Dans le Nordeste (au Brésil), à Petrolina, alors que Dona Ana parle avec un ami qui reproduit ces oeuvres et documents, je filme de la cour de son atelier. Celui-ci donne sur l’une des routes entrant dans la ville.
Il fait 42°, c’est l’après midi en janvier.
Dona Ana das Carrancas est une artiste de près de quatre-vingt ans, qui a passé sa vie à fabriquer des carrancas, figures de terre cuite qui originellement étaient en bois arrimées sur la proue des navires afin d’écarter démons et prédateurs. Cependant ces carrancas ne sont pas faits pour les bateaux voguant sur le fleuve Sao Francisco. Dona Ana retrouve sans la connaître ces figures qu’utilisaient les pêcheurs espagnols sur leurs barques et bateaux de pêches. La production de ces carrancas s’est réalisée à côté de la production familiale artisanale d’objets du quotidien. En tant qu’artiste noire, pauvre, elle a été un personnage politique qui s’est préoccupé des questions d’alphabétisation, autant que de la divulgation de la culture populaire, et elle a toujours été préoccupée par les questions de l’éducation étant elle-même analphabète. Elle a crée des espaces de convivialité, des espaces ouverts à toutes formes de pratiques culturelles et artistiques. La mairie de Petrolina a décidé de construire un centre culturel dans lequel elle peut exercer toutes ses activités et y vivre avec toute sa famille. Elle s’y est installée il y a cinq ans. Edson Barrus, qui l’a rencontré alors qu’il était encore enfant, va la voir chaque fois qu’il retourne dans sa ville natale. Dona Ana a été déterminante par rapport à sa compréhension de l’art et de la pratique artistique. Pour tous les deux, en effet l’art n’est pas une profession mais une mission.
C’est ainsi qu’en cette après-midi de janvier, je me retrouvais dans la cour de l’atelier, alors qu’un carranca était fabriqué. Edson Barrus et Dona Ana parlaient avant de commencer le travail de documentation. Je filmais sans plus, puis, sortit sur le pas de la cour, vers la rue. C’est alors que je remarquais cet incroyable alignement de lignes de fuite. Je décidais de filmer ce que je voyais, mais pas du premier plan, c’est-à-dire de la rue, mais de la cour de l’atelier, profitant du cadre que formaient les portes et les colonnes d’accès et ce en dehors du fait que je n’avais pas de pied avec moi.
Je filmais une quarantaine de minutes dont je n’ai gardé que la moitié. Malgré la chaleur, j’étais happé par ce qui se déroulait devant mes yeux, ce n’était pas seulement ce microcosme que la manière dont le cadre façonnait la vision des évènements ou des temps morts. Projetés dans l’espace j’en oubliais souvent les tensions que l’on retrouve dans les bougés. Ce n’est pas tant l’exotisme du lieu et des comportements qui me préoccupaient que les questions de la structuration de l’espace visuel et son occupation. Comment un tel espace découpe, redistribue lui-même l’espace et le champ perceptif. A la limite du documentaire, je retrouvais des préoccupations sur le défilement simultané autant que sur la divergence des directions dans un espace donné, confiné par le viseur, c’est-à-dire cadré dans tous les sens du terme.