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La haie vivante, demeure d’Edson Barrus Atikum

Avec plantAçao1 et plus particulièrement avec son extension c e r c a v i v a Edson Barrus Atikum se situe dans le courant d’artistes qui travaillent sur l’imperceptible et le vivant, c’est-à-dire qui mettent en scène le temps et son étirement, et dont il fait un champ possible de l’art.

Faire entrer l’imburana dans le musée est un moyen d’attirer l’attention sur cette espèce en voie de disparition, et c’est engager/contraindre le musée à faire son travail de conservation appliqué à un vivant. La pratique ne relève pas du land art2 quand bien même, l’acte de planter un arbre transforme le paysage. Bien qu’in situ l’arbre planté, l’est en dehors de l’espace muséal proprement dit, il s’incorpore à l’espace végétal, qui entoure le musée. La plantation ne se manifeste pas par l’octroi d’une œuvre dans le jardin — il n’est en rien question de sculpture–, mais par l’adjonction d’une grande bouture d’un imburana de cambão, dont la croissance lente est, pour cette raison difficilement perceptible. L’arbre vivant, croit au fil du temps et nous invite à penser le matériau : le bois, comme organisme vivant et non pas comme objet mort, façonné selon des motifs ritualistes, esthétiques, sociaux distincts.

L’arbre planté est une œuvre discrète, elle est là, dans le sens ou elle n’interpelle pas, comme c’est le cas de Fallen Forest (2006) de Henrik Hâkansson consistant à renverser à l’horizontal sur le sol d’une galerie un pan d’une forêt et dont les racines sont contenues dans des pots de l’autre côté du grillage qui lui sert de support, ni ne se présente comme une installation immersive, telle que Forest Law (2014) de Ursula Biemann et Paulo Tavares, par exemple, ou Purple (2017) de John Akomfrah, cette dernière une installation multi-écran sur le changement climatique. Bien qu’en présence d’arbres, de vivants un déplacement de la production d’un objet est réalisé ; le vivant s’objective dans son incarcération muséale au-delà d’une exposition temporaire. Et comme nous le rappelle Alexandre Acosta, les rapports aux mondes sont différenciés et ne se résume pas à la vision colonialiste du monde en constatant que lorsque un Guarani entre na mata e precisa cortar uma arvore, ele conversa come ela, pede licença, pois sabe que se trata de ser vivo, de uma pessoa, que é nosso parente e esta acima de nós3 .

La plantation d’arbres a été acté dans le monde de l’art depuis Joseph Beuys. Son projet 7000 Eichen (7000 Chênes) a initié lors de la Documenta 7 à Kassel. Avec l’aide de bénévoles, il plante 7000 chênes pendant cinq ans. Chaque arbre est accompagné d’une colonne de basalte. Le dernier arbre fut planté pour l’ouverture de la documenta 8 de Kassel avec l’aide de la Dia Foundation. Le projet a été repris (perpétué) sous diverses formes dans d’autres lieux : Baltimore, New York en recourant à un énoncé de Beuys disant que tout le monde peu-être un artiste, reconnaissant ainsi la créativité de chaque planteur. On retrouvera cette même reconnaissance démocratique du geste, dans la plantation d’Imburana, par Edson Barrus Atikum.

Fabrice Hyber a démarré ses plantations il y a plus de trente ans en 1992, sur un terrain qu’il achète avec ses premières économies à la fin des années 80 en Vendée. Cet achat était motivé afin de protéger la ferme de ses parents, et qu’elle ne soit par encerclée par l’agriculture industrielle qui envahissait la région et pour laquelle l’état français favorisait le remembrement, c’est-à-dire l’arrache de tous les buisson qui séparaient les parcelles afin de constituer de grandes surfaces. Quelques années plus tard lui ait venu l’idée d’y planter une forêt, en semant des graines, afin de mélanger les essences, et pour laquelle 300 000 graines furent dispersées. Ici comme pour le projet d’Agnes Denes Tree Moutain (1982-96)4 la revendication écologique a été prioritaire. Pour cette installation à ciel ouvert, Il a fallu aménager un terrain en érigeant une gravière avec les déchets d’une mine ayant détruit les ressources du sol. Le processus de bio-restauration permet de restaurer la terre en harmonie avec la nature, en l’occurrence la création d’une forêt vierge. La plantation d’arbres protège la terre de l’érosion, améliore la production d’oxygène et fournit un habitat à la faune et à la flore. Chaque arbre plantée a reçu le nom du donateur et sera transmis à leurs descendants5. Tree Mountain est une œuvre collaborative, depuis son aménagement paysager et forestier complexe jusqu’au financement et aux accords contractuels relatifs à l’utilisation étrange et inouïe des terres pendant quatre siècles. Le paradoxe de l’œuvre tient au fait que la forêt (dites)vierge est plantée selon une spirale ascendante afin de recouvrir au mieux la surface du mont, dans le but de régénérer un écosystème.

Ces travaux de grandes portée, en regard de la déforestation et des conséquences du changement climatique, sont comme des propositions voulant, de par leurs existences, nous alerter de la nécessité et de l’urgence de préserver les ressources naturelles. Elles sont exemplaires et privilégient la forêt en général ou certaines espèces, on pourrait les qualifier d’intervention globale alors que le geste mineur d’Edson Barrus Atikum se focalise sur une espèce spécifique : l’Imburana de Cambão, espèce appartenant au biome de la caatinga. Il nous informe au moyen d’un geste simple, partageable par quiconque, qui revêt la forme d’une performance, de l’exigence de sa sauvegarde. Dans ce cas la visée n’est pas le globale mais, est insistance sur le local, c’est-à-dire le « à porter de main », ce sur ce qui nous entoure et qualifie le territoire qu’on habite. Il s’agit d’acter au plus près de soi afin de ne pas répliquer des réponses universalisantes générales vis-à-vis de contextes locaux.

