Avec plantAçao1 et plus particulièrement avec son extension c e r c a v i v a Edson Barrus Atikum se situe dans le courant d’artistes qui travaillent sur l’imperceptible et le vivant, c’est-à-dire qui mettent en scène le temps et son étirement, et dont il fait un champ possible de l’art.
Faire entrer l’imburana dans le musée est un moyen d’attirer l’attention sur cette espèce en voie de disparition, et c’est engager/contraindre le musée à faire son travail de conservation appliqué à un vivant. La pratique ne relève pas du land art2 quand bien même, l’acte de planter un arbre transforme le paysage. Bien qu’in situ l’arbre planté, l’est en dehors de l’espace muséal proprement dit, il s’incorpore à l’espace végétal, qui entoure le musée. La plantation ne se manifeste pas par l’octroi d’une œuvre dans le jardin — il n’est en rien question de sculpture–, mais par l’adjonction d’une grande bouture d’un imburana de cambão, dont la croissance lente est, pour cette raison difficilement perceptible. L’arbre vivant, croit au fil du temps et nous invite à penser le matériau : le bois, comme organisme vivant et non pas comme objet mort, façonné selon des motifs ritualistes, esthétiques, sociaux distincts.
L’arbre planté est une œuvre discrète, elle est là, dans le sens ou elle n’interpelle pas, comme c’est le cas de Fallen Forest (2006) de Henrik Hâkansson consistant à renverser à l’horizontal sur le sol d’une galerie un pan d’une forêt et dont les racines sont contenues dans des pots de l’autre côté du grillage qui lui sert de support, ni ne se présente comme une installation immersive, telle que Forest Law (2014) de Ursula Biemann et Paulo Tavares, par exemple, ou Purple (2017) de John Akomfrah, cette dernière une installation multi-écran sur le changement climatique. Bien qu’en présence d’arbres, de vivants un déplacement de la production d’un objet est réalisé ; le vivant s’objective dans son incarcération muséale au-delà d’une exposition temporaire. Et comme nous le rappelle Alexandre Acosta, les rapports aux mondes sont différenciés et ne se résume pas à la vision colonialiste du monde en constatant que lorsque un Guarani entre na mata e precisa cortar uma arvore, ele conversa come ela, pede licença, pois sabe que se trata de ser vivo, de uma pessoa, que é nosso parente e esta acima de nós3 .
La plantation d’arbres a été acté dans le monde de l’art depuis Joseph Beuys. Son projet 7000 Eichen (7000 Chênes) a initié lors de la Documenta 7 à Kassel. Avec l’aide de bénévoles, il plante 7000 chênes pendant cinq ans. Chaque arbre est accompagné d’une colonne de basalte. Le dernier arbre fut planté pour l’ouverture de la documenta 8 de Kassel avec l’aide de la Dia Foundation. Le projet a été repris (perpétué) sous diverses formes dans d’autres lieux : Baltimore, New York en recourant à un énoncé de Beuys disant que tout le monde peu-être un artiste, reconnaissant ainsi la créativité de chaque planteur. On retrouvera cette même reconnaissance démocratique du geste, dans la plantation d’Imburana, par Edson Barrus Atikum.
Fabrice Hyber a démarré ses plantations il y a plus de trente ans en 1992, sur un terrain qu’il achète avec ses premières économies à la fin des années 80 en Vendée. Cet achat était motivé afin de protéger la ferme de ses parents, et qu’elle ne soit par encerclée par l’agriculture industrielle qui envahissait la région et pour laquelle l’état français favorisait le remembrement, c’est-à-dire l’arrache de tous les buisson qui séparaient les parcelles afin de constituer de grandes surfaces. Quelques années plus tard lui ait venu l’idée d’y planter une forêt, en semant des graines, afin de mélanger les essences, et pour laquelle 300 000 graines furent dispersées. Ici comme pour le projet d’Agnes Denes Tree Moutain (1982-96)4 la revendication écologique a été prioritaire. Pour cette installation à ciel ouvert, Il a fallu aménager un terrain en érigeant une gravière avec les déchets d’une mine ayant détruit les ressources du sol. Le processus de bio-restauration permet de restaurer la terre en harmonie avec la nature, en l’occurrence la création d’une forêt vierge. La plantation d’arbres protège la terre de l’érosion, améliore la production d’oxygène et fournit un habitat à la faune et à la flore. Chaque arbre plantée a reçu le nom du donateur et sera transmis à leurs descendants5. Tree Mountain est une œuvre collaborative, depuis son aménagement paysager et forestier complexe jusqu’au financement et aux accords contractuels relatifs à l’utilisation étrange et inouïe des terres pendant quatre siècles. Le paradoxe de l’œuvre tient au fait que la forêt (dites)vierge est plantée selon une spirale ascendante afin de recouvrir au mieux la surface du mont, dans le but de régénérer un écosystème.
