Intervention Section Film

Section Film

Film Congress Mulhouse Juin 2001 organisé, Intervention

Je voulais vous remercier de m’avoir invité. Je voudrais aussi tout de suite pointer quelques similarités chez nous tous qui nous sommes occupés de diffuser ou de montrer des films, ce sont un engouement, une passion, pour montrer quelque chose qui n’est pas disponible et qui n’est pas forcément visible dans le lieu, ou dans le pays, dans la ville d’où l’on provient, où l’on est. Quel que soit le type de cinéma où de film fait, quel que soit le type de film promu, je crois qu’on partage une attitude, une position qui n’est pas simplement théorique mais qui relève de la pratique : faire des choses.

J’aimerais, vous indiquer à la fois la spécificité d’où je parle et ce que j’ai pu déclencher par inadvertance ou par démarche politique -mais qui ne s’envisageait pas nécessairement comme telle- à l’époque où j’ai commencé .

Je fais des films qu’on a qualifiés d’expérimentaux. Lorsque j’ai commencé à la fin des années 70, cela s’inscrivait au sein de quelque chose qui semblait avoir de nombreuses relations avec la pratique artistique contemporaine du moment : la conceptualisation que déployaient certains cinéastes et artistes et la possibilité d’interroger le support autant que le médium. Cette démarche consistait à ne pas me limiter à faire seulement des films. Pour moi, être un cinéaste expérimental, faire des films, signifiait s’occuper tout autant de leurs diffusions que de leurs programmations, c’est-à-dire leur offrir une visibilité qu’ils n’avaient pas nécessairement. Vers la fin des années 70 en France, quand bien même on avait assisté à un réveil de cette cinématographie dite expérimentale, on n’y avait pas souvent accès, on ne pouvait voir si facilement des films. Ainsi, à partir de 1981, sans réaliser les conséquences d’un acte qui semblait anodin, nous avons fondé à plusieurs, dont Miles McKane , Light Cone ; une structure qui ne se limitait pas à diffuser du cinéma expérimental, mais surtout à distribuer des films expérimentaux. Dans les années 80, et je crois que l’expérience était partagée par d’autres pays européens même si cela a été fait d’autres manières, c’est qu’il y avait comme une sorte de chute dans la production des films expérimentaux. Une certaine lassitude, et le surgissement de quelque chose de nouveau, l’apparition sur le marché de l’art des nouvelles technologies, qui accompagnait la possibilité d’inscrire une autre forme artistique : l’art vidéo. Les cinéastes au tout début des années 80, se sentaient minorés, comme s’il n’avaient plus de lieu. La démarche a alors consisté pour moi autant que pour d’autres, à être un agent et à établir un espace à partir duquel les cinéastes pourraient diffuser leurs films et ensuite, les promouvoir. Mais très rapidement, en créant cela, je me suis rendu compte d’une difficulté. C’était très bien d’avoir les films, mais si ceux-ci restaient sur des étagères, cela n’avait aucun intérêt. Pourquoi faisais-je des films ou pourquoi d’autres en faisaient-ils, si on les laissait sur des étagères ? Il fallait donc, immédiatement ou presque, créer un espace ou un lieu où l’on puisse montrer ces films. Il était évident que je n’innovais en rien, je n’avais pas même la prétention d’ innover en quoi que ce soit. C’est quelque chose que tout cinéaste – j’ai presque envie de dire tout artiste dans son acceptation la plus classique ou dans la représentation qu’on a de celui ci, c’est-à-dire un artiste qui vient du modernisme- donc tout artiste de cette époque-là, crée des lieux de diffusion, ou crée l’espace dans lequel va pouvoir émerger, être montré, rendu visible, contre ou par rapport, mais toujours vis-à-vis. Il créait, ou on créait un espace à partir duquel on tient compte des spécificités du support qu’on utilise, mais aussi il essaye de dynamiser ces supports en les montrant de manière distincte. Cela, Jonas Mekas, ainsi que d’autres, l’avait fait aux Etats-Unis dans les années 60, mais aussi bien en Allemagne ou en Italie à la fin des années 60 ou au Brésil dans les années 70. Je n’apportais absolument rien si ce n’est la connaissance d’expériences passées, de plus dans les années 80, les questions ne se posaient plus de la même manière ; les urgences, ou la nécessité d’inscrire le cinéma expérimental me semblait toujours pertinente mais semblait devoir être résolue, donc appréhendée, distinctement. Fort de cela, il y eut création d’un lieu qui s’appelle Scratch qui montre des films selon une fréquence qui se voulait hebdomadaire, selon les limites imposées par une structure qui n’a pas de lieu, ce qui est différent de ceux qui ont parlé avant moi. Nous étions un peu des nomades et il nous fallait trouver à chaque fois des espaces où l’on pouvait soit créer un événement en mettant en rapport le cinéma avec d’autres pratiques artistiques, soit simplement constituer une fréquentation, une régularité, afin de montrer que le cinéma c’est quelque chose au quotidien. C’est quelque chose qui, pour moi, est tous les jours, il n’y a pas de jours sans, je n’ai pas de off dans le cinéma, c’est là. C’est très bête, mais il me semblait très important d’effectuer ce travail. Un travail pas nécessairement très glamour, ni très éclatant, mais qui pourrait constituer et progressivement nourrir un terreau afin que des échanges puissent avoir lieu. Et ces échanges ont eut lieu entre cinéastes, mais aussi entre cinéastes et autres praticiens.

