yb 150213 (Pt)

Jean-Michel Bouhours in:  yb 150213 40 anos de cinemativismo, edited by Edson Barrus, B³, Recife, 2014 em Português, in English.

 Alors que le présent nous enjoint de rechercher toujours plus grand – de grands espaces, de grands musées pour des œuvres monumentales, l’esprit de contradiction m’enjoint de trouver satisfaction dans le petit. Small is beautifull, pour reprendre une formule célèbre. La contrainte spatiale produit une forme d’ascèse qui me convient. Finalement, le monumental induit la facilité de ne pas choisir, de ne pas hiérarchiser. On parle de catalogue raisonné mais est-ce bien raisonnable de vouloir être exhaustif ?. Alors Vive le small, le tiny, le piccolito, le pequenito. La boite en valise duchampienne aura été, comme beaucoup de gestes chez Duchamp, une proposition visionnaire et programmatique .

 Des choix s’imposent à la valise, où il fut réduire jusqu’au strict minimum du voyageur. Ce principe de réduction chimique d’une sauce jusqu’au fond voire jusqu’à « une réduction à glace », est aussi à la base de l’art culinaire, pour faire monter les saveurs.

 Montrer 40 années de l’activité de yann beauvais qui n’a pas ménagé sa peine tant dans sa propre création qu’en direction de celles et ceux qu’il a soutenu comme programmateur, curateur, critique et historien dans 80 mètres carrés de surfaces d’exposition, demande évidemment des choix drastiques. Toute l’œuvre de yann beauvais n’est évidemment pas présentée ici. Loin s’en faut. yann beauvais de A à Z reste à faire ; nous nous contenterons de y à b, pénultièmes bornes de l’alphabet romain pris à rebours.

 Alors que mon choix s’est porté sur trois films seulement, choisis dans une filmographie qui en compte plusieurs dizaines , ceux-ci me paraissaient pouvoir synthétiser trois constantes de son œuvre : le langage formel mis en œuvre à partir de R (1976), l’activisme qu’il a manifesté auprès de mouvements border line de la société, le cinéma expérimental et la cause des communautés gay et lesbiennes, enfin son rapport au Monde au travers non pas de sa mise en représentation – ce que Debord a pointé comme société du spectacle, mais de son détournement ; le fracas ou la ruine des media dans leur fonction d’aveuglement ou de fascination .

 Commencer par un R. Je n’ai jamais demandé à yann ce que signifiait cette consonne abréviative. Un R, l’ air de quoi au juste? d’une musique du silence de la salle de projection. Les rythmes de l’image produiront à eux seuls une musique intérieure qui sera vraisemblablement dans l’intimité de chaque spectateur. Un aria de Jean-Sébastien Bach dans lequel le violon semble vous déstabiliser dans votre propre corps. Je cherche sur le site de Light Cone la fiche du film et trouve ce texte dont avec surprise, je découvre être l’auteur. « L’image de R est en noir et blanc, cliché d’un jardin dont on pressent un passé oublié mais glorieux, aujourd’hui livré à la seule présence des herbes folles. L’image vibre, décrivant un espace géographique, dont la séquence finale du film livrera une version tronquée mais continue. Ce faisant, le film répond à une construction rythmique visuelle, élaborée sur la base d’une partition qui détermine la présence ou l’absence de l’image (noir), l’ordre de leur succession et leur rythme. yann beauvais a élaboré sa propre écriture visuelle en interprétant une invention à deux voix de Bach. Il se sert de l’échantillonnage d’images comme gamme ; autrement dit, le panoramique visuel devient un clavier composé de touches (clichés) que la partition musicale va commander. L’écart entre les notes dans la partition de Bach (en solfège il s’agit du nombre de degrés entre les notes qui déterminent des intervalles) définit l’écart entre les images: par exemple, une tierce (intervalle musical de 3 degrés) correspondra à une succession d’images décalées d’un angle visuel de 15 degrés, ainsi que le rythme. A partir de ce tronc central inspiré de l’invention, yann beauvais a conçu en amont et en aval des variations libres, telles que l’autorisait la musique baroque dont il s’inspire. R compose grâce à une image syncopée et rythmée un espace décomposé et surréel, faisant surgir une «mémoire», un affect des lieux qu’aucun panoramique fluide et bien «léché» n’eût permis. La vibration, le scintillement exagéré donne à cette image un aspect hypnagogique que renforce un cône blanc de lumière sur le bord latéral de l’image dû à un défaut d’étanchéité fréquent sur les caméras Bolex, et qui avec bonheur fait fonction de rappel de la nature lumineuse de l’image cinématographique et des propriétés spécifiques de diffraction de la lumière.»

