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VO/ID

VO/ID juxtapose deux textes distincts, l’un en français l’autre en anglais. Les textes interrogent l’art et le cinéma expérimental, le rôle du marché dans le façonnage de critères esthétiques, et la politique actuelle… Dans chacun des textes des mots usuels de l’autre langue surgissent créant une indétermination du mot à tel ou tel discours. Cette indétermination s’accroît par les nombreux jeux de mots créés entre les deux langues. Ce qui entraîne une lecture double: verticale et horizontale favorisée par le mot à mot. La durée d’exposition de chaque mot dépend de la rythmique de chaque langue, mais leur apparition en blanc ou en noir n’y est pas soumise. Face à ces textes, deux sons interviennent et perturbent autrement la concentration requise par les textes projetés. La lecture horizontale des deux discours est souvent en contradiction manifeste avec le signifié de ces derniers. Ce troisième discours visuel est ludique, cassant, se moquant du sérieux du/des discours.

Son : Gilles Deleuze lisant un texte de Friedrich Nietzsche sur une musique de Richard Pinhas et Mick Jagger, Cock Sucker Blues

Œuvre appartenant aux Archives du film expérimental (Avignon), au Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou) et à l’Art Gallery of Ontario (Toronto).

 

VO/ID places side by side two distinct texts, one in French, the other one in English. Both texts deal with art and politics, with politics of art and its market. The field occupied within the art world by experimental film and their makers is investigated. Two distinctive soundtracks (sexuality on one side, philosophy on the other) distract the viewer from his understanding of the written word.
Between the two visual texts, bilingual puns are produced, inducing a third text (language). this new text authorizes a horizontal reading of the film which contradicts the flow offered by the two screens. Word after word the third text makes fun of, a mocking parody of, the seriousness of the Discourse.

Sound : Gilles Deleuze reading a text by Friedrich Nietzsche on a music by Richard Pinhas and Mick Jagger, Cock Sucker Blues

Film belonging to the Archives du film expérimental (Avignon), to the Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou) and to the Art Gallery of Ontario (Torontovoid 001

Comme un air, ou le cinéma d’Anna Thew (Fr)

Comme un air, ou le cinéma d’Anna Thew

Envisager la pratique cinématographique d’Anna Thew c’est faire état d’une pratique plurielle. C’est à la fin des années 70 qu’elle investit ce médium à partir d’installations et de performances. A cette époque, le cinéma expérimental britannique est dominé par l’école structurelle matérialiste qui interroge la spécificité du médium et surtout de sa matérialité, que le travail du film en tant que film découle. Cette appréhension du fait que le sens du film dépend de la matérialité plus que des formes de représentations illusionnistes. Ce cinéma pour de nouvelles générations de cinéastes se comprenait comme ascète, formel mais surtout il proposait une approche qui se situait dans la lignée moderniste et était avant tout une affaire d’homme. Ce qui ne veut pas dire que des femmes en étaient exclues loin s’en faut. Mais le réductionnisme des propositions, autant que, l’esthétique déployée affiliait cet usage du cinéma à ce groupe dominant.

Le travail sur, autour de la narration, le travail sur des formes plus linéaires, qui recourraient à l’expressivité, était relativement banni de ce champ. Cependant, c’est des le milieu des années 70, que le féminisme[1] remet en théoriquement en question ce regard et cet usage du cinéma, et favorise en contrepoint  un retour à des formes plus éclatées, propices à d’autres sensibilités et différences.

C’est à cette même époque, que la dame de fer prend le pouvoir en Angleterre et transforme de manière radicale le champ social et politique, qui déclenchent dans le champ des arts et de la culture des contre-feux, des activismes. C’est à partir de contexte qu’il faut appréhender le travail d’Anna Thew.

