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Quatr’un

quadruple projection noir et blanc16mm sur un écran de rétroprojection. les projections sont chacune le miroir l’une de l’autre.

Avec Quatr’un nous sommes en présence de quatre images qui chacune mire celle attenante ; horizontalement et verticalement. Les notions de développement d’un thème, de renversement, de miroir et renversement rétrograde semblent ainsi déployées, comme si quelques unes des figures du discours musical étaient soudain proposé de visu. Par ailleurs le dispositif de cette installation fait se croiser les faisceau des projecteurs deux à deux afin de constituer une image au centre d’un espace donné. Deux projecteurs l’un au dessus de l’autre font face à deux autres séparés par un écran double face.
La rotation qui est en scène dans les panoramiques sur le jardin est actualisée par le dispositif qui requiert la participation du public. Le public tourne autour de l’écran (central) et s’implique parfois dans l’image par son ombre alors que d’autres fois il s’agite devant l’image en mouvement. Ces quatre images ne sont pas les différents instruments d’un quartette qui viseraient à produire un quatuor donné. Ces images fonctionnent en relation les unes avec les autres mais sont indépendantes les unes des autres. Chaque passage des boucles détermine les rencontres, les accords ou les dissonances entre les images. La répétition loin d’épuiser l’expérience multiplie ces potentialités et renvoient chaque spectateur à déterminer la spécificité de son rapport à l’œuvre. Celle ci offre des potentialités qu’affirmera ou non le public.
Si à partir d’une transcription des processus de composition le musical s’est imposé ; très rapidement son utilisation directe s’est émoussé, au profit d’une approche qui favorisait l’idée du musical comme source potentielle de proposition filmique sans pour autant s’y tenir. La musicalité devenait un effet et non plus une fin. Il ne s’agissait plus pour moi de traduire ou de transcrire une pièce de musique mais de m’intéresser à des organisations musicales, ainsi qu’aux relations que le son et l’image entretiennent avec l’espace, ou bien encore de m’interroger sur les notions d’improvisation et d’interprétation.
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Dans l’un de mes premiers films : R (1975), j’ai voulu appliqué à un panoramique de 180° une organisation des prises image par image selon la transcription partielle d’une invention à deux voix de J. S. Bach. Il n’était pas question de reproduire, ni de donner à voir, et encore moins à entendre l’invention de Bach mais, de se servir d’une transcription arbitraire qui assignait à chaque note un angle de prise de vue du panoramique (tous les 5°) et me permettait ainsi, de jouer d’un clavier à raison d’un photogramme par note. Il s’agissait de constituer indépendamment de la valeur de chaque note un système d’équivalence à partir duquel j’organisais les prises (notes / photogrammes) dans un paysage : un jardin à l’abandon devant un logis du XVIII siècle. Je jouais ainsi de ma caméra comme d’un clavier et commençais à parcourir le paysage selon des suites de déconstructions savantes qui illustraient parfois des lignes de développement de formes musicales. On pourrait parler de visualisation d’une polyphonie qui cependant joue avec la sérialisation des photogrammes et inscrit ainsi la musique comme paradigme cinématographique. Déconstruction car le paysage se reconstitue selon des faux panoramiques simples ou complexes selon les formes auxquels je recourais. L’application de canons ou de fugues permettait de mettre en place des voix distinctes en faisant se croiser des mouvements sur le jardin. A la projection, ces mouvements se dissolvaient, sans pour autant se décomposer en une suite effréné de plans compressés. L’usage de règles musicales n’avait pas pour but leurs reconnaissances que la liberté qu’elles représentaient appliquées dans un autre contexte que celui pour lesquels elles avaient été conçues ou usées. Ces règles, ces principes d’organisations utilisés dans le champ visuel me semblaient court-cicuiter les schémas d’organisations narratives. Cette démarche et ses choix permettaient de ne pas (avoir à) tenir compte de la suprématie de la mimésis. En effet, à partir du moment ou l’on assigne un tempo soutenu, en distinguant chaque photogramme (et cependant proche par le sujet qui est dépeint) on favorise le brouillage visuel, ou plus exactement on joue de l’indistinction et du glissement d’un photogramme à l’autre ; on travaille des seuils de perception visuelle. Le paysage se fragmente ainsi en une suite d’éclats qui apparaîtront plus ou moins séparés en fonction des principes de tournage qui illustrent directement ou indirectement un processus musical. L’intérêt de la proposition résidait dans l’adéquation entre les mouvement d’appareil : des panoramiques et les parcours sur un pseudo clavier. Pour indiquer et marquer les sautes, hiatus d’une note à l’autre, j’intercalais un photogramme noir entre les images du jardin. Ces photogrammes quasiment noirs en dehors d’un vague cône latéral de lumière blanche dupliquaient l’alternance lumière / obscurité constitutive au fonctionnement du dispositif cinématographique. Ce qui importait n’était pas tant la mélodie : le parcours sur le jardin, que les rythmes induits par le système. Ce film contenait par sa facture : suite de faux panoramiques horizontales, débitées par le filmage image par image, des potentialités d’expansion qui s’actualisèrent lorsque le film multiplia ses écrans : double pour RR (1985) ou quadruple : Quatre Un (1991) et son pendant comme installation : Quatr’un (1993).

