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yb 150213 (Pt)

Jean-Michel Bouhours in:  yb 150213 40 anos de cinemativismo, edited by Edson Barrus, B³, Recife, 2014 em Português, in English.

 Alors que le présent nous enjoint de rechercher toujours plus grand – de grands espaces, de grands musées pour des œuvres monumentales, l’esprit de contradiction m’enjoint de trouver satisfaction dans le petit. Small is beautifull, pour reprendre une formule célèbre. La contrainte spatiale produit une forme d’ascèse qui me convient. Finalement, le monumental induit la facilité de ne pas choisir, de ne pas hiérarchiser. On parle de catalogue raisonné mais est-ce bien raisonnable de vouloir être exhaustif ?. Alors Vive le small, le tiny, le piccolito, le pequenito. La boite en valise duchampienne aura été, comme beaucoup de gestes chez Duchamp, une proposition visionnaire et programmatique .

 Des choix s’imposent à la valise, où il fut réduire jusqu’au strict minimum du voyageur. Ce principe de réduction chimique d’une sauce jusqu’au fond voire jusqu’à « une réduction à glace », est aussi à la base de l’art culinaire, pour faire monter les saveurs.

 Montrer 40 années de l’activité de yann beauvais qui n’a pas ménagé sa peine tant dans sa propre création qu’en direction de celles et ceux qu’il a soutenu comme programmateur, curateur, critique et historien dans 80 mètres carrés de surfaces d’exposition, demande évidemment des choix drastiques. Toute l’œuvre de yann beauvais n’est évidemment pas présentée ici. Loin s’en faut. yann beauvais de A à Z reste à faire ; nous nous contenterons de y à b, pénultièmes bornes de l’alphabet romain pris à rebours.

 Alors que mon choix s’est porté sur trois films seulement, choisis dans une filmographie qui en compte plusieurs dizaines , ceux-ci me paraissaient pouvoir synthétiser trois constantes de son œuvre : le langage formel mis en œuvre à partir de R (1976), l’activisme qu’il a manifesté auprès de mouvements border line de la société, le cinéma expérimental et la cause des communautés gay et lesbiennes, enfin son rapport au Monde au travers non pas de sa mise en représentation – ce que Debord a pointé comme société du spectacle, mais de son détournement ; le fracas ou la ruine des media dans leur fonction d’aveuglement ou de fascination .

 Commencer par un R. Je n’ai jamais demandé à yann ce que signifiait cette consonne abréviative. Un R, l’ air de quoi au juste? d’une musique du silence de la salle de projection. Les rythmes de l’image produiront à eux seuls une musique intérieure qui sera vraisemblablement dans l’intimité de chaque spectateur. Un aria de Jean-Sébastien Bach dans lequel le violon semble vous déstabiliser dans votre propre corps. Je cherche sur le site de Light Cone la fiche du film et trouve ce texte dont avec surprise, je découvre être l’auteur. « L’image de R est en noir et blanc, cliché d’un jardin dont on pressent un passé oublié mais glorieux, aujourd’hui livré à la seule présence des herbes folles. L’image vibre, décrivant un espace géographique, dont la séquence finale du film livrera une version tronquée mais continue. Ce faisant, le film répond à une construction rythmique visuelle, élaborée sur la base d’une partition qui détermine la présence ou l’absence de l’image (noir), l’ordre de leur succession et leur rythme. yann beauvais a élaboré sa propre écriture visuelle en interprétant une invention à deux voix de Bach. Il se sert de l’échantillonnage d’images comme gamme ; autrement dit, le panoramique visuel devient un clavier composé de touches (clichés) que la partition musicale va commander. L’écart entre les notes dans la partition de Bach (en solfège il s’agit du nombre de degrés entre les notes qui déterminent des intervalles) définit l’écart entre les images: par exemple, une tierce (intervalle musical de 3 degrés) correspondra à une succession d’images décalées d’un angle visuel de 15 degrés, ainsi que le rythme. A partir de ce tronc central inspiré de l’invention, yann beauvais a conçu en amont et en aval des variations libres, telles que l’autorisait la musique baroque dont il s’inspire. R compose grâce à une image syncopée et rythmée un espace décomposé et surréel, faisant surgir une «mémoire», un affect des lieux qu’aucun panoramique fluide et bien «léché» n’eût permis. La vibration, le scintillement exagéré donne à cette image un aspect hypnagogique que renforce un cône blanc de lumière sur le bord latéral de l’image dû à un défaut d’étanchéité fréquent sur les caméras Bolex, et qui avec bonheur fait fonction de rappel de la nature lumineuse de l’image cinématographique et des propriétés spécifiques de diffraction de la lumière.»

 Deke Dusinberre précisait que le lieu, très important dans ce film car il est entouré d’un grand mystère, était celui d’une maison du XVIIIe siècle, devant laquelle avait été exécuté au Grand siècle des œuvres de Bach. Le passé semble partout : dans ce noir et blanc un peu délavé, dans les herbes folles, dans cette maison dont on pressent l’histoire plus prestigieuse que le présent qui semble ne plus se réaliser². Le film est fondé sur la métonymie de la coupure qui est de deux ordres. La coupure lumineuse provoquée par des images noires dans le cours de la séquence, puis la coupure du cône blanc qui entame le rectangle de l’image cinématographique, et destructure son intégrité. La coupure est une affaire de cinéma ; elle est nécessaire pour que l’image reproduise un mouvement de manière parfaitement illusionniste. Elle est liée à toute l’histoire du cinéma, de son invention technique avec la croix de malte qui allait permettre de couper le flux de l’avancement continu de la bande filmique à l’invention du montage qui allait permettre avec une certaine plasticité d’inventé une succession discontinue d’espace-temps cinématographiques. Le cinéma est l’art de la coupe, excellemment. Buñuel et Dali inauguraient leur Œuvre cinématographique par un gros plan d’œil sectionné au scalpel par Buñuel lui-même dans Un chien andalou (1929). Leur cinéma devait crever l’ordre rétinien. Or malgré le déferlement des images dites fortes, violentes, celle-ci garde toute sa capacité d’effroi. L’œil (l’organe voyant) peut supporter tous les massacres possibles, toutes les atrocités que l’être humain est capable de concevoir, moins peut-être le spectacle de son propre massacre1. Car, nous dit Georges Bataille, la relation à l’œil se situe d’emblée entre séduction et horreur, à la source de « réactions aigues et contradictoires »2. La coupe est constitutive de la construction de l’image selon le modèle perspectiviste dans lequel le tableau est « réalisé » dans le plan qui coupe la pyramide du rayon lumineux qui a pour sommet le centre de l’œil.

