quelconque paradigme narratif mais plutôt un algorithme complexe. The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination travaille ainsi la programmation d’un traitement visuel qui est dynamité par un son qui le désarticule. L’appropriation de cette séquence mythique remet ainsi cause le respect que nous avons pour la chose filmée quand il s’agit d’un enregistrement d’un moment historique. Un compteur d’image est placé dans le cadre supérieur droit de l’image, il inscrit un moteur de comparaison que nous exerçons ainsi à chaque passage de la voiture ou de la séquence du film et ce indépendamment des variations. Nous tentons d’ordonner la perception de l’événement, d’y repérer une stabilité que les procédures retardent, enjolivent et transforment.

Avec Operation Double Trouble (2003) ce n’est plus l’enregistrement d’un drame national qui est ausculté mais un autre outil de propagande : un film du corps des Marines américains. Ce film démontre comment il « démonte, fragmente, morcelle des œuvres préexistantes afin d’accéder à d’autres réflexions. Réflexion sur la consciente médiatisée dans lequel un espace de réflexion est possible. » [8] Ce film amplifie la déconstruction d’une des machines de vision que manifeste si bien le cinéma hollywoodien et sa forme condensée qu’est ce film de propagande de l’armée américaine. Renouant avec le style héroïque des années 40, qu’illustrait parfaitement John Ford, le film original que détourne et subvertit subtilement Keith Sanborn est une anthologie de bon sentiment distribué sous une forme épique. Le détournement s’effectue au moyen d’un doublement des scènes qui dévoilent tout ce que le film voulait cacher à savoir : ce qui permet sa construction. Les coupes sont occultées au moyen de la musique qui se poursuit au-delà de la coupe afin de créer un climat, mais surtout une continuité par-delà l’hétérogénéité des plans. Si pour Eisenstein le montage participait de la collision des plans afin de produire du sens par la dynamique du rapport, pour Hollywood et dans le cas qui nous concerne pour l’armée américaine, le montage vise avant tout à annihiler toutes ruptures, toutes réflexions qui n’iraient pas dans la production d’un sens unique. L’irruption des plans dupliqués dans Operation Double Trouble, manifeste alors le partis pris idéologique du film d’origine autant que ses intentions manichéennes. En appliquant à ce film une procédure simple, le cinéaste met à jour la qualité du mensonge à l’œuvre dans ce film original. « La qualité du mensonge ici est bien moins sincère. Mais c’est pour cette raison qu’elle est très habile, c’est bien plus roué que les mensonges que pratique le président des Etats-Unis même si cela participe du même style. C’est le style John Wayne, un style pseudo populaire, mais, logé très profondément dans ce style qui a l’air d’être populaire et transparent, il y a une sorte de labyrinthe idéologique. » Avec Operation Double Trouble, Keith Sanborn s’attaque frontalement la production idéologique au cinéma et rend hommage au travail autour de la notion de spectacle tel que l’a formulé Guy Debord à différentes époques. Le spectacle de la société se donne bien à travers le cinématographique, mais il ne s’y limite pas. Le spectacle a ceci de remarquable, qu’il procède de strates et réseaux annexant progressivement tous les champs de circulation et de distribution de toutes formes de marchandises. Subtilement Operation Double Trouble démonte les mécanismes de mystification à l’œuvre dans le film d’origine, qui lui-même fonctionne comme catalogue d’idées / clichés reçus .
En utilisant ce doublement des plans on assiste comme à l’élaboration d’un bégaiement peu développé mais constant. Ce bégaiement cinématographique [9] en convoque indirectement un autre : Critical Mass (1969) de Hollis Frampton. Dans ce film, deux jeunes gens se disputent, le garçon n’est pas rentré depuis plusieurs jours. La voix des protagonistes se substitue progressivement l’une à l’autre, au moyen du bégaiement, l’homme finissant par parler avec une voix de femme se désaccordant littéralement de l’image [10] . Si comme nous le dit K.Sanborn : « Hollis Frampton a monté , le film selon un système formel que l’on peut décrire comme algorithmique. Ce qu’il y a de remarquable avec Critical Mass, c’est que les deux personnes ne se connaissaient pas avant de faire le film, le scénario posait les questions quant à la fidélité. De mon côté, je n’ai pas appliqué d’algorithme aussi complexe que ceux-ci, mais il y avait quelque chose qui m’attirait et j’ai ainsi renforcé l’original du film par la duplication . [11] »
Les deux films travaillent la véracité des régimes de discours en les démontant au moyen d’une désynchronisation progressive, l’un exploite les conflits conjugaux par un bégaiement intensif, alors que l’autre explore les conflits internationaux par la duplication.
Cette duplication semble illustrer magnifiquement les théories du complot qu’ont su explorer Guy Debord, Gianfranco Sanguinetti, William Burroughs, Craig Baldwin, David Wojnarowicz… Le film Operation Double Trouble ne répète en rien ces théories, il nous permet de le lire à travers les énoncés du film, et fait du film original le vecteur qui sous-tend l’engagement impérialiste de l’armée américaine. La duplication brise la narration et démontre clairement les liens qui unissent films de propagandes et productions hollywoodiennes en dévoilant quelques-uns des mécanismes (la continuation de la bande sonore : musique ou voix-off, sur deux plans, annihilant ainsi le raccord, la coupe) et qu’ils exploitent avec maestria.