Une autre chose m’a semblé très rapidement évidente et là je ne faisais que répéter ce que tous les cinéastes de l’avant-garde ont pu faire, c’était que montrer des films n’est pas suffisant. Il faut en parler, écrire, leur donner la possibilité d’être vu par un ensemble de pairs qui n’appartiennent pas au cinéma, et donc essayer d’induire des liens et des passages entre les pratiques. Je dis essayer, cela ne veut pas dire que cela ait marché ou non. Essayer de focaliser, tenter de produire des liens. Qu’est-ce qui était au centre de tout cela ? C’était avant tout une passion à faire partager la découverte d’un film comme on le fait d’un corps, c’est-à-dire découvrir un autre territoire que l’on allait arpenter et ceci de manière désirante presque. La découverte et la remise en circulation de certains films, qu’ils soient historiques ou contemporains, me semble tout aussi importante. Pouvoir remettre en circulation les films de Lazlo Moholy-Nagy m’avait semblé essentiel dans les années mi-80. Retrouver les négatifs, mais aussi des copies, ou essayer de trouver des moyens de remettre en circulation une histoire qui me semblait une histoire oubliée. Je ne me sentais pas du tout victime en tant que cinéaste, je voulais simplement donner accès, permettre de voir. C’était un peu comme permettre de voir un film de Warhol ou de Debord ; c’est-à-dire donner la possibilité de cesser d’avoir uniquement des a priori, je pourrais dire théoriques, donner à voir et se donner les moyens de voir. Se donner en pâture, en quelque manière me semblait essentiel. Ce n’était pas la question de remettre les pendules à l’heure, mais simplement d’offrir la possibilité d’accéder à un type de pratique et à un certain nombre de choses comme cela. Pas un instant pour Miles McKane ou moi-même la question de la validité d’une telle démarche ne s’est posée, on le faisait en même temps que nos films, en même temps que nos travaux. Cela nous semblait presque naturel. Après j’ai eu des confirmations ; pour beaucoup de gens, c’est tout à fait naturel de faire cela. Il n’y a aucune gloire à en tirer, nous ne sommes que des passeurs.

