in note programme Adicinex des 27 et 28 novembre 1980
« On a l’art pour ne pas périr de la vérité ». Nietzsche
« Je me suis transfiguré en zéro des formes et me suis repêché du trou d’eau des détritus de l’Art Académique. Malevitch
Si l’essence de l’art est la manifestation de l’indicible, de l’imperceptible, c’est par le cinéma que Paul Sharits vise cette essentialité. Son œuvre n’est pas seulement une critique de la perception et de l’esthétique, elle atteint dans son implacable épuration des contenus et des formes, ce paradigme, ce mirage du rien que l’art moderne, et pas seulement lui, a repoussé dans ses limites extrêmes. Sharits parle volontiers de l’influence de Malevitch sur son œuvre, il évoque aussi ce fantasme de Flaubert ; une nouvelle sur le rien : la forme du rien ! C’est aussi à Debussy que l’on pensera devant le très beau travail de Sharits sur le son : la musique comme souffle de la vie : ultime manifestation de l’art par le musical.
Considérons deux grands axes de recherche dans l’œuvre de Sharits. T.O.U.C.H.I.N.G,N:O:T:H:I:N:G, Ray Gun Virus, le film est appréhendé ici, comme une succession de photogrammes pulsés dans l’espace et dans le temps par la lumière. Cet axe met en évidence l’intermittence comme constituant majeur du film. Avec les films « flicker » de Sharits est dévoilé le dispositif cinéma. C’est une suite de : on/off/on/off continus, régulable à volonté. Regardant T.O.U.C.H.I.N.G, le spectateur est amené à se poser un ensemble de questions sur les processus de conscientisation. La conscience du spectateur est ancrée dans le temps. S’en apercevoir c’est geler le temps. C’est arrêter le défilement. C’est briser la narration au profit de ses constituants. C’est opérer un ralentissement, un retard du défilement des pensées dans notre conscience. Point nodal du travail qu’effectue Paul Sharits dans et par le film photogrammique.
Dans son deuxième axe de recherche le film est appréhendé cette fois comme se déroulant dans le temps. Ça défile, ça se développe dans le temps. Les films de cette conception (S/S/S/S/S/S, Inferential Current, Analytical Study…) interrogent les possibilités de la temporalité et ses divers modes d’actualisation dans le film. Les différents temps et épaisseurs dans le film se combinent et s’affrontent avec l’éprouvé temporel du spectateur. Seule l’œuvre de Sharits nous offre avec ses complexités temporelles simultanées ce temps unique dont notre émotion est tissée.
Le premier axe de recherche envisage le film comme une suite interrompue de photogrammes. Le deuxième comme un défilement d’une bande de plastique dans le temps ; d’où il résulte une synthèse possible que seront les derniers travaux de Sharits, tels que Epileptic Seizure Comparison, Dream Displacement, Declarative Mode,Episodic Generation. Dans cette synthèse, son travail ne s’épuise pas. Ces films ouvrent un nouveau champ d’investigation qui est encore loin d’être défriché. La simplicité extrême du matériau utilisé induit une complexité des enjeux et des relations qu’entretient le cinéma avec son spectateur, l’art, la métaphysique, le social. Voir à ce propos Epileptic Seizure Comparison où de l’intérieur on est à l’extérieur de la crise épileptique et inversement. Ou dans Declarative Mode, où l’on s’aperçoit que le bord de (de l’écran, de la connaissance, du temps ou de la raison…) est le seul recours possible si l’on veut appréhender quoique ce soit de l’existant. Connaissance par les bords, par les gouffres, par les fuites ; telles seraient quelques-unes des voies possibles d’accès au travail de Sharits. Il va sans dire que l’on ne peut que mutiler son travail en l’appréhendant aussi succinctement par le texte. Il s’agit d’un travail dont on ne peut faire l’économie, et dont l’éprouvé du spectateur est fondamental.
yb
Adicinex Paris
étaient présentés le 27 novembre
Declarative Mode 1976-77 40’ double écran
Episodic Generation 1976 30’
et le 28 novembre
T.O.U.C.H.I.N.G, 1968 12’
Inferential Current 1971 8’
Tails 1976 3’
Epileptic Seizure Comparizson 1976 35’