Cinéma pour penser (Fr)

13° Festival Internacional de curtas de Belo Horizonte Outubro 2011

em Português no catalogo do 13° Festival Internacional de Curtas de Belo Horizonte  2011

Les films qui composent ces programmes permettent de traverser différentes époques du cinéma expérimental et nous font réfléchir sur les potentialités que déploie le cinéma à travers ses usages. L’ensemble des films ne reflète pas tant une actualité que quelques moments privilégiés dans cette pratique. Chaque programme propose ainsi une dérive particulière. Plongé dans l’espace autobiographique et personnel qu’il s’agit de produire des récits ou tenir un journal d’observations des comportements du quotidien selon une diversité d’approches qui est le signe de l’extraordinaire richesse que l’on trouve dans l’histoire et dans les usages contemporains du film. Analyser les fonctionnements du dispositif et dévoiler les enjeux de pouvoirs des médias liés à la production de certains types de représentation. Plongée dans la matière cinématographique en façonnant de nouvelles modalités et territoires du voir.

Si le journal filmé a tenu un grand rôle dans la constitution d’un cinéma personnel en l’élevant à la forme d’un art, il a rendu possible d’aborder la production autobiographique selon des trames narratives ouvertes et pour lesquels le principe de la continuité linéaire est remis en question.Jonas Mekas a bien sûr ouvert la voie en tissant les temporalités, bien que précédé par Marie Menken, Stan Brakhage qui avaient fait du carnet de notes et de l’esquisse des chemins dans l’élaboration d’une (auto)biographie virtuelle. De même, Hollis Frampton à travers des f(r)ictions, proches de celles, défendues par l’Oulipo , a développé des récits autobiographiques singulièrement codés, qui répondaient à des principes de contraintes et, qui n’ont rien à envier à la programmation informatique. De tels principes définissent les conditions mêmes de l’expérience et font de la projection un processus de conscientisation.

Le premier programme s’articule autour du journal intime autant que du projet autobiographique. La dimension queer est ouvertement revendiquée. L’élaboration d‘une identité passe par la reconnaissance et le partage de différents codes sociaux, politiques, esthétiques. Ainsi la dimension camp surgit au détour du recyclage de séquences de soap des années 50-60 chez Su Friedrich, ou d’extraits de comédies musicales de la même époque chez Matthias Müller. Tout semble opposer les deux films, l’un répond à l’élaboration sophistiquée d’un alphabet inversé à partir duquel des récits nous content l’histoire familiale complexe d’une jeune fille, alors que l’autre film rend compte du travail du deuil et de la renaissance après la mort de l’ami. Dans les deux cas, un récit se constitue bien que, Aus der Ferne The Memo Book ne recourt que très brièvement à la parole et aux mots écrits (des pages de journaux ouvrent et ferment le film) ; il s’agit d’un film dans lequel on ausculte le passé autant que l’expérience qu’on en garde. De son côté Sink or Swim ne saurait s’envisager sans mot, sans texte ; à cet égard l’écriture de la lettre au père sur un lied de Schubert est centrale en ce sens qu’elle condense plusieurs sources mnésiques. L’expérience de chaque cinéaste se manifeste dans la forme qu’il/elle privilégie, le film en est la manifestation réflexive.
La restitution d’une histoire, d’un sujet se fait au travers de la manifestation d’une identité, fragilisée par différents événements dont le film rend compte plus ou moins explicitement. Aus der Ferne illustre cette fragilité en recourant à des images super 8 rayées, froissées, littéralement maltraitées desquelles, émergent parfois, en surface, des corps alors que Sink or Swim déploie un raffinement de nuances et de sensualité en se limitant au seul noir et blanc.

Le second programme travaille deux aspects de la production de la réalité au cinéma. Dans l’un la capture de la réalité répond à une patiente sélection d’un sujet, d’un évènement et de son enregistrement, qu’elle procède d’une seule prise comme c’est le cas avec La vache qui rumine de Georges Rey ou d’une accumulation de courtes séquences avec Formigas Urbanas d’Edson Barrus qui s’apparente à une collection. Dans ces deux films, l’observation constitue l’expérience du tournage et de son visionnement. La dimension ludique n’est pas absente du film de Georges Rey ou dans la danse de singui des coquelicots dans le film de Rose Lowder. L’observation minutieuse des comportements des fleurs, d’une vache, d’être humains portant leurs fardeaux, confère aux films leurs formes. Alors que l’autre versant du programme va souligner la production d’une réalité au moyen du cinéma. L’analyse du dispositif et de ses constituants, déclenche chaque proposition. Le clignotement, la boucle et la répétition au cœur de T.O.U.C.H.I.N.G ou Spacy, alors que la reprise en surimpression légèrement différée des séquences va faire de Water Pulu une médiation cosmique. Les trois films répondent à des contraintes particulières ; un mandala pour le film de Paul Sharits qui travaille sur le clignotement et la répétition d’un mot, une suite de mouvements rectilignes, circulaires et paraboliques, avec Takashi Ito ; alors que la structure du film de Ladislav Galeta excède la partie de water-polo. Chicago de Jurgen Reble propose et dispose de ces deux aspects en nous plongeant dans la poussière de l’image d’un déplacement dans le métro aérien de Chicago. La poussière de films générée par les attaques chimiques du ruban génère le son de Thomas Köner.