 Cette pyramide visuelle devint cône de lumière avec Anthony McCall Line Describing A Cone (1973), qui, présenté au dernier Festival EXPRMNTL à Knokke Le Zoute en 1975, fut un choc pour toute une génération de cinéastes dont je faisais moi-même partie ainsi que Yann . La démarche de McCall s’inscrivait dans un extraordinaire mouvement de l’expanded cinema en Angleterre au milieu des années 70, où étaient explorés les dispositifs d’écrans multiples, de projections élargies, de spectacles d’ombres. Le cône deviendra un symbole de ralliement pour les cinéastes qui se rangeront sous la bannière de Light Cone, la structure de diffusion que Yann mit en place à partir de 1982 avec Miles Mc Kane à Paris et qui connut un destin remarquable puisque 30 ans plus tard celle-ci perdure s’amplifie tout en s’adaptant aux contextes économiques et technologiques d’évolution des media d’images en mouvement. Ce cône, accident de l’histoire d’un boitier de caméra ayant un défaut d’étanchéité fait signe dans R. Il est la coupe du ciseau en pleine vue, alors que cette coupe intervient ordinairement entre deux images pour que l’image projetée à l’écran n’en puisse prendre conscience. Cette coupe des ciseaux pour les cartes postales de Sans titre 84, où l’arc de triomphe est découpé et reconstitué en tranches comme un scanner vont amener yb à la métaphore de la fente d’images différentiées et disposées à la manière des volets d’un éventail dans New York Long distance (1994) puis dans Des rives (1998). En double ou triple projection , RR (1976-85), la fente est verticale, le long de laquelle symétriquement chaque image semble s’enrouler ou se déplier à la manière d’un tableau transparents de Carmontelle sur ses enroulements latéraux. Car l’espace « décadré » de R -j’emploi volontairement ce mot à tors sans doute mais il est celui de yann à propos de son œuvre : le cinéma décadré- qui est un espace de l’interstice et du flux discontinu de la matière lumineuse, semble miraculeusement avoir disparu au profit d’une recomposition fictive qui s’apparente parfaitement à l’esthétique des panoramiques. yann reviendra sur les lignes d’images à chacune de ses installations. Que sont ces lignes d’images : un fil, un trait ténu quasi invisible à l’œil nu, mais que la dynamique contradictoire ou dialectique des images rend tangible. C’est ni plus ni moins une frontière où se matérialisent les conflits d’images. Celles-ci ont une capacité forte de simulation spatiale se transformant en arêtes de prismes, donnant tantôt la sensation d’une fuite des images selon un axe soit au contraire d’une progression de l’image en avant du plan de l’écran. Dans le cas de RR ou de Quatr’un (1993) le fait qu’yb utilise la même source image , inversée et donc proposée comme son reflet inversé (effet du miroir) neutralise le choc de la ligne-frontière d’images au profit d’une harmonie des deux voies où l’on retrouve bien évidemment la musique de Bach3. Dans le cas de Quatr’un, la figure de la croix est dominante partageant le cadre de l’espace de projection en quatre rectangles. L’horizontale privilégie la ligne d’horizon et donc la simulation d’une continuité, tandis que la verticale demeure plus abstraite comme la ligne de tension des rythmes des images. L’installation fit l’objet d’une collaboration musicale de Thomas Köner. L’R (2000) que le compositeur conçut est un drone musical doublé d’une sorte de murmure impossible à identifier : ce pourrait être celui de rotatives d’imprimerie dont le cliquetis des rouleaux auraient été assourdis quand on pense avoir repéré une dimension mécanique du son ou le bruit lointain d’une cascade quand celui-ci nous semble d’une fluidité absolue.

 L’apparition du sida dans les années 80 et l’hécatombe qu’il a provoqué dans les milieux gay, a donné de la voix à yb. Celui-ci s’engage avec les mots, avec sa voix. Tu, sempre (2001) radicalise ce recours au langage dénominatif, en utilisant des mots de combats qui envahissent l’espace d’exposition de phrases diffractées sur tous les murs de la salle où la pièce est présentée. La création sonore de Thomas Köner débute par une sorte de bruit de foule qui pourrait être la rumeur d’un stade ou la rumor inferno de Dante :

« Là, pour autant que l’on pouvait entendre,

Il n’était pas de cris, mais rien que des soupirs,

Lesquels faisaient frémir l’air éternel.

Cela faisait du chagrin sans tourment

Qu’éprouvait une foule nombreuse

D’hommes, d’enfants, de femmes de tout âge »

Dante La Divine comédie, L’enfer

 De ce son émergera vers le tiers du film, la voix de yb.

 Luchando réalisé en 2010-11 est un film d’une rare complexité. Il se situe dans une lignée de films commencés avec Spetsai (1989) où le cinéaste cherche un rapport dialectique, l’équivalent du contrepoint en musique, entre des images de voyage dans des moments d’émotion intenses devant le sublime de la nature, ou d’un paysage urbain voire d’une situation et un pendant discursif. Cette dialectique convoquent les deux zones du cerveau : le cerveau vestigial sollicité par le sens de la vue sur un registre de sublimation et le cortex, cerveau cognitif qui mène une réflexion grave, pour ne pas dire dramatique et donc désublimante. Dans le cas de Spetsai, le texte de Guy Debord Commentaire sur la société du spectacle fait fonction de prévarication d’images idylliques tournées sur une ile de la mer Egée. Le bonheur n’est qu’apparent ; le danger écologique représenté par l’industrie nucléaire est certes invisible, donc absent de l’image ; pour autant il est une menace permanente que les intertitres rappellent à la manière de « warnings ». Le texte entrecoupe le flux des images ; sa lecture interrompt à intervalles réguliers le mode visuel : la lecture est une coupe au sein d’un mode de jouissance visuelle.

 Luchando fut lui aussi réalisé à la faveur d’un voyage, à Cuba en 2009. Il est parfois difficile de déceler la part des images personnelles au milieu des images d’archives. Mais en aucun cas, il ne s’agit ici d’un film de voyage. Peut-être en est-il l’antithèse dès lors qu’il pose très lucidement la question des motivations réelles du voyage ? Qu’y a-t-il derrière cette initiative, se demande l’artiste ? est-ce la motivations de sentiments relevant d’un romantisme révolutionnaire de la part d’un ressortissant occidental dont la génération a été pétrie de théories révolutionnaires et marxistes, et qui a rêvé de changer le Monde à la lumière des mouvements de libération tiers-mondistes, guevaristes ou castriste. Un romantisme qui s’émoussa avec la question des droits de l’homme et du sort des prisonniers politiques et que le capitalisme – Lénine avait déclaré : les capitalistes sont capables de nous vendre les cordes pour qu’on les pende- recycla en « produits dérivés ». Etait-ce cette curiosité ? ou était-il lui aussi, yb, un touriste sexuel ? Autant de questions posées sans ménagements ni tabous. La question de la condition des homosexuels à Cuba est le sujet du film, sans que l’on puisse dire qu’elle soit au centre. L’histoire politique, le passé, le glamour de la musique cubaine, tout semble s’enchainer sans discernement  ; la question de la persécution des homosexuels est télescopée par une interview de Fidel Castro, comme s’il était vain de se centrer sur le sujet, parce que, reconnait le cinéaste, la réalité est autrement plus complexe que ce que le touriste potentiel, même informé, peut penser savoir. En toute lucidité, l’auteur prévient que ce voyage participe d’une « expérience de double bind généralisé ». Le fantasme de l’idéal révolutionnaire télescope le fantasme sexuel. Pour autant yb démontre que la situation est plus complexe. Le fantasme révolutionnaire n’est plus électrisé par Fidel qui dans un entretien, tente de démontrer que l’épanouissement personnel de chaque individu est possible dans le contexte de la Révolution. Mais Fidel vieux et entaché de l’exercice du pouvoir sans partage n’a plus cette séduction du héros qui s’opposait à l’impérialisme yankee au tournant des années soixante. Les images d’archives de la période de la baie des cochons et de la crise des fusées viennent nous rappeler cette période bénie où il existait encore une « bonne lutte de classes » entre bonne et mauvaise cause, une lutte entre le faible et le fort. Dans ce contexte, la magie de sa rhétorique savait faire mouche .

