Archives par étiquette : journal filmé

Divers-épars

Fr, En, Pt

Ce film est une suite de séquences tournées ou trouvées (de – autour des – villes que je fréquente) et qui dans leur montage exposent une fluidité et une continuité qui échappent à la narration. Le montage proposé travaille les séquences selon divers agencements qui respectent le sens possible du film : passage d’un lieu à l’autre, d’un moment à l’autre. Passer, aller d’un po(i)nt à un autre, c’est se transformer, devenir autre. Le film fait appel à des quasi-leitmotive qui relancent le flux et facilitent les transformations diverses de l’épars des sensations. Ce film renoue avec le lyrisme sans pour autant renier le formalisme mais l’utilise autrement, en tenant compte du sens, des sens possibles que produisent les images et leurs enchaînements.

« Musique liquide des passages / sous tous les angles éparpillés / bateau – fontaine – marbre mouillé par une vague perpétuelle et parfois bleue – rives de pierre – pont – temps noirs – poème des glissements au travers des villes. Alban Berg. Silhouette fugace à la fenêtre – ouverte – contre-jour et fer forgé – circulation – leitmotiv – incandescence des tubulures – enchaînement fluide et précis des sensations – diverses / éparses – superbes d’intensité. » Loux.

Son : extrait de Lulu Suite, d’Alban Berg

Œuvre appartenant à une collection privée, aux Archives du film expérimental (Avignon), au Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou) et au Forum des Images (Vidéothèque de Paris).

Divers Epars London

« Glimpse of cities, countryside, rivers. Intriguing, fleeting images of Florence, London and particularly Paris -clearly the filmmaker’s home, so intense is his vision of it, so strong his attraction to its lifeblood, the Seine. The eerie colors of the bateau-mouche floodlights blend with a purely filmic chromatic intensity. The textures, the meticulous montage, the alluring colors, create something of the same celebration of place through provocative artifice found in Christo’s wrapped Pont Neuf (which is fleetingly seen in the film).
Bringing some of Amoroso ’s Roman passion home to the city which inspired the imposing formality of his earlier films, Beauvais begins to merge the two poles of his works. The synthesis is exciting.  » Scott Hammen.

This film is a series of shot or found sequences (about, of cities that I frequent) which, in the editing, display a fluidity and continuity eluding narration. The sequences are shaped by the editing according to various arrangements which respect the film possible direction: passage from one place to another, from one moment to another.
To pass, bridging one point to another, is to transform oneself, become other. The film employs certain leitmotivs which relauch the flow and facilitate diverse transformations of scattered sensations. This film, although renewing lyricism, does not deny formalism which it uses in another manner, while taking into account the meaning/possible meanings produced through linking images and their evocative passage.

Sound : extract from Lulu Suite, by Alban Berg

Film belonging to a private collection, to the Archives du film expérimental (Avignon), to the Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou) and to the Forum des Images (Vidéothèque de Paris)

Este filme é uma serie de seqüências realizadas ou encontradas (sobre as cidades que eu frequento) que, na edição, apresenta uma fluidez e continuidade iludindo a narração. As seqüências são moldadas pela edição de acordo com vários arranjos que respeitem a direção de um cinema possível: a passagem de um lugar para outro, de um momento para outro. Passar, unindo um ponto a outro, é transformar-se, tornar-se outro.

Som extrato de Lulu Suite, Alban Berg.

Amoroso

Amoroso reprend la question du souvenir concomitante au journal filmé. Souvenir de Rome, souvenir de Tivoli mais aussi souvenir du Tivoli de Kenneth Anger, cette séquence pourrait être un hommage ou un pied-de-nez.

« Les gros poids de l’amorce et puis de l’eau, du feu qui jaillissent en gerbes – geysers rougeoyants – des monuments qui basculent – syncopes – tourbillon d’images – carrousel de sensations – éclats teintés de mémoire, intacts et précipités – Rome / Tivoli. » Loux.