Plusieurs fils nous permettent d’entrer dans l’univers de la cinéaste, parmi ceux ci on retrouve une affirmation partagée par plusieurs cinéastes de sa génération à savoir l’usage du super 8, c’est à dire un petit format, sans qualité, commun et partagé. Un format qui s’écarte des formats plus installés dans l’industrie autant que dans le cinéma expérimental des années 70. Elle ne se limite pas à ce format, mais celui–ci, est l’outil qui favorise les captures journalières autant que pour la préparation d’étude singulière, qui se déploieront sous la forme de multi-écrans. Le super 8 permet de « collecter des images pour les journaux mais seulement, il peut servir avant tout à la collecte, il permet de regarder de la même manière que le permet le dessin et la peinture, mais à la différence que cela se meut»

« Super 8 lends itself to collecting, diary images, but sometimes it is not diary but gathering, looking, in the same way as though you drew or painted things only this is moving ».

Utiliser ce format c’est affirmer incidemment un aspect pictural du format, les couleurs du kodachrome, le grain mais aussi la maniabilité. Le recours à ce format entraîne chez la cinéaste comme chez bien d’autres (Téo Hernandez, Derek Jarman, Cordelia Swann, pour n’en citer que quelques uns) une affirmation du corps par ses gestes. La capture rapide, les changements de rythme, la pulsation des syncopes se retrouvent dans plusieurs films Shadow Film (1983), Ramblas Idiomas (1987), Tivoli Films (1988), Train Desden Berlin (1994). Remarquons que ces super 8, seront recycler pour devenir d’autres films, mais à la différence de nombres de cinéastes on ne découvrira ces films sources que plus tard, alors que les travaux secondaires dont ils procèdent ont été vue antérieurement.

Cette manière de filmer qui n’en privilégie pas une plus qu’une autre qui affirme les filés, les passages images par images comme les pauses démontrent une grande liberté vis-à-vis de l’outil et inscrit pour la cinéaste la nécessité de saisir de l’instrument à des fins expressives. Étrangement, dans ces films, la cinéaste partage avec Marie Menken cette manière de saisir en guirlandes de photogrammes la beauté évanescente d’un jardin au fil du jour et des saisons (Morning Garden Blackbird 1984), tout comme elle se ressaisit de l’univers du jardin de Tivoli, en un hommage à Kenneth Anger, mais ici ce sont les plans qu’elle fait des fontaines et jardins qui évoquent le film. Ce n’est pas le paysage même, mais sa représentation qui est l’objet privilégié.  Ainsi dans Morning Garden Blackbird, le double écran oppose fréquemment les saisons l’une au-dessus de l’autre autant que les plans d’arbres en fleurs de l’écran supérieur alors que l’écran inférieur nous montre le même jardin selon d’autres angles l’hiver ou à une autre saison. La juxtaposition verticale de deux écrans renvoie non seulement à une fenêtre donnant sur un jardin, mais aussi au format d’une peinture. Elle se distingue des multiples horizontaux que la cinéaste utilise pour Broken Pieces for the co-op (2001), ou Train Pieces, et qui travaillent plus sur les déphasages, la séparation et la jonction afin de constituer ponctuellement une apparente image unique.  Dans Morning Garden Blackbird la représentation doublée qui ne produit jamais une seule image,  l’image défie sans cesse l’unicité, au profit d’une instabilité construite par emboîtements successifs, que le son des oiseaux et du trafic et les cris lointains empêchent de s’effondrer. Le son pose alors l’image dépassant la seule illustration par son intensité.

Cette capacité à faire surgir de nouvelles associations, d’autres scènes à partir de quelques plans ou de quelques voix, semble relever d’un art du collage, qui ne privilégierait pas le rapport matériel entre les choses selon des critères de ressemblance ou d’analogies mais leurs juxtapositions selon des principes qui relèvent plus de la collision et de la collusion, proche en ce sens du cadavre exquis. Ces associations fonctionnent à la manière de ponts entre des rives distinctes du cinéma.