 La coupe est toujours à l’œuvre avec des images en flashs surimpressionnées à d’autres images : le flux discontinu est un phénomène d’électrisation de la « séquence souche ». Car dans ce film la figure de style dominante est la surimpression. Celle-ci a été utilisée très souvent au cinéma pour figurer des séquences de rêves chez Luis Buñuel, Germaine Dulac, René Clair ou encore Jean Epstein.. Dans Luchando, la surimpression est là pour rappeler l’impossible univocité de la réalité. Elle figure un dérèglement contemporain des repères de la pensée aggravé ou symbolisé par le dérèglement des sens. Les flots d’images démontrent des pensées parfaitement contradictoires. Le commentaire off d’un film de propagande est mis en pièces par un témoignage contemporain sur un état policier contrôlant chaque citoyen, incluant les touristes qui ne verront du pays que ce que les autorités voudront bien montrer. La surimpression sonore et visuelle a plusieurs fonctions. Tout elle est la métonymie d’un réel manipulé : les manifestations en faveur de Castro où les persécutés doivent applaudir leurs persécuteurs, le tourisme à qui l’on présente une vitrine du pays ou encore le paysage de ruines de La Havane, décrit par un cubain comme un décor destiné à rappeler l’état de guerre du pays contre l’envahisseur impérialiste. La surimpression est aussi le paradigme d’un brouillage par saturation de discours parfaitement contradictoires.. Les couches d’images sous-tendent que la surface de l’image serait à elle seule une apparence trompeuse, une impossible simplicité de lecture. Le principe sédimentaire de l’image ruine l’ambition d’une unicité du réel et donne une représentation du double bind à partir duquel est conçu ce film témoignage.

 Couvre feu (2006). L’historien du cinéma yb a largement contribué à la reconnaisssance du cinéma dit de found footage. Ce genre institué en tant que tel prend son essor après la seconde guerre mondiale, avec des personnalités telles que Bruce Conner, Raphael Montañez Ortiz aux Etats-Unis ou encore Maurice Lemaître et Guy Debord en France. Ce cinéma de montages de plans ou séquences empruntés et recyclés, connut un regain d’intérêt à la fin des années 80 avec Martin Arnold, Christian Marclay, Craig Baldwin, Keith Sanborn ou encore Bill Morrisson. En 2001, avec yann beauvais, nous avions organisé au Centre Pompidou une manifestation avec une publication, intitulée Monter sampler, l’échantillonnage généralisé qui replaçait dans une perspective historique les problématiques très contemporaines de l’échantillon, du recyclage des images et des sons et des questions que ces pratiques posaient dans le champ esthétique, éthique et juridique (droits d’auteur versus copyleft) . Couvre feu qu’il réalise quelques années plus tard, relève de ce champ du found footage, puisque toutes les images sont empruntées aux medias commerciaux : télévision et vraisemblablement des sons de la radio. Les évènements sont ceux qui éclatent dans une des banlieues les plus défavorisées de Paris, Clichy-sous-Bois à l’automne 2006. La mort d’un adolescent de ces quartiers poursuivi par les forces de police, embrase l’ensemble des quartiers péri urbains dits difficiles. Le modèle d’intégration de la société française hérité des principes de la Révolution française, montre au travers de ces évènements ses failles pour ne pas dire sa faillite, que ni les pouvoirs en place ni la société dans son ensemble (intelligentsia confondue) n’ont voulu voir. Ces évènements ne sont pas les premiers, mais en revanche ils prennent une ampleur inégalée dans les faits et dans leur résonnance médiatique. La France apparait aux yeux du monde comme un pays au bord de l’explosion sociale ; elle fut décrite comme telle dans les media américains.

 yb n’a pas fait pas un film de plus sur ces évènements. Il a récolté au sein des media ce qu’il vu et entendu, analyse et reconditionne ces éléments. Le langage du found footage conduit par nature à une forme spécifique de montage, où les principes d’unité (spatiale, temporelle voire du contenu) sont ruinés. L’auteur de film de found footage engage d’une certaine manière le spectateur à se laisser totalement abuser par la manipulation que permet le montage. Cette manipulation qui consiste à créer du continu, du sens, de la logique à des enchainements d’éléments hétérogènes, et que les surréalistes ont expérimenté avec le « cadavre exquis » dès les années 30, a été repéré comme celui du fonctionnement de l’inconscient. Or cette analyse n’est plus opérante aujourd’hui quand nous sommes tout à fait capable de regarder le Clock (2013) de Christian Marclay, comme n’importe quel autre film de fiction. Ce qui était la représentation d’une zone cachée de l’être humain avec les surréalistes, s’est transmuté en une œuvre de spectacle. C’est que la coupe, qui n’est plus au service d’un fil narratif, est elle-même fiction. Les césures entre les plans emprunte à la tradition du « montage des attractions » définis par S.M Eisenstein où le cinéma recherche plutôt le heurt des diverses séquences montées bout à bout que leur fluidité et la continuité narrative.4 Alors que le reportage télévisuel du même évènement aurait « organisé » les paroles contradictoires des protagonistes par un commentaire qui est au pire un commentaire directif sur ce qu’il faut penser, au mieux une zone neutre ou zone médiatrice de positions contradictoires, yb met bout à bout les discours, sans « plans de coupes », les laissent s’affronter au « corps à corps », que ceux-ci proviennent de la guérilla urbaine ou du pouvoir politique. En télescopant ainsi, il procède à une dé- hiérarchisation. La simultanéité des paroles (un clin d’œil au simultanéisme pictural vraisemblablement) rend compte avec une rare évidence du décrochage, pour ne pas dire, de l’inanité d’un pouvoir politique qui après de multiples « politiques de la ville » toutes aussi ratées –il y eut même plusieurs ministères pour cela !- est incapable d’analyse et qui, pour seule réponse, oppose l’ordre républicain et la rhétorique militaire : l’Etat d’urgence et le couvre-feu. La forme du found footage, le montage cut et abrupt constitue une rhétorique idoine pour ruiner la rhétorique militaire. Le rap largement présent dans ce film, joue un rôle primordial en tant qu’expression culturelle. Les rebelles, pour la plupart issus de l’immigration, se sentant privés de tout, réaffirment chaque fois qu’ils « ne sont pas des animaux ». Cette lutte a des causes sociales, politiques, économiques, urbanistiques, mais le sentiment de déni de faire partie de la communauté des hommes domine toutes les autres causes. La musique de rap perçue généralement comme une musique violente, agressive voire catalyseur des instincts les plus bas, démontre au contraire, l’humanité de ceux qui cassent des cabines téléphoniques et incendient des voitures. Avec une certaine perversité, yb « assassine » à coups de mise en boucle de la même séquence, un Président dont l’âge soudain saute aux yeux, coupé de la jeunesse du pays qu’il dirige, et qui ne comprend plus rien. Yb en fait un pitoyable slameur à la rhétorique guerrière et terriblement pauvre sémantiquement. Cette indigence du discours politique tranche avec la richesse des textes de Amiclka e Chocalate  et Dizis la peste. « 