Ces travaux de grandes portée, en regard de la déforestation et des conséquences du changement climatique, sont comme des propositions voulant, de par leurs existences, nous alerter de la nécessité et de l’urgence de préserver les ressources naturelles. Elles sont exemplaires et privilégient la forêt en général ou certaines espèces, on pourrait les qualifier d’intervention globale alors que le geste mineur d’Edson Barrus Atikum se focalise sur une espèce spécifique : l’Imburana de Cambão, espèce appartenant au biome de la caatinga. Il nous informe au moyen d’un geste simple, partageable par quiconque, qui revêt la forme d’une performance, de l’exigence de sa sauvegarde. Dans ce cas la visée n’est pas le globale mais, est insistance sur le local, c’est-à-dire le « à porter de main », ce sur ce qui nous entoure et qualifie le territoire qu’on habite. Il s’agit d’acter au plus près de soi afin de ne pas répliquer des réponses universalisantes générales vis-à-vis de contextes locaux.
L’acte de planter un arbre invoque l’idée de la survivance, comme ce qui permettra aux humains de se nourrir, à partir du moment ou la cueillette n’est plus aléatoire mais dépend de la production de ce qui a été semé. Geste ancestral de l’humanité que celui de la plantation de légumes et de fruits, mais la plantation se manifeste de manière plus violente et industrielle dans le colonialisme marqueurs de l’esclavagisme6. On passe alors d’une pratique durable à une culture intensive, dans lequel la plantation est aussi bien fabrique (de denrée) que camp disciplinaire. La plantation signe le déplacement de plante et de personne selon une logique productiviste qui s’affirme aujourd’hui avant tout sous la forme de greenwashing7 et qui prolonge bien souvent la transformation de la forêt en un espace de monoculture. La forêt comme habitat disparaît donc, remplacée par la forêt comme ressource économique qu’il convient de gérer de manière efficace et profitable.8 Planter n’est pas un geste neutre, il est chargé d’un grand nombres d’histoires, et indique non seulement un futur mais fait signe au passé de cette activité à travers les âges. Dans ce cas, la plantation est inséparable de l’extraction et de l’extinction, autant que de la résistance et de la récupération9, pour ne pas parler de régénérescence
Créer une haie vivante (C e r c a v i v a) c’est renouer avec une pratique agricole. La haie sert avant tout à délimiter un terrain par une bordure végétal, mais aussi à couper les vents, elle est aussi gage de biodiversité, elle est souvent constitué de plusieurs espèces autochtones. Mais elle favorise la projection dans un espace imaginaire car, la particularité de cette haie vivante est sa topographie, elle n’est pas délimitation d’un terrain, elle est une ligne (libre) qui va d’un lieu de plantation à l’autre, elle ne définit pas un territoire mais un tracé, un parcours qui va d’ici à là, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Dans l’espace elle est trace imaginaire qui raccorde chaque Imburana de cambão, dans le temps elle inscrit la reprise d’un vivant sur tous les déracinés. Son dessin n’est pas la droite mais est constitué par un ensemble de courbes et de plis. Elle s’inscrit alors comme un geste mineur faces à l’abattage sans fin de ces arbres par le biais des grands projets industriels de développement ou bien plus pernicieusement de ceux de l’industrie agroalimentaire, ou moins spectaculaire mais cependant intense, la production de charbon végétal qui entretienne l’éradication. Il ne s’agit pas, cependant de réparation, Edson Barrus Atikum se s’inscrit pas dans cette filière, au moyen d’un geste mineur visant à éveiller notre conscience face la déforestation et aux changement climatique ; il instaure à la marge du musée, un acte de perpétuation d’une espèce en voie d’extinction et signale par là, l’importance de l’usage différencié de la caatinga par ses peuples : Nous utilisons la Caatinga de plusieurs façons. En plus de nous fournir de la nourriture, c’est notre pharmacie et c’est également là que nous obtenons les intrants pour la construction de nos maisons, ce qui montre à quel point elle est importante pour nous. Nous y maintenons également notre système agricole qui valorise la biodiversité. Le noyau de la préservation par les peuples indigènes réside dans le fait qu’il n’est pas nécessaire d’extraire les ressources à une grande échelle commerciale10.