L’acte de planter un arbre invoque l’idée de la survivance, comme ce qui permettra aux humains de se nourrir, à partir du moment ou la cueillette n’est plus aléatoire mais dépend de la production de ce qui a été semé. Geste ancestral de l’humanité que celui de la plantation de légumes et de fruits, mais la plantation se manifeste de manière plus violente et industrielle dans le colonialisme marqueurs de l’esclavagisme6. On passe alors d’une pratique durable à une culture intensive, dans lequel la plantation est aussi bien fabrique (de denrée) que camp disciplinaire. La plantation signe le déplacement de plante et de personne selon une logique productiviste qui s’affirme aujourd’hui avant tout sous la forme de greenwashing7 et qui prolonge bien souvent la transformation de la forêt en un espace de monoculture. La forêt comme habitat disparaît donc, remplacée par la forêt comme ressource économique qu’il convient de gérer de manière efficace et profitable.8 Planter n’est pas un geste neutre, il est chargé d’un grand nombres d’histoires, et indique non seulement un futur mais fait signe au passé de cette activité à travers les âges. Dans ce cas, la plantation est inséparable de l’extraction et de l’extinction, autant que de la résistance et de la récupération9, pour ne pas parler de régénérescence

Créer une haie vivante (C e r c a v i v a) c’est renouer avec une pratique agricole. La haie sert avant tout à délimiter un terrain par une bordure végétal, mais aussi à couper les vents, elle est aussi gage de biodiversité, elle est souvent constitué de plusieurs espèces autochtones. Mais elle favorise la projection dans un espace imaginaire car, la particularité de cette haie vivante est sa topographie, elle n’est pas délimitation d’un terrain, elle est une ligne (libre) qui va d’un lieu de plantation à l’autre, elle ne définit pas un territoire mais un tracé, un parcours qui va d’ici à là, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Dans l’espace elle est trace imaginaire qui raccorde chaque Imburana de cambão, dans le temps elle inscrit la reprise d’un vivant sur tous les déracinés. Son dessin n’est pas la droite mais est constitué par un ensemble de courbes et de plis. Elle s’inscrit alors comme un geste mineur faces à l’abattage sans fin de ces arbres par le biais des grands projets industriels de développement ou bien plus pernicieusement de ceux de l’industrie agroalimentaire, ou moins spectaculaire mais cependant intense, la production de charbon végétal qui entretienne l’éradication. Il ne s’agit pas, cependant de réparation, Edson Barrus Atikum se s’inscrit pas dans cette filière, au moyen d’un geste mineur visant à éveiller notre conscience face la déforestation et aux changement climatique ; il instaure à la marge du musée, un acte de perpétuation d’une espèce en voie d’extinction et signale par là, l’importance de l’usage différencié de la caatinga par ses peuples : Nous utilisons la Caatinga de plusieurs façons. En plus de nous fournir de la nourriture, c’est notre pharmacie et c’est également là que nous obtenons les intrants pour la construction de nos maisons, ce qui montre à quel point elle est importante pour nous. Nous y maintenons également notre système agricole qui valorise la biodiversité. Le noyau de la préservation par les peuples indigènes réside dans le fait qu’il n’est pas nécessaire d’extraire les ressources à une grande échelle commerciale10.

La haie vivante a la particularité de proposer par ses tours et détours non pas une cartographie qui dresserait un état du territoire, mais une déambulation dans un territoire qui ne respecte aucunement bordures et séparations de propriétés au profit mouvement, d’un passage d’un Imburana à l’autre, par delà les accidents géologiques. C e r c a v i v a est une incision imaginaire capricieuse dans le paysage de la caatinga, sujet à d’autres percée, qui feront de ce tracé une arborescence en constante évolution.

Planter un arbre n’est pas jardiner, en effet le jardin est l’une des tentatives de l’homme d’imposer à la nature ses propres principes d’ordre, d’utilité et de beauté11, mais cela peut devenir un acte de résistance non seulement face aux changements climatiques mais aussi face à l’histoire et ses agents d’écritures de l’histoire du colonisateur. Dans la plupart des musées on trouve des objets façonnés par des artistes, des artisans qui recourt à ce matériau l’imburana de cambão à cause de ses qualités spécifiques de souplesse et de résistance. Arbres morts transformés par la main en objet esthétiques ou utiles qui sont préservés dans cette institution. Le musée prend en charge des objets mais ne prend rarement en compte celui, celle qui l’a produit et encore moins la matière vivante travaillée par ceux-ci. Cette mutation du statut de l’arbre selon les différentes propositions que le projet a déclenchées, fait que Selon Abiniel João Nascimento : Imburana devient une entité politique, un dispositif artistique qui prononce un vocabulaire issu du territoire Atikum, peuple indigène dont Edson Barrus est corps12.

Planter un Imburana de Cambão dans la cour ou le jardin d’un musée c’est modifier les priorités, c’est mettre le musée en face d’une prise en charge différenciée, inscrivant la revanche du vivant, de l’exclu, qu’ils s’agissent d’un arbre ou d’un peuple, décimés lors de la colonisation ou après, selon les rites d’une culture extractive, dont le musée dans son silence, manifeste l’absence, pour ne pas dire l’éradication. En effet, le musée comme tombeau collectionne des artefacts répertoriés, catalogués restaurés si nécessaires et préservés13. Ce qui concerne le musée c’est la matière inerte qu’il s’agit de conserver au mieux, à travers des collections d’objets esthétiques, scientifiques, techniques en vue de les présenter au public et qui font patrimoine14 afin de narrer d’une certaine manière une histoire de pouvoir plus ou moins affirmée. Alan Sonfist a tenté de s’opposer à cette seule dimension conservatrice des musées en regards d’objets morts, en leur proposant de devenir les dépositaires d’un ensemble de semence. Il envoya ainsi à 100 musées des paquets de semences identiques qui sont des capsules temporelles miniatures porteuses du futur, Il explique son geste dans une lettre adressée aux directeurs de musée et parmi ceux-ci,  le directeur de la Finland National Gallery : À medida que nos aproximamos do final do século, as condições ambientais estão mudando rapidamente. O planeta inteiro está aquecendo e a água e a terra estão sendo alteradas pela poluição industrial. Não podemos separar a arte da natureza.
Tradicionalmente, a arte celebra atos de importância humana, como heróis de guerra, como cavalos de bronze. Agora que percebemos nossa interdependência com o meio ambiente, devemos prestar homenagem ao nosso patrimônio natural.
Desde a década de 1960, venho criando ‘Time Landscapes’15, florestas em nossos centros urbanos para visualizar um melhor entendimento de nossa história natural. Agora que as condições ambientais em todo o mundo estão mudando rapidamente, as florestas mundiais estão se extinguindo. A crescente poluição industrial está destruindo árvores básicas em todo o mundo, como o abeto na Finlândia e o bordo açucareiro nos Estados Unidos. Eles desaparecerão no próximo século.

Como obra de arte, confio ao seu museu o ARC of Finland, que contém sementes de árvores ameaçadas de extinção da região norte da Europa. Selecionamos 100 museus com esta confiança / para esta tarefa. O ARC pode ser exibido com a instrução anexada. Eventualmente, os ARCs serão devolvidos ao museu original quando a floresta for destruída. As sementes serão então plantadas em um invólucro especial para protegê-las para as gerações futuras16.