villa dora pamfili

« Une analyse plus détaillée de ce premier film va nous permettre de mettre à jour certains des procédés de transformation des images opérés, notamment dans leur passage de la figurabilité à la picturalité, de la fixité à l’impression de mouvement – si tant est que l’on puisse identifier des constantes dans une démarche qui consiste justement à déconstruire tout systématisme.
Le titre (comme souvent à double voire multiple sens) apparaît à l’envers sur l’écran. De cette erreur de montage entre négatif et positif, intégrée comme composante constitutive, le film se révèle envers du vécu, réalité inversée. Cette importance accordée au dédoublement images/réalité, aux effets de miroir et d’inversion, ponctue chacun de ses films et trouve ses derniers développements dans les actuelles expérimentations de dispositifs à multiples écrans.
Le nombre limité de bobines dont yann beauvais disposait pour ce film, certaines en n/b, d’autres en couleur, a vraisemblablement déterminé sa structure presque sans montage, dans laquelle les plans filmés (tous en lumière du jour) et filmés successivement (l’enregistrement doublant le travail de mémoire), s’engendrent les uns les autres. Le film débute en sépia – une couleur dominante des pierres et des représentations de la Rome antique et baroque – obtenue par tirage sur pellicule couleur d’un négatif n/b. En hommage à Eaux d’artifice (1953) de Kenneth Anger, tourné dans les jardins de la Villa d’Este à Tivoli, ces premiers plans sont des variations autour de l’eau jaillissante des fontaines, de la pierre et des végétaux, entre lesquelles s’intercalent l’image fugitive d’un visage. Le parcours dans la ville se poursuit en couleur à travers un foisonnement de plans, qu’il serait vain de tenter de tous les identifier tant ils sont là pour étourdir nos sens.

ducks 2

Si, dans certains cas, l’impression de mouvement est due à de véritables mouvements de caméra sur des façades renaissantes et baroques, sur les Anges du Bernin du Pont Saint-Ange ou les espaces dénudés du forum romain par exemple, la plupart du temps ce sont les variations de rythme dans l’enchaînement des séquences qui créent des effets d’accelération ou au contraire de ralentissement dans le défilement des images. D’autant plus qu’au débit habituel des 24 images/seconde du film – rythme tout à la fois générateur de la fluidité de mouvement apparent des images mais aussi métaphore de la mécanique d’un temps « objectif » qui ne cesse de couler, répétitif sans tout à fait être le même – yann beauvais a préféré un défilement de 18 images/seconde donnant une impression de mouvement plus saccadé. Un effet de discontinuité dans le défilement des images renforcé par des apparitions/disparitions instantanées de plans évoquant les flickers de Paul Sharits.
Loin des images clichées de la Rome touristique, Amoroso est une déambulation libre et personnelle, réalisée à l’occasion d’un séjour prolongé dans une ville que yann beauvais connaît depuis son enfance. Ce film, impressionné autant par l’espace que le temps, évoque la magie du cinéma muet du début du siècle (auquel rendent hommage certains plans resserrés en forme d’iris), quand les images ne renvoyaient non au monde des images mais à celui de la perception. » Muriel Caron in Mouvement n°8

Œuvre appartenant à une collection privée et au Cal Arts (Los Angeles).

« A film sparkling with diamond-like fragments of Italy. A film of passion – passion for places (the landmarks of Rome) passion for the masterworks of experimental film (the evocation of Kenneth Anger’s Eaux d’Artifices through images of the same Tivoli garden fountain), and above all, passion for color (the warmth of roman stone, the deep green of summer vegetation, the rich reds and yellows of the 16mm emulsion itself). After the cerebral rigor of more formal work, a joyous cry from the heart. » Scott Hammen

 

Film belonging to a private collection and to Cal Arts (Los Angeles).

Très rare film…

Il s’agit du premier journal filmé que j’ai fait.

My first diary film. Mix technique from pixillation to long shots, a tribute to the filmmaker I discovered at that time and specially the diarist trend which seemed to offer new areas to make film despite the predominance of structural film of the time.

Disjet

Film dédié à Miles McKane. Disjet n’est pas à proprement parler un journal filmé, il ne respecte pas la chronologie des événements, il met en situation, en écho des événements.

La plupart du film est en négatif couleur, parfois noir et blanc, conférant aux images une nature particulière : mémoire de l’image à venir. Image qui ne vient que rarement dans sa forme habituelle.

