Robert Nelson : Quelques films (Fr)

présentation au Musée d’art Moderne et Contemporain de Strasbourg, 04-04-2007

Ce qui caractérise le cinéma de Robert Nelson c’est avant tout la multiplicité des approches qui jouent des genres cinématographiques. Robert Nelson commence à faire des films en 1963, à San Francisco. L’année 63, est importante dans le champ cinématographique indépendant puisqu’elle marque l’irruption à New York des premiers travaux d’Andy Warhol qui remettent en question le spectacle cinématographique.

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Robert Nelson après des études d’art à l’Art Institut de San Francisco se lie d’amitiés avec différents peintres dont William T. Wiley avec qui il réalise des films. Il fréquente Robert Hudson (sculpteur), et Robert Anerson. Tous feront partie de ce que l’on a désigné comme le mouvement California Funk des années 60. On comprend par là une production d’objets que l’on fait pour soi ou pour des amis elle n’a rien à voir avec une production artistique pour la galerie et le musée. C’est ainsi que Bruce Conner l’une des figures essentielles du collage et de l’assemblage de la côte ouest définie cet art Funk. Il deviendra ensuite l’un des cinéastes les plus influents du cinéma expérimental à travers ses films de found footage. L’art funk de Californie, c’est un art qui fait de bouts de ficelles, qui est informel qui fait appel au hasard et qui travaille l’humour.

Lorsqu’il réalise, (ce que l’on considère comme) son premier film : Plastic Haircut(1963) il est reconnu comme peintre, il a déjà à son actif plusieurs expositions de ses peintures. Ce film est une collaboration entre la troupe de Mime de San Francisco, fondée par Ron Davis, Bill Wiley et Steve Reich. Robert Nelson avait déjà vu quelques films d’avant-garde aussi savait-ce qu’il voulait faire avec ce film. Comme il le dit : « Je tournais plus d’une heure de film, mais cela semblait sans intérêt, car c’était tellement répétitif et long. Pendant des semaines je me débattais avec les rushes, mais quoi que je faisais c’était toujours chiant. Désespéré je commençais à couper de plus en plus dans le matériau ; plus les plans étaient courts mieux c’était, et quand je compris que cela donnait au film toute son énergie, je pris vraiment conscience de ce le montage pouvait bien être. [1] »
A cette même époque Steve Reich avec la troupe de mime de San Francisco est fit des pièces de musique pour des light shows ainsi que pour la pièce Ubu roi, pour lequel William Wiley fit les décors. Il réalise sa première pièce pour bande avec ce film. Pour ce film, il crée un collage sonore à partir d’un 33 tour narrant les grands moments du sport, pour lequel il enregistrait une courte section, arrêtait la bande, mettait l’aiguille du bras à un autre endroit, réenregistrait et ainsi de suite. La progression graduelle qui va de l’intelligible à l’inintelligible anticipe It’s Gonna Rains autant que Come Out.
Ce qui désole encore à ce jour Robert Nelson c’est qu’il ne savait pas comment faire des mixages à cette époque, aussi plaqua-t-il, le son de Steve Reich, sur de l’amorce noire, et non pas sur les images [2].
En 1965 il réalise pour Robert Nelson un canon en cinq parties pour Oh dem Watermelons (1965) [3] qu’il tira du spectacle de rue sur les stéréotypes raciaux de la troupe de mime de Ron Davis dans A Minstrel Show (Civil Rights from the Cracker Barrel). Cette musique est une nouvelle pièce pour trois voix et piano. La musique de Steve Reich est basée sur la fin de la messe de Steven Foster.