 

 Autour de ces trois films, la boite en valise yb-ienne contient des sons, des documents, des revues, des partitions qui vont rendre compte d’un itinéraire riche, où le faire (son œuvre) s’est totalement imbriqué dans d’autres activités, d’historien, de critique, de programmateur, de curateur ou encore de simple militant. Cette boite en valise peut elle-même être la boite de Pandore donnant accès au tout.

Jean-Michel BOUHOURS

1Voir à ce propos le film d’Andrej Zdravic ????

2Cf Georges Bataille in revue Documents n°4,, Paris, septembre 1929,

3Cf yann beauvais « Manifestement » in Liu Yung Hao Yann Beauvais le cinéma décadré, Centre Pompidou/Afaa, 1999, p 85

4Jacques Aumont/Michel Marie Dictionnaire théorique et critique du cinéma Paris, 2005, p 12

 

D’un monde l’autre (Fr)

German and English, Hyper Media Gestern und Morgen, 43 Internationale Kurzfilmtage Oberhausen 1997

Le cinéma expérimental ne s’est pas toujours préocupé de narration. A certaines époques de son développement, l’accent s’est porté sur d’autres apects du médium, qu’illustrent les recherches déployées par l’avant-garde allemande et française des années 20, autant que par le cinéma underground et structurel des années 60 et 70. Les cinéastes de ces différents mouvements interrogent les conditions de production de la spécificité du médium à partir de ses constituants. Ces analyses, ces discours filmiques, balayent parfois la notion d’auteur, dans la mesure ou elles s’effectuent au moyen du médium. C’est dans ce sens que les dispositifs mis en avant par ces films préfigurent le rôle que tiendra l’auteur comme générateur de possibilités dans l’élaboration d’une histoire sur laquelle l’usager vient se brancher et qu’il transforme selon des modalités plus ou moins régulées en fonction de ses aspirations. L’objet de cet article se limite à indiquer des rapports que le cinéma expérimental entretient avec des modes de narration non linéaire. Comment cette pratique a pu esquisser ou mettre en place de tels dispositifs qui font éclater les modes narratifs classiques en ouvrant des espaces que pourront investir d’autres technologies dans le façonnage de nouveau langage.

Précisons d’emblée que nous ne nous interesserons pas à ce cinéma mimétique qui travaille la chose filmée à partir d’une série de codes basé sur les notions de resemblance et de conformité vis à vis de la réalité. Nous privilégierons un cinéma expérimental qui a questionné les modalités et les potentialités du récit à partir, par delà ou en deça de la narration. Ces questions surgissent souvent lorsque le projet cinématographique s’effectue selon une grande quantité d’image tournée ou non par le cinéaste. En celà, la démarche s’apparente à celles des documentaristes, des diaristes ou des films de found footage. Pour chaqune de ces catégories, se posent la question du sens et surtout du comment faire sens à partir d’un ensemble de matériaux engrangés. Ce problème d’organisation évoque la question sous jacente sur la nature du montage et sur son importance, que les cinéastes soviétiques, principalement Eisenstein et Vertov avaient abordé de manière exemplaire. Pour Vertov, l’intervalle est le maillon essentiel de la production du sens dans la juxtaposition des plans : “Ce sont eux, les intervalles qui entrainent l’action vers le dénouement cinétique. L’organisation du mouvement, c’est l’organisation de ses éléments, c’est à dire des intervalles dans la phrase.” 1 Ainsi Vertov peut aussi dire : “Monter, cela signifie organiser les bouts filmés (les images) en un film, “écrire” le film au moyen des images tournées, et non choisir des bouts filmés pour faire des “scènes” (déviation théâtrale) ou des bouts filmés pour faire des légendes (déviation littéraire).” On comprend à la lumière de ces déclarations qu’il est nécessaire d’envisager le cinéma comme une pratique s’éloignant de la littérature. Ce parti-pris est partagé par toute l’avant-garde cinématographique à partir du moment ou le cinéma est envisagé comme une pratique singulière. Et ce, d’autant plus lorsque les cinéastes cherchent à établir ou nommer la logique qui préside à l’assemblage du divers (de la sensation, des plans…) dans un film. Quelles modalités président à l’élaboration d’une forme ?.Un argument similaire se retrouve chez Maya Deren, lorsque évoquant la structure de ses films elle les envisage comme étant plus proche de la poésie : “ These films stand in relation to most films as poetry does to literature. Actually in a sense, their structure is closer to music. One of the habits that we bring with us is the anticipation that their will be a narrative in film and that narrative will give the film form. In this case there is no narrative, any more than there is narrative in musical composition. To say there is no narrative is not to say it is anarchic; but according to another logic. My effort is directed toward discovering what would be the logic of film form as constructed to the logic of narrative form : to discover this logic – as a poet discovers the logic of one tone following another – and in which we recognize a melody, although it is not a narrative. ” 2 Cette attente de la narration est ce que l’avant-garde a remis en cause, qu’il s’agisse des cinéastes dadaistes et surréalistes comme Man Ray ou Luis Bunuel détournant la linéarité d’un récit au moyen d’intertitres3, ou encore comme Stan Brakhage qui au moyen de l’éléboration / affirmation d’une vision subjective se débarasse du parasite de la narration au profit de l’expressivité d’une subjectivité pronant ainsi l’avènement du “personal cinema”. Cet ancrage du travail de l’artiste dans une subjectivité, pour le moins romantique prmomut par les cinéastes américains sera dénoncé par Malcolm LeGrice. Il privilégiera l’anonymat des dispositifs cinématographiques dont il développera les virtualités processueles.

