Le cinéma décolle. (Centre Georges Pompidou, cinéma du Musée à l’occasion de la rétrospective Cécile Fontaine)
On peut faire des films de toutes les manières que l’on peut imaginer. Il n’y a pas une pratique (dominante) qui dicterait et imposerait la juste manière de faire un film; même si certaines se voudraient être définitive; on ne saurait cantonner le cinéma, à la fiction, à la bande-annonce, etc. Cécile Fontaine envisage avant tout le cinéma comme un support qu’elle travaille, dans sa matérialité même, un réceptacle d’images déjà impressionnées, que l’on manipule après les avoir extrait de leur lieu d’origine, afin de les redistribuer selon d’autres organisations. Pour elle, le cinéma est ce champ qui permet de déployer au travers d’une richesse de textures, de graphismes et de collages, les qualités de (la) lumière et leurs montages en fonction des transparences qu’offrent les différentes surfaces sensibles utilisées par les cinéastes.
Son oeuvre se caractérisent par la primauté qu’elle accorde au décollage et au montage, et aux choix de ses images – mêmes si la plupart ne sont pas de son fait puisqu’elle utilise la plupart du temps des « found footage » – qui privilégient les scènes domestiques quotidiennes. Cette pratique n’exclut cependant pas tous les Super-8 qu’elle produira avec ou sans caméra. C’est souvent dans ses courts films qu’elle met en relief les potentialités de calibrage de la lumière au moyen de formes indéfinies: Le calvaire (1984), Light (1986), Abstract film en couleur (1991).
Cécile Fontaine appartient à cette école du cinéma qui privilégie le contact direct sur la pellicule; c’est à dire un cinéma qui n’a pas nécessairement besoin d’images photographiques pour exister (assertion démentie par la production de la cinéaste) un cinéma qui inscrit le cinéma dans son appartenance à un art tactile autant que visuel et qui prône le savoir faire dans les traitements de la matière. Un cinéma principalement concret et dont les effets visuel seront souvent abstraits. Le paradoxe de la cinéaste vient de la manifestation de ces oppositions au sein de chaque film. La maîtrise des outils et ce qui permet à la cinéaste de s’inscrire à la fois dans une tradition inaugurée dans les années 30 par Len Lye poursuivit par Stan Brakhage à partir de la fin des années 50 et qu’une nouvelle génération de cinéastes redécouvre au seuil des années 80, alors qu’ils développent et traitent leurs films eux-mêmes.
Le travail cinématographique de Cécile Fontaine s’effectue sur des « found footage »; c’est à dire sur des séquences de films qu’elle n’a pas tourné. A la différence d’un grand nombre de cinéastes de « found footage » qui prélèvent de courtes séquences ou quelques images d’un même film, Fontaine recycle en totalité les films qu’elle utilise (qu’ils soient trouvées ou données ne changent pas grand chose à son attitude). L’utilisation de l’intégralité de l’objet trouvé entraîne un certain nombres de manipulation et traitement qui sont spécifiques de son travail. Dans le fait de recourir à l’intégralité de l’objet: film trouvé; il y a une affirmation quand à la nature du montage, le désignant comme catalyseur de variations. Le montage n’est pas appréhendé comme ce qui unit, ou lie le divers mais comme ce qui transforme, et fait du même: le différent. Glissement qui établit par une économie de moyens, les bornes que la cinéaste ne dépassera que très rarement. Il s’agit toujours d’être à même de maîtriser les données alors que le résultat des manipulations chimiques, ou graphiques bien que connus n’est jamais certain ou même stable. Ces manipulations, qu’ils s’agissent du décollage d’émulsion et recollage de celle-ci sur d’autres bases ou supports, ou des grattages et découpages de partie d’émulsion, sont toujours à la merci d’un dérapage incontrôlé qui transforme radicalement la séquence; pouvant entraînant sa disparition définitive. On retrouve cette tension, ce risque dans tous les processus que développent, créent la cinéaste. En effet lorsque la cinéaste effectue ses décollages d’émulsion on songe à la fois à la perte et au gains simultanée. L’altération d’une des couches composants le film couleurs s’accompagne de l’apparition du multiple et nous fait gagner ainsi une polyvision dont la cinéaste sait admirablement bien jouer en combinant les rapports de couleurs selon des éclats qui évoquent autant Duchamp-Villon que le Len Lye de Rainbow Dance (1936), que l’on songe aux joueurs de golf en violet, vert et jaune de Golf-Entretien (1984) et son pendant la première partie de Two Made For TV Films (1986), ou aux danseurs dont les mouvements s’encastrent les uns dans les autres selon une chorégraphie chromatique comme c’est le cas dans Japon séries.