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A chaque nouvelle addition (d’écrans), l’impression de musicalité se trouve renforcée, sans pour autant être revendiquée. Par le doublement en miroir du premier film, RR, dévoile de manière plus explicite la structure musicale implicite sur laquelle il était construit. Les images se mirant, tous écarts entre elles déclenchent de subtiles variations évoquant les combinaisons à partir d’un thème que toute improvisation convoque. Le film propose un développement tel dans sa forme et ses mouvements latéraux que son doublement dans la durée, et sa projection inversée gauche droite souligne les qualités de symétries inhérentes à sa spatialisation, à son expansion. De plus, les effets de déphasages aléatoire sont abolis lors d’une performance en direct ou lorsque les projecteurs sont parfaitement synchronisés. Si lors d’une projection en salle, il est important de pouvoir jouer avec le synchronisme afin de permettre un élargissement de la perception de la pièce, il n’en va de même avec l’installation qui fait appel à un autre usage de la durée et par conséquent à d’autres usages perceptifs. Les rencontres, les synchronismes redeviennent de pures potentialités et font de chaque défilement des boucles une expérience à la fois unique et en constant devenir. D’une certaine manière l’installation défait la suprématie de l’enregistré, au profit de l’aléa du rendu projectif. On est presque en présence d’une double temporalité que tout oppose. Celle du support d’enregistrement et celle de la diffusion. C’est un peu comme si le cinéma faisait surgir ici la spécificité de deux usages d’un même support. Cette pratique est fréquente dans la musique électroacoustique.

Avec Quatr’un nous sommes en présence de quatre images qui chacune mire celle attenante ; horizontalement et verticalement. Les notions de développement d’un thème, de renversement, de miroir et renversement rétrograde semblent ainsi déployées, comme si quelques unes des figures du discours musical étaient soudain proposé de visu. Par ailleurs le dispositif de cette installation fait se croiser les faisceau des projecteurs deux à deux afin de constituer une image au centre d’un espace donné. Deux projecteurs l’un au dessus de l’autre font face à deux autres séparés par un écran double face.
La rotation qui est en scène dans les panoramiques sur le jardin est actualisée par le dispositif qui requiert la participation du public. Le public tourne autour de l’écran (central) et s’implique parfois dans l’image par son ombre alors que d’autres fois il s’agite devant l’image en mouvement. Ces quatre images ne sont pas les différents instruments d’un quartette qui viseraient à produire un quatuor donné. Ces images fonctionnent en relation les unes avec les autres mais sont indépendantes les unes des autres. Chaque passage des boucles détermine les rencontres, les accords ou les dissonances entre les images. La répétition loin d’épuiser l’expérience multiplie ces potentialités et renvoient chaque spectateur à déterminer la spécificité de son rapport à l’œuvre. Celle ci offre des potentialités qu’affirmera ou non le public.

Si à partir d’une transcription des processus de composition le musical s’est imposé ; très rapidement son utilisation directe s’est émoussé, au profit d’une approche qui favorisait l’idée du musical comme source potentielle de proposition filmique sans pour autant s’y tenir. La musicalité devenait un effet et non plus une fin. Il ne s’agissait plus pour moi de traduire ou de transcrire une pièce de musique mais de m’intéresser à des organisations musicales, ainsi qu’aux relations que le son et l’image entretiennent avec l’espace, ou bien encore de m’interroger sur les notions d’improvisation et d’interprétation.