Des stratégies simaires ont été fréquemment utilisées par les cinéastes d’avant-garde lorsqu’ils cherchaient à déjouer le developpement linéaire, afin de faire surgir le plan de la construction, le plan processuel dans l’espace du film. Ici on pense à Histoires de détective (1929) de Charles Dekeukelaire4 , Hollis Frampton, Peter Rose, qui chacun à leur manière ont travaillé le hors-champ du langage. Jeux de mots qui font se croiser les images sur des plans distincts et font surgir dans le déroulement du film une suspension, presque un arrêt. Suspension qui n’est pas sans évoquer l’irruption d’un souvenir au moyen d’une image. On pense ici, à l’expérience que décrit Proust (mais il n’est pas le seul) lorsque goûtant une madeleine, tout un pan de passé resurgit. Affirmation simultanée de deux temporalités au sein d’une même expérience et dont on fait l’expérience au cinéma avec le croisement des processus articulant une pluralité temporelle. Ainsi parfois dans les journaux filmés la manifestation d’un événement s’accompagne d’images qui viennent brouiller, parasiter l’expérience de saisie du présent. Ainsi chez Jonas Mekas5 le rôle des intertitres et de la voix off, permettent d’apporter la diversité des éléments en jeux dans la perception. De même chez Matthias Mueller on retrouve des chevauchements d’expériences qui mettent en scène à la fois l’acte de la mémorisation et la structure de cette perception (principalement dans Aus der ferne 1989). Ces processus de mémorisation sollicitent des ensembles de variations qui peuvent à leur tour devenir l’objet d’un film, déjouant ainsi la narration au profit du pur processus et de son exploitation. Le cinéma structurel fut l’un des champion de ces recours lorsqu’il examine les constituants, déterminant ainsi les éléments de base du dispositif cinématographique. On pense ici au travail de Ken Jacobs avec Tom Tom The Piper’Son (1969) dans lequel la comédie burlesque est analysée, oscultée de telle manière que lors de sa récapitulation finale la trame narrative cède la place aux potentialités qu’elle contenait et dont le film a été l’exposition. Cette élaboration secondaire est ce qui permet de réintroduire de la multiplicité dans le cours d’une scène de ménage, si l’on pense à Critical Mass (1971) de Hollis Frampton qui par le truchement du bégaiement de la bande-son interroge l’attribution des rôles des partenaires en faisant glisser progressivement la voix de la femme à la place de celle de l’homme et inversement. Ce renversement interroge autant la notion de genre dans son attribution des rôles que la conformité d’un enregistrement d’une action jouée. Qu’en est-il de sa véracité, de son authenticité. Toute le fantasme du cinéma comme moyen de reproduction fidèle de la réalité est dénoncée par le déploiement de tels processus. Cette critique se radicalise chez Peter Gidal qui dénonce l’asservissement de toutes représentations. Celles-ci participent d’une affirmation idéologique particulière qui privilégie avant tout l’expérience de la re-connaissance et manifeste ainsi la perpétuation d’un certain mode de pouvoir de l’illusion.

Mais envisager le cinéma comme pourvoyeur de potentialités extérieures, ou de virtualités ne se limitent pas à une approche métalinguistique du film dans lequel le langage articule une distance et une réflexion sur l’objet qui préside à son déroulement comme on peut toujours le voir dans Who Do You Think You Are (1987) de Mary Filipo ou dans L’appartement de la rue de Vaugirard de Christian Boltanski(1970) ou même dans Nostalgia (1970) d’Hollis Frampton. Envisager le cinéma comme ce qui travaille les possibles; le virtuel pouvaient déjà s’esquisser dans les propositions de Gregory Markopoulos en regard d’une nouvelle forme de narration cinématographique. Dans un texte célèbre de 63, il proposait de s’interesser au photogramme et en ce sens rejoignait indirectement certaines des préoccupations des cinéastes structurels : “The film frame which creates each shot composition has been neglected; it has been understood only as a photographic necessity.

I propose a new narrative form through the fusion of the classic montage technique with a more abstract system. This system involves the use of short film phrases which evoke thought-images. Each film phrase is composed of certain select frames that are similar to the harmonic units in musical composition. The film phrases establish ulterior relationship among themselves; in classic montage technique there is a constant reference to the continuing shot: in my abstract system there is a complex of differing frames being repeated”6. L’affirmation de l’autonomie des processus visuels n’est pas étrangère à la radicalisation de la cinématographie de Markopoulos, dont Illiac Passion (1964-67) inscrit l’avènement et fait de la narration une icône distante, un spectre qui n’a plus sa place ici-bas.

Cette évacuation, ce rejet de la narration sous toutes ses formes rejoint quelques propositions singulières qui font d’un film un événement, quasiment une performance. On pense alors à ces moments partculiers ou la proposition cinématographique s’élabore dans une multiplicité de plans qui englobent les spectateurs en “leur imposant” de s’activer. Une relation nouvelle se noue entre le cinéaste, l’objet filmé et ses spectateurs. La vache qui rumine (1969) participe de cet état et fait de l’interpellation son objet de prédilection. Jouant sur notre irrépressible désir antropomorphique la vache semble nous apostropher et engager un dialogue dont les caractéristiques pour le moins ludique ne sont pas ses moindres qualités. L’aspect ludique permet de déjouer le culte de la linéarité si le jeu n’obéit pas à des règles qui réinstaurent la linéarité des films de fictions traditionnelles; lesquels résolvent encore et toujours une énigme plus ou moins resassée.

Dans l’espace indéfini d’un jeu dont nous ne maîtrisons les règles s’instaure un échange entre le support et ses spectateurs potentiels. Ce sont de tels espaces que travaillent Georges Rey, Erika Beckman dans You The Better (1983) et Robert Nelson dans Bleu Shut (1970). Ces films ouvrent des teritoires qui seront ensuite travaillé par les technologies qui associent le temps réél au moment ou on les parcourent.

Les films d’avant-garde ont travaillés à façonner d’autres usages du temps qui échapperait au déroulement d’un temps continu. Cette conception du temps dénonce la philosophie qui ne peut gérer devenir et instant et s’accroche désespérement à la chronologie. A partir du moment ou la simultanéité est introduite, la structuration des récits, le développement d’une forme narrative ou musicale est remise en question. Ces interrogations ont nourris et continuent de nourrir la pratique du cinéma expérimental. Elles sont par la même esquissé des modalités d’intervention pour d’autres outils dont les mondes virtuels sont les plus récentes manifestations.

yann beauvais

1 Nous, publié par Vertov dans la revue Kinophot n° 1, 1922 repris dans Articles, journaux, projets, UGE inédit, Cahiers du Cinéma, Paris 1972

2 Maya Deren : The Cleveland Lecture in Film Culture n° 29, New York, Summer 1963

3 Dans l’Age d’Or, le huitième intertitre : “Quelques heures après”, le quatorzième : “Parfois le dimanche.”, déjà dans Un chien andalou on trouvait dun usage similaire des intertitres qui venait à briser la logique du récit, en cassant ses effets de consécutivité, de même Man ray avec l’Etoile de mer dans lequel les intertitres propose un autre registre de discours qui n’illustre, ni n’explique les images. Registre qui souligne l’aspect poétique du cinéma autant que sa non linéarité.

4 Ce qui est en jeu dans ce film c’est l’incorporation de la caméra comme moteur du récit qui fait que le cinéma lui-même est pris pour objet autant qu’il est mis en scène dans son rapports aux évènements qu’il déploie.