C’est dans ce sens que l’on doit comprendre le jeu avec les langues qui hantent le cinéma d’Anna Thew. Le langage habite le film comme le fait la peinture, mais si la peinture se retrouve dans des effets visuels qui sont en relation avec la surimpression de couches d’éléments divers ( voir LFMC Demolition 2000 ou Broken Pieces) on la retrouve aussi dans des mises en scènes de séquences dans les films plus narratifs , dans leur théâtralisation quand bien même celle ci fonctionne selon des principes brechtiens comme avec Hilda was a Goodlooker 1986,  Eros Erosion 1990, Cling Film 1993).

Le langage sous toutes ces formes est envisagé comme un élément essentiel du cinéma d’Anna Thew qu’il se présente sous la forme de son ou comme signe graphique. Le mot et la langue – mais on devrait parler de langues- contaminent tous les éléments du film. Mais si la langue envahit l’espace du film, elle le fait de manière singulière. Nous ne sommes jamais en présence d’une voix qui emplirait et donnerait à l’image son sens. Rares sont les moments ou une voix domine, hormis avec les interviews de Steve ou la voix de la mère dans Hilda. La voix est toujours plurielle et fonctionne selon une polyphonie classique telle celles des fugues de Jean Sébastien Bach. La voix-off désincarnée, n’est pas le son synchrone du corps que l’on voit, elle est là pour se donner à entendre. Avec Hilda, l’expérience du film, privilégie l’écoute, comme le fait à sa manière Su Friedrich, dans Sink or Swim à travers les récits d’une enfance.   La délivrance fragmentée des récits favorise l’écoute, les images du film sont alors des fragments supplémentaires qui viennent souligner, infirmer ou abonder dans le sens de la voix. Le recours à la théâtralisation des scènes pour illustrant des souvenirs ne souligne pas seulement la distance dans la reconstitution proposée,de plus  elles sont souvent à contretemps. La vision d’un jeune homme en marin n’est pas synchrone avec l’évocation du souvenir lui correspondant. Ce jeu avec les écarts nourrit le film. Ces écarts de la voix et du texte, entre l’énoncé et son référent permettent de faire surgir une sensualité, parfois une volupté que le simple souvenir oral ne faisait qu’indiquer.  Cette distance entre les différents textes, ou entre le mot et sa graphie ou la tonalité de sa profération nous fait goûter aux dissonances et indique un rapport possible avec le multi écran.

Le travail du son se distingue chez Anna Thew par la multiplicité des langues parlées, chantées, écrites. Cette multiplicité met en évidence la singularité de chacune de ces langues, leur scansion, leur dynamique et poétique. Cette rencontre des langues, dans le corps du film, qu’ils s’agissent de l’italien, de l’allemand ou du français interroge du même coup l’insularité de la langue dominante : l’anglais devient une langue parmi d’autres. La cinéaste se dit à travers cette polyphonie, la version originale est par conséquent plurielle, à la manière des musiques et les films à partir desquels elle composent ses œuvres. Chaque film se nourrit des lieux, des villes que la cinéaste parcourt, des souvenirs, des hommes, de ses désirs qu’elle enregistre de manière distincte et qu’elle assemble en des mosaïques qui n’abolissent pas les raccords, rajouts, ou éraflures. Il faut comprendre le film comme un corps, et par conséquent l’entendre comme malléable, se transformant incessamment. Ce renouvellement constant se dévoile dans les films d’Anna Thew dans le recyclage de séquence d’un film à l’autre. Cet usage travaille la notion de motifs autant qu’elle est un élément rythmique qui permet d’envisager ses films comme des poèmes cinématographiques qui à partir d’une expérience individuelle et s’échappent pour s’ouvrir à d’autres chants. En ce sens son travail partage avec celui d’Anne Rees-Mogg, pour lequel elle a une grande admiration[2], cette puissance d’évocation à partir de trois fois rien : une photo de famille, un accord de musique, concrétisant l’expérience du passé par le biais de l’expérience d’une conscience. Ainsi Berlin se voit dans plusieurs films super 8 et multi écrans, mais ce retrouve dans Hilda lors d’une scène de cabaret…