 

Collection Centre Georges Pompidou

According to…

Installation / Performance 1979-80 Partition papier qui est à la fois le film à jouer en 16mm et la partition à partir de laquelle Martin Davorine Jagodic a composer la pièce

Paper Frozen Film Frame,  score for a 16mm projection  and score for music piece by Martin Davorine Jagodic

Avec According to… je donnais à Martin Davorin Jagodic la partition du film. L’image précédait le son. Cette partition, cet objet était le frozen frame du film même : contact d’un ruban de papier perforé d’articles écrits pour un journal.
Sur le film, le ruban est perforé de deux manières. La première : les petites perforations qui instaurent la continuité ; la seconde : de grosses perforations qui apparaissent et disparaissent de manière anarchique à l’écran : série de l’aléatoire, de la discontinuité. A partir de cette partition Martin Davorin Jagodic a conçu une bande-son qui en se limitant au résidu d’un accord inversé d’un mouvement d’une symphonie de Malher (la Quatrième) permettait un jeu de variation constant qui ne répétait ni n’illustrait les variations de l’image.

« Toute relation entre image et son est arbitraire. A l’opposé d’une trame narrative de l’image qui cherche à accréditer la thèse d’une identification possible entre les deux objets, une image qui ne représente, montre la différence objective entre le son et l’image. Maintenant leurs relations ne peuvent qu’être formelles. Dans According to… de yann beauvais c’est le même matériau qui est à la base aussi bien du film que de la musique. Plus précisément pour la musique, ce n’est pas le déroulement, l’enchaînement des bandes de papier perforé tel qu’il est réalisé cinématographiquement, mais c’est la partition même (superposition de ces mêmes bandes) qui conditionne la formulation musicale. Actuellement ce travail n’est pas terminé; il s’agit plutôt, d’une maquette qui fait entendre plusieurs types de matériaux utilisés et d’une des solutions possible de leur mise en forme. Dans la version définitive le nombre de superposition de ces éléments doit correspondre à la globalité de partition de l’image. Mais c’est une globalité qui n’est plus organisée spatialement dans un cadre; en même temps que toute verticalité, par séquence, peut se produire, interviennent des déplacements horizontaux correspondant aux bandes de papier perforé comme si celles-ci se déplaçaient de gauche à droite, hors du cadre de la partition. Les « indicatifs » sont composés pour bande(s) magnétique(s), pour un nombre indéfini de clavier (acoustique et électronique); la pièce peut être aussi exécutée en direct par plusieurs musiciens avec ou sans bande(s) magnétique(s). »

Martin Davorin Jagodic, notes de programme, jan 81

With According to, I gave to Marin Davorin Jagodic the film as a score. In this project, image was before music. This score as a frozen film frame of the film itself was done as a contact sheet (rayogramm) of some of the articles I wrote at that time for Gaipied and some others newspapers. The film, the strip, was perforated along two different ways: one with small holes was setting up continuity while the bigger ones were dealing with chance, discontinuity. From this score, Martin Davorin Jagodic created a sound track using the residue of a chord from a movement of a Malher’s 4th Symphony. From this inverted chord, he was able to produce a set of variations that were not duplicating or illustrating of the image variations.

 

Künftige Filme / Films à venir (Fr)

in Notation Kalkül und Form in den Künsten
herausgegeben von Hubertus von Aelunxen, Dieter Appelt und Peter Weibel, in Zusammernabeit mit Angela Lammert Akademie der Künste, Berlin, ZKM Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe, 2008

Traduction française : Films à venir

Comment inscrire une pratique cinématographique lorsqu’elle s’affirme en dehors d’une trame narrative? Telle est une des questions qui se pose aux artistes et cinéastes expérimentaux.  Le cinéma de divertissement s’élabore selon des modalités d’écriture qui participe du phénomène littéraire.  L’avant-garde des années 20 ne s’y était pas trompée, qui revendiquait pour ce nouvel art qu’était encore le cinéma, une émancipation de ce champ discursif au profit d’une autonomie revendiquée en tant que cinéma intégral, pur…

Pour ces artistes, l’usage du cinéma nécessitait la production d’outils conceptuels et de systèmes de notations spécifiques, et qui et ne sont plus la simple reprise des formes utilisées par d’autres supports.

