in Spirit # 23 , Octobre, Bordeaux 2006
Du mot, de l’image du mot
La vitesse du mot, suspension de la parole : l’image ; instable.
Passage, défilement des phrases, dans toutes les directions.
Il est question de vacillement, de vertige plus que d’effondrement.
L’étourdissement qui nous saisit est en cela proche du travail de capture des images lors d’un déplacement quelconque et pour lequel il s’agit d’attraper au vol, plus que de rendre compte d’une réalité. On esquisse un passage, on dévoile furtivement un paysage, une architecture, une ambiance, ce n’est pas tant la reproduction qui prime, que la sensation.
Le mot s’abîme dans son image ; les mots s’éclipsent dans leurs transports.
La lettre, le mot, la phrase n’ont pas le même impact, une fois projetés, à l’écran. Cet écart est l’un des plus singuliers traits du film, le cinéma convoque son élargissement, son dépassement.
Le signe projeté revêt une autre importance, plus graphique certes, mais pas seulement, il ne singe pas l’affiche.
çSigne statique ou mouvant, selon les cas. Il s’incruste telle une pelure et troue ainsi l’image. Il est pour certains cinéastes : images : mots :dites, images. Alors que pour d’autres, le mot hante résiduellement l’image tel un commentaire, ou bien lui assigne sens et non-sens.
Dans de nombreux films, j’en appelle aux mots. Ils sont les images qui scandent le film, ils en conditionnent la durée selon les arguments qu’ils exposent parfois mots à mots ; plus souvent, selon des défilements horizontaux plus ou moins rapides. Le texte traverse l’image, selon des directions qui perturbent notre lecture. Soudain, cette dernière redevient redécouverte. Elle convoque d’autres gymnastique et questionne ainsi nos habitudes, redynamisant l’acte d’appréhension des lettres et des mots se jouant ainsi d’une musicalité de la langue qui fait office d’anticipation. La lecture est à la merci de la vitesse autant que de l’ordre et du sens d’apparition des lettres, des mots. L’enchaînement n’est plus garanti. On est pris dans une lecture qui est à la fois suspendue à l’organisation du texte qui ne répond plus aux critères usés et qui est aussi conditionné par la vitesse de son déroulement de son apparition. Le contrôle est alors extérieur et il nous faut abandonner ainsi ce à quoi nous avons toujours d’une manière ou d’une autre cru : au pouvoir de communication des mots qui forment phrases.
Mais qu’advient-il alors que le mot s’échappe se son cadre et se met à exécuter des partitions qui ne lui étaient pas attribuées.
La lettre, le mot n’ont plus alors d’espace et de comportement imprescriptible. Tout redevient possible.
Ils habitent le temps de l’image et non plus l’espace de la page ou l’écran.
La question de la lettre, du mot, est centrale dans mon travail. La première expérience cinématographique que j’ai faite, consister en la réduction d’une maîtrise de philosophie à quelques dessins de mot sur la pellicule et qui devait permettre de faire l’économie de la lecture du travail au profit d’une expérience cinématographique articulant ces concepts mêmes.
Le mot comme image, n’est pas l’image du mot comme la si bien exploré Hollis Frampton dans Zorn’s Lemma en produisant un alphabet singulier qui lui permet de nous conter d’autres histoires.
Le mot, le texte ne travaille plus la traduction.
On est plus dans le domaine musical de la résonance que dans le champ de l’irradiant. Ces textes participent de la fulgurance d’une inscription, qui s’évanouit au moment ou elle se dévoile.
C’est alors que la scansion du mot à mot autant que les vitesses des déroulants induisent au travers de ces fulgurances une indéniable poésie.
yann beauvais