Cette conscience se met en scène comme chez bon nombre de cinéastes du « personnal cinéma ». Mais cette inclusion  renvoie plus certainement aux façonnages identitaires, et par conséquent fait signe par-delà les styles à Maya Deren. Jouer un rôle, mais aussi filmer et exprimer son corps au travers du filmage, sont deux attitudes que privilégie la cinéaste. La nuit, les identités sont moins définies, elles évoluent au fil des expériences, les rôles permettent de déjouer les codes, de s’en amuser, ainsi les scènes de cabaret et d’habillage avec des combinaisons de latex… Avec ces jeux de rôles Anna Thew s’engage au côté des cinéastes qui ont travaillé la question des minorités puis des genres. Ce surgissement de l’expressivité, du désir permet de travailler les inhibitions qui encombrent souvent les représentations sexuelles, surtout lorsqu’on les inscrit dans la contemporanéité du sida. Ainsi Cling Film (1993) travaille sur les inhibitions liées à la transmission hétérosexuelle qui fait qu’il est n’est pas jugé utile de promouvoir une campagne sensuelle du sexe sans risque (safe sex). Ce film s’inscrit dans une lignée de travaux d’activisme pour lesquels l’affirmation et la dénonciation n’écartent jamais la nécessité du plaisir, en coupant cours à tout le fatras moraliste et puritain pour lequel le sexe est chose bannie à la stricte nécessité reproductrice. Ce film  partage avec le « new queer cinéma [3]» cette mise en scène des corps, ce plaisir de filmer des corps désirants. On pense ici autant à certains films de Derek Jarman, Isaac Julian, pour lesquels la scénographie des corps, les références à la peinture manièriste ou à la peinture de genre tient lieu de stratégie afin de contaminer le cinéma avec d’autres propos.  Cling Film propose ainsi une série de vignettes qui tour à tour sont provocantes ou hilarantes (un night clubber qui bande mou à la vue d’une capote)… Des textes viennent se greffer et parasiter parfois les images à la manière de directives détournées. Ainsi au cœur du plaisir, la langue revient par la bande. Mais le plaisir n’est jamais loin, les corps se parent, se mettent en scène pour le plaisir, comme dans Cling Film, Steve Tattoo in the Spring, et Terra  Vernin (1998), mais aussi dans une autre mesure Mario Footage (1999) à partir de séquences refilmées de Mario Montez. Ces films travaillent la question des genres mais surtout la question du désir et de sa mise en scène, la caméra super 8 devient caresse, elle s’attarde sur les corps, tatouage, grain de la peau, pilosité légère…

Le travail du son, autant que le travail de l’image participe avant tout de la notion de collage. Mais on ne pourra parler à proprement parler d’une esthétique de found footage, tout d’abord parce que la majeur partie des films n’en sont pas issues mais aussi parce qu’à la manière de certains diaristes[4]e, Anna Thew recyclent ses propres images, les reconfigurant selon les projets mais aussi selon les présentations. Cette volonté de proposer à chaque fois un nouvel accrochage n’est pas sans rappeler le travail de l’interprète pour lequel chaque concert, performance ne peut se réduire à une stricte répétition. En ce sens une fois encore Anna Thew tente d’introduire et d’inscrire une expressivité du moment, quand bien les objets dont elle se sert se soient évaporés. Le travail du film alors s’inscrit comme un retour nostalgique.



[1] Voir le texte fondateur quant au cinéma narratif de Laura Mulvey : Visual Pleasure and Narrative Cinema paraît dans la revue Screen en 1974

[2] On se souvient de l’article qu’elle écrivit pour le directory of British Film & Video Artists  edited by David Curtis pour l’Arts Council of England, ICA londres 1988

[3] voir le New Queer Cinema confrence at the ICA london 1992,  voir How do I look ed by Bad Object-Choices 1991, et Queer Looks ed by Martha Gever, John Greyson Pratibha Parmar Routledge, NY 1993

[4] Je pense avant tout à Vivian Ostrovsky et à Derek Jarman.