5 C’est dans Lost Lost Lost que le travail sur l’acquisition des souvenirs et son resaissisement dans le temps du tournage se dévoile le plus remarquablement.

6 Towards a narrative film form, Gregory Markopoulos Film Culture N° 31 Winter 63-64 New York

From one world to another (Eng)

German and English, Hyper Media Gestern und Morgen, 43 Internationale Kurzfilmtage Oberhausen 1997

From one world to another

Experimental cinema was not always concerned with narration. In certain periods of its development the emphasis shifted to other aspects of the medium, as it is shown by experimental works of the German and French avant-garde in the twenties, as well as by Structural Film and Underground Cinema during the sixties and seventies. On the basis its separate components those filmmakers question the preconditions for the special characteristics of the medium. These analyses and filmic discourses sometimes completely disregard the notion of authorship, meaning that the filmic means themselves take the function of the author. It is in this way that the devices put forward by these films prefigure the role of the author becoming the generator of possibilities for the elaboration of a story that the viewer dives into and transforms as he wishes according to more or less predetermined modalities.

This article will restrict itself to pointing out the relationship that experimental cinema bears to the non-linear modes of narration, and how it has been able to develop or set up devices that break up classical techniques of narration while creating space for other technologies to fashion a new language.

Let us first make it clear that we are not interested in the form of mimetic cinema that handles the film material according to a series of codes bases on the notion of resemblance and conformity to reality. We shall give preference to an experimental cinema that has questions the modalities and potentialities of the basic plot within or beyond the scope of narration. These questions often arise when the film project is realised using a large quantity of images -shot either by the filmmaker himself or someone else. In this respect the approach is related to that of documentary film, film diary and found footage films. In each of these categories the question of the sense and especially of making sense of a collection of disparate materials arises. This organisation problem also raises underlying question on the nature of montage and its importance, a question that the Soviet filmmakers above all Eiseinstein and Vertov, tackled in an exemplary fashion. For Vertov the interval is the essential link for creating sense in a juxtaposition of shots: « It is the intervals, which lead the action to a cinematic dénouement. The organisation of movements is a matter or organising its elements, that is of the intervals in the phrase. »1 Vertov is thus able to say:  » Montage means organising the pieces of film (the images) in a film, « writing » the film by means of the filmed images; it does not means selecting pieces of film to make « scenes » (as in theatre) or a « story » (as in literature). » In the light of these statements one understands that it is necessary to see cinema as a practice that is distancing itself from literature. This opinion is shared by the entire avant-garde cinema from the moment on when cinema is envisaged as a separated practice, and so more so, the more the filmmakers try to find, to account for, or to categorise the logic that determined the combination of different elements (sensations, images) in a film. What are the determining aspects in the elaboration of a form? A similar argumentation is found in the case of Maya Deren when, alluding to the structure of her films, she sees them as being nearest to poetry:  » These films stand in relation to most films as poetry does to literature. Actually, in a sense, their structure is closest to music. One of the habits that we bring with us is the anticipation that there will be a narrative in the film and narrative will give the film form. In this case there is no narrative, any more than there is narrative in musical composition. To say there is no narrative is not to say it is anarchic, but according to another logic. My effort is directed toward discovering what would be the logic of film form as constructed to the logic of narrative form: to discover this logic -as a poet discovers the logic of one tone following another – and in which we recognise a melody, although it is not a narrative. »2 This expectation of narration was called into question by the avant-garde, whether by dadaist and surrealist filmmakers like Man ray or Luis Bunuel upsetting the linearity of narration by means of tile links3 or by Stan Brakhage, who, by means of the elaboration/affirmation of a subjective vision, disencumbered himself of the parasite of narration to the benefit of subjective expressiveness, thus declaring the advent of « Personal cinema ». Malcolm Le Grice condemns this anchoring of an artist’s work in a romantic subjectivity as promoted by American filmmakers. He gives preference to an anonymity of cinematographic devices from which he develops virtual processes.

Similar strategies have often been employed by the filmmakers of the avant-garde when they were trying to undermine a linear development to let the structural and processual framework emerge within the space of the film. In this context films like « Histoires de détective » (1929) by Charles Dekekeulaire4, Hollis Frampton Peter Rose come to mind, each of whom in their own way worked outside the usual field of language. Wordplay that has the images cross on different planes and causes a suspension of the film’s action, nearly a standstill.

A suspension that always means the outburst of a memory by means of an image. Here, the experience described by Proust (but not only him alone) comes to mind, where a whole piece of his past comes back upon up his trying a Madeleine, a sponge-cake.

Simultaneous expression of two temporal levels within a single experience, experienced in the cinema through an intersection of process that express a temporal plurality. Thus in diary films, the presentation of an event is sometimes accompanied by images that blur and interfere with the experience in relation to the perception of the present moment. Thus, in the case of Jonas Mekas5, the role played by title links and voice-off allows the diverse elements involved to be introduced into the perception. The same is the case with Matthias Müller, where one finds overlapping experiences that show booth the act of memorisation and the structure of this perception (primarily in « Memobook – Aus der Ferne » 1989).

The processes of memorisation convey a sets of variations that can become in their turn the subject of a film, thus undermining the narration in favour of the pure process and its exploration. Structural Cinema was one of the champions of these methods in its examination of the components, thus determining the basic elements of cinematographic technique. Here the work of Ken Jacobs comes to mind with « Tom, Tom, The Piper’s Son » (1969-71) in which burlesque comedy analysed and examined in such a way that, when the final recapitulation comes, the narrative frame yields up its place to the potentialities that it contains, of which the film has been the exposition. This secondary elaboration is what allows the reintroduction of multiplicity in the course of a domestic scene, if one thinks of « Critical Mass » (1971) by Hollis Frampton, who, by manipulating the soundtrack, letting the woman’s voice gradually slide into the place of the voice of the man and vice versa, calls the role distribution within a partnership into question. This reversal questions both the concept of genre in the assignment of roles, and the conformity of what is recorded to the action that is played. What part of truth is at stake in that fictional reality? The whole illusion of cinema as a means of faithfully reproducing reality is revealed by the employment of such processes. This criticism becomes more radical in the case of Peter Gidal, who condemns all representation as a form of enslavement of the images. According to him they resemble a particular ideological affirmation that gives the preference above all the experience of recognition and thus expresses in a certain way the pepetuation of the power of illusion.