La reprise par Keith Sanborn, (il l’a téléchargé avant de le retravailler) de ce film de propagande commanditée à la fois par Navy et le corps des Marines [12], distribué pendant quelques semaines dans un circuit de salle se cinéma en Californie. Il avait beaucoup de femmes qui venaient avec leurs enfants au cinéma, elles se sont plaintes d’exposer de telles images à leurs enfants. Face à cette objection morale, le film n’a plus été montré en salle.
« Ironiquement il n’y a pas de copyright sur le film, donc si le gouvernement n’apprécie pas ce que j’ai fait il ne peut rien faire de légal. On sait très bien qu’il peut faire des choses, mais des choses légales non. » [13]

yann beauvais


[1] À partir de 1976, Keith Sanborn suit les cours de Frampton à Houston puis à Buffalo en 78 , auquel il adjoindra ceux de Tony Conrad. Il travaille pour Paul Sharits. Au début des années 80 il devient programmateur de Hallwalls à Buffalo.

[2] Keith Sanborn pensait qu’il s’agissait d’une version cubaine, quand il réalisa qu’il s’agissait en fait de le version d’un arrangement de 56, dans le style cubain de cette musique de Brecht par l’américain Dick Hyman et son orchestre

[3] Il s’agit de Jane Austen. Mais écrit avec un Y, nous invite à penser à Jayne Mansfield.

[4] Interviewé par Peggy Nelson pour Otherzine : X Marks the Spot : Hunting for Buried Treasure with Keith Sanborn

[5] L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, racontée par Walter Benjamin à Keith Sanborn, in Monter Sampler , l’échantillonnage généralisé, de yann beauvais & Jean Michel Bouhours, Scratch /centre Georges Pompidou Paris 2000

[6] Renseignement donné par Keith Sanborn lors d’une présentation et discussions à l’Ensba de Paris le 13 mars 2006.

[7] idem

[8] voir la séquence dans laquelle des familles attendent l’arrivées des Marines dans une base américaine. Scène de pleurs et de liesses qui, de fait, emprunte son style à Frank Capra, au cinéma de reportage autant que celui du grand spectacle qu’à l’histoire de la photographie.

[9] On retrouvera quelques années plus tard deux autres bégaiements célèbres l’un dans un film d’Andrei Tarkovsky : Le miroir (1974) dans un film de Jean Luc Godard : Passion (1981)

[10] idem, après présentation de Operation Double Trouble, plus récemment dans un film de Martin Arnold le bégaiement permet de questionner les relations œdipiennes et le désir sexuel dans Alone, Life is Andy Hardy (1999).

[11] idem après présentation de Operation Double Trouble.

[12] Pour mémoire le corps des Marines est une armée de volontaires, qui sont envoyés dans tous les champs d’opérations de l’armée américaine. Leur devise est « Semper Fi(delis).

[13] KS présentation de ses films à l’école des Beaux Arts Le quai Mulhouse le 17 mars 06.