Disjet boys kiss

« Disjet, le reportage filmé d’un voyage, qui ne se préoccupe guère de l’ordre chronologique des événements. Des images de la Côte d’azur des années septante se font l’écho d’images de la même côte dans les années cinquante. Des îles italiennes se retrouvent en mer du Nord. La couleur se mélange au noir et blanc, les positifs aux négatifs, les prises personnelles aux plans trouvés, le tout se fondant en un palimpseste dans lequel le temps et l’espace semblent se multiplier à l’infini. » Willem De Greef

disjet demo

« BEWARE! Cushions and cosy-on-the-sofa can’t cosset you, this ain’t no OUR HOLIDAY slide show: diagonal splice slicing the screen; scene-stealing negative/positive images wrestling their way in from opposite directions; dizzy turquoise fruit blossoming amongst silver leaves, scarlet sky and emerald-edged clouds a backdrop; strange cacti fountain-burst amongst pale violet plants; a wave turned upside down to tumble from overhead like a roof caving in, inside-out spume retracting, scrolled, unfurled; summer showers give golden a whole new meaning; travelling the tune scent length of water spurt; erotic fringes of foam; ti voglio bene, assai assai a sigh; immolation in grey flames like plumped-up pillows of plumes; triumphal arch jives and shimmies, architectural hussy flaunting itself from every angle, CHECK OUT THESE MOVES, would that you could twist so good; strobing bands of color like neon lights flickering in a fever dream; vertical gliding/shuddered horizontal arrivals/mounting, rising,/liquid projectiles/molten water like metallic sap/night/day light beneath a bridge into a tunnel chopped and backtracked never getting there until phew, you’re through. » Sandra Reid

 

This film is dedicated to Miles McKane

« Disjet is a diary which takes on memory, personal and social memory a trace of events which from echo to echo summon up others; and in its way landscapes which lead to distant memories thus call forth some more recent. From a window, others appear; trace of various places of dwelling or transit. The negative allows the memory to form in scattered units; usually the positive is used in filmed diaries (is that not so of reality ,), but, the positive makes visual reference too easily and more readily constitutes the beginning of a narration. With the negative the visions become painterly, formal in one sense, more adequate for the composing elements of memory. These does not exist a tidy memory, one well-defined (order enforced), gathered up, precise. Nothing of all of that, just some scattered fragments, some flights in rhythm. Memory is first of all formal, memory has little to do with stories, subjects… Memory is the power of the lapse of memory. » yb 83

 

Le film de voyage entre carnet de notes, colonialisme et subjectivité (Fr)

PUC, Rio de Janeiro 04-11-2008 à l’invitation de Cecilia Cotrim

Je vous prie de bien vouloir accepter cette lecture comme un travail en cours d’élaboration. Entre le moment où j’ai pensé développer ce sujet et la délivrance des gouffres se sont ouverts. Je ne pensais pas que certains de mes films allaient aiguiller la recherche, non pas tant pour les glorifier que pour remettre en cause les a priori qui avaient pu les générer. Dans cet exercice qui interroge un champ en regard de quelques travaux, j’ai rencontré et croisé d’autres analyses qui adressent un ensemble de questions que je ne fais qu ‘effleurer aujourd’hui.

Le journal filmé est un genre cinématographique à part entière qui existe depuis le début du cinéma. Les premiers films des frères Lumière relèvent de ce genre qui rend public des moments qui révèlent l’espace privé de la famille autant que des lieux qu’elle habite, que de l’intime tel qu’on le comprend aujourd’hui : Le repas de Bébé (1895) des Lumière, Window Water Baby Moving (1959) de Stan Brakhage, My Grandparents, (1972) de Dieter Meyer en sont quelques exemples. Le journal filmé documente la vie du filmeur : La sortie des usines Lumières (1895), Private Life of a Cat (1947) de Maya Deren et Alexander Hammid. Par les formes plurielles qu’il peut emprunter, le journal n’est pas contraignant en dehors des règles que s’imposent le cinéaste, la fréquence des captures autant que le choix des scènes ne répond à aucune contrainte particulière. Le journal filmé est un cinéma à la première personne. Il s’agit d’un cinéma qui s’inscrit en dehors du cinéma narratif traditionnel et qui partage avec les films de famille, et donc avec l’amateur, un ensemble de moyens et buts. Il est affirmation d’une parole extérieure à la production dominante du cinéma, expression d’une personne et de son entourage, de son mode de vie. Le cinéaste enregistre différentes activités que ne prenaient pas en charge le cinéma dominant telles les activités quotidiennes domestiques ou sexuelles. Dans un journal à priori, il n’y aurait pas d’interdit en dehors de ceux du cinéaste. Fuses (1964-67) de Carolee Schneeman, Loads (1980) de Curt McDowell, Matsumae Kun No eiga (1980) de Hiroyuki Oki, mettent l’accent sur les rencontres et relations sexuelles des cinéastes. Des malades tiennent des journaux afin de donner à voir ce qui est souvent marginalisé : la douleur ou spectaculaire dans le cinéma narratif classique : la mort, ou pudiquement évité dans le cinéma documentaire. À partir de la fin des années 80 de nombreux journaux de maladie ont été réalisés comme ceux de Carl George DHPG mon Amour (1989), d’Hervé Guibert La pudeur ou l’impudeur (1990-91) ou plus récemment The Odds of Recovery (2002) de Su Friedrich.