La haie vivante a la particularité de proposer par ses tours et détours non pas une cartographie qui dresserait un état du territoire, mais une déambulation dans un territoire qui ne respecte aucunement bordures et séparations de propriétés au profit mouvement, d’un passage d’un Imburana à l’autre, par delà les accidents géologiques. C e r c a v i v a est une incision imaginaire capricieuse dans le paysage de la caatinga, sujet à d’autres percée, qui feront de ce tracé une arborescence en constante évolution.
Planter un arbre n’est pas jardiner, en effet le jardin est l’une des tentatives de l’homme d’imposer à la nature ses propres principes d’ordre, d’utilité et de beauté11, mais cela peut devenir un acte de résistance non seulement face aux changements climatiques mais aussi face à l’histoire et ses agents d’écritures de l’histoire du colonisateur. Dans la plupart des musées on trouve des objets façonnés par des artistes, des artisans qui recourt à ce matériau l’imburana de cambão à cause de ses qualités spécifiques de souplesse et de résistance. Arbres morts transformés par la main en objet esthétiques ou utiles qui sont préservés dans cette institution. Le musée prend en charge des objets mais ne prend rarement en compte celui, celle qui l’a produit et encore moins la matière vivante travaillée par ceux-ci. Cette mutation du statut de l’arbre selon les différentes propositions que le projet a déclenchées, fait que Selon Abiniel João Nascimento : Imburana devient une entité politique, un dispositif artistique qui prononce un vocabulaire issu du territoire Atikum, peuple indigène dont Edson Barrus est corps12.
Planter un Imburana de Cambão dans la cour ou le jardin d’un musée c’est modifier les priorités, c’est mettre le musée en face d’une prise en charge différenciée, inscrivant la revanche du vivant, de l’exclu, qu’ils s’agissent d’un arbre ou d’un peuple, décimés lors de la colonisation ou après, selon les rites d’une culture extractive, dont le musée dans son silence, manifeste l’absence, pour ne pas dire l’éradication. En effet, le musée comme tombeau collectionne des artefacts répertoriés, catalogués restaurés si nécessaires et préservés13. Ce qui concerne le musée c’est la matière inerte qu’il s’agit de conserver au mieux, à travers des collections d’objets esthétiques, scientifiques, techniques en vue de les présenter au public et qui font patrimoine14 afin de narrer d’une certaine manière une histoire de pouvoir plus ou moins affirmée. Alan Sonfist a tenté de s’opposer à cette seule dimension conservatrice des musées en regards d’objets morts, en leur proposant de devenir les dépositaires d’un ensemble de semence. Il envoya ainsi à 100 musées des paquets de semences identiques qui sont des capsules temporelles miniatures porteuses du futur, Il explique son geste dans une lettre adressée aux directeurs de musée et parmi ceux-ci, le directeur de la Finland National Gallery : À medida que nos aproximamos do final do século, as condições ambientais estão mudando rapidamente. O planeta inteiro está aquecendo e a água e a terra estão sendo alteradas pela poluição industrial. Não podemos separar a arte da natureza.
Tradicionalmente, a arte celebra atos de importância humana, como heróis de guerra, como cavalos de bronze. Agora que percebemos nossa interdependência com o meio ambiente, devemos prestar homenagem ao nosso patrimônio natural.