En quoi consiste la notation en cinéma ?

La notation en cinéma présuppose le façonnage d’outils qui permettent d’appréhender le film avant et après sa réalisation; comme l’est une partition pour un musicien, pour un danseur, ou un script pour un informaticien.  C’est à partir de la pensée de la partition que se comprennent les systèmes de notations produits par les cinéastes expérimentaux et les artistes et ce, depuis les années 20.  Ces méthodes de notations, à la différence de la musique classique font appel à une grande variété de systèmes et de codes, qui, dans les années 20, résultent d’une analyse du modèle musical et de son rabattement dans le champ cinématographique. Si l’on pense le cinéma en dehors du narratif, on questionne les constituants du cinéma lui-même: la lumière, le ruban, les photogrammes autant que les conditions de la projection. L’intermittence qui est au cœur du dispositif de capture et de projection y tient un rôle prépondérant. Pour reprendre les termes d’Hans Richter le cinéma se comprend alors comme articulation du temps. Les cinéastes procèdent à une tabula rasa afin de constituer une nouvelle vision, au moyen de représentations inouïes, jusqu’alors inconnues. La discursivité écartée au profit de la spécificité visuelle de la matière filmique incorpore la piste sonore et accompagne ainsi, la production de sons synthétiques dans les années 30.  Ces choix induisent deux attitudes quant à la réalisation d’un film. D’un côté, l’abandon de la narration promeut l’improvisation qui explore les potentialités photographiques du mouvement, et affirme les potentialités du médium lors du tournage, en s’écartant par exemple de la forme – tableau, de l’autre, il s’appuie sur le façonnage de systèmes de relations selon le rythme, la mélodie, la vitesse et les durées à l’enregistrement ou à  la restitution. Dans tous les cas, nombreux sont les emprunts au musical et à l’abstraction picturale.

Si pour Léger, l’ennemi c’est le scénario, pour d’autres artistes, l’élaboration d’un nouveau langage s’effectue selon la production de formes de notations qui marquent la spécificité des éléments à l’œuvre dans le film. Comment inscrire le déplacement de formes selon les mouvements, les rythmes, les déplacements à l’intérieur du cadre? Comment inscrire leurs durées ?  Comment  figurer les enchaînements abruptes où fluides qu’autorise le montage cinématographique?   Chaque cinéaste façonne, selon les codes qui lui sont propres, des partitions qui promeuvent dans la séquence, le développement d’un mouvement d’un objet, ou d’un ensemble de formes selon des paramètres qui convoquent l’idée d’orchestration.

Ces écritures de partition potentielle (relevé) ont été crée en premier lieu par Vikking Eggeling et Hans Richter. La partition permet d’établir graphiquement le développement d’une forme, la transformation d’un motif, l’ornementation d’une ligne mélodique, en un mot elle signe un flux à travers une transcription graphique de ses enchaînements. Envisagée de cette manière la partition n’est pas tant la reproduction par anticipation de ce que sera le film, qu’elle affirme, avant tout des virtualités. La partition est une carte des possibles. Elle ne préfigure pas la reproduction à l’identique, elle désigne, au contraire, un champ du probable à partir desquels une actualisation est possible.  Chez les cinéastes de la première avant-garde l’inscription du dynamisme, le mouvement, et la transformation spatiale et temporelle des objets s’effectuent au moyen de croquis relevant du programme. Ces partitions qui sont bien souvent des notations mettent l’accent sur les transformations et les permutations autant que sur la fréquence et la dynamique dans lesquelles s’effectuent ils se manifestent. La partition est un réservoir de potentialité. Elle permet d’actualiser, ou de figer par la réalisation un chemin qu’elle indiquait.  La production séquentielle induit un principe d’économie dans l’élaboration de son développement, et préfigure les traitements d’animation numérique dans la logique de sa programmation. Elle annonce le recours au travail image par image comme le feront à la fin des années 50, Gil Wolman, Peter Kubelka et leurs films à clignotements, puis dans les années 60 et 70 Kurt Kren, Paul Sharits, ou Victor Grauer. Ces cinéastes organisent les photogrammes selon des progressions géométriques ou les structurent selon des mandalas avant que la sérialisation ne s’impose comme règle de répartition et donc de distribution des grappes de photogrammes sur le ruban.  C’est en ce sens que la sérialisation convoque la partition, elle en est le script.