Le journal filmé est parfois le compte-rendu d’une visite ou le récit d’un voyage : telMünchen Berlin Wanderung (1927) d’Oskar Fischinger, Unsere Afrikareise (1966) de Peter Kubelka ou A Bus Trip to Washington (1988) de Nelson Sullivan. Les récits de voyage prennent une dimension autobiographique lorsque l’on va visiter son pays natal comme le fait Jonas Mekas dans Reminicences of a Journey to Lithuania (1971-72), ou bien à la rencontre de la terre de ses ancêtres : My Mother’s Place (1990) de Richard Fung. Au travers de ces retours vers l’enfance, ou vers l’origine se conjuguent facilement les liens entre récit de voyages et autobiographie. On notera brièvement que le récit de voyage est une forme littéraire très riche et qu’elle a motivé de nombreux romans au 19ème siècle qui accompagnaient comme par le plus grand des hasards l’expansion coloniale de différents pays européens.
Le journal de voyage Reminicences of a Journey to Lithuania de Jonas Mekas poursuit ce projet de fabriquer des souvenirs dans ce nouveau pays et ainsi acquérir une nouvelle mémoire à partir de moment où il est arrivé aux Etats-Unis en 1949. Dans Reminicences of a Journey to Lithuania le retour au pays natal, permet de revoir, de se réapproprier les lieux de l’enfance, les couleurs, les odeurs et un mode d’être au monde avant la catastrophe. L’enregistrement des séquences dans Lost, Lost, Lost (1949-76) ou dansWalden (1964-68) inscrit une subjectivité se déployant selon les cadrages, le choix des lieux, les répétitions, les manières de filmer…La connaissance progressive de l’instrument, la caméra avec toutes les possibilités qu’elle autorise permet à Jonas Mekas de s’affranchir des règles qu’il pensait devoir suivre pour faire du cinéma. Il passe ainsi d’une approche documentaire, à une approche plus lyrique, dans laquelle la trace de la subjectivité s’appréhende à travers les mouvements et les filés autant que par une mise au point vacillante. C’est l’expressivité du sujet filmant qui domine, plus que la reproduction d’un point de vue photographique lisse. Il recourt à des intertitres comme l’a fait Marie Menken avec Notebook (Carnet d’esquisses) dès 1962.
On retrouve une attitude similaire chez Stan Brakhage lorsqu’il filme l’accouchement de sa femme dans Window Water Baby Moving (1959). Cependant pour Brakhage, le film explore les conditions de possibilités de la vision en essayant de montrer au travers d’éclats graphiques et colorés ce qu’accéder au monde signifie à travers la production d’une vision particulière dont vous avez pu entrevoir les possibilités dans Dog Star Man(1961-64)que vous avez pu voir dans le cadre de ce cours. Il a défendu cette vision à travers ses films et dans un texte : Metaphors on visions (1963) : Imagine um olho não governado pelas leis de perspectiva feitas pelo homem, um olho imparcial, sem preconceitos de lógica, um olho o qual não reage à nomes de tudo mas descobre cada objeto através de uma aventura de percepção. Quantas cores existem num campo gramado para um bebê que não sabe o que é « verde » ? Quantos arco-íris pode a luz criar para uma olho não instruído. Quão atento à variações em ondas de calor este olho pode ser ? Imagine um mundo vivo com objetos incompreensíveis e vislumbrado com uma variedade infinita de movimentos e inúmeras graduações de cor. Imagine um mundo antes de « No Princípio era o Verbo… »

Les journaux filmés ne sont pas nécessairement destinés à être montrées à un public plus large que celui de l’entourage du cinéaste. Comment s’explique ce passage du privé au public ? À partir de quel moment, un En quoi le passage et l’affirmation de l’individu comme un « je » est-elle partagée, et rendue accessible à travers les journaux filmés ? Peut-on envisager les journaux de voyages comme des distractions de cinéaste ? Pourquoi fait-on un journal de voyage ? Un journal filmé ? Quels sont les rapports qu’entretient le journal filmé avec l’autoportrait et l’autobiographie ?