Etre un passeur permettait de pouvoir établir des rapports qui étaient, en France en tout cas, assez conflictuels entre vidéo et cinéma ; tenter de nourrir, montrer que le cinéma dit expérimental n’était pas qu’un cinéma qui s’était façonné dans les années 70, et que les questions d’identité étaient pour lui, par exemple des questions vraiment prépondérantes; que l’illustration, ou le travail sur, contre, avec, ou vis-à-vis de (c’est comme vous voulez) la narration n’était pas quelque chose qui avait été liquidée, mais quelque chose qui se pensait autrement. La situation des cinéastes n’était pas tout à fait la même dans tous les pays. L’indépendance revendiquée chez vous, en Suisse ou en Allemagne, ne s’appliquait pas de la même manière en France. Cela a créé des sortes de cloisonnements un peu particuliers vis-à-vis de ce cinéma. Il a fallut lutter contre nos plis de cinéastes, contre tous ces façonnages qui consistent à se croire victimes ou ostracisés, et ceci nous a permis de constamment reposer ces questions sur ce que nous faisions. Et parmi celles-ci cette chose sidérante, cependant systématique et qui constitue l’un des paradoxes de cette pratique de cinéaste expérimental : c’est qu’à la différence d’autres plasticiens, il me faut très souvent, trop souvent, devoir prendre en charge toute l’histoire de ce cinéma. Ce qui est paradoxal dans la mesure où on ne vous demande pas, en général de prendre en charge l’histoire de la musique si vous êtes un musicien. La difficulté de visibilité, ou la méconnaissance de ce territoire, nous conduit souvent à devenir quasiment des apôtres, et les apôtres, moi, réellement ça me fait chier, ça manque de chair. J’avais cette difficulté à envisager cela. Le fait qu’on doive systématiquement prendre en charge cette histoire m’a fait comprendre quelque chose d’ essentielle dans le travail accompli, qui à a voir avec la singularité de ces œuvres. Si on ne faisait pas quelque chose qui relevait du patrimonial, c’est-à-dire que si on n’essayait pas de restaurer certaines de ces œuvres, si on n’essayait pas de les remettre de nouveau en circulation, ces œuvres, n’avaient pas d’existence et n’apporteraient absolument rien, n’auraient plus d’actualité. Cette absence d’actualité était quelque chose qui m’horripilait. Je suppose que vous fréquentez les musées, que vous écoutez de la musique, et l’usage que vous avez de ces musiques, de ces œuvres est un usage actuel, vous avez accès à celles-ci.

Dans le cinéma expérimental, il y avait cette difficulté à ne pas avoir accès aux œuvres, et ainsi, ce qui m’importait et ce qui m’importe toujours constamment, ce n’est pas tant ce qui se passe ici, en France, mais ce qui se passe ailleurs, ce qui n’est pas forcément vu, ce auquel on n’a pas accès afin de de le montrer. C’était, une fois encore, être un passeur. Passeur cela signifiait, cela signifie toujours pour moi, interroger les possibilités même de l’émergence de ce cinéma, et voir en quoi ce cinéma a encore une pertinence aujourd’hui. En quoi est-il pertinent ce cinéma ?, je vous laisse répondre, je n’aurais pas la prétention d’avoir même l’ombre d’un soupçon sur cela, j’en fais. Je ne peux pas dire plus que cela, ou je n’ai pas envie de dire plus que cela. Je fais des films et il y a une pertinence. Le fait d’avoir instauré un lieu, d’avoir peut-être aidé à la reconnaissance d’un champ, et qu’aujourd’hui, (en tout cas localement), c’est-à-dire en France, ce champ est un peu plus reconnu m’a semblé important, mais je ne tiens pas à m’y limiter. Puis s’est posée la question de savoir comment faire qu’une structure telle que Lightcone ou Scratch, puisse continuer à exister sans que ses fondateurs n’en deviennent les fossoyeurs. C’est bien beau de mettre en place quelque chose, mais c’est une expérience, trop souvent répétée et qui veut que les gens qui créent certains instruments de promotion ou de diffusion de ces travaux meurent avec leur œuvre. Ils n’arrivent pas à transmettre, ils n’arrivent pas finalement à se séparer du bébé. Le bébé ce n’est pas quelque chose qui m’a fasciné ou me fascine, non, j’ai plus des difficultés avec les enfants. Donc, il fallait larguer la chose. Et larguer la chose ce n’est pas s’en débarrasser, c’est donner les moyens à Light Cone et à Scratch de continuer sans moi, sans nous, avec d’autres. De sorte que si la chose a été valable, elle doit pouvoir exister sans ses fondateurs. Autrement elle n’avait pas lieu d’être, et dans ce cas-là, ce serait la remise en cause de ce que j’ai fait pendant 25 ans et de ce que je suis à oser venir vous en parler là précisément. J’avais juste envie d’indiquer cela, je pense que je n’ai pas envie de faire un exposé sur l’économie de ce champ, à moins que vous ne le souhaitiez.

Un mot à ajouter, ce matin, il avait été dit que le cinéma est un art. Oui, c’est un art, mais rappelons nous que chaque cinéaste, en tous cas chaque cinéaste expérimental, mais c’est la même chose pour les autres artistes, on pourrait enlever le terme expérimental, chaque cinéaste doit toujours constamment redéfinir ce qu’est le cinéma et ce qu’est sa pratique. Cette redéfinition, induisait pour moi, de créer des « institutions » ou des lieux qui puissent l’aider à être.

Voilà, ce sera tout ce que j’avais à dire.