Oh Dem Watermelons

Oh dem Watermelons, semble partager l’esthétique des films de poursuites et des comédies du premier cinéma. Bien que Robert Nelson parle d’une influence inconsciente d’Un chien andalou pour ce film, c’est cependant le film à René Clair et Entr’acte autant qu’à certains comédies slapstick qu’on pensera plus qu’aux films de Sidney Peterson (The Cage). Oh dem Watermelons s’attache au stéréotype raciste. L’image du noir s’incarnait à travers la pastèque qui est le fruit qu’ils (les pauvres) dévoraient. Comme le reconnaissait dans les années 90, Robert Nelson lorsqu’il fit ce film dans les années 60, il travaillait sur des stéréotypes du passé, clichés réprimés qui surgissent bien souvent au détour d’une plaisanterie, ou par sous-entendus. « Je peux comprendre que des gens soient furieux avec ce film, mais il est à la limite. On ne peut tire une conclusion à partir de toutes ces images, le film devient ce que vous y projeter. Je n’ai jamais décidé de prendre la parole à mon compte et d’être un porte-parole quant au racisme. Mais il m’a été donner comme une opportunité que j’ai su saisir. » En effet Ron Davis m’a demandé si je pouvais réaliser une pièce d’entracte pour son show, sur les rapports entre les noirs et les blancs, je voulais choquer…
Signalons quelques moments important dans ce film qui est constitué selon un assemblage particulier qui mêle différents types de filmage, qui travaille de manière dynamique l’assemblage. On trouvera plusieurs séquences animées qui évoquent celles du StanVandebeck de Science Friction (1959) autant que celles de Robert Breer duMiracle (1954), dans lesquelles les collages de papiers et photographies sont animés de manière à accentuer l’humour à travers les saccades et à coups des mouvements L’ouverture du film est intéressante à plus d’un titre car après le générique, un plan d’une pastèque sur un terrain de sport est cadré pendant une longue durée, plus d’une minute, et semble retarder le déroulement du film.
La séquence dans laquelle on évide une pastèque de ses viscères partage un esprit surréaliste avec cette autre que l’on trouve dans Prune Flat (1965) de Robert Whitman et dans lequel des fruits et des légumes coupés font apparaître des plumes, des paillettes etc…
The Off-handed Jape (1967) est une autre co-réalisation avec William Wiley.
D’après Robert Nelson, « le film a été réalisé en quelques heures pour l’image autant que pour le son. Il présente une déclinaison d’expressions et de grimaces dans des mises en scènes et démonstrations du jeu d’acteur. » Cette même année il réalise un des grands films psychédéliques de l’époque ; The Grateful Dead (1967) qui est une manipulation des images du groupe, au son de titres de leur premier album. Cette même année il réalise une autre œuvre essentiel : The Great Blondino à partir de la figure de Blandin était un magicien et funambule au 19 siècle et qui traversa les chutes du Niagara en poussant une brouette ?

The Great Blondino

Ce film propose diverses déambulations dans San Francisco. Ce film évoque d’autres déambulation infantile ou presque comme celle que propose Ron Rice dans The Flower Thief (1960) ou même Ken Jacobs et Jack Smith dans leur film commun Star Spangled to Death 1958-60), et même Tarzan and Jane Regained sort of (1963) de Andy Warhol, qui tous mettent des protagonistes au polymorphisme infantile. S’agit-il d’une interprétation des années d’apprentissage d’un jeune Blondin qui à l’instar de Willem Meister voyage pour se découvrir.

Avec Bleu Shut (1970) ( Bull shit ?) Robert Nelson s’éloigne des films antérieurs, il s’inscrit dans un autre registre cinématographique, plus en phase avec le cinéma structurel et dans lequel le passage le temps est l’enjeu. A la différence de The Awful Backlash (1967) enregistrement continu du démêlage du fil d’une canne à pêche, et qui par sa facture : un plan fixe d’une dizaine de minutes, rappelle Fog Line (197 de Larry Gotheim ou Lemon d’Hollis Frampton, Blue Shut s’écarte d’une entreprise méditative au profit du jeu. En effet, ce film plein d’humour met en jeu un quiz pour une part, qui est une parodie à la fois des test à choix multiples que l’on retrouve aussi bien dans l’enseignement que dans les jeux télévisés.
Nous sommes immédiatement renseigné de la durée du film autant que du surgissement de différents évènements dans le cours du film. C’est ainsi qu’une horloge est placée dans le cadre. L’idée de cette horloge est venue à Nelson face à aux difficultés qu il éprouvait face à certains films expérimentaux. Comme il le dit « J’éprouve parfois l’impérieuse nécessité de regarder combien de temps il reste sur la bobine. Quand je succombe à la tentation de regarder en arrière, ce qui reste apparaît toujours énorme. J’ai mis l’horloge à l’écran afin que personne n’est besoin de se retourner. »