Cette introduction du vivant dans l’espace du musée diffère de la proposition de Giovanni Anselmo avec Senso titolo (Struttura che mangia) [Structure qui mange] de 1968, qui se compose de deux blocs massifs de granit, de fil de cuivre et d’une laitue. L’assemblage se défait lorsque la salade vient irrémédiablement à faner, indiquant alors que l’œuvre existe dans la vie « réelle ». Il est demandé au musée de pourvoir au défraichissement de la laitue en en mettant une nouvelle à chaque qu’elle se fane. Le musée entretient ainsi la pièce, la maintient « vivante » via chaque nouvelle laitue. L’œuvre est donc actualisée dans la durée de l’exposition.

A la différence de l’arbre fossilisé de de Guiseppe Penone, qui inscrit un moment passé, l’arbre d’Edson Barrus Atikum est porteur de futur à travers sa présence même. Il ne s’agit pas d’une représentation mais d’une présence de l’arbre. Non pas un artefact mais un vivant. L’arbre de Guiseppe Penone qu’ils s’agissent de l’arbre des voyelles (1999) ou l’arbre immortel (2021) est coulé dans le bronze, et pour cela change de couleur au fil du temps dans les jardins ou il est installé, cependant il ne s’agit que d’un changement de patine et non pas d’une transformation de l’arbre qui reste tel que, fabriqué par l’artiste, comme le fait aussi bien Franz Krajcberg avec ses arbres calcinés dénonçant les feux de forêt, agent de la déforestation dans le Paraná et l’Amazonie. Le geste de l’artiste ici s’impose par le choix du matériau, l’emplacement de la sculpture dans le jardin, alors qu’Edson Barrus Atikum efface son geste, (la plantation à tel endroit) au profit de la croissance de l’arbre, dont il délègue l’entretien et donc par conséquent, la responsabilité au musée, pérennisant ainsi sa tâche : qui est de conserver. Cet effacement du geste de l’artiste n’est pas sans évoquer ce qu’a pu faire Patricia Johanson avec le projet dans le Fair Park Lagoon de Leonhardt Lagoon (1985), dans lequel un environnement retrouve son écosystème grâce à l’assainissement de l’eau, alors que flore et faune y reprenne place peu à peu, sans pour autant que soit mentionné le fait qu’il s’agit de l’œuvre d’une artiste. Son geste relève de la réparation tout en appartenant au Land Art sous le mode du Reclamation Art.

Le jardin et la plantation sont une source d’inspiration et de création d’œuvre pour de nombreux artistes contemporains qu’ils insistent sur la croissance et la spécificité d’un jardin crée pour une exposition comme Grasslands Repair de l’artiste australienne Linda Tegg, pour la biennale de Venise 2008, ou Agnes Denes qui avec Wheatfield A Confrontation ( 1982)avait transformé le terrain de ce qui est maintenant le Battery Park City à New York en un vaste champ de blé qu’elle avait planté et moissonné.

Planter un arbre dans le musée, c’est instaurer un autre régime de soins qui n’est plus dirigé sur un/ des objets définis, mais sur un être vivant, en constante transformation. Cela change le rapport à la temporalité en soulignant l’importance du présent et non pas seulement de la conservation d’un passé. Glissement fondamental qui permet de (ré)introduire dans le musée ce qui a été exclu en fonction de dispositifs de lectures qui vouent un culte sans fin à toute forme d’extractivisme, qu’ils s’agissent de minéraux, de végétaux ou d’objets d’arts. Comme le constate Françoise Verges se pose alors la question de comment faire émerger d’autres formes et pratiques de représentation et de narration au sein de cette institution qu’est le musée ? Invertir les priorités en mettant l’accent sur le vivant, est une voie que propose Edson Barrus Atikum, en ce qu’elle inscrit dans cet espace institutionnel, le geste mineur d’un artiste «autochtone», qui n’a en général de place, hors des formes élargies et contemporaines de la retomada17. La présence d’un artiste Atikum dans l’espace muséal du Pernambuco s’inscrit en porte à faux avec le contenu d’un de ces musées18 qui nous donnent à voir les instruments de la classe dominante locale. La famille du Pai Chico par exemple à Caboclo, en évinçant toute représentation des populations autochtones ; comme si la vie n’avait pas existé avant l’arrivée du colon et de ses manières de faire et voir ou d’être au monde. En surgissant dans le musée l’Imburana de Cambão rappelle cette autre histoire, celle de la disqualification, de l’annihilation des peuples autant que le formatage des paysages selon des normes agricoles productivistes.

Ce n’est pas tant le retour au matériau naturel qui modifie le statut de l’œuvre, dans la mesure ou souvent la fabrication de l’objet prédétermine le choix qui pourra sembler « écologiquement neutre » si, il s’agit de produits naturels, tel que la paille, le miel, les herbes… Le travail s’origine dans une préoccupation écologique, mais ne modifie pas le rapport à l’objet puisqu’il est constitué de matériaux dits naturels afin de produire une forme, une sculpture qui peut être évolutive dans le cas des propositions des artistes dits de Reclamations, ou bien dans le cas d’artistes proposant, lors d’une exposition de créer un jardin, comme le fit Kristina Buch avec The Lover (2012) ou bien Song Dong avec Doing Nothing Garden (2010-2012) dans le cadre de la Documenta 13. Ces travaux, sites spécifiques se concentrent sur la production d’un jardin comme pratique artistique et sculpturale dans lequel la durée est partie intégrale du travail, comme elle l’est aussi chez Lohana Montelo, avec Escultura Viva em Paisagem Especifica (2020) qui est préoccupée par par la création d’agroforesterie à partir de semences sur un site déterminé19. On voit bien en quoi la proposition C e r c a v i v a se distingue de ces pratiques, dans la mesure ou chaque plantation fait appel à notre imaginaire pour se constituer en tant que haie vivante. La ligne imaginaire, s’élabore non pas selon une cartographie figée, mais au fil de l’air et du temps. Elle s’inscrit alors, comme un commun à envisager et s’oppose à la nature même d’une haie, c’est-à-dire ce qui enclôt (enclosure), en rétablissant le partage, le commun par le tracé d’une bordure ouverte, poreuse. On passe à ce moment, d’une culture faite sur un champ ouvert à l’instauration, via les haies, de la propriété privée. Confiscation des terres et instauration de la fin du droit d’usage commun20. C e r c a v i v a, à travers son tracé outrepassant les bornes physiques des terrains, renoue au temps ou l’usage de la terre n’était pas défini par la clôture. On pourrait dire que  : Contrairement au geste de partition et d’appropriation et à la logique des enclos typique du Nomos européen la faculté d’habiter n’est pas l’équivalent du droit de disposer des choses sans réserves21. La haie vivante d’Imburana, creuse son sillage en nous offrant mentalement la possibilité de comprendre la porosité22 comme un agent actif de dissémination ; les boutures sont reproduction asexuelle23  et comme le remarque Edson Barrus Atikum: Plantar estacas é uma técnica ancestral de povos originários de produzir parentesco, por um ato de regeneração, e não por um ato de reprodução sexuada24.