Le troisième programme s’intéresse aux relations avec le langage, l’histoire et la politique. Trois films travaillent à partir de found footage et interrogent la représentation de l’histoire autant des pouvoirs, domestiques, militaires, machistes… Avec Secondary Currents Peter Rose interroge les relations entre le langage et l‘esprit et nous plonge dans un monde de non-sens, dans lequel le réseau de relation entre commentaire et sous titre remet en cause le diktat de l’un vis-à-vis de l’autre. Le film envisage de manière critique et ludique les pouvoirs du mot et leurs modes de productions signifiantes. La critique des images et la production de sens sont interrogées en soulignant l’importance du rapport à l’histoire qui nous façonne et son incidence sur nos comportements, ainsi Abigail Child, dans Covert Action, déconstruit une série de films de vacances en dévoilant « l’érotisme par-delà le social » aux moyens de permutations et de variations de boucles visuelles et sonores. Une stratégie similaire est à l’œuvre dans Displaced Person de Daniel Eisenberg, qui à partir de courtes boucles d’un film de Marcel Ophuls travaille l’incompréhensible horreur de la réalité hitlérienne en l’articulant à deux régimes sonores distincts, un quatuor de Beethoven et une conférence de Lévi-Strauss . Valie EXPORT dans … Remote … Remote, de son côté met en rapport une performance en manifestant la violence subie à celle, intériorisée dont on ne voit pas toujours les manifestations externes. Operation Double Trouble se saisit d’un film de propagande de l’armée américaine, prônant les bienfaits du néocolonialisme par ses interventions dites humanitaires. Keith Sanborn déconstruit ce discours en faisant bégayer l’histoire, répétant, chaque plan du film, deux fois. Chieh-Jen Chen dans Lingchi – Echoes of a Historical Photograph, re-visite l’histoire de la représentation du chinois comme barbare et de ses usages par les occidentaux à partir de photographies faites aux débuts du XXe siècle. La déconstruction du regard de l’occidental s’effectue au moyen du sourire du supplicié, qui interroge les projections que l’occident impose aux autres. La déconstruction de la production du sens au cinéma se révèle un outil important dans le façonnage des nouveaux médias à travers l’outil de la programmation .

Le cinéma ausculté c’est ainsi que ce quatrième programme s’appréhende qui recycle des images de toutes provenances, de toutes époques et genres, et ce, quelque soit le support. Du 9,5mm avec sa perforation centrale, ancêtre du 16mm, dans L’operatore perforato joyeusement malmené par Paolo Gioli, en passant par des réductions super 8 de pornos gays, perforé par Luther Price dans Sodom, ou de porno hétéro abîmé, aux couleurs en décomposées dans The Color of Love de Peggy Ahwesh, jusqu’au 35mm scope décoloré par l’habile sorcier Peter Tscherkassky dans Instructions for A Light and Sound Machine. De nombreux usages du cinéma sont examinés, de la publicité en passant par des grands spectacles hollywoodiens (Hoolboom) ou un western italien (Tscherkassky), des films d’amateurs (Gioli), des incunables (Legrice, Hoolboom), des films pornographiques (Ahwesh, Price). Le recyclage et le bouclage sont alors des principes moteurs de la production que les transformations progressives dans Berlin Horse de Malcolm LeGrice les violentes altérations graphiques ou les montages abruptes subvertissent autant qu’elles manifestent des esthétiques et proposent des réflexions sur le cinéma, que le film de Mike Hoolboom : Imitations of Life exemplifie. Il s’agit d’une réflexion sur le cinéma au moyen des films de quelque nature que ce soient qui nous ont façonnés et qui nous ont fait croire à la possibilité d’autres mondes… mais dans ce monde que le cinéma de science fiction nous a promis le cinéma aura-t-il encore sa place ?