(1991). Dans ces trois films, le montage consiste à jouer avec le décalage des trois couches d’émulsion d’une même scène. Ce montage chromatique répond cependant à d’autres critères qui affirme la spécificité d’éléments purement filmiques: bande sonore optique, ligne de séparation de photogramme, les trois couches constituant l’émulsion couleur, « la cadence déréglée par l’étirement de l’image initiale et donc le changement de format ». Mais ces films ne se limitent pas à ces seules manipulations, ils travaillent le support selon un ensemble de techniques que la cinéaste à découvert à partir de 1983 avec A Color Movie (1983). Ce film déploie une diversité de stratégie qui deviendront la marque de la cinéaste, tout en l’inscrivant simultanément dans un courant du cinéma expérimental qui met en avant la matérialité du support que se soit au moyen du développement ou du traitement tirages, virages, colorations des émulsions ou par le refilmage. A la différence de bon nombre de ces cinéastes, Cécile Fontaine n’utilise aucunes de ces techniques sophistiquées, elle est plus directe. Elle arrache, gratte, poinçonne, raye ou brûle l’émulsion, et la recolle, la repositionne sans respecter la continuité du déroulement de la prise de vue. A Color Movie est, à cet égard, un véritable précis de déconstruction cinématographique. Ce premier film, revendiqué comme tel, permet à la cinéaste d’envisager le cinéma selon des caractéristiques graphiques, et picturales non pas tant dans le rendu que dans les techniques d’apposition et de manipulation du support même. Le film n’est plus considéré comme seule surface sensible à impressionner mais comme surface d’inscription. Déplacement qui introduit une coupure dans le photo-graphique le faisant devenir: kiné-graphique. La seule limite à ces ajouts est le couloir du projecteur qui ne peut recevoir les épaisseurs du ruban ainsi constitué. Dans la lignée du Brakhage de Mothlight (1963) Cécile Fontaine renouvelle les approches en collant différents papiers et plastiques colorés comme dans L’Atelier (1984) autant que dans A Color Movie. Elle applique ces mêmes techniques à l’ensemble du ruban, faisant subir aux différentes couches d’émulsion prélevées des traitements similaires qui se complexifient d’un film à l’autre. Ces premieres expériences sont fondamentales pour la cinéaste en tant qu’elle lui permette de mettre l’accent sur ce qu’est un film pour la cinéaste à savoir: « un objet transparent qui laisse infiltrer la lumière du projecteur pour créer des motifs et des couleurs à regarder avant tout comme objets plastiques mouvants sans aucune référence précise au monde du réel, si ce n’est à la réalité physique du film même ». Cette qualification du cinéma comme producteur de motifs colorés mouvants fait que les compositions chromatiques qu’elle développe, fonctionnent souvent comme des vitraux. Vitraux qui ne sont pas asignifiants, puisque la majeur partie des films 16mm sont faits à partir de scènes quotidiennes, anodines mais, qui par accumulation, leur confère la caractéristique du rituel. On pense aux défilés des élus locaux et le salut aux armes des forces policières lors de visites officielles dans les territoires d’outre-mer d’Histoires parallèles (1990); véritable clin d’oeil narquois à l’enfance de la cinéaste. Elle leur passe véritablement un savon. Avec ce film; elle à fait tremper les séquences dans des solutions savonneuses afin d’obtenir des mouchetés particuliers. Dans ce même film aux plans des officiels elle juxtapose des séquences qui semblent provenir de la crise de Suez, révélant ainsi des conflits potentiels dont la manifestation à l’écran se voit dans la diversité des textures et des traitements. Il y a chez Cécile Fontaine une ironie et un humour, un plaisir du jeu de mots d’images sous-jacentes au montage, que ce soient lors de successions qui privilégient l’analogie des formes: réservoirs de motos allemandes en noir et blanc et baigneurs en couleur de Cruises (1989) ou adéquation entre le sujet et le traitement de l’émulsion comme c’est le cas avec Overeating (1985). Dans ce film, la mâchoire du mangeur de poulet semble être en proie elle-même à une étrange mastication. La représentation est pliée, déchiquetée en tout sens, la pellicule est broyée sous les coups incisifs d’une faim sans merci. Ce film est exemplaire pour plusieurs raisons, la première tiendrait au fait qu’il y a une parfaite adéquation entre traitement et contenu, le film après avoir trempé dans diverses solutions a produit un étirement de l’émulsion qui s’est décollée du support. La seconde est le recours aux boucles qui permettent de faire voir plusieurs fois le processus et ses conséquences Et la troisième tient au fait que la cinéaste effectue le même travail avec la bande-son qu’avec l’image. Un nouveau montage discrépant est proposée par la dérégulation du synchronisme initial. Certains films suivent la bande-son d’un film comme générateur pour le déroulement d’un autre film. Ici, on pense à Cruises, qui met en relation trois types de « found footage », mais dont la publicité pour une croisière du Norway dans les Caraïbes sert de fil conducteur sonore pour l’enchaînement et la distribution des autres séquences qui composent le film. Il s’agit du journal (filmé) de campagne d’un officier allemand pendant la guerre (Agfa daté 41) ainsi que des comédies des années 20. La croisière initiale vecteur d’une nouvelle croisière atemporelle convoque des temps qui juxtapose conquête territoriale et tourisme. C’est en ce