Depuis 2008 Edson Barrus a lancé sur YouTube, une plateforme qui se nomme :Manifestons !
Le titre, quasiment un mot d’ordre réunit une collection de vidéos qui présente un ensemble de manifestations dans différentes villes du monde. Villes dans lequel l’artiste vit ou a vécu au fil des ans ou traverse à l’occasion de ses déplacements.
La particularité du projet est de se focaliser sur la manifestation comme acte revendicatif ou symbolique qui se déroule sur la voix publique. La plateforme a été pensée alors qu’Edson Barrus vivait en France, à Paris et qu’il remarquait qu’il existait dans ce pays une tradition de la manifestation. Le principe démocratique s’exprime à travers une culture de la revendication qui prend fait et cause dans la rue. Si les causes des manifestations sont distinctes, les formes qu’elles prennent sont sensiblement les mêmes , le défilés à travers les rues d’une ville ou l’occupation d’un espace publique défini, plus ou moins restreint.
La manifestation rend visible et audible non seulement une revendication sociale et ou politique mais elle peut aussi être un appel à une vigilance quant à une loi, une politique qui pourrait se mettre en place, ou qui va être voter. Elle peut inscrire une volonté du peuple qui s’oppose aux dirigeants, aux décideurs. La manifestation est cet acte dans lequel le peuple prend possession de la rue afin de faire entendre sa voix. Selon la culture des pays elle revêt des formes et des modalités particulières. La manifestation est une mise en scène de la réprobation, du refus, elle est un acte militant et pour toutes ces raisons elle est multiple, plurielle, indéfinie.
Lorsque Edson Barrus met en place cette plateforme, il le fait à partir d’une constatation qui consiste à montrer cette culture des formes de prises de paroles publiques dans l’acte de défilé qui veut que le peuple ou un groupe prend possession ou en s’approprie l’espace publique qu’il s’agisse d’une place, d’un parc, d’un bâtiment ou des rues. La manifestation s’inscrit comme un acte d’un groupe, d’une communauté, d’un peuple en regard de la préservation ou revendication d’un droit.
Manifestons !
Tel un mot d’ordre la plateforme se fait l’écho de toutes les revendications s’exprimant au fil des ans et des lieux. Si l’on peut, en surfant sur la chaine, découvrir des catégories revendicatives et des manifestations qui se répètent au fils des ans : la parade gay, à Paris, São Paulo, Recife, San Francisco, les revendications pour les sans papiers, la lutte contre le racisme et le néo colonialisme, on peut aussi y découvrir l’ écho de moments historiques bien précis : l’appel aux boycott des jeux olympiques de Beijing en 2008, suite à la répression chinoise en regard du peuple Tibétains (Libérez le Tibet et les JO / Pékin 2008),
la demande de libération de Sakineh (Sauvons Sakineh en 2011, Ato pela Libertade de Julian Assange, a informação quer ser libre 2011) ; les demandes du peuple Kurdes,Kurdes : nous condamnons les attaques contre notre leader Ocalan 2010, Kurdes en grève de la faim 2010, Résistons 2008, la signature d’une pétition contre la venue de la reine en Irlande (NO to British Queen’s visit 2011), les manifestations célébrant le printemps arabe (Vive la Tunisie, Vive la révolution tunisienne, Égypte Libre et bientôt l’Algérie 2011), ou d’autre appelant à la sortie du Sénat de José Sarney en (Fora Sarney2009.
Manifestons !
Tel un slogan la plateforme est à la fois commune, mais aussi personnelle. En effet la plateforme rend compte de différentes manifestations auxquels l’artiste, ou d’autre ont participé en filmant les participants et leurs revendications mais la plateforme reflète une subjectivité qui se dévoile à travers le choix de filmer et de rendre publiques les différentes manifestations auxquels il a participé.