Les imburanas de cambão accueillent de par leur conformation, différentes espèces qui s’y logent et essaiment le paysage. La porosité de la haie vivante renvoie à la porosité de l’arbre comme écosystème. En d’autres termes l’arbre est un terreau, une niche ou refuge à espèces qui viennent elles mêmes essaimer l’alentour. La proposition d’Edson Barrus Atikum avec C e r c a v i v a étend spatialement cet essaimage, elle peut se comprendre comme un activisme visant à produire un imaginaire de transition pour reprendre les termes d’Arturo Escobar25. La haie vivante réalise un maillage26 entre des espaces distincts reliés par un élément commun (l’imburana) dont il faut assurer/préserver la croissance, c’est-à-dire prendre soin tout autant qu’elle constitue des réseaux de relations entre individus, communautés etc. Cette haie vivante inscrit à même le sol un ensemble d’espace de résistance face à la déforestation en cours. Et il n’est pas anodin que les différentes boutures soient implantés dans des territoires à vocation agricole qui font peu cas, en général, de préoccupation écologique.

L’ensemble des boutures trace non seulement une ligne imaginaire mais esquisse un territoire de conservation qui entraîne une transformation d’habitus à partir desquels toute stratégie de conservation doit s’élaborer à partir des connaissances et des pratiques culturelles des communautés27. Ce territoire s’inscrit dans le biome de la caatinga et s’étend par delà les délimitations cadastrales des zones urbaines. La ligne des Imburana transcende les entités territoriales en proposant une

alternative qui est un véritable parcours imaginaire à travers des paysages. Le territoire est compris comme outrepassant les propriétés, au profit d’une appropriation effective par le biais de pratiques socioculturelles. Il est cet espace établi par les relations qui le constitue, qu’elles quelles soient et, en ce sens il est une nouvelle graphie de la terre28. Cette transformation est induite par l’acte de planter, entendue comme performance portée par Edson Barrus Atikum et plus encore inaugurée avec le Projeto Imburana29, en 2015. Ce projet visait à sauvegarder un Imburana de Cambão qui allait être abattu, lors de la vente du terrain sur lequel il croissait, la négociation permit le non-abattage de l’arbre et l’instauration d’un site comme zone de protection écologique. Le Projeto Imburana correspond à l’équivalent de deux champs de football de Caatinga. C’est insignifiant en face de la perte totale de bois vierge, mais cela importe comme attitude individuelle d’écologie mineure. C’est-à-dire l’action de chacun. Ce que, de manière minoritaire, nous pouvons instiguer dans l’ensemble des attitudes possibles pour barrer l’exploitation illégale et destructive des forêts.30

Ce geste inaugural a déclenché un enchainement de projet visant à faire de cet arbre une espèce patrimoniale dont plantAção (la plantation) fut un des premiers gestes mis en place par Edson Barrus Atikum, et est à ce jour le dernier événement ayant été réalisé à travers c e r c a v i v a . La protection de l’arbre souligne l’importance du faire comme forme de réclamation inscrivant la résistance face à l’histoire de la domination comprise comme rapport de race ou de classe. La reprise de l’arbre signe « en son peuple » le processus de reterritorialisation de l’histoire par ses agents exclus. Faire enter l’arbre vivant dans le musée c’est changer et ré-inventer l’histoire. Rappelons nous que l’Imburana de cambão n’est pas appréhendée comme plante utile ; il n’a pas de valeur, ainsi à la différence des plantes valorisées deviennent des « cultures » et les espèces qui rentrent en concurrence avec elles sont réduites au statut de « mauvaises herbes » ; quant aux insectes qui s’en nourrissent, ils deviennent « nuisibles ». De même, les arbres valorisés deviennent « bois d’œuvre », tandis que les essences en compétition avec eux sont rabaissées au rang de « terrain buissonneux » ou de « sous-bois31 ». En réintroduisant sous sa forme vivante, l’imburana ; le matériau : bois passe du statut d’objet artisanal ou artistique, donc valorisé à sa nature de plante dévalorisée. Cette inversion des valeurs est bien au cœur du dispositif imaginé par Edson Barrus Atikum qui redonne ainsi dimension à la parole et aux gestes d’un artiste contemporain autochtone. Lors de la plantation au musée Kapinawá elle prit une autre dimension, puisque la plantation s’insérait dans la création d’un espace végétal pour la communauté et surtout cet espace dédié à la réunion d’objets archéologique pré-colonial « musée en plein air » et consiste en une compréhension kapinawá des sites en tant que collection muséale du patrimoine archéologique pré-colonial. La plantation de l’arbre dans cet espace mémorial et de vie souligne/revisite la communauté des liens entre Kapinawá et Atikum-Umã32. L’arbre en devenir pourrait offrir l’ombre nécessaire aux rencontres et accompagner le développement d’autres espèces.

1Sur plantAcões voir le texte d’Edson Barrus Atikum Açoe de Plantar 2020 sur le site de Projeto Imburana https://projetoimburana.art.br/pt/noticias/plantacoes

2Gilles Tiberghien, Land Art : Au début des années 1960, une tendance de l’art américain, mais aussi européen, va mettre de plus en plus l’accent sur l’utilisation des matériaux naturels, la terre, l’eau ou l’air, qui manifestent le processus à l’œuvre et impliquent du même coup une nouvelle conception de la durée dans l’art. Encyclopædia Universalis on line https://www.universalis.fr/encyclopedie/land-art/

3Alexandre Acosta da Aldeia Cantagalo, Rio Grande do Sul in Povos Ingenas : aqueles que devem viver Manifesto contra os decretos de extermínio, p 17, Conselho Indigenista Missionário, 2012, Brasília

4Le titre originale de la pièce est Tree Mountain—A Living Time Capsule—11,000 Trees, 11,000 People, 400 Years, Pour voir la pièce : https://www.youtube.com/watch?v=nmVFGwNeWcc

5http://www.agnesdenesstudio.com/works5.html

6Sur la dynamique de l’esclavage dans la plantation voir Achille Mbembé : La communauté terrestre p 47-57, La découverte, Paris 2023

7Sur les dangers du greewashing voir Quelque chose de grave se passe dans le ciel, Wu Ming1, in Lundi matin, 444 Paris, 24 septembre 2024

8 L’œil de l’État, James C. Scott p 55, La découverte, Paris 2019

9Voir Keeve, “Fugitive Seeds.