But to regard cinema as a procurer of exterior potentialities or virtualities does not restrict us to a meta-linguistic approach to film, in which the language expresses a distant to and comment on the object that determines the action, as can be seen in « Who Do You Think You Are, » (1987) by Mary Filipo, or in « L’appartement de la rue de Vaugirad » (1970) or even « Nostalgia » (1970) by Hollis Frampton. Cinema regarded as something that works with possibilities; virtuality is already hinted at in Gregory Markopoulos’ suggestions regarding a new form of film narration. In a famous text written in 1963, he suggests that we turn our attention to the photogram; in the sense he directly connects up to certain preoccupations of the filmmakers of Structural Cinema:  » The film frame which creates each shot composition has been neglected; it has been understood only as a photographic necessity. I propose a new narrative form through the fusion of the classic montage technique with a more abstract system. This system involves the use of short film phrases which evoke thought-images. Each film phrase is composed of certain select frames that are similar to the harmonic units in musical composition. The film phrases establish ulterior relationship among themselves; in classic montage technique there is a constant reference to the continuing shot: in my abstract system there is a complex of different frames being repeated »6. The affirmation of the autonomy of visual processes is not foreign to Markopoulos’ radicalisation of cinematography, whose advent is marked by Illiac Passion (1964-67). This film turns narration into a distant icon, into a spectre that no longer belongs here below. This « evacuation », this rejection of narration in all its forms is related to some proposals to make films an event, so to speak a performance. Those peculiar moments then come to mind, where the cinematographic concept is elaborated in a diversity of shots that includes the audience by « compelling » them to take an active role. A new relationship is build up between the filmmaker, the filmed subject and the audience. « La vache qui rumine » (1969) displays this tendency and has this challenge as its favourite theme. Playing on our irrepressible anthropomorphic desires, the cow seems to apostrophise us and engage in a dialogue whose burlesque character is not the least of its qualities. The aspect of play makes it possible to undermine the cult of linearity if the game does not obey the rules that lead to a reinstatement of the linearity of traditional fictional films; these solve a more or less hackneyed riddle again and again.

In the undefined space of a game whose rules we have not mastered, an exchange arises between the protagonist and its potential audience. Georges Rey and Erika Beckmann in « you The Better » (1983), and Robert Nelson in « Bleu Shut » (1970) work on such spaces. These films open up territory that will then be developed by technologies that connect real time with the moment in which one passes through it.

Avant-garde films have worked towards developing other usages of time which escape in the progress of continuous time. This notion of time is rejected by philosophy, which can not cope with states of flux and the present moment, and desperately hold fast to the concept of chronology. From the moment when simultaneity is introduced, the structuring of narration and the development of a narrative or musical form is again called into question. These questioning have been and continue to be a source of stimulation for experimental cinema. At the same time, they are blueprints of a possible intervention for other techniques, whose most recent manifestations are the virtual worlds.

1 « Nous », published by Dziga Vertov in the review Kinophot n°1, 1922, republished in Articles, journaux, projets in UGE inédits, Cahiers du cinéma Paris 1972

2 « Maya Deren: The Cleveland Lecture » in Film Culture n°29, New York Summer 1963

3 In « L’Age d’or », eighth title link: « Quelques heures après », fourteenth title link : »parfois le dimanche ». There was already a similar use of title links in « Un Chien andalou » by means of which the logic of the narrative was destroyed by breaking up its sequential effect; the same happens in Man ray’s « L’Etoile de mer », in which the title links suggest another register of discourse that is neither illustrated nor explained by the images, a register that underlines both the poetic aspect and the non-linearity of cinema.

4 In this film it is a matter of the incorporation of the camera as a story generator that causes cinema itself to be understood as the subject to the extent in which it makes an appearance through its relationship to the events it shows.

5 It is in « Lost, Lost, Lost » that the work on the acquisition of memories and its reprocessing in the course of shooting is most remarkably revealed.

6 « Towards a narrative film form », Gregory Markopoulos, film Culture n° 31, Winter 63-64, New York

Frame and Context (Eng)

(Scratch Book, ed Light Cone org yann beauvais & Jean-Damien Collin, Paris 1997)

Translation Deke Dusinberre

This book is designed to celebrate experimental cinema in its diversity while paying tribute to one of the organizations that has most actively promoted and defended that cinema over the past fifteen years. It seeks to document Scratch’s specificity as a screening venue by presenting the viewpoints of critics and programmers as well as by republishing interviews with filmmakers (some now in French for the first time) which appeared in the ephemeral periodical, Scratch Revue. Also included are graphic and visual material constituting a kind of status report on experimental film.

Scratch represents the commitment of artists — in film and other visual media — to a practice too often undervalued. While the founding of the association responded to a need to reinvigorate the places where experimental films could be screened in Paris, it also denoted — if only by its name — a predisposition to openness and questioning. Far from being a sounding board for any given vanguard, Scratch wanted above all to be different, marginal, fringe: we kept our distance from official history, making our reservations and biases evident through our choice of programs. Scratch therefore represented, in the early years of its existence, an alternative approach to experimental cinema, unique in the deliberate eclecticism of its programming.

After all those years of organizing screenings at various venues, experimental cinema is now enjoying a marked renewal of interest in France, and so we thought it would be timely to review Scratch’s history as a way of taking another look at the personal history of filmmakers and the aesthetic issues raised by their films. This entails showing how alternative organizations conceived and run by artists — workshop-like affairs — can extend beyond their initial field or scope into other spheres, providing models for other contemporary art practices. Like all models, such organizations are just waiting to be superseded. All are highly mobile, allowing them to react rapidly as opportunities arise and to adapt their actions to circumstance, thereby leading to a diversity of projects and sites. Similar mobility and flexibility are now typical of various artists’ collectives and alternative film labs which do not promote a shared aesthetic, but rather provide a way of generating artistic projects that may take the form of « works » or « pieces » or even « events. » That was the role played by Scratch in the realm of experimental movies, based in a specific place yet in contact with other cities and countries. But the stakes are no longer the same. Scratch has a history from which it must free itself in order to envisage other modes of action in the current cinematic context.

Current developments in the visual arts and experimental film have lent support to the idea of producing a publication on Scratch, an idea that originated over dinner one summer evening as Jean-Damien Collin, Miles McKane and myself were discussing the problems encountered by the distribution and screening of films. The book would describe the road already covered even as it remained open to the present, avoiding any clannishness or partisanship; it would reveal and defend innovative initiatives and unknown (or under-known) filmmakers. Without realizing it, we were influenced by illustrious predecessors who had demonstrated their independence: members of the Close-Up collective in the 1930s and, later, the Fluxus collective (if either can be referred to as a collective). Our detachment from official history encouraged an openness to the new generation of filmmakers, an attitude shared by invited critics and programmers. In the 1980s that meant — as it does today — doing a lot of intensive groundwork in order to bring films, filmmakers, and audiences in contact with one another. This sheds light on our programming decisions — the presence or absence of given filmmakers — which were often designed as responses to other local venues, yet were sometimes totally independent of them. (Venues worth mentioning from those years include the regular screenings at the Centre Georges Pompidou and the Saint-Charles Ciné-Club, as well as occasional events such as FIAG, the Man Ray season, the Rouen festival, and other shows.) Scratch was therefore free to share its passion for a constantly evolving cinema. Its determination to remain independent seemed crucial insofar as it drew these films from the universities, the only place where such films were being made (in those days, schools of fine art showed no interest). Scratch’s decision to challenge history — faithful to a tradition firmly grounded in the visual arts — gave filmmakers a specific screening venue which presented itself as a public workshop or laboratory. As a venue for and by filmmakers, Scratch invited people to « work » their films through its projectors. The workshop aspect was evident in both the regularity of multi-screen projections and in installation events — the first event devised by Scratch simultaneously proposed installations and screenings. Scratch conceived of itself as a system for promoting exchange. The important thing was not being the first venue to show a given filmmaker, but to enable filmmakers to meet other filmmakers during screenings, or to establish a dialogue between artistic practices that remained far too divorced. One of the contradictions of experimental cinema is that it must simultaneously demonstrate its up-to-dateness and assert its past; this highly unusual situation (within the art scene) makes every filmmaker and every organization a vector and medium of history. Encouraging exchanges between filmmakers seemed of utmost importance to us in (re)establishing screening-and-distribution networks.