Ce travail quant à la notation et la production de partition est essentiel car il permet de visualiser, par projection sur papier, le comportement des objets choisis, au sein du dispositif cinématographique. La manière dont Kurt Kranz aborde la question de la partition est distincte de celles de Ludwig Hirschfeld-Mack. Ce dernier est concerné par la production d’une synesthésie dont l’exécution sera la plus conforme à la partition de sa sonatine en trois mouvements. La partition se déploie visuellement en fonction des rythmes colorés et des accords, tout comme elle inscrit les différentes phases des lignes mélodiques dans les rouleaux de Vikking Eggeling et Hans Richter. La synesthésie sous-tend la production de la plupart de ces partitions. Elle est au cœur de la série des Studie d’Oskar Fishinger. Chez Kurt Kranz ou Werner Graeff c’est la représentation du développement de formes dans le temps qui privilégient une représentation continue de l’évolution des objets selon une progression géométrique. D’autres cinéastes envisageront de recourir à  des formes plus ouvertes, en s’éloignant du paradigme mathématique au profit d’une dimension plus poétique.

La représentation de la succession des séquences obéit à une progression géométrique ou  s’effectue selon des variations libres, étant entendu que le nombre d’éléments de la séquence  ait été défini  préalablement.

À chaque cinéaste correspond un système de notation qui s’illustre dans une partition, un diagramme, un mode d’emploi, on est dans un arbitraire total. Pour les cinéastes, la difficulté principale réside dans la représentation de tous les paramètres en jeu dans un film et dans leur prolifération avec les installations selon des schémas lisibles. Si la question de la représentation du rythme et de la vitesse est importante, elle n’est pas la seule à générer des configurations graphiques particulières. Les mélanges optiques colorés, provoqués par l’alternance de photogrammes induisent des effets de volume ou de profondeur et de couleur, qui ne sont éprouvés qu’au visionnement. Une partition spécifique en rend compte au moyen d’un code distinct qui se superpose aux autres systèmes de notation où s’en distingue radicalement dans une autre partition. Cette option est celle que choisit Paul Sharits. Les Frames Studies  de Paul Sharits[1] sont des études préparatoires montrant les effets potentiels des fondus chromatiques occasionnés par les « flicker-films»

study for score sharits Frozen Film Frames Study Declarative Mode II

study for score sharits

 

 

 

 

 

study for score sharits

study for score sharitsSelon l’époque, certains usages dominent. Dans les années 20 la référence au musical distribue majoritairement les propositions des artistes et des cinéastes, alors que dans les années 60, les schémas ou les diagrammes sont les propositions les plus fréquemment utilisées et ce par l’amplitude de l’ouverture qu’ils autorisent.

La partition musicale est érigée en modèle d’écriture du film, il s’agit d’une transposition du référent au profit d’un territoire qui n’a pas produit les outils inhérents de sa pratique. Ce rapprochement est d’autant plus flagrant lors de l’avènement du sonore, qu’il interroge la représentation de  l’articulation,  la synchronisation des événements sonores et visuels. Ces partitions sont-elles pour autant des story-board?, dont dépassement prendrait en compte la spécificité des éléments travaillés par les cinéastes. Les dessins ou les diagrammes utilisés empruntent ou suivent des typologies musicales, comme les portées. (Oskar Fischinger : Diagramm zur Synchronisation von Ton und Bild, 1931; Ludwig Hirschfeld-Mack : Dreiteilige Farbensonatine (Ultramarin-grün), 1924). En outre la partition ne se cantonne plus au seul relevé du développement de la pièce, elle représente des processus exploités par le cinéaste à partir desquels tout où partie du film est réalisé. Lorsqu’il signale l’articulation d’évènements audio-visuels, le système de notation se raffine; afin d’en facilité la réalisation, on indique par exemple la périodicité, des cellules rythmiques sont isolées, les chevauchements, les renversements, inversions sont soulignés. Les codes choisis sont multiples, ils répondent à l’usage des  cinéastes. On ne schématise pas de la même manière un film qui fait appel à des mouvements d’appareils et des plans séquences qu’un film de clignotement ou de  refilmages, comme Berlin Horse (1970) de Malcolm LeGrice. Dans un cas, la forme générique du déplacement est tracée alors que pour les autres c’est l’ensemble des combinaisons et leurs variations qui est reporté.  Les films métriques de Peter Kubelka sont de véritables partitions qui peuvent être refaites à tout moment[2]. De fait, seul Arnulf Rainer permet cette recréation dans la mesure où il ne fait pas appel à des images enregistrées mais à quatre éléments : le photogramme noir ou blanc, et le bruit blanc et l’absence de bruit.  Ces films ont une existence duelle, ils sont à la fois le ruban de pellicule projeté et la partition.  Dans quelques cas, le film devient un tableau accroché au mur pour Peter Kubelka ou un Frozen Film Frame  pour Paul Sharits. En regardant le tableau de pellicule on voit dans l’espace ce qui s’appréhende dans le temps. La lecture du film comme partition s’effectue horizontalement chez Peter Kubelka, et verticalement pour Paul Sharits. Le Frozen film Frame élargi notre compréhension du cinéma en nous donnant à voir le film dans son intégralité sans l’éprouvé temporel. (Illustration) On peut dire que l’on est en présence de la carte du film.  L’usage du Frozen Film Frame préfigure chez Paul Sharits son travail avec les multi écran et les installations à travers les nombreuses esquisses qu’ils en réalisent.