Carney, “Subsistence in the Plantationocene”; Carney and Rosomoff, In the Shadow of Slavery; Carney, Judith A. 2021. “Subsistence in the Plantationocene: Dooryard Gardens, Agrobiodiversity, and the Subaltern Economies of Slavery.” Journal of Peasant Studies 48(5): 1075–1099. https://doi.org/10.1080/03066150.2020.1725488

10Edson Barrus Atikum : texte de l’artiste pour l’exposition Imburaninha, catalogue, p.16, Ygrec Aubervilliers, 2022.

11James Scott : L’œil de l’état, op cit

12Abiniel João Nascimento, in catalogue Imburaninha, p.23,op cit

13Françoise Verges : Le musée, de par son origine patriarcale, coloniale et impérialiste, est une partie intégrante de la modernité européenne et de la construction de l’État et de ses institutions. C’est une institution centrale de ce dispositif.

14patrimoine est l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique

15Public monuments traditionally have celebrated events in human history—acts of heroism important to the human community. Increasingly, as we come to understand our dependence on nature, the concept of community expands to include non-human elements. Civic monuments, then, should honor and celebrate the life and acts of the total community, the human ecosystem, including natural phenomena. Especially within the city, public monuments should recapture and revitalize the history of the natural environment at that location. As in war monuments, that record of life and death of soldiers, the life and death of natural phenomena such as rivers, springs, and natural outcroppings needs to be remembered. Une conférence au Métropolitan Museum of Art NY 1969; dans une interview il parle de Time Landscape The reconstructed forest was a way of going back into my childhood forest in New York as it would have been, initiated in Greenwich Village. I transplanted living tree species such as beech, oak and maple and over 200 different plant species native to New York, selected from a pre-Colonial contact period in New York. These are still there on site. Besides experiencing the indigenous trees of New York City, Time Landscape allowed me to experience and interact with foxes, deer, snakes, eagles and this was part of my experience. (entretien avec Alan Sonfist John K Grande pour le Green museum 2007: http://www.greenmuseum.org/generic_content.php?ct_id=284 )

16Lettre de 1992 d’Alan Sonfist adressé&e au directeur du Musée ARC de Finlande, citée et traduite par Edson Barrus Atikum in https://projetoimburana.art.br/pt/noticias/plantacoes

17De nombreux peuples, désormais réorganisés, réclament leurs terres d’origine volées par les envahisseurs. Ce processus, connu sous le nom de retomada ou reprise, s’est déroulé dans de multiples dimensions, : qu’il s’agisse de la reprise de rituels sacrés, de la sauvegarde des langues indigènes ou de la confrontation basée sur l’utilisation d’ornements indigènes, auparavant interdits. Abiniel João Nascimento : Ortie sur les pieds, in Imburaninha, p.22, Le Centre d’art Ygrec -Enspac, Paris 2022 ; de plus on constate un intérêt manifeste pour les artistes autochtones comme par exemple la biennale de Venise 2024.

18Les différents musées dans lesquels ont été plantés des Imburana à l’initiative de Edson Barrus Atikum vont du Jardin botanique de Sorocaba lors de la Triennale d’art contemporain Entre pós-verdades e acontecimentos (2017), dans les jardins des musées suivants : Museu da Aboliçao (2018), Museu Murillo La Greca (2019), Museu da Cidade de Recife (2021), Oficina Francisco Brennand em Recife (2023), Museu du Sertão de Petrolina (2022) et en 2024 dans les Museu Kapinawá (Casa de Memoria Alexandre Diniz) na l’aldeia Malhador Kapinawá, em Buique, au Museu Coripós em Santa Maria de Boa Vista, no Museu de Pai Chico no distrito Caboclo, Afrânio, au Museu Gonzagão no Parque Aza Branca em Exu, e no Museu de Cangaço em Serra Telhada. De plus, furent planter sur le site du Logrador (Projeto Imburana) une première fois 126 boutures en 2022.

19Sur cette artiste et le projet Composteiras dont elle est une des participantes voir https://select.art.br/artistas-da-terra/

20Sur ce point on pourra consulter Isabelle Stengers : Au temps des catastrophes  Résister à la barbarie qui vient : Ces terres ont été « clôturées », c’est-à-dire appropriées de manière exclusive par leurs propriétaires légaux, et cela22 avec des conséquences tragiques car lusage des commons était essentiel à la vie des communautés paysannes. P 99, Editions La découverte, Paris 2009.

21Achille Mbembé : La communauté terrestre p 89, op cit

22Il y aurait beaucoup a développer sur l’idée de porosité que l’on pourrait voir à l’œuvre avec Cão Mulato (1998) qui se proposait le croisement de six races de chiens afin d’obtenir au bout le la quatrième génération un Cão Mulato

23La reproduction végétative désigne cette manière se se répandre par bouturage et non pas par graines.

24Edson Barrus Atikum : Renque https://projetoimburana.art.br/noticias/renque;

25Arturo Escobar : Sentir-penser avec la terre Une écologie au-delà de l’Occident, Le seuil, Paris 2018, p 24

26Le QRcode implanté près de la bouture met en scène ce maillage en indiquant les autres espaces ou l’imburana a été planté

27Arturo Escobar : Sentir-penser avec la terre Une écologie au-delà de l’Occident, Le seuil, Paris 2018, p 80

28Pour reprendre un concept de Porto Gonzalves Carlos: Da geografía às geografías. Um mundo em busca de novas territorialidades 2002 https://biblioteca.clacso.edu.ar/clacso/gt/20101018013328/11porto.pdf

29https://projetoimburana.art.br/

30Edson Barrus Atikum in Imburaninha, p.7, op cit.

31 L’oeil de l’État James C. Scott, op cit.

32Juliana Freitas Ferreira Lima : Dissertação Códigos em Retomada – Grafismos Kapinawá encontros e (r)existências no Vale do Catimbau, Pós-Gradução, p.109, UFPE, Recife, 2019.

Kengné Téguia : Echoes of Silence

Two or three years ago I discovered Kengné Téguia’s work, even before I knew him; and what a surprise it was to meet him, attending one of my courses given at the ENSAPC. Obviously he was not comfortable in this school, or more precisely the school could no longer bring him much in terms of the questions he was exploring in his performances and videos.

What immediately struck me was the incredible insistence, perseverance and continuity in deciphering an extremely complex territory that involved issues of race, gender and disability.