 Deke Dusinberre précisait que le lieu, très important dans ce film car il est entouré d’un grand mystère, était celui d’une maison du XVIIIe siècle, devant laquelle avait été exécuté au Grand siècle des œuvres de Bach. Le passé semble partout : dans ce noir et blanc un peu délavé, dans les herbes folles, dans cette maison dont on pressent l’histoire plus prestigieuse que le présent qui semble ne plus se réaliser². Le film est fondé sur la métonymie de la coupure qui est de deux ordres. La coupure lumineuse provoquée par des images noires dans le cours de la séquence, puis la coupure du cône blanc qui entame le rectangle de l’image cinématographique, et destructure son intégrité. La coupure est une affaire de cinéma ; elle est nécessaire pour que l’image reproduise un mouvement de manière parfaitement illusionniste. Elle est liée à toute l’histoire du cinéma, de son invention technique avec la croix de malte qui allait permettre de couper le flux de l’avancement continu de la bande filmique à l’invention du montage qui allait permettre avec une certaine plasticité d’inventé une succession discontinue d’espace-temps cinématographiques. Le cinéma est l’art de la coupe, excellemment. Buñuel et Dali inauguraient leur Œuvre cinématographique par un gros plan d’œil sectionné au scalpel par Buñuel lui-même dans Un chien andalou (1929). Leur cinéma devait crever l’ordre rétinien. Or malgré le déferlement des images dites fortes, violentes, celle-ci garde toute sa capacité d’effroi. L’œil (l’organe voyant) peut supporter tous les massacres possibles, toutes les atrocités que l’être humain est capable de concevoir, moins peut-être le spectacle de son propre massacre1. Car, nous dit Georges Bataille, la relation à l’œil se situe d’emblée entre séduction et horreur, à la source de « réactions aigues et contradictoires »2. La coupe est constitutive de la construction de l’image selon le modèle perspectiviste dans lequel le tableau est « réalisé » dans le plan qui coupe la pyramide du rayon lumineux qui a pour sommet le centre de l’œil.

 Cette pyramide visuelle devint cône de lumière avec Anthony McCall Line Describing A Cone (1973), qui, présenté au dernier Festival EXPRMNTL à Knokke Le Zoute en 1975, fut un choc pour toute une génération de cinéastes dont je faisais moi-même partie ainsi que Yann . La démarche de McCall s’inscrivait dans un extraordinaire mouvement de l’expanded cinema en Angleterre au milieu des années 70, où étaient explorés les dispositifs d’écrans multiples, de projections élargies, de spectacles d’ombres. Le cône deviendra un symbole de ralliement pour les cinéastes qui se rangeront sous la bannière de Light Cone, la structure de diffusion que Yann mit en place à partir de 1982 avec Miles Mc Kane à Paris et qui connut un destin remarquable puisque 30 ans plus tard celle-ci perdure s’amplifie tout en s’adaptant aux contextes économiques et technologiques d’évolution des media d’images en mouvement. Ce cône, accident de l’histoire d’un boitier de caméra ayant un défaut d’étanchéité fait signe dans R. Il est la coupe du ciseau en pleine vue, alors que cette coupe intervient ordinairement entre deux images pour que l’image projetée à l’écran n’en puisse prendre conscience. Cette coupe des ciseaux pour les cartes postales de Sans titre 84, où l’arc de triomphe est découpé et reconstitué en tranches comme un scanner vont amener yb à la métaphore de la fente d’images différentiées et disposées à la manière des volets d’un éventail dans New York Long distance (1994) puis dans Des rives (1998). En double ou triple projection , RR (1976-85), la fente est verticale, le long de laquelle symétriquement chaque image semble s’enrouler ou se déplier à la manière d’un tableau transparents de Carmontelle sur ses enroulements latéraux. Car l’espace « décadré » de R -j’emploi volontairement ce mot à tors sans doute mais il est celui de yann à propos de son œuvre : le cinéma décadré- qui est un espace de l’interstice et du flux discontinu de la matière lumineuse, semble miraculeusement avoir disparu au profit d’une recomposition fictive qui s’apparente parfaitement à l’esthétique des panoramiques. yann reviendra sur les lignes d’images à chacune de ses installations. Que sont ces lignes d’images : un fil, un trait ténu quasi invisible à l’œil nu, mais que la dynamique contradictoire ou dialectique des images rend tangible. C’est ni plus ni moins une frontière où se matérialisent les conflits d’images. Celles-ci ont une capacité forte de simulation spatiale se transformant en arêtes de prismes, donnant tantôt la sensation d’une fuite des images selon un axe soit au contraire d’une progression de l’image en avant du plan de l’écran. Dans le cas de RR ou de Quatr’un (1993) le fait qu’yb utilise la même source image , inversée et donc proposée comme son reflet inversé (effet du miroir) neutralise le choc de la ligne-frontière d’images au profit d’une harmonie des deux voies où l’on retrouve bien évidemment la musique de Bach3. Dans le cas de Quatr’un, la figure de la croix est dominante partageant le cadre de l’espace de projection en quatre rectangles. L’horizontale privilégie la ligne d’horizon et donc la simulation d’une continuité, tandis que la verticale demeure plus abstraite comme la ligne de tension des rythmes des images. L’installation fit l’objet d’une collaboration musicale de Thomas Köner. L’R (2000) que le compositeur conçut est un drone musical doublé d’une sorte de murmure impossible à identifier : ce pourrait être celui de rotatives d’imprimerie dont le cliquetis des rouleaux auraient été assourdis quand on pense avoir repéré une dimension mécanique du son ou le bruit lointain d’une cascade quand celui-ci nous semble d’une fluidité absolue.

 L’apparition du sida dans les années 80 et l’hécatombe qu’il a provoqué dans les milieux gay, a donné de la voix à yb. Celui-ci s’engage avec les mots, avec sa voix. Tu, sempre (2001) radicalise ce recours au langage dénominatif, en utilisant des mots de combats qui envahissent l’espace d’exposition de phrases diffractées sur tous les murs de la salle où la pièce est présentée. La création sonore de Thomas Köner débute par une sorte de bruit de foule qui pourrait être la rumeur d’un stade ou la rumor inferno de Dante :

« Là, pour autant que l’on pouvait entendre,

Il n’était pas de cris, mais rien que des soupirs,

Lesquels faisaient frémir l’air éternel.

Cela faisait du chagrin sans tourment

Qu’éprouvait une foule nombreuse

D’hommes, d’enfants, de femmes de tout âge »

Dante La Divine comédie, L’enfer

 De ce son émergera vers le tiers du film, la voix de yb.

 Luchando réalisé en 2010-11 est un film d’une rare complexité. Il se situe dans une lignée de films commencés avec Spetsai (1989) où le cinéaste cherche un rapport dialectique, l’équivalent du contrepoint en musique, entre des images de voyage dans des moments d’émotion intenses devant le sublime de la nature, ou d’un paysage urbain voire d’une situation et un pendant discursif. Cette dialectique convoquent les deux zones du cerveau : le cerveau vestigial sollicité par le sens de la vue sur un registre de sublimation et le cortex, cerveau cognitif qui mène une réflexion grave, pour ne pas dire dramatique et donc désublimante. Dans le cas de Spetsai, le texte de Guy Debord Commentaire sur la société du spectacle fait fonction de prévarication d’images idylliques tournées sur une ile de la mer Egée. Le bonheur n’est qu’apparent ; le danger écologique représenté par l’industrie nucléaire est certes invisible, donc absent de l’image ; pour autant il est une menace permanente que les intertitres rappellent à la manière de « warnings ». Le texte entrecoupe le flux des images ; sa lecture interrompt à intervalles réguliers le mode visuel : la lecture est une coupe au sein d’un mode de jouissance visuelle.

 Luchando fut lui aussi réalisé à la faveur d’un voyage, à Cuba en 2009. Il est parfois difficile de déceler la part des images personnelles au milieu des images d’archives. Mais en aucun cas, il ne s’agit ici d’un film de voyage. Peut-être en est-il l’antithèse dès lors qu’il pose très lucidement la question des motivations réelles du voyage ? Qu’y a-t-il derrière cette initiative, se demande l’artiste ? est-ce la motivations de sentiments relevant d’un romantisme révolutionnaire de la part d’un ressortissant occidental dont la génération a été pétrie de théories révolutionnaires et marxistes, et qui a rêvé de changer le Monde à la lumière des mouvements de libération tiers-mondistes, guevaristes ou castriste. Un romantisme qui s’émoussa avec la question des droits de l’homme et du sort des prisonniers politiques et que le capitalisme – Lénine avait déclaré : les capitalistes sont capables de nous vendre les cordes pour qu’on les pende- recycla en « produits dérivés ». Etait-ce cette curiosité ? ou était-il lui aussi, yb, un touriste sexuel ? Autant de questions posées sans ménagements ni tabous. La question de la condition des homosexuels à Cuba est le sujet du film, sans que l’on puisse dire qu’elle soit au centre. L’histoire politique, le passé, le glamour de la musique cubaine, tout semble s’enchainer sans discernement  ; la question de la persécution des homosexuels est télescopée par une interview de Fidel Castro, comme s’il était vain de se centrer sur le sujet, parce que, reconnait le cinéaste, la réalité est autrement plus complexe que ce que le touriste potentiel, même informé, peut penser savoir. En toute lucidité, l’auteur prévient que ce voyage participe d’une « expérience de double bind généralisé ». Le fantasme de l’idéal révolutionnaire télescope le fantasme sexuel. Pour autant yb démontre que la situation est plus complexe. Le fantasme révolutionnaire n’est plus électrisé par Fidel qui dans un entretien, tente de démontrer que l’épanouissement personnel de chaque individu est possible dans le contexte de la Révolution. Mais Fidel vieux et entaché de l’exercice du pouvoir sans partage n’a plus cette séduction du héros qui s’opposait à l’impérialisme yankee au tournant des années soixante. Les images d’archives de la période de la baie des cochons et de la crise des fusées viennent nous rappeler cette période bénie où il existait encore une « bonne lutte de classes » entre bonne et mauvaise cause, une lutte entre le faible et le fort. Dans ce contexte, la magie de sa rhétorique savait faire mouche .