On doit cependant distinguer deux types de notations. L’une qui est antérieure à la production du film, qui la conditionne, et l’autre qui lui est ultérieur, plus proche du relevé. Par exemple, les partitions de Landscape for Fire d’Anthony McCall présentent des diagrammes condensant les actions à accomplir dans un espace et sont souvent divisées en plusieurs motifs synthétiques. On appréhende d’un coup la simultanéité des actions alors que le film nous montrera la succession de leur déroulement et ce quand bien même, le cinéaste fait du document, au montage, un véritable film et non pas, l’enregistrement d’une performance[3]. Ces partitions sont conçues au même moment que les dessins, véritable plan pour les films / performances de lumière solide[4]. Elles sont des empreintes à venir, une simulation, comme le sont à leur manière les diagrammes d’Yvonne Rainer pour Walk, She Said.

Landscape for Fire nv

Dans les années 60 et 70 les cinéastes expérimentaux ont recourt à la notation afin de dresser de véritables chartes, qui par leurs graphismes montrent les processus déployés dans chaque film en condensant les mouvements et les tensions à l’œuvre.  Les partitions de Kurt Kren (6/64 Mama und Papa, 12/66 Cosinus Alpha) ou Taka IImura (Time, 1, 2, 3 1972), participent de type de  représentation. Elles permettent de comprendre la proposition d’un coup, tout en sachant que rien ne remplacera l’expérience même de la durée de la projection. Le cinéma structurel dans toutes ses formes recourt à la notation afin d’explorer la combinaison des permutations d’éléments. C’est l’art de la combinatoire appliqué au cinéma qui prolonge ainsi une approche processuelle du médium. Pour Paul Sharits, la production de partition selon des point colorés ou des lignes, façonne l’analyse, à partir des constituants du dispositif tel le clignotement (travail du photogramme, pour lequel un rond de couleur correspond à un photogramme), la vitesse de défilement du ruban refilmé, (ligne colorée alternée). Une étude comme  Frozen Film Frame Study  Declarative Mode II, peut devenir un film ou une installation;  ou bien le dessin est la marque d’une virtualité  Study for Declarative Mode II 1976. D’un côté on fait face à la trace de la pulsation chromatique, (lecture verticale) de l’autre on est face à un report de l’esquisse de lignes mélodiques (lecture horizontale) que seule la projection accomplira, qu’il s’agisse d’un mono écran ou d’un multi écran. La multi projection et l’installation distillent la question de la spatialisation de l’image projetée en modifiant les schémas de représentation à partir de boucles.

La difficulté réside toujours dans l’isolement, la sélection des éléments et des processus cinématographiques les plus pertinents. Que s’agit-il de mettre en avant au moyen de cette notation?  Montrer la forme générale comme les schémas de Pirâmidas 1972-1984 ou Water Pulu 1869/1896,  de Ladislav Galeta ? Mettre l’accent sur des moments clefs, véritables nœuds de transformations dans la configuration de la proposition (voir les diagrammes de Five Abstract Film Exercises des frères Whitney) ou bien encore révéler quelques particularismes qui sont difficilement analysables, mais perceptibles lors de la projection (Moment 1972 de Bill Brand).