Desde a década de 1960, venho criando ‘Time Landscapes’15, florestas em nossos centros urbanos para visualizar um melhor entendimento de nossa história natural. Agora que as condições ambientais em todo o mundo estão mudando rapidamente, as florestas mundiais estão se extinguindo. A crescente poluição industrial está destruindo árvores básicas em todo o mundo, como o abeto na Finlândia e o bordo açucareiro nos Estados Unidos. Eles desaparecerão no próximo século.
Como obra de arte, confio ao seu museu o ARC of Finland, que contém sementes de árvores ameaçadas de extinção da região norte da Europa. Selecionamos 100 museus com esta confiança / para esta tarefa. O ARC pode ser exibido com a instrução anexada. Eventualmente, os ARCs serão devolvidos ao museu original quando a floresta for destruída. As sementes serão então plantadas em um invólucro especial para protegê-las para as gerações futuras16.
Cette introduction du vivant dans l’espace du musée diffère de la proposition de Giovanni Anselmo avec Senso titolo (Struttura che mangia) [Structure qui mange] de 1968, qui se compose de deux blocs massifs de granit, de fil de cuivre et d’une laitue. L’assemblage se défait lorsque la salade vient irrémédiablement à faner, indiquant alors que l’œuvre existe dans la vie « réelle ». Il est demandé au musée de pourvoir au défraichissement de la laitue en en mettant une nouvelle à chaque qu’elle se fane. Le musée entretient ainsi la pièce, la maintient « vivante » via chaque nouvelle laitue. L’œuvre est donc actualisée dans la durée de l’exposition.
A la différence de l’arbre fossilisé de de Guiseppe Penone, qui inscrit un moment passé, l’arbre d’Edson Barrus Atikum est porteur de futur à travers sa présence même. Il ne s’agit pas d’une représentation mais d’une présence de l’arbre. Non pas un artefact mais un vivant. L’arbre de Guiseppe Penone qu’ils s’agissent de l’arbre des voyelles (1999) ou l’arbre immortel (2021) est coulé dans le bronze, et pour cela change de couleur au fil du temps dans les jardins ou il est installé, cependant il ne s’agit que d’un changement de patine et non pas d’une transformation de l’arbre qui reste tel que, fabriqué par l’artiste, comme le fait aussi bien Franz Krajcberg avec ses arbres calcinés dénonçant les feux de forêt, agent de la déforestation dans le Paraná et l’Amazonie. Le geste de l’artiste ici s’impose par le choix du matériau, l’emplacement de la sculpture dans le jardin, alors qu’Edson Barrus Atikum efface son geste, (la plantation à tel endroit) au profit de la croissance de l’arbre, dont il délègue l’entretien et donc par conséquent, la responsabilité au musée, pérennisant ainsi sa tâche : qui est de conserver. Cet effacement du geste de l’artiste n’est pas sans évoquer ce qu’a pu faire Patricia Johanson avec le projet dans le Fair Park Lagoon de Leonhardt Lagoon (1985), dans lequel un environnement retrouve son écosystème grâce à l’assainissement de l’eau, alors que flore et faune y reprenne place peu à peu, sans pour autant que soit mentionné le fait qu’il s’agit de l’œuvre d’une artiste. Son geste relève de la réparation tout en appartenant au Land Art sous le mode du Reclamation Art.
Le jardin et la plantation sont une source d’inspiration et de création d’œuvre pour de nombreux artistes contemporains qu’ils insistent sur la croissance et la spécificité d’un jardin crée pour une exposition comme Grasslands Repair de l’artiste australienne Linda Tegg, pour la biennale de Venise 2008, ou Agnes Denes qui avec Wheatfield A Confrontation ( 1982)avait transformé le terrain de ce qui est maintenant le Battery Park City à New York en un vaste champ de blé qu’elle avait planté et moissonné.