Manifestons ! est donc à la fois une collection de séquences qui sont à la disposition de qui veut, on peut en effet s’approprier ces images, mais c’est aussi l’expression d’un artiste qui rend publique des images de telle ou telle manifestation. Le choix des manifestations, la manière de filmer ces défilés et ces revendications sont importantes. Une cartographie des luttes se dessinent au fil des ans. La répétition et l’accumulation de manifestations sur les mêmes thèmes de solidarités sociales ou des droits à la différence sont constants et font état d’un monde. Constat des politiques économiques néolibérales globales, des manifestant en Espagne, en France réclame plus de justice sociale. Manifestons ! Ne se plie pas aux simples revendications sociales mais se déploie dans la sphère des questions du droit des peuples préconisant l’arrêt des massacres en Turquie, en Syrie, en Égypte…ou bien la question du respect des droits des individus sont prépondérants. L’expression d’une revendication, l’affirmation d’un droit à la différence est essentiel : journée international des femmes, luttes contre le racisme, contre la transphobie, journée internationale du Sida, manifestations des Sem Terra dans différentes villes du Brésil, mais aussi le respect des liberté s’exerce dans des revendications contre la régulation de l’accès à internet en France contre les projets de lois répressifs (Contre la loi Lopsi 2011), ou bien encore les manifestants qui s’élèvent contre la limitations du droits des artistes de rue à exercer leurs talents dans les rues de São Paulo (Artista na rua é Legal 2011, ou Manifestação contra a probição de Artistas na Avenida Paulista 2011).
Des revendications plus ponctuelles, ou sectorielles se déploient dans de courtes séquences qui apparaissent à travers le flot des bandes : Chez Georges montre un appel à soutenir les travailleurs sans papiers du restaurant étoilé du Centre Pompidou. Cette courte bande fait écho à des revendications précises et montre comment les patrons tirent profit des sans papiers, et ceci dans le territoire ouaté d’une institution d’art parisienne, grève des professeurs à São Paulo (Greve dos Professores de São Paulo2008), ou la revendication pour un laïque et enseignement démocratique à Istanbul (Laik Bilimsel Democratik Kamusal Egitim 2009).
La manifestation est aussi célébration et démonstration de force : Célébration de la victoire de Dilma Roussef (Dilma Lá ! Comemoração da Vitória de Dilma na Avenida Paulista 2010), Gay Pride à travers le monde, célébration une année du Printemps arabe, aussi bien que la revendication pour une consommation dépénalisée de la marijuana. Les usages de la manifestation sont multiples. L’enregistrement peut déclencher quasiment une manifestation de soutient et d’appuis par sa mise en circulation publique ; telle cet enregistrement d’une conversation entre l’artiste et le fournisseur de réseaux brésiliens : NET (NET Central de Relacionamento : 4044-7777en 2007). Le respect d’un droit privé est mis en ligne comme si il s’agissait d’une manifestation publique. La mise en ligne publique permet de faire pression et de réunir d’autres personnes qui subissent au quotidien le diktat des compagnies de télécommunications à travers le monde. La plateforme est alors activer comme une manifestations.
La polyvalence de l’usage de la manifestations se trouve ainsi mis en place à travers des mises en ligne de revendications privées partagées par de nombreux autres usagers. Ici il s’agit de mettre en place des moyens de pressions et de faire de la plateforme un espace publique dans lequel se fait entendre une revendication un appel. C’est ainsi que les manifestations pour le mariage pour tous articule le privé au publique en devenanttt une revendication égalitaires (Mariage pour tous/ casamento para todos / Mariage for everyone 2013)
En parcourant la chaine d’Edson Barrus on s’aperçoit qu’en fonction du thème de la manifestations, les publics qui y accèdent sont différents. Avec Le soutien aux inculpés de Tarnac et à Julien Coupat (2009) on est en présence d’un public distinct de celui qui appuie les revendications des féministes radicales (Féminismes Partout 2009,Féminismes Islamophobes 2011..), ou bien même des Sans Terre (MST Protesto na Paulista 2010). Ce que met en place la chaine c’est le croisementttt des publics, la diversité des subjectivités mais aussi la multiplicité et diversité des revendications que l’on pense aux demandes de piste cyclables à Paris (La Vélorution Masse critique de Paris 2011, l’occupation d’espaces promis à la gentrification à Recife (Ocupe Estileta2012).