I don’t remember if I perceived from the beginning that the videos produced invested questions relating to sound, dance and the body, obeying a requirement of visibility that did not require the identity filter. It seemed more complex. What is at stake is multiple, and does not assert itself through the usual prisms of perceptions/investigations specific to racial, gender or disability issues. Everything is intertwined, and it is precisely this mixing that makes the specificity of Kengné Téguia’s work unique, and designates him as an intruder.

His work is an intrusion into the field of video art, and the performance that arises with the consequent disruption of our apprehension, of what hearing and listening imply, designate, presuppose and therefore regulate, oust, etc.

Kengné was born 80% deaf. He benefited from hearing aids from an early age1 and, under pressure from the medical profession, followed a classical course focusing on oral communication for better integration into an « ableist « 2 society. Thanks to the prostheses, he had « access to hearing with the remaining 20%… and was able to follow a classical school curriculum that encourages oral expression, i.e. surrounded by hearing people3 « . He thus excluded himself (indirectly, because he was not the one who made the initial decision) or more precisely moved away from the deaf community to enter the world of normality4, posing as someone else, assimilating self-denial, a denial that is not remembering what Franz Fanon was talking about these blacks who do everything to be someone else, that is, a white man5. By conforming to the world of the hearing people, he puts himself on the margins of a community and consequently of a zone of sharing on which to rely, of a history (that of the deaf) which is never told, nor even envisaged, here in France. Let us remember that sign language (LSF) was not recognized and taught until 19966.

The act of masking, and what it implies as a strategy of compensation, diversion and appropriation, is all the more interesting as the artist will work with two media to which he could not have access: music and dance. The possibility of singing, and therefore of hearing oneself, but also of hearing oneself sing again to (re)produce a melody, or a rhythm, is a powerful element in Kengné Téguia’s approach. Singing and talking is like getting along more or less without even paying attention. These two operations are problematic for Kengné. Mimicking the choreography that accompanies the singing is yet another thing, because it is then the question of balance, linked to the inner ear as the place of its production that comes into play.

His approach to music is based on the perception of sounds, noises, which have shaped his imagination through the lyrics of the songs. An imaginary that led him, after viewing clips, to appropriate certain « hits » and to propose new versions of them, unheard of in every sense of the word. The transition from noise to melody was a long learning process that finally allowed him to accompany his video clips. But this is not where his artistic work really takes shape. We have to wait for the onset of the total deafness that strikes him at 25 years old. He is then offered « bionic » implants which consist of two parts, one connected to the auditory nerve, and the other, external, which picks up sounds. Implants that give him much better hearing when the device is plugged in77. It is at this moment that Kengné Téguia abandons computer science to gradually devote himself to an artistic practice that will be practiced mainly in the fields of video and performance through numerous experiments.

Adjani is my PossessionHis video work began in the mid-2010s, and then became one of the most challenging of his generation. What strikes us immediately is the extraordinary singularity of his approach, which crosses many modalities of portraiture and self-portraiture, auto-fiction and re-make8 (see Adjani is my possession 2017 https://vimeo.com/169516919)9, but which also borrows from queer iconography, playing/altering afros exotism, all accompanied by a work of sound and image manipulation that plays with software as did Ryan Trecartin10 in a more empirical way at the end of the 90s, using for example all the effects offered by the most common editing software. Kengné Téguia sets up transmission/translation systems that more or less indirectly integrate circuits and devices that allow him to hear. While it is important that it works in the most fluid and discreet way possible in the case of hearing, for the visual field it is different, in that dysfunctions, gaps or delays – in the transmission, in the decoding of visual and/or sound information – mobilize capacities for adaptation, use and/or re-use that create fragile, flickering or erratic audiovisual inscriptions. The persistence, the tenacity of the experience, generates audio-visual pieces that thwart the expectations of the simple karaoke, or the remake that makes character substitution its main object. Kengné’s tapes, when he sings a particular hit (by Celine Dion, Madonna, Janet Jackson or Lauryn Hill), are not only about mimicking the voice, they are more about learning how to utter it than about the accuracy of the tone. In most cases – if we refer to « fair » reproduction – this is inadequate. What matters in each proposal are the gaps, both set up, revealed and (ab)-used, between what is heard and the restitution that is made. But this is also what these same gaps, these delays, trigger and reveal to us as to the proximity of the statement of a voice, in the relationship it maintains as much with the body of the person who emits it as with that of those who hear it. By juxtaposing them in several of his films, Kengné Téguia highlights the inevitable gap that separates the time of execution from that of reception. His films are frequently made from performance recordings (reworked in post-production) that feature live sound transcription devices, both graphic and sound transcriptions. The meaning of the words spoken, although intelligible, is destabilized by an emission that goes from the breath to the scream, through the whispering. The sound emission moves away from the instructions and practices of speech, from its usual field; it signs and marks deviations, indicates possible convergences between the graphic representation, the code and the sound. For its part, the rhythm proceeds from a muted beat, almost from a percussive ritornello that carries the song by placing it in an elsewhere that makes the word waver towards the musical, without falling into the production of a melody. We are at the threshold of melody, in a space that gives the song the hesitation of sound production; a little withdrawn, suspended from the enunciation that does not come where one would expect it to appear. You have the impression that you are sometimes in the head of a person who repeats a sentence over and over again, or that you are listening to someone who does not follow the same patterns as us regarding the production and enunciation of the language. We are, in fact, placed in a situation of strangeness where the melody is dissociated and the signifier that it shouts. The acoustic signifier suddenly detaches itself to become other. It is a translation work that, beyond the reuse of words in another language, engages in a hand-to-hand combat that makes sound a transcription and a partial manifestation of the body. Thus, the work of speech and its restitution summons the body, and consequently calls for self- portraits. The latter, although prolonging this tradition of self-portraiture in painting, photography or video, take on a completely different dimension in that they stage devices aimed at altering and transmitting sound to the image, and into the image. Each film explores one or more possible relationships between sound and image where the duplicity of synchronism is undermined.

A loop repeats the same scrolled pattern. It can be an incantation – as in SatisfiedGone (2017)11 https://vimeo.com/198606800-, a text sung by Kengné, but also melodies, shouts accompanying a multitude of images, portraits of the artist as a singer, « pushed » by various visual treatments or interruptions of the flow, interspersed with fragments, intertitles of the same decapitated, permuted statement, burst on the surface of the image. Kengné plays with the motifs of the self-portrait, and breaks the frame with a strong pixellisation, unframing, poor and saturated images, the rupture of sound and visual flows.

SatisfiedGoneWe are constantly referred to the portrait of an artist dispossessed of himself, through a collection, a proliferation of self-portraits that explore this « imaginary close to a ritual where this despair of becoming these others would be solved at the end of incantations, spells« . We are witnessing an experiment that calls for many interpretations and plays with a multitude of codes from racial, colonial or gender filters that shape our dispositions to see and hear.

Kengné plays with the proliferation of archetypes that haunt our perceptual habitus. He works simultaneously several registers: narcissism [Narcisse 2 (2015), or Got’til it’s gone (2015)], voyeurism, exoticism [Zombie (2015)], disability [Are you Ok? (2016)], diversion [Blanche Neige is my Bitch (2016)], etc.

Often, several sound strata stage the voice, to which is added an instrumental stratum of a percussive type. The distribution of the voices is reminiscent on the one hand of the back-up singers repeating a melody, and on the other hand of the soloist who takes up a « tube » whose air is not recognized, but whose lyrics provide clues as to the possible source, for partial or total recognition by the audience. In this case the initial air is superimposed (in our head) on the one heard, proposed by Kengné. Elsewhere, as in Erotica Romance (2015) (https://vimeo.com/136408879) – a cover of Madonna’s Erotica12 – the text uttered, not quite sung, is transcribed into the image. Kengné’s re- appropriation of Madonna’s song is not lacking in irony insofar as, as Bell Hooks wisely noted, Madonna is a prototype of the white woman appropriating black culture13. The use of black and white, transparencies by superposition, the shaking of the image as if it were both the result of a quivering water or a deforming magnetic wave, all this is not without evoking the interventions of Nam June Paik14 or Wolf Vostell15 with magnets in their first video experiments. Kengné Téguia uses all the possibilities that his mastery of software and bugs allows him to work in several image registers. He judiciously explores the range from the « policed » image, promoted by the entertainment industry and most of the art market, to that of hackers and amateurs who work with glitch, bugs and poor image. He finds these ways of approaching the moving image – based on its uses linked to the Internet – which offer treatment palettes ranging from overload to impoverishment, and which many plastic artists have integrated into their practices. If Ryan Trecartin is one of those who has explored these possibilities the most, by making his films into collections of effect catalogues that participate in the stories set up in these tapes, it is however Hito Steryel16 who theorized these uses by focusing more particularly on the aesthetics of poor images. These questions relating to the poor image are predominant because they point in the direction of what is available according to criteria related to economic, cultural and racial domination. So it is no coincidence that Kengné Téguia appropriates these different worlds, these different aesthetics, with a gesture that not only inscribes his belonging to the world of whites – I master all this as well as you – but also to the queer and Afro world. His approach flourishes in these uses, evoking what intersectionality17 develops with regard to the plurality of spheres of domination, and which allows him to switch from one field of disability to other fields, without excluding each other, but on the contrary affirming himself, sometimes in the same band, simultaneously or consecutively. Akosua Adoma Owusu’s Intermittent of Delight (2007) presents a similar problem, although approached differently, in which the filmmaker works on the overlap of identity issues with regard to cultural appropriation. It is by articulating these plural identities, by re-articulating them that Kengné Téguia offers in his various videos and performances alternatives to these forms of domination.

I can't deal with it, it's overIn I can’t deal with it, it’s over (2017), he « addresses the question of identity in the broad sense and questions the trajectory that can exist between language, understanding and reception.18 » This video brings these strata into play by combining voice (or rather voices, because they are worked on in the manner of polyphony), texts, and in the image several lines of narrative (reminiscences of memories, reflections, descriptive snippets) that deviate from what we perceive in the image (sequences of parades of armed and police forces19), subtitles evoking the difficulty of reconciling with the Cameroon experience, the inadequacy between memories and reality of this experience at the time of editing (two years later). In this short band everything is played with mixing and weaving. Temporal mixes evoking the strategies deployed by diarists – and mainly Jonas Mekas, who would be like the archetype – diarists who combine in several films the memory of a place, the confrontation of memory and the moment of its capture as much as the gap perceived during the montage in the perception of this place and what one could feel there, by resorting to the voice and intertitles, which thicken or diverge. This is what Kengné Téguia finds in this short film. As for weaving, it is carried out by the interweaving of sequences that make a comeback, that move forward while coming back, and set up short nodes, overloaded by the number of voices, the simultaneity of texts and images. In this film we find in the background a litany already present in other videos, a rhythmic ritornello acting in the form of incantations and which generated different sensations when it more directly accompanied a self-portrait in Try Again (2015) https://vimeo.com/124112105, or again in Don’t Touch my Hair with this cover of Solange’s « Don’t Touch my Hair »… /… « considered as a kind of hymn to the heritage of African culture, among other things, through frizzy hair and its protection against mini-toxic aggressions against it in Western societies, I explore a kind of imagery where the hair joins this supposed heritage, as well as my deafness – subtitles respecting colour codes corresponding from near and far, to those which serve as a basis for apprehending a sound and/or visual form – and bugs highlighting an aesthetic related to the machine, etc. But in the end, can they understand? »

Indeed, all of Kengné’s work addresses these questions, confronts us with questions about the areas of understanding we can occupy, to grasp not only his work but also the place that our society offers him, leaves him, gives him, forbids him….. What we hear, what we understand as spectators of these works certainly differs from what Kengné can perceive, and it is the production of these gaps, in this field of sharing that challenges us.

The portrait question refers to the tradition of self-portrait video but more certainly to this use that mobile phones and social networks have had an intensive impact on. The self-portrait, in the age of the Internet, does not have quite the same intentions as those of Anne Charlotte Robertson20 or Vito Acconci in the 1970s or 1980s. Kengné’s portraits do not have the autobiographical dimension that film diary gave them, they are part of a more contemporary dynamic, infused by the uses of the Internet and the circulation of self-images that it induces. Kengné Téguia’s self-portraits have several overlapping dimensions, ranging from homoeroticism to the treatment of race issues. Strange Fruit (2016) refers to Billie Holliday’s song21, and the strange fruits that grows on trees in southern states, but this fruit is also a slang term for homos. This multiplicity of overlaps confers a particular dynamic, and makes the echo of silence resonate.

Strange Fruit

In other videos, Kengné Téguia works with and from nudity. It then follows a tradition of black portraiture that, since the 1980s, has flourished through the work of Robert Mapplethorpe, or Rotimi Fayi Kayode, with some photos of which we can apprehend a relationship, mainly in Try Again.

The songs performed are not limited to the Afro register alone, although most of them are covers from songs from Janet Jackson, James Brown, Lauryn Hill, Solange, Fela Kuti… Zombiiie https://vimeo.com/131526236 reveals how the appropriation, the diversion, but above all the taking possession of a musical piece that used a copper-battery-guitar ensemble, an ensemble that Kengné reduces to its strict minimum, wink at (but I don’t know if it’s voluntary) the percussion ensembles used by John Cage for certain choreographies by Merce Cunningham. What worked with the codes of a sustained rhythm, as well as the dialogue between the choir and the singer, is considered here according to another economy in which Kengné Téguia supports all the parts at a minimum. In the distance, cries haunt the song, combined with other voices that replace the original instrumentation. Visually we are in a concatenation of different shots of the dancing artist, punctuated by the alternating enchantment of desaturated, granular, solarized sequences, in a soft cotton wool revealing trunk, head, and legs. Their crosses create new bodies – compounds. This use of superimposition, with a view to hybridization, is used by many filmmakers and videographers who thus compare the porosity of the medium and that of the bodies.

It is always a question, not only of staging oneself, but also of making oneself heard. To break through the walls of the confinement that hearing’s world generates for all those who do not share the same perceptual conditions. And this is where Kengné’s approach makes sense, because it simultaneously brings together the contexts whose power of exclusion we refuse to see, whether they are racial, sexual or disability issues. How to deconstruct and rebuild (also) when we do not have the possibility of being outside?22 It is the reign of a multi-imperialism that is here questioned indirectly; with a work that does not denounce but implies, a work that states the end of not receiving affirmed by a society that inscribes rupture, separation, exclusion and isolation among its modes of managing the in- difference.

yann beauvais

translation Kengné Téguia

1 Clarification given by Kengné by mail dated March 4, 2019

2 Ableism : oppression experienced by people living with physical or mental disabilities https://fr.wiktionary.org/wiki/validisme

3 Kengné Téguia: Who are you… Kengné Téguia, from the Black(s) to the future collective, in Culture & enjaillements, Regards noirs, 14 September 2017, blog l’Afro

4 Kengné Téguia statutes in Facebook of December 9, 2018: I am 25 years old…/…/…my ear seems to want to resist, despite this glue, by unfolding itself of all its member, reminding me to what extent it is lost in this new configuration of its space…/…. Caught in the trap by this insidious desire that I would be obliged to hear, obliged to verbalize through this foreign language, orality.

5 Franz Fanon Black skin, white masks, Le seuil 1952. A video (The Struggle 2015) by Kengné uses the introduction of this book by Franz Fanon.

6 It is the 1991 Fabius Law that « promotes the choice of bilingual education for the deaf, the LSF and written/oral French, thus marking the end of the prohibition of the LSF » Wikipedia Sign Language, and it is only in 2005 that the Law for Equal Rights and Opportunities for Participation and Citizenship of Persons with Disabilities was enacted in which LSF is recognized as a language in its own right after a century of prohibition.

7 However, according to translation reports of what deaf people would hear with these implants, there is still a lot of progress to be made in terms of hearing comfort https://www.medisite.fr/a-la-une-video-comment-comment-on-with-an-implant- auditive.628294.2035.html?xtor=EPR-26-628649[Medisite-A-la-Une]-20140530

8 We remember that from the 1990s onwards, when plastic artists took over cinema through exhibition cinema, some of them became interested in the revival and re-making of Hollywood films, in whole or in part. They were reconnecting with something that experimental filmmakers have almost always worked on, either by putting together entertainment films or by parodying them. In the 90s it is the notion of appropriation that became preponderant and manifested itself in the re-make, see for example the Body Doubles made by the artist Brice Dellsperger from 1995 onwards (to date there are 35)

9 Kengné Teguia on this film says Keeping the main idea of Andrzej Zulawski’s film Possession, where Isabelle Adjani is possessed by a monstrous creature, I explore this possession by taking the place of this creature, with the metro scene of the film and my cover of the song, Ex-Factor by Lauryn Hill.

10 See yann beauvais: Ryan Trecartin Internet comme mode de vie, Gruppen n° 9, 2014

11 This is a song by Celine Dion: Pour que tu m’aimes encore

12 Seeing this film I couldn’t help but think of a Mike Hoolboom film that draws self-portraits from or around Madonna’s songs, using a letter addressed to her in Hey Madonna, scrolling through the black and white clip of one of her songs.

13 See bell hooks: in Black Looks race and representation, the chapter Madonna Plantation Mistress or Soul Sister,Page 157: White women « stars » like Madonna, Sandra Bernhard, and many others publicly name their interest in, and appropriation of, black culture as yet another sign of their radical chic. Intimacy with that « nasty » blackness good white girls stay away from is what they seek. To white and other non-black consumers, this gives them a special flavor, an added spice. After all it is a very recent historical phenomenon for any white girl to be able to get some mileage out of flaunting her fascination and envy of blackness. Sound End Press, Boston 1992

14 Nam June Paik: Unknown Exhibition (1963) Magnet TV (1965)

15 Wolf Vostell : 6 TV Dé-collage (installation) and Sun in your head 1963

16 Hito Steryel: see Defence of the Poor Image in The Wretched of the Screen, e-flux Journal, Sternberg Press, 2012

17We remember that Kimberlé Crenshaw was the first to theorize this concept in Cartographies des marges: intersectionality, identity politics and violence against women of colour, who first theorized this concept in 1991.

18 Kengné Téguia : Qui es tu… Kengné Téguia, du collectif Black(s) to the future, in Culture & enjaillements, Regards noirs, 14 septembre 2017

19 These appropriate sequences evoke those used in Cécile Fontaine’s Histoires parallèlles (1990) in which we see

many colonial forces in representation, including French ones on Reunion Island in the 1960s.

20 1949 -2012 Anne Charlotte Robertson is an American filmmaker who has favoured the form of the filmed newspaper, the first-person newspaper, in super 8.

21 The first verse of the song says: Southern trees bear a strange fruit, Blood on the leaves and blood at the root, Black body swinging in the Southern breeze, Strange fruit hanging from the poplar trees, a song in reference to the lynching of blacks, which is another news these days on both sides of the Atlantic.

INTRODUCCIÓN / INTRODUCTION

2019 1 Anatomia de la imagenINTRODUCCIÓN in Anatomía de la imagen Notas de Teo Hernández editado por Andrea Ancira García et Neil Mauricio Andrade, Buró -Buró Tumbalacasa ediciones, Mexico 2019

INTRODUCTION in Anatomie de l’image Notes de Teo Hernández, édité para Andrea Ancira García et Neil Mauricio Andrade, Buró -Buró Tumbalacasa ediciones, Mexico 2019