Avec l’avènement de la vidéo et du numérique les journaux filmés autant que les travelogs s’échangent dans l’instant au moyen des téléphones portables ou de manières plus anonymes sur Youtube ou Daily Motion. Cette manière d’échanger ses souvenirs au moyen du téléphone portable paraît être un condensé de ces réunions de famille dans lesquelles étaient montrés les films de famille, (des journaux filmés de l’amateur) ou les films de vacances (travelogs de l’amateur). Il s’agit d’un partage affectif en dehors de toutes considérations artistiques et ou filmiques. Ce partage se revendique immédiat, sans qualité. Il inscrit un bref arrêt, une suspension des images dans le flot d’information, requérant une attention ponctuelle. Ce partage renouvelle ainsi l’échange à l’œuvre dans toutes sociétés, groupes restreints.

Comme le remarque Susan Sontag, avec la photographie [1] :
Dès l’ouverture à l’ouest du chemin de fer transcontinental en 1869 la colonisation par l’image advint… /… Les touristes envahirent l’espace privé des Indiens, photographiant les objets sacrés les rites et les lieux, et si besoin été, les touristes payaient les Indiens afin qu’ils prennent la pose, leur demandant au besoin de réviser leurs cérémonies afin qu’ils puissent obtenir de meilleurs clichés. On ne peut dire que cela ait beaucoup changé avec le cinéma, puis la vidéo. Si ce n’est que la démocratisation des outils de capture qui passant du 35mm au 16 puis au Super 8 et à la vidéo n’a fait qu’accentuer ce phénomène de circulation et d’appropriation des espaces et des populations que le touriste blanc capture à travers son viseur. À cet égard le film Unsere Afrikareise (1966) de Peter Kubelka n’échappe pas à cette critique. Comme l’analyse Catherine Russel [2] : « L’ironie du film est qu’elle n’est pas régie par les configurations formelles du montage, mais par son contenu, qui ne dit rien d’autre si ce n’est le langage cinématographique du mélodrame. Chaque image est hautement codée, culturellement et stylistiquement. De nombreux plans d’interactions entre les Européens et Africains, tels que ceux des boys portant à leurs épaules les carabines des hommes blancs, sont symboliquement chargés. En tant qu’ethnographie comparée de l’Europe et de l’Afrique, ce film dépeint une économie de répression, mais (1929) qui implique aussi l’utopie transcendantale du colonialisme au travers du primitivisme pastoral. »
Ce n’est pas les films de Warren Sonbert qui viendront contredire ces assertions et encore moins ses journaux de voyages. Rappelons que Warren Sonbert (1947-95) est l’exemple même du diariste. Ses premiers films lyriques font le portrait et montre la vie de ses amis, dans Amphetamine (1966) on suit ainsi un groupe des jeunes gens qui se shootent, et le film se clôt par un baiser passionné de deux garçons. On retrouvera dansCarriage Trade (1967-71) cette valorisation d’un formalisme apparemment au détriment du contenu de chaque plan et qui reflètent les voyages du cinéaste à travers le monde. Les plans s’enchaînent indépendamment de leur situation géographique, proposant ainsi, une symphonie du monde qui inscrit à nouveau cette fiction d’un monde ou la « beauté sauvage » est à la porté de qui sait la cueillir : en l’occurrence un homme occidental. Le montage suit des rythmiques musicales et semble contraindre les contenus à se plier aux lignes mélodiques et aux accords du cinéaste. Cette approche fait violence à ce qui est représenté au profit d’un idéal, d’un au-delà qui n’est pas forcément celui auquel pense le cinéaste mais manifeste souvent la reconduction de clichés quant à l’autre… La juxtaposition des lieux de différents continents s’apparente à une accumulation qui frise la collection. Le film prend l’allure d’un musée imaginaire (s’agit-il d’une manifestation de la pensée de Malraux), qui nivelle toutes spécificités selon une approche universalisante. Les disparités sont gommées au profit d’une similarité de formes ou de comportements, les races, les genres se diluent dans la belle image et convoquent par contrecoup Melodie der Weld (1929) de Walther Ruttman. Tout est ramené au même plan et finalement le flot des images se noie dans le montage qui privilégie parfois des micros récits. Les indigènes n’ont aucun rôle à jouer dans ces images, ils sont la valeur ajoutée de l’exotisme. La prime à l’authenticité ?
C’est ici qu’on voit bien quels rapports cinéma et tourisme peuvent entretenir…
Ce film comme beaucoup d’autres du même genre évite toute incursion dans le champ politique, sauf en quelques rares exceptions des manifestations sont filmées, ces événements particuliers sont l’occasion de faire preuve d’une certaine virtuosité dans la capture. Les véritables exceptions qui dérogent à cette règle de la neutralité présupposée dans le regard du flâneur à la caméra sont les films de Newsreel, collectif fondé en 1967 et dont Yippie (1967) ainsi que les films sur les Black Panthers visaient à contrer les images et l’histoire édulcorée des médias officiels. De même les films de Saul Levine, partage cette attitude, principalement New Left Note (1968-82) qui fait le portrait d’une génération luttant contre le racisme, contre la guerre du Viêt-Nam, pour le mouvement de libération des femmes. Il s’agit du journal des mouvements de la gauche américaine auquel fait écho le traitement brutal du super 8 [3]
.