Les demandes de liberté, la nécessite à revendiquer et à réclamer les libertés d’un peuple (Palestine libre 2008, Sapatada na ocupação de Gaza por Israel 2009, Tibet Libre 2008, A quand l’Algérie Libre 2011 , Libre Égypte 2012, ou de prisonniers politiques (Liberté pour les 5 cubains prisonniers politiques des Etats Unis 2010,Libération des prisonniers politiques d’Anatolie 2011, Démocratie en Iran 2010, Ato contra a occupação do Gaza 2009) ou à lutter contre l’homophobie (Beijação contra a homofobia no Recife 2012) , contre le racisme (Contre le racisme et la xénophobie, Contre la xénophobie et la politique du pilori 2011), contre les lois sur la prostitution (Racolage passif = répression active 2011), contre l’homophobie, (Parada Gay São Paulo homofobia é crime 2009)..09). La manifestation et sa représentation font états des luttes en cours à Paris (Sans papiers à la Bastille 2011), São Paulo et dans toutes les autres villes parcourus depuis cinq, six ans (Lybia : Protest Against Quaddafi’s Regime in Dublin 2011) ainsi le soutien à des peuples laissés pour compte (Solidarité avec l’Outre mer : Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion 2009). Manifestons dresse ainsi une carte subjective de manifestions et revendications qui éclatent aux quatre coins du monde, ainsi à Barcelone au détour d’une avenue une manifestation d’hommes revendiquant l’égalité de la garde des enfants Custòdia Compartida ! papá=mamá2009, lors d’une visite à la biennale de Venise, la rencontre d’une manifestation s’opposant à la tenue de la prochaine biennale de Moscou BOYCOTT BIENALE IN MOSCOW : STOP Criminal Prosecution of Russian Art in Moscow 2009. Celles ci peuvent être connues par avance et alors Edson Barrus va sur les traces de la manifestations ou bien il surprend une manifestation dans une ville, manifestation dont il ignorait l’existence jusqu’au moment de l’improbable rencontre en acte ou dans ces traces laissés par un défilé contestataire (Vitrines cassées à Zurich 2010).
Le projet est en cours depuis 2008 et se renouvelle de plusieurs manières : d’un côté l’ajout de nouveaux films, et de l’autre les commentaires que certaines vidéos suscitent depuis leur intégration au site. Ainsi la très courte séquence de 49 secondes NO to British Queen’s visit déclenche plus d’une centaine de commentaires.
Le film joue le rôle de déclencheur et ainsi reprend d’une certaine manière l’activisme mis en place par la poignée de manifestant qui recueillaient des signatures contre la venue de la reine anglaise sur des terres trop longtemps colonisées par son royaume. La démarche d’Edson Barrus répond à une urgence, en effet lorsqu’il filme une manifestation avec son téléphone portable, il va épuiser les ressources du téléphone et se précipiter pour mettre en ligne le plus rapidement possible les films afin que la représentation de la manifestation soit en prise réelle avec la manifestation en cours, ainsi s’élabore un échange entre le déjà enregistrer, mis-en-ligne et ce qui va être enregistrer ; des effets de mémoires se constituent, des rappels de tels ou tels manifestants se retrouvent d’une séquence à l’autre dans les séries d’une manifestation. D’autres fois le filmage capte un moment particulier dans une manifestation, comme par exemple le surgissement d’Occupy dans la gay pride de San Francisco : Occupy SF, Gay Pride San Francisco : Occupride 2012 .
Dans la manière de filmer on retrouve un ensemble de traits caractéristiques des films d’Edson Barrus. Les plans rapprochés de manifestants font surgir un détail qui se fond, dans la foulée au cortège et reprend la dynamique de la marche. Les plans séquences privilégient les flux et les mouvements des foules en accompagnant ou remontant le sens du défilement. La maniabilité du portable favorise la diversité des plans, on se souvient des plans sous le drapeau palestinien dans Palestine Libre, ou bien dans quelques parades gay (Parada da diversidade de Recife Pernambuco 2012. D’autres fois, c’est en contournant un groupe, qui danse, chante ou porte une banderole que se met en place un rapport entre le filmeur et les manifestants. Cette proximité avec les sujets filmés se retrouve dans l’enregistrement de séquence montrant une action particulière le stencil de textes sur les trottoirs dans Paris : Féminismes Partout ! de 2009.
La caméra est proche des corps, elle fait corps avec les manifestants et n’est pas voyeuse, elle traverse les cortèges afin d’en sentir la dynamique, jusqu’à ces fins de cortège ou les traces de la manifestations se voient à travers sur les chaussées avant que les nettoyeurs en balayent toute trace, pour n’en laissé qu’un souvenir ou une séquence (Gay Pride Paris 2010, la marche des fiertés, Cendrillon s’éclipse). Même si la manifestation se donne comme spectacle (voir Manifestation contre la réforme des retraites 16 octobre 2010) il ne s’agit de la filmer comme si il s’agissait d’un spectacle. Les film se déploient en fonction du rythme des manifestants, au son de leurs cris ou des slogans entonner. Les films témoignent ainsi des musiques et de leurs détournements au profit de mot d’ordre jusqu’à la saturation extrême des chars des parades gays.