 La coupe est toujours à l’œuvre avec des images en flashs surimpressionnées à d’autres images : le flux discontinu est un phénomène d’électrisation de la « séquence souche ». Car dans ce film la figure de style dominante est la surimpression. Celle-ci a été utilisée très souvent au cinéma pour figurer des séquences de rêves chez Luis Buñuel, Germaine Dulac, René Clair ou encore Jean Epstein.. Dans Luchando, la surimpression est là pour rappeler l’impossible univocité de la réalité. Elle figure un dérèglement contemporain des repères de la pensée aggravé ou symbolisé par le dérèglement des sens. Les flots d’images démontrent des pensées parfaitement contradictoires. Le commentaire off d’un film de propagande est mis en pièces par un témoignage contemporain sur un état policier contrôlant chaque citoyen, incluant les touristes qui ne verront du pays que ce que les autorités voudront bien montrer. La surimpression sonore et visuelle a plusieurs fonctions. Tout elle est la métonymie d’un réel manipulé : les manifestations en faveur de Castro où les persécutés doivent applaudir leurs persécuteurs, le tourisme à qui l’on présente une vitrine du pays ou encore le paysage de ruines de La Havane, décrit par un cubain comme un décor destiné à rappeler l’état de guerre du pays contre l’envahisseur impérialiste. La surimpression est aussi le paradigme d’un brouillage par saturation de discours parfaitement contradictoires.. Les couches d’images sous-tendent que la surface de l’image serait à elle seule une apparence trompeuse, une impossible simplicité de lecture. Le principe sédimentaire de l’image ruine l’ambition d’une unicité du réel et donne une représentation du double bind à partir duquel est conçu ce film témoignage.

 Couvre feu (2006). L’historien du cinéma yb a largement contribué à la reconnaisssance du cinéma dit de found footage. Ce genre institué en tant que tel prend son essor après la seconde guerre mondiale, avec des personnalités telles que Bruce Conner, Raphael Montañez Ortiz aux Etats-Unis ou encore Maurice Lemaître et Guy Debord en France. Ce cinéma de montages de plans ou séquences empruntés et recyclés, connut un regain d’intérêt à la fin des années 80 avec Martin Arnold, Christian Marclay, Craig Baldwin, Keith Sanborn ou encore Bill Morrisson. En 2001, avec yann beauvais, nous avions organisé au Centre Pompidou une manifestation avec une publication, intitulée Monter sampler, l’échantillonnage généralisé qui replaçait dans une perspective historique les problématiques très contemporaines de l’échantillon, du recyclage des images et des sons et des questions que ces pratiques posaient dans le champ esthétique, éthique et juridique (droits d’auteur versus copyleft) . Couvre feu qu’il réalise quelques années plus tard, relève de ce champ du found footage, puisque toutes les images sont empruntées aux medias commerciaux : télévision et vraisemblablement des sons de la radio. Les évènements sont ceux qui éclatent dans une des banlieues les plus défavorisées de Paris, Clichy-sous-Bois à l’automne 2006. La mort d’un adolescent de ces quartiers poursuivi par les forces de police, embrase l’ensemble des quartiers péri urbains dits difficiles. Le modèle d’intégration de la société française hérité des principes de la Révolution française, montre au travers de ces évènements ses failles pour ne pas dire sa faillite, que ni les pouvoirs en place ni la société dans son ensemble (intelligentsia confondue) n’ont voulu voir. Ces évènements ne sont pas les premiers, mais en revanche ils prennent une ampleur inégalée dans les faits et dans leur résonnance médiatique. La France apparait aux yeux du monde comme un pays au bord de l’explosion sociale ; elle fut décrite comme telle dans les media américains.

 yb n’a pas fait pas un film de plus sur ces évènements. Il a récolté au sein des media ce qu’il vu et entendu, analyse et reconditionne ces éléments. Le langage du found footage conduit par nature à une forme spécifique de montage, où les principes d’unité (spatiale, temporelle voire du contenu) sont ruinés. L’auteur de film de found footage engage d’une certaine manière le spectateur à se laisser totalement abuser par la manipulation que permet le montage. Cette manipulation qui consiste à créer du continu, du sens, de la logique à des enchainements d’éléments hétérogènes, et que les surréalistes ont expérimenté avec le « cadavre exquis » dès les années 30, a été repéré comme celui du fonctionnement de l’inconscient. Or cette analyse n’est plus opérante aujourd’hui quand nous sommes tout à fait capable de regarder le Clock (2013) de Christian Marclay, comme n’importe quel autre film de fiction. Ce qui était la représentation d’une zone cachée de l’être humain avec les surréalistes, s’est transmuté en une œuvre de spectacle. C’est que la coupe, qui n’est plus au service d’un fil narratif, est elle-même fiction. Les césures entre les plans emprunte à la tradition du « montage des attractions » définis par S.M Eisenstein où le cinéma recherche plutôt le heurt des diverses séquences montées bout à bout que leur fluidité et la continuité narrative.4 Alors que le reportage télévisuel du même évènement aurait « organisé » les paroles contradictoires des protagonistes par un commentaire qui est au pire un commentaire directif sur ce qu’il faut penser, au mieux une zone neutre ou zone médiatrice de positions contradictoires, yb met bout à bout les discours, sans « plans de coupes », les laissent s’affronter au « corps à corps », que ceux-ci proviennent de la guérilla urbaine ou du pouvoir politique. En télescopant ainsi, il procède à une dé- hiérarchisation. La simultanéité des paroles (un clin d’œil au simultanéisme pictural vraisemblablement) rend compte avec une rare évidence du décrochage, pour ne pas dire, de l’inanité d’un pouvoir politique qui après de multiples « politiques de la ville » toutes aussi ratées –il y eut même plusieurs ministères pour cela !- est incapable d’analyse et qui, pour seule réponse, oppose l’ordre républicain et la rhétorique militaire : l’Etat d’urgence et le couvre-feu. La forme du found footage, le montage cut et abrupt constitue une rhétorique idoine pour ruiner la rhétorique militaire. Le rap largement présent dans ce film, joue un rôle primordial en tant qu’expression culturelle. Les rebelles, pour la plupart issus de l’immigration, se sentant privés de tout, réaffirment chaque fois qu’ils « ne sont pas des animaux ». Cette lutte a des causes sociales, politiques, économiques, urbanistiques, mais le sentiment de déni de faire partie de la communauté des hommes domine toutes les autres causes. La musique de rap perçue généralement comme une musique violente, agressive voire catalyseur des instincts les plus bas, démontre au contraire, l’humanité de ceux qui cassent des cabines téléphoniques et incendient des voitures. Avec une certaine perversité, yb « assassine » à coups de mise en boucle de la même séquence, un Président dont l’âge soudain saute aux yeux, coupé de la jeunesse du pays qu’il dirige, et qui ne comprend plus rien. Yb en fait un pitoyable slameur à la rhétorique guerrière et terriblement pauvre sémantiquement. Cette indigence du discours politique tranche avec la richesse des textes de Amiclka e Chocalate  et Dizis la peste. « 

 

 Autour de ces trois films, la boite en valise yb-ienne contient des sons, des documents, des revues, des partitions qui vont rendre compte d’un itinéraire riche, où le faire (son œuvre) s’est totalement imbriqué dans d’autres activités, d’historien, de critique, de programmateur, de curateur ou encore de simple militant. Cette boite en valise peut elle-même être la boite de Pandore donnant accès au tout.

Jean-Michel BOUHOURS

1Voir à ce propos le film d’Andrej Zdravic ????

2Cf Georges Bataille in revue Documents n°4,, Paris, septembre 1929,

3Cf yann beauvais « Manifestement » in Liu Yung Hao Yann Beauvais le cinéma décadré, Centre Pompidou/Afaa, 1999, p 85

4Jacques Aumont/Michel Marie Dictionnaire théorique et critique du cinéma Paris, 2005, p 12