sens qu’il faut envisager la relation entre les séquences des soldats allemands visitant et se détendant en famille dans quelques régions bucoliques et les scènes de plages colorées des années 80. Ce film, l’un des plus aboutis de Cécile Fontaine fait de l’image fantôme l’une des caractéristiques de sa palette cinématographique. Lorsque la cinéaste décolle l’émulsion colorée sur une longueur donnée du ruban, elle obtient deux éléments: l’un qui est la base, souvent jaune pâle; fantôme d’une image à venir, l’autre constitué de deux couches d’émulsions est à la fois plus fragile mais en même temps plus définie. Dans Cruises, dans Home Movie (1986), ainsi que dans Sans Titre Mai (1988), les fantômes viennent hanter un présent plus distinct, et s’incrustent comme parasites du défilement serein. L’image fantôme devient le support d’une bataille qui fait se côtoyer plusieurs temps distincts, lieux et histoires. Dans Stories (1989) une vie de chien se mêle à un western (une série télévisée quelconque des années 60) et à des plans d’un déjeuner familiale; en l’occurrence la famille de la cinéaste. Les temps se télescopent; les images se chevauchent et vont parfois comme c’est le cas avec Cruises et Sunday (1993) créer des marqueteries et des mosaïques particulières: un couple de danseurs en noir et blanc des années 20 se mêle aux danseurs d’une croisière des années 70, des enfants allemands jouant au ballon qui se transforme en raquette jaune etc. On pourrait multiplier les exemples qui soulignerait l’incroyable précision et maîtrise que Cécile Fontaine a de ses outils et ce d’autant plus que certain effets mis en place par la cinéaste s’apparentent à ceux que d’autres ont développé à la même époque (83-84) dans la même ville (Boston) mais en les alliant à ceux obtenu au moyen d’une tireuse optique tels Caroline Avery et Phil Solomon. Fontaine et Avery vont jusqu’a partager les scènes banales et les manifestations de la quotidienneté sous tous ces aspects, que l’on songe aux communions de Home Movie, aux travaux ménager de The Living Rock (1989), ou aux différentes processions de Home Movie, Histoires Parallèles, Cruises, et Sunday.
Bien que l’usage des « found footage » soit prioritaire pour la cinéaste, il devient cependant restrictif dans la mesure ou elle recherche avant tout des films qui traiteraient de la vie quotidienne qui ne serait en rien spectaculaire. Son travail n’est pas une apologie du spectacle, elle s’intéresse aux petits événements sans importance, aux êtres et à leur entourage. Comment faire des films avec ce qui nous entoure sans sacrifier au mirage technologique. Ainsi se limiter quant aux choix des films trouvés, on privilégie les journaux filmés afin de ne jamais s’éloigner des individus; on privilégie les techniques qui font appel à un arsenal d’instruments domestiques; toute un économie du film sans superflu se dévoile par ses constituants. L’une des traits saillants que l’on retrouve d’un film à l’autre est le grattage et le virage (plutôt coloration ; cela dépend si c’est effectué sur le support image par image ou sur des longueurs de ruban par trempage) de la pellicule. Ses films sont souvent précédés d’amorce opérateur personnelle que la cinéaste à créer de toutes pièces et qui sont souvent comme des précis de cinéma fontainien. Jeux de mots en images au moyen du grattage, commentaire amusé sur l’image, grattages masquant ou dévoilant tel ou tel aspect de l’image sont en jeu à la fois dans ces courtes introductions mais aussi dans ces plages qui relient un film à l’autre lorsque la cinéaste en met plusieurs bout à bout. Cette accumulation de signes, de grattages, de marques sur la représentation photographique vient interférer sur celle-ci et vient manifester une fois de plus la matérialité du support. Celle ci étant renforcé par les nombreuses rayures, pliures, accrocs qui se manifestent dans la photo; rien de léché ici, mais quelque chose de cru, brutale même. les traces des scotches qui permettent le prélèvement des émulsions colorées, ainsi que leur réapplication, les marques comme le grain ou le piqué du aux trempages successifs dans Histoires Parallèles ou L’irréversible chapitre III d’un roman 3D (1987) sont revendiquées comme essentielles. Sans celles-ci point de film. Elle met ainsi en procès la belle image léchée, tellement pleine de sens qu’elle en a perdue tout intérêt. Elle travaille avec les restes, les débris, les rébus. Proche en cela de Schwitters et des affichistes, Cécile Fontaine manifeste le cinéma dans tous ces aspects, et principalement ceux qui ont été exclus. Son cinéma est hanté par une lecture critique de la « sainte famille »; dans plusieurs films elle travaille à partir de journaux filmés voir Home Movies (1986) ou à partir de séquences tournées par son père: Correspondances(1985), Stories. Séquences qu’elle manipule et met en relation avec d’autres événements qui affirment autant la disparition d’un temps à jamais révolu, que l’illusion de la quête de ce temps mythique. Le cinéma est ce qui permet de dévoiler cette critique sociale à partir de la mythologie quotidienne.
yann beauvais avril 94