Planter un arbre dans le musée, c’est instaurer un autre régime de soins qui n’est plus dirigé sur un/ des objets définis, mais sur un être vivant, en constante transformation. Cela change le rapport à la temporalité en soulignant l’importance du présent et non pas seulement de la conservation d’un passé. Glissement fondamental qui permet de (ré)introduire dans le musée ce qui a été exclu en fonction de dispositifs de lectures qui vouent un culte sans fin à toute forme d’extractivisme, qu’ils s’agissent de minéraux, de végétaux ou d’objets d’arts. Comme le constate Françoise Verges se pose alors la question de comment faire émerger d’autres formes et pratiques de représentation et de narration au sein de cette institution qu’est le musée ? Invertir les priorités en mettant l’accent sur le vivant, est une voie que propose Edson Barrus Atikum, en ce qu’elle inscrit dans cet espace institutionnel, le geste mineur d’un artiste «autochtone», qui n’a en général de place, hors des formes élargies et contemporaines de la retomada17. La présence d’un artiste Atikum dans l’espace muséal du Pernambuco s’inscrit en porte à faux avec le contenu d’un de ces musées18 qui nous donnent à voir les instruments de la classe dominante locale. La famille du Pai Chico par exemple à Caboclo, en évinçant toute représentation des populations autochtones ; comme si la vie n’avait pas existé avant l’arrivée du colon et de ses manières de faire et voir ou d’être au monde. En surgissant dans le musée l’Imburana de Cambão rappelle cette autre histoire, celle de la disqualification, de l’annihilation des peuples autant que le formatage des paysages selon des normes agricoles productivistes.
Ce n’est pas tant le retour au matériau naturel qui modifie le statut de l’œuvre, dans la mesure ou souvent la fabrication de l’objet prédétermine le choix qui pourra sembler « écologiquement neutre » si, il s’agit de produits naturels, tel que la paille, le miel, les herbes… Le travail s’origine dans une préoccupation écologique, mais ne modifie pas le rapport à l’objet puisqu’il est constitué de matériaux dits naturels afin de produire une forme, une sculpture qui peut être évolutive dans le cas des propositions des artistes dits de Reclamations, ou bien dans le cas d’artistes proposant, lors d’une exposition de créer un jardin, comme le fit Kristina Buch avec The Lover (2012) ou bien Song Dong avec Doing Nothing Garden (2010-2012) dans le cadre de la Documenta 13. Ces travaux, sites spécifiques se concentrent sur la production d’un jardin comme pratique artistique et sculpturale dans lequel la durée est partie intégrale du travail, comme elle l’est aussi chez Lohana Montelo, avec Escultura Viva em Paisagem Especifica (2020) qui est préoccupée par par la création d’agroforesterie à partir de semences sur un site déterminé19. On voit bien en quoi la proposition C e r c a v i v a se distingue de ces pratiques, dans la mesure ou chaque plantation fait appel à notre imaginaire pour se constituer en tant que haie vivante. La ligne imaginaire, s’élabore non pas selon une cartographie figée, mais au fil de l’air et du temps. Elle s’inscrit alors, comme un commun à envisager et s’oppose à la nature même d’une haie, c’est-à-dire ce qui enclôt (enclosure), en rétablissant le partage, le commun par le tracé d’une bordure ouverte, poreuse. On passe à ce moment, d’une culture faite sur un champ ouvert à l’instauration, via les haies, de la propriété privée. Confiscation des terres et instauration de la fin du droit d’usage commun20. C e r c a v i v a, à travers son tracé outrepassant les bornes physiques des terrains, renoue au temps ou l’usage de la terre n’était pas défini par la clôture. On pourrait dire que : Contrairement au geste de partition et d’appropriation et à la logique des enclos typique du Nomos européen la faculté d’habiter n’est pas l’équivalent du droit de disposer des choses sans réserves21. La haie vivante d’Imburana, creuse son sillage en nous offrant mentalement la possibilité de comprendre la porosité22 comme un agent actif de dissémination ; les boutures sont reproduction asexuelle23 et comme le remarque Edson Barrus Atikum: Plantar estacas é uma técnica ancestral de povos originários de produzir parentesco, por um ato de regeneração, e não por um ato de reprodução sexuada24.