Moment-score-4x6

La notation est-elle ce qui permet de faire l’économie d’un texte explicatif? N’est-elle pas chez Paul Sharits ce qui le conduit à explorer le film en tant qu’objet en montrant à côté de l’installation diverses phases de développement d’une proposition?  D’un détail, telle une étude, au Frozen Film Frame, en passant par des schémas et dessins relatifs au projet ; dans tous les cas, la prédominance du film en tant que moment unique de la projection en salle est abolie. Le film devient à travers ses notations, comme on le pressent chez Peter Kubelka, mais pour des raisons diamétralement opposé, un objet pluriel, dont la projection n’épuise pas le devenir.

Lorsque la partition se réfère à une exécution live du film, c’est à dire à une performance, elle répond à d’autres critères et peut s’apparenter à une déclaration d’intention ; ou bien à un programme, un code[5] et plus encore à un canevas à partir duquel s’effectue une improvisation, dans ce cas elle partage des principes avec les systèmes de notations chorégraphiques et scénographique. En ce sens elle est la marque qui impulse l’enregistrement ou qui modifie les conditions de l’enregistré selon des paramètres spécifiques de la projection, polyptique, intervenants externes, son direct, les instructions données par Maurice Lemaitre pour Le film est déjà commencé ? (1951)[6], ou Ken Jacobs avec Blonde Cobra (1959-63)[7]  sont exemplaires…  Le mode descriptif est privilégié pour synthétiser une installation en gelant graphiquement un moment dans le déroulement de l’action. Angles of Incident 1973 de William Raban, Third Film Feedback 1974 de Tony Conrad en sont des exemples historiques. De son côté Wind Vane 1973, de Cris Welsby, recourt à un graphisme expliquant le dispositif de capture des images par deux  caméras, mais ce dispositif est assujetti à l’aléatoire de la force et de la direction du vent ; c’est en prenant en compte l’aléatoire que procèdent les installations de Jurgen Reble telle Das Galaktishe Zentrum 1993. La notation est un canevas.

Les notations utilisées par les cinéastes expérimentaux fixent la charpente d’une proposition, elles s’effectuent selon des répertoires mis au point par chaque cinéastes. Elles permettent une analyse de l’œuvre et c’est ce qui explique qu’elles sont parfois reportées une fois le film réalisé. Elles sont potentiellement interprétables par d’autres cinéastes, mais les « remake » ont été jusqu’alors peu nombreux dans cet espace du cinéma. Lorsqu’elles sont utilisées comme script, ou mode d’emploi d’une performance elles confèrent une autonomie interprétative et partagent alors avec la musique électroacoustique, cette capacité qu’à l’interprète de s’affranchir du texte qui n’est plus un texte sacré. Ces notations sont les instructions d’un film à venir[8].

yann beauvais


[1] Voir : Je me sens libre (1976) I Feel Free (1976), in Paul Sharits, ed yann beauvais, les presses du réel, Dijon 2008

[2] Voir Peter Kubelka : La théorie du cinéma métrique (1978), in Peter Kubelka Paris Expérimental, Paris 1990, in Peter Kubelka,  herausgegeben von Gabriel Jutz und Peter Tscherkassky, PVS Verleger, Wien 1995

[3] Voir Entretien avec Olivier Michelon, in Anthony McCall : Elements pour une Rétrospective 1972-79-2003, Monografik Editions, 2008

[4] Expression d’Anthony McCall, Line Describing a Cone and Related Films, in October n°103, MIT Press, winter 2003

[5] Voir John H.Whiney : Digital Harmony , On the Complementarity of Music and Visual Art, le chapitre Do It Yourself, p129- 137, Byte Books, A McGraw-Hill Publication, Petersbourg, 1980

[6] Le film est déjà commencé ? séance de cinéma de Maurice Lemaitre, André Bonne Paris 1952

[7] Voir les instructions données lors de la location du film dans l’utilisation d’une radio lors de la projection du film.

[8] L’été 2007, n.o.w.here a initié un projet Instructions For Films en demandant à une quarantaine d’artistes d’envoyer un projet de films. Le résultat fut exposé lors de Zoo Art Fair du 12 au 15 octobre 2007, accompagén d’une publication .