Les questions sociales et ou politiques ne sont pas souvent abordées par les cinéastes alors qu’ils font des films de voyages. Il s’agit bien souvent de compte-rendu d’un voyage plus ou moins distant. Les films ne sont pas toujours en quête d’exotisme, et peuvent se limiter au filmage des proches avec lesquels on entreprend une ballade, une excursion comme le montre par exemple Journey to Avebury (1971) de Derek Jarman, ou encore Ação e Dispersão (2003) de Cezar Migliorin. D’autres fois, c’est la belle image aux effets attendus qui est privilégiée dans ce cas, le journal participe souvent de cette esthétique National Géographic dont se repaisse à la fois les compagnies aériennes mais aussi les chaînes de documentaires. Dans cet ordre d’idées, les travaux abondent qu’ils s’agissent de certains travaux de Eija-Liisa Ahtila avec Fishermen / Etude n°1 (2007) , Sérgio Bernardes avec Nósenãonós 3 Telas (2003) qui surfent sur l’idée du sublime au travers d’une prolifération d’images de la nature et de la civilisation qui se vautrent dans une esthétique de la monumentalité et du spectaculaire. On retrouve chez Arthur Omar cette même ferveur du sublime dans ses photos de l’Amazonie [4]. Il est ici question de renouer avec le sublime, de magnifier le grandiose, et de s’appuyer sur les stéréotypes canoniques de la beauté romantique.

Ces films décontextualisent les lieux, les habitants en les indexant à une esthétique picturale, dans laquelle ils servent de faire valoir à la maestria du voyageur. À peu de choses près, il s’agit bien souvent à travers ces œuvres ne sont que des films de vacances élargis, qui disqualifient les habitants au profit de la beauté, de la force de la grandeur d’un territoire (que l’on voudrait) vierge.
Quelques soient les cinéastes, nous sommes tous confrontés à cette production de clichés, il en va de même pour moi, lorsque je filme des lieux, des espaces on découvre des images parasites, des clichés et des stéréotypes. On est constamment entrain de négocier avec ces stérotypes.