Blue shut
Le jeu qui consiste à deviner le nom des photos de bateaux de plaisance fonctionne à la fois comme une critique des jeux télévisés autant qu’il semble se moquer des dispositifs déployés par un nombre important de films du cinéma structurel, qui se prennent un peu trop au sérieux. Les séquences de devinettes sont entrecoupées avec une variété de séquences dans lesquelles le found footage domine. Elles proposent un panorama des styles, qui vont du film amateur porno en passant par des bandes d’actualités de toutes sortes dont le montage apparaît évoque A Movie (1959) de Bruce Conner. De même on remarquera le jeux de synchronisation et désynchronisation en boucle d’une des séquences qui nous montre un chien aboyant. La qualité du film réside dans la conjonction de l’horloge, des voix-off qui tentent de résoudre les énigmes du nom des bateaux, et la participation des spectateurs qui se prennent eux aussi au jeu, et qui appréhendent ainsi la temporalité du film de manière spécifique : la matérialité du film est éprouvée par le processus défini par le jeu.
Le film implique le spectateur selon différents niveaux : : la participation au moyen du jeu, l’anticipation par l’horloge et l’entrain des protagonistes.
Deep Wersturn (1974) semble être à la fois un clin d’œil à Off-Handed Jape , pour le côté accumulation d’actions similaires, mais aussi à Plastic Haircut par rapport à une stratégie de réductions des plans au moment du montage. Il s’agit à nouveau d’une collaboration avec William Wiley.
« Il y avait un collectionneur d’art de la région de San Francisco qui s’appelait Sam West. Il s’intéressait à de jeunes artistes inconnus achetait leurs peintures et sculptures ; il acheta ainsi des peintures de Wiley, Allan et Hendeson, des peintures de Geis et Hudson avant quiconque ne les connaisse ? Ils ont eut de belles carrières depuis, mais le truc de West c’était toujours d’être le premier. Il avait une maison pleine de bonnes pièces qu’il avait acquis pour rien, et il était amis de tous ces artistes. C’était un dentiste qui travaillait énormément, un personnage haut en couleurs. Il aimait les choses étranges, et aimait l’art de la côte Ouest. Parfois il faisait du troc : toute la famille de Wiley avait ainsi obtenu des soins dentaires gratuits pendant je ne sais pour combien d’année.
Et puis un beau jour, soudainement, il se suicida. Cela était dû à une suite de problèmes personnels et de santé. Une fête fut organisée en son honneur, dans l’atelier de Bob. Tout le monde a passé un bon moment, en son honneur.
Une autre chose, un mois plutôt, Henderson s’était procuré du contreplaqué qu’il avait scié en forme de pierres tombales. Il nous dit de réaliser nos propres tombeaux. Ce que nous fîmes tous, nous les utilisâmes dans ce film qui met en scène des chutes plus ou moins orchestrées.
 »
Pour Nelson,il est difficile d‘appréhender ce type de film car on ne soit pas à quelles catégories il appartient. Il s’agit de toute évidence d’un film réalisé entre ami, un film artisanal. Trouver quelques choses d’intéressant dans ces films à quatre-sous est un goût acquis. Vous avez besoin d’un public familier.

La question de la visibilité ou de l’invisibilité de ce cinéma de Robert Nelson qui pendant plusieurs années, choisit de ne pas les montrer ou les distribuer est intéressante à plus d’un égard, c’est vers la fin des années 90 qu’il prend cette décision.
Reconnaissons qu’il s’agit d’une attitude partagée par de nombreux cinéastes, parmi ceux ci on retiendra les expériences de Warhol et Markopoulos ou même Guy Debord pour n’en cîter que quel ques uns.
Mais à la différence de ces artistes, pour lesquels le retrait visé à augmenter la valeur des films, en tout cas leur aura, chez Nelson c’est à la fois la fragilité du support, les couleurs s’estompant qui motive ce choix. En effet comment préserver l’œuvre pour le futur si les éléments qui la constituent commencent à se détériorer au point que les films en deviennent méconnaissables.
De plus, ce retrait, lui permet de réévaluer l’œuvre même. Certains de ses films ne correspondant plus à ses préoccupations actuelles, il les revisitent, en les remontant, les altérant, les modifiant et proposent ainsi de nouvelles versions de ces œuvres comme le fit dans le passé de nombreuses fois Kenneth Anger, qui pour certains titres changeait la bande sonore de ces œuvres alors que pour d’autres il les raccourcit.
Certaines actions sont plus radicales et vont jusqu’à la destruction, le démontage, et la réutilisation de la pellicule afin de les incorporer dans de compositions picturales.

C’ est au début des années 2000 qu’il montrera à nouveaux ses travaux lorsque la Pacific Film Archives et l’Academy Film Archives commenceront à les préserver.


[1] Interview avec Scott MacDonald in A Critical Cinema University of California Press, Berkeley 1988 page 261

[2] idem

[3] Pour de plus amples détails sur les premiers travaux de Steve Reich, voir Minimalism : Origins de Edward Strickland