Les imburanas de cambão accueillent de par leur conformation, différentes espèces qui s’y logent et essaiment le paysage. La porosité de la haie vivante renvoie à la porosité de l’arbre comme écosystème. En d’autres termes l’arbre est un terreau, une niche ou refuge à espèces qui viennent elles mêmes essaimer l’alentour. La proposition d’Edson Barrus Atikum avec C e r c a v i v a étend spatialement cet essaimage, elle peut se comprendre comme un activisme visant à produire un imaginaire de transition pour reprendre les termes d’Arturo Escobar25. La haie vivante réalise un maillage26 entre des espaces distincts reliés par un élément commun (l’imburana) dont il faut assurer/préserver la croissance, c’est-à-dire prendre soin tout autant qu’elle constitue des réseaux de relations entre individus, communautés etc. Cette haie vivante inscrit à même le sol un ensemble d’espace de résistance face à la déforestation en cours. Et il n’est pas anodin que les différentes boutures soient implantés dans des territoires à vocation agricole qui font peu cas, en général, de préoccupation écologique.
L’ensemble des boutures trace non seulement une ligne imaginaire mais esquisse un territoire de conservation qui entraîne une transformation d’habitus à partir desquels toute stratégie de conservation doit s’élaborer à partir des connaissances et des pratiques culturelles des communautés27. Ce territoire s’inscrit dans le biome de la caatinga et s’étend par delà les délimitations cadastrales des zones urbaines. La ligne des Imburana transcende les entités territoriales en proposant une
alternative qui est un véritable parcours imaginaire à travers des paysages. Le territoire est compris comme outrepassant les propriétés, au profit d’une appropriation effective par le biais de pratiques socioculturelles. Il est cet espace établi par les relations qui le constitue, qu’elles quelles soient et, en ce sens il est une nouvelle graphie de la terre28. Cette transformation est induite par l’acte de planter, entendue comme performance portée par Edson Barrus Atikum et plus encore inaugurée avec le Projeto Imburana29, en 2015. Ce projet visait à sauvegarder un Imburana de Cambão qui allait être abattu, lors de la vente du terrain sur lequel il croissait, la négociation permit le non-abattage de l’arbre et l’instauration d’un site comme zone de protection écologique. Le Projeto Imburana correspond à l’équivalent de deux champs de football de Caatinga. C’est insignifiant en face de la perte totale de bois vierge, mais cela importe comme attitude individuelle d’écologie mineure. C’est-à-dire l’action de chacun. Ce que, de manière minoritaire, nous pouvons instiguer dans l’ensemble des attitudes possibles pour barrer l’exploitation illégale et destructive des forêts.30
Ce geste inaugural a déclenché un enchainement de projet visant à faire de cet arbre une espèce patrimoniale dont plantAção (la plantation) fut un des premiers gestes mis en place par Edson Barrus Atikum, et est à ce jour le dernier événement ayant été réalisé à travers c e r c a v i v a . La protection de l’arbre souligne l’importance du faire comme forme de réclamation inscrivant la résistance face à l’histoire de la domination comprise comme rapport de race ou de classe. La reprise de l’arbre signe « en son peuple » le processus de reterritorialisation de l’histoire par ses agents exclus. Faire enter l’arbre vivant dans le musée c’est changer et ré-inventer l’histoire. Rappelons nous que l’Imburana de cambão n’est pas appréhendée comme plante utile ; il n’a pas de valeur, ainsi à la différence des plantes valorisées deviennent des « cultures » et les espèces qui rentrent en concurrence avec elles sont réduites au statut de « mauvaises herbes » ; quant aux insectes qui s’en nourrissent, ils deviennent « nuisibles ». De même, les arbres valorisés deviennent « bois d’œuvre », tandis que les essences en compétition avec eux sont rabaissées au rang de « terrain buissonneux » ou de « sous-bois31 ». En réintroduisant sous sa forme vivante, l’imburana ; le matériau : bois passe du statut d’objet artisanal ou artistique, donc valorisé à sa nature de plante dévalorisée. Cette inversion des valeurs est bien au cœur du dispositif imaginé par Edson Barrus Atikum qui redonne ainsi dimension à la parole et aux gestes d’un artiste contemporain autochtone. Lors de la plantation au musée Kapinawá elle prit une autre dimension, puisque la plantation s’insérait dans la création d’un espace végétal pour la communauté et surtout cet espace dédié à la réunion d’objets archéologique pré-colonial « musée en plein air » et consiste en une compréhension kapinawá des sites en tant que collection muséale du patrimoine archéologique pré-colonial. La plantation de l’arbre dans cet espace mémorial et de vie souligne/revisite la communauté des liens entre Kapinawá et Atikum-Umã32. L’arbre en devenir pourrait offrir l’ombre nécessaire aux rencontres et accompagner le développement d’autres espèces.