À cet égard le film de Frank Cole Life Without Death (2000) est exemplaire dans la mesure ou le projet du cinéaste de traverser le désert du Sahara de l’océan Atlantique à la mer Rouge, seul à dos de chameau, s’effectue en dehors de toutes considérations pour ce qui se déroule dans les territoires traversés. « Au XVII ème siècle encore, le Sahara était une terre inexplorée, un vide mystérieux sur les cartes de l’Afrique. Aujourd’hui, le Sahara continue à provoquer terreur et fascination dans l’esprit des Occidentaux. Être ainsi confronté à la nature sur une échelle aussi grande constitue un défi lancé à toutes les audaces.
La partie du film qui se rapporte à la traversée du Sahara a été tournée par Cole, seul.
Sa caméra Bolex était équipée d’une minuterie qui lui permettait de préparer une prise et de s’inclure dans celle-ci. Tourner seul un film dans le Sahara exigeait une attention continue et ajoutait une complexité supplémentaire à la traversée effectuée par Cole. Le stock de pellicules et le matériel cinématographique devaient êtres manipulés avec soin et protégés pour éviter des dommages causés par la chaleur extrême et les grains de sable. Du fait que ses tournages étaient illégaux dans la plupart des pays qu’il traversait, Cole courait également le risque d’être arrêté.
Il commence alors son voyage de 7100 Km en partant de Nouakchott, en Mauritanie, le 29 novembre 1989. Son itinéraire vers la mer Rouge suit les pourtours sud du Sahara en traversant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan. Plusieurs des pays traversés par Cole sont à ce moment en proie à une guerre civile ou tribale (dont il semble ignorer ou nier la réalité). Seul son voyage lui importe.
Sa décision de voyager seul rend son voyage encore plus difficile et dangereux. Étranger dans un territoire peu connu de lui, il est encore plus vulnérable aux attaques par des bandits ou des voleurs. Cole doit naviguer par lui-même, s’occuper des chameaux en plus de trouver nourriture et eau. Ses repas consistent de dattes, riz, sardines et tout ce qu’il peut acheter auprès des habitants des oasis qu’il rencontre. Il transporte avec lui soixante précieux litres d’eau, soit en gros assez pour trois jours de voyage.
En dernier ressort, son itinéraire est dicté par l’emplacement d’une poignée de puits à travers le désert. De temps à autre, il engage des guides pour l’aider à traverser quelques-unes des parties les plus difficiles de son itinéraire, mais, finalement, il aura effectué quatre-vingts pour cent du parcours seul. Pendant son voyage, Cole est contraint à échanger ses chameaux épuisés ou blessés contre des montures reposées. Il lui faudra en tout un total de huit chameaux.
Il atteindra les rives de la mer Rouge onze mois après son départ, arrivant à Souakin, au Soudan, le 3 novembre 1990. [5] »
On retrouve ainsi chez Frank Cole, cette fascination pour l’Orient qui a hanté tant d’occidentaux au fil des siècles. De plus, le film emprunte comme le font de nombreux récits de voyages, filmés ou écrits cette forme de la quête qui mène le voyageur à se découvrir, au contact des étrangers. Le voyage et l’Autre plus ou moins indirectement, déclenche un processus qui participe de la quête d’une vérité. La confrontation à l’hétérogène entraîne ainsi une expérience proche de la révélation, de l’illumination pour certains. La forme du « récit » emprunte à Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Le pays étranger fait voler en éclats les certitudes de l’occidental, le déstabilise, le vulnérabilise. On retrouve ici cette dimension mythologique de la découverte de soi dictée par un ensemble de conduites ou d’épreuves à affronter. La dimension religieuse, pour ne pas dire mystique est fondamentale.

D’autres cinéastes interrogent les conditions mêmes de l’enregistrement des images qu’ils font des lieux, et habitants de ces territoires. Il faudrait ici s’intéresser au travail cinématographique et théorique de Trinh Minh Ha qui dès Reassemblage (1982) qui « ne se propose pas de parler de, mais simplement de parler près de. » L’inscription de cet écart le façonne une distance qui évite les écueils de la spectacularisation et les tropes affectifs intenses. Rien n’est caché, les plans ne se fondent pas les uns dans les autres, mais toujours en rupture, visible. La question de l’altérité [6] fait au cœur du dispositif cinématographique, par les coupes, variation d’angles de prises, disparition du son, et rappelle ce qui est en jeu dans le filmage des autres, c’est-à-dire la construction d’identité instable. Ces questions de l’identité, de la race et du genre mettent à mal la production d’une identité stable elle se manifesteront au travers du New Queer Cinéma [7]
et dans le Third Cinema [8] le cinéma diasporique.