This logic of openness and dialogue governed the choice of texts for the book. Rather than just indulge in self-congratulation, we thought it important to call upon filmmakers, critics, curators and programmers who would stress the diverse approaches reflecting the varied publics reached by Scratch screenings. Hence the texts by Gilles Royannais, Nicolas Gautron and Marie-Pierre Duquoc celebrate both the works and the possibilities that Scratch offered them in selecting films and unpacking them. The same angle sheds light on the texts recounting our experiences in Brazil with Gloria Ferreira, and in Italy with Andrea Lissoni and Daniele Gasparinetti, all of whom reacted to the lack of screenings in their respective countries by expressing a desire to collaborate with Scratch. The project with Gloria came together in Rio, in a cycle of artists’ films and experimental movies from the 1970s, shown in the context of Brazilian cinema. The ongoing Italian project faithfully reflects Scratch’s approach by setting contemporary work within a transversal view of history. Both propositions revealed one of Scratch’s underlying characteristics, namely that programming should be perceived not only as a specific stage in the work of a filmmaker — seeing, comparing and confronting films with one another — but also as a place to shake things up. These two lines of approach have often driven our programming over the years, making it possible to create links and networks between filmmakers and programmers.

This faculty of openness is at the core of Scratch’s undertaking, somehow fueling our creativity at all levels. It involves presenting other images — Helga Fanderl, Anne-Marie Cornu, Marcelle Thirache — and making other voices heard. Jürgen Reble, Abigail Child, and Métamkine are a few examples among all those included in The Scratch Book. Discovering a new filmmaker or film is always a special moment, whether it be Mike Hoolboom, Vivian Ostrovsky or Luther Price. The types of sharing proposed by Scratch and by the book are designed to spark encounters, whether through a filmmaker’s photographs or a critique of an artist. They provide (oneself with) the means to see things differently. There’s no question of bringing this history to a close, but rather of celebrating experimental cinema as one of this century’s key artistic practices, a medium that straddles the other arts. This status obliges experimental cinema to constantly excite the associations promoting it, transforming them into transmitters of light.

We hope that this book, like the screenings, will create an irresistible desire to see the films, to program them in other places and other ways, and — who knows? — maybe to make more of them still.

Les belles images Première hypothèse : une interview de yb par Marc Bembekoff (Fr)

Marc Bembekoff : L’exposition Les belles images – Première hypothèse questionne l’impact immédiat que peuvent avoir certaines œuvres sur les spectateurs.

Il me semble que cette problématique apparaît en filigrane dans une partie de ton travail filmique et vidéo liée au flicker film. En quoi te sens-tu proche du travail de Paul Sharits, également présenté dans l’exposition ?

yann beauvais : La question de l’impact immédiat est parfois prépondérante pour nombre de films et d’installations que j’ai réalisés. Mais elle ne répond pas aux mêmes critères d’impact s’il s’agit d’un film ou d’une vidéo projetée dans une salle lors d’un programme, ou s’il s’agit d’une installation. Le lieu de diffusion/projection modifie la perception et par conséquent toute proposition filmique ne peut devenir une installation.  Cependant, les deux (films-installations) recourent au flicker alors leur impact sera d’autant plus fort que le clignotement s’organise selon des rythmes élevés et des seuils chromatiques contrastés. Avec l’installation, on sait que tout ou presque est d’emblée donné ; dans le cas de Paul Sharits, le visionnement d’une installation confirmera que l’expérience travaille les variations et permutations dont les cycles seront plus ou moins longs. Certains de mes films et certaines installations procèdent de ces mêmes stratégies qui semblent tout donner, d’un coup, au premier regard, comme on peut le ressentir avec Affection exonérante (2008). Cependant si l’intensité du clignotement ne vient pas barrer notre regard, nous aveugler, on s’aperçoit qu’il y a un ensemble de transformations qui ne répondent pas au critère de la combinaison de variations.

L’objet filmé se transforme, il ne revient pas à son point d’origine, et sa transformation ne suit pas un développement géométrique, narratif ou formel. L’organisation du film répond à des critères que l’on ne peut n’y prévoir, n’y déduire ; c’est en ce sens que mon travail se distingue des premiers travaux de Paul Sharits. La question de l’usage du flicker n’est pas spécifique à Paul Sharits ; il se trouve que le flicker et ses usages multiples permettent de mettre l’accent sur des modalités qui activent des mécanismes de notre vision et déclenchent des processus de participation intense de la part des spectateurs. Le flicker, qu’on le veuille ou non, un peu comme les drones, a de fortes potentialités immersives et ce malgré le fait qu’il puisse déclencher un rejet immédiat. Mais le rejet est constitutif de l’expérience, il en est une modalité.
affection exonérante Bourges

M.B. : La base d’Affection exonérante a été réalisée avec un téléphone portable. On perd, d’une certaine manière, l’entité du photogramme constitutif du cinéma qui est aussi à la base du flicker film. Quelle incidence a eu ce changement de support sur ta façon de concevoir cette vidéo ?

y.b. : S’il est vrai que les images du film viennent d’un téléphone portable, leur traitement via le logiciel de montage que j’utilise permet de les travailler à l’image prêt. Dès lors, il n’y a pas vraiment une grande différence entre la pratique de l’image par image au moment du tournage lorsque je fabriquais des flicker en format film comme ceux de R (1975) ou New York Long Distance (1993), avec ceux que j’ai mis en place en vidéo dans Still Life (1997) ou avec Final cut pour Hezraelah (2006) et Affection exonérante.

Recourir à un portable m’a permis de saisir (enregistrer) le clignotement – en fait le vacillement de la lampe de mon atelier. En utilisant le portable pour la filmer, je n’ai fait qu’accentuer, lors de l’enregistrement, cet effet de clignotement.

Par la suite, j’ai augmenté et modifié ce scintillement en recourant à des inversions chromatiques, en opposant du positif à du négatif, en grossissant l’ampoule… J’ai par ailleurs composé des entrelacs de séquences selon des clignotements progressifs ascendants ou descendants.

M.B. : Rétrospectivement, en quoi Affection exonérante s’inscrit-elle dans la lignée de certains films structurels que tu as réalisés dans les années 1980 ? Je pense notamment à des films comme Sans titre 84 (1984) ou Enjeux (1984) où tu as recours à