1Sur plantAcões voir le texte d’Edson Barrus Atikum Açoe de Plantar 2020 sur le site de Projeto Imburana https://projetoimburana.art.br/pt/noticias/plantacoes
2Gilles Tiberghien, Land Art : Au début des années 1960, une tendance de l’art américain, mais aussi européen, va mettre de plus en plus l’accent sur l’utilisation des matériaux naturels, la terre, l’eau ou l’air, qui manifestent le processus à l’œuvre et impliquent du même coup une nouvelle conception de la durée dans l’art. Encyclopædia Universalis on line https://www.universalis.fr/encyclopedie/land-art/
3Alexandre Acosta da Aldeia Cantagalo, Rio Grande do Sul in Povos Indígenas : aqueles que devem viver Manifesto contra os decretos de extermínio, p 17, Conselho Indigenista Missionário, 2012, Brasília
4Le titre originale de la pièce est Tree Mountain—A Living Time Capsule—11,000 Trees, 11,000 People, 400 Years, Pour voir la pièce : https://www.youtube.com/watch?v=nmVFGwNeWcc
5http://www.agnesdenesstudio.com/works5.html
6Sur la dynamique de l’esclavage dans la plantation voir Achille Mbembé : La communauté terrestre p 47-57, La découverte, Paris 2023
7Sur les dangers du greewashing voir Quelque chose de grave se passe dans le ciel, Wu Ming1, in Lundi matin, 444 Paris, 24 septembre 2024
8 L’œil de l’État, James C. Scott p 55, La découverte, Paris 2019
9Voir Keeve, “Fugitive Seeds.
Carney, “Subsistence in the Plantationocene”; Carney and Rosomoff, In the Shadow of Slavery; Carney, Judith A. 2021. “Subsistence in the Plantationocene: Dooryard Gardens, Agrobiodiversity, and the Subaltern Economies of Slavery.” Journal of Peasant Studies 48(5): 1075–1099. https://doi.org/10.1080/03066150.2020.1725488
10Edson Barrus Atikum : texte de l’artiste pour l’exposition Imburaninha, catalogue, p.16, Ygrec Aubervilliers, 2022.
11James Scott : L’œil de l’état, op cit
12Abiniel João Nascimento, in catalogue Imburaninha, p.23,op cit
13Françoise Verges : Le musée, de par son origine patriarcale, coloniale et impérialiste, est une partie intégrante de la modernité européenne et de la construction de l’État et de ses institutions. C’est une institution centrale de ce dispositif.