Tous les films de voyages ne sont pas pour autant des travaux, ils peuvent s’apparenter comme nous le faisons remarquer à propos de quelques films de Derek Jarman, à des dérives, des découvertes de lieux, ils sont alors comme des cahiers de croquis dans lesquels l’impression fugace d’un moment, la translation d’une émotion face à un paysage dominent. On est en présence de films qui pour la plus part travaillent avec le tourner/monter, c’est-à-dire ce qui a été capturé est montré sans montage secondaire. Ce sont les notions d’improvisation, d’aptitude à réagir à ce qui se surgit de l’autre côté de la caméra, qui prédomine. Ces films négocient avec les clichés et les stéréotypes lorsqu’ils rendent compte de lieux connus. Dans Young Arnold Schwarzeneger in Brazil [9], les clichés sur les femmes de Rio abondent. On pourrait ainsi multiplier facilement les exemples. Ces clichés sont légions dans les films amateurs, mais ne sont pas absents des films de cinéastes « confirmés ». Lisl Ponger une artiste autrichienne travaille depuis plusieurs années avec des films de vacances amateurs. Il s’agit de found-footages. Elle s’est approprié ces documents qui circulaient au sein des familles et qui n’étaient pas destinés à un large public. Ils avaient la même fonction que l’album de famille et permettait la production de récit familiaux tout en la validant. On retrouve par extension une attitude similaire avec les journaux filmés de Mekas, de Téo Hernandez et de bien d’autres cinéastes expérimentaux qui document leur entourage, ou les groupes qu’ils fréquentent.
Avec Passages (1996) et Déjà vu (1999), Lisl Ponger travaille les images touristiques. Avec Déjà-vu, découvrant ces images du monde (qui rappellent ce magazine Le spectacle du monde, une version plus moderne de L’illustration), nous sommes confrontés à nos envies d’exotisme qui est largement façonnés par les images de lieux et de contrées que nous n’appréhenderons qu’au cinéma ou chez soi. Nous voyageons ainsi à travers les souvenirs de nos voyages autant qu’à travers les clichés qui parasitent notre mémoire. La particularité du film réside dans l’inclusion de nombreuses langues qui envahissent les images, en sorte que l’étranger objet du regard se fait entendre. La collection de documents mets en évidence les stratégies et les stéréotypes en jeu dans la production d’images et dans la rencontre avec les étrangers : le grand Autre.
Avec Passages, la contemplation ou l’épanchement nostalgiques sont déjoués par la juxtaposition de bandes-son qui racontent des histoires d’émigrations forcées, quittant l’Autriche face aux Nazi. La confrontation entre les images de ces voyages dans des contrées lointaines avec les récits de fuite déclenche un malaise dans lequel la naïveté du regard est évincée. Les histoires d’emprisonnements, de tortures, de fuite gâche tout le plaisir ! Les sons autant que les images sont des objets trouvés.

Le journal filmé emprunte à la quête sa structure formelle. Il ne vise pas toujours à constituer une mythologie. Il peut tout simplement illustrer un parcours, une quête sans fin. C’est dans cet ordre d’idée qu’on peut appréhender le film d’Edson Barrus,Deus meu Louvre ! (2006) Edson Barrus. Cette proposition a ceci de remarquable qu’il articule la quête d’une toile célèbre du Louvre avec l’appareil dont l’autonomie de capture restreinte. La conjonction de ces deux contraintes catalyse le suspens !

sans titre Beijing (2006), Spetsai (1989) de yann beauvais sont deux journaux de voyages, l’un se concentre sur une vue de Beijing la place Tian nan Men, l’autre sur une île du Péloponnèse.
Parler si on a le temps de la relation entre un espace marqué par des images des médias, par l’histoire, la place Tian nan Men et voir en quoi ce qui est filmé évoque ce qui s’y est déroulé quelques années auparavant. L’abnégation des soldats vis à vis de la tache à accomplir.
Pour Spetsai la stratégie de la capature d’image S8 et 16, leur plastique est barré par l’adjonction d’un texte sur l’écologie de Guy Debord, qui confère aux images une autre dimension.


[1] Sur la photographie, Editions du Seuil Paris 1979

[2] Expérimental Ethnography, Duke University Press p 132.

[4] O esplendor dos contrarios : aventuras da cor caminhando sobre as aguas do rio Amazonas. Editor Cosac & naify, Sao paulo 2002

[5] résumé du film, in dossier de production

[6] Voir Trinh T.Minh Ha : Framer framed Routledge New York 1992, et Women, Native, Other, Bloomington Indiana University Press 1989

[7] B. Ruby Rich “New Queer Cinema” : Sight & Sound, Volume 2, Issue 5 (September 1992)
Queer Looks , perspectives on lesbian and gay films Martha Geever, Pratibha Parmar et John Greyson Routlege NY 1993