14patrimoine est l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique
15Public monuments traditionally have celebrated events in human history—acts of heroism important to the human community. Increasingly, as we come to understand our dependence on nature, the concept of community expands to include non-human elements. Civic monuments, then, should honor and celebrate the life and acts of the total community, the human ecosystem, including natural phenomena. Especially within the city, public monuments should recapture and revitalize the history of the natural environment at that location. As in war monuments, that record of life and death of soldiers, the life and death of natural phenomena such as rivers, springs, and natural outcroppings needs to be remembered. Une conférence au Métropolitan Museum of Art NY 1969; dans une interview il parle de Time Landscape The reconstructed forest was a way of going back into my childhood forest in New York as it would have been, initiated in Greenwich Village. I transplanted living tree species such as beech, oak and maple and over 200 different plant species native to New York, selected from a pre-Colonial contact period in New York. These are still there on site. Besides experiencing the indigenous trees of New York City, Time Landscape allowed me to experience and interact with foxes, deer, snakes, eagles and this was part of my experience. (entretien avec Alan Sonfist John K Grande pour le Green museum 2007: http://www.greenmuseum.org/generic_content.php?ct_id=284 )
16Lettre de 1992 d’Alan Sonfist adressé&e au directeur du Musée ARC de Finlande, citée et traduite par Edson Barrus Atikum in https://projetoimburana.art.br/pt/noticias/plantacoes
17De nombreux peuples, désormais réorganisés, réclament leurs terres d’origine volées par les envahisseurs. Ce processus, connu sous le nom de retomada ou reprise, s’est déroulé dans de multiples dimensions, : qu’il s’agisse de la reprise de rituels sacrés, de la sauvegarde des langues indigènes ou de la confrontation basée sur l’utilisation d’ornements indigènes, auparavant interdits. Abiniel João Nascimento : Ortie sur les pieds, in Imburaninha, p.22, Le Centre d’art Ygrec -Enspac, Paris 2022 ; de plus on constate un intérêt manifeste pour les artistes autochtones comme par exemple la biennale de Venise 2024.
18Les différents musées dans lesquels ont été plantés des Imburana à l’initiative de Edson Barrus Atikum vont du Jardin botanique de Sorocaba lors de la Triennale d’art contemporain Entre pós-verdades e acontecimentos (2017), dans les jardins des musées suivants : Museu da Aboliçao (2018), Museu Murillo La Greca (2019), Museu da Cidade de Recife (2021), Oficina Francisco Brennand em Recife (2023), Museu du Sertão de Petrolina (2022) et en 2024 dans les Museu Kapinawá (Casa de Memoria Alexandre Diniz) na l’aldeia Malhador Kapinawá, em Buique, au Museu Coripós em Santa Maria de Boa Vista, no Museu de Pai Chico no distrito Caboclo, Afrânio, au Museu Gonzagão no Parque Aza Branca em Exu, e no Museu de Cangaço em Serra Telhada. De plus, furent planter sur le site du Logrador (Projeto Imburana) une première fois 126 boutures en 2022.
19Sur cette artiste et le projet Composteiras dont elle est une des participantes voir https://select.art.br/artistas-da-terra/
20Sur ce point on pourra consulter Isabelle Stengers : Au temps des catastrophes Résister à la barbarie qui vient : Ces terres ont été « clôturées », c’est-à-dire appropriées de manière exclusive par leurs propriétaires légaux, et cela22 avec des conséquences tragiques car l‘usage des commons était essentiel à la vie des communautés paysannes. P 99, Editions La découverte, Paris 2009.
21Achille Mbembé : La communauté terrestre p 89, op cit
22Il y aurait beaucoup a développer sur l’idée de porosité que l’on pourrait voir à l’œuvre avec Cão Mulato (1998) qui se proposait le croisement de six races de chiens afin d’obtenir au bout le la quatrième génération un Cão Mulato
23La reproduction végétative désigne cette manière se se répandre par bouturage et non pas par graines.
24Edson Barrus Atikum : Renque https://projetoimburana.art.br/noticias/renque;
25Arturo Escobar : Sentir-penser avec la terre Une écologie au-delà de l’Occident, Le seuil, Paris 2018, p 24
26Le QRcode implanté près de la bouture met en scène ce maillage en indiquant les autres espaces ou l’imburana a été planté
27Arturo Escobar : Sentir-penser avec la terre Une écologie au-delà de l’Occident, Le seuil, Paris 2018, p 80
28Pour reprendre un concept de Porto Gonzalves Carlos: Da geografía às geografías. Um mundo em busca de novas territorialidades 2002 https://biblioteca.clacso.edu.ar/clacso/gt/20101018013328/11porto.pdf
29https://projetoimburana.art.br/
30Edson Barrus Atikum in Imburaninha, p.7, op cit.
31 L’oeil de l’État James C. Scott, op cit.
32Juliana Freitas Ferreira Lima : Dissertação Códigos em Retomada – Grafismos Kapinawá encontros e (r)existências no Vale do Catimbau, Pós-Gradução, p.109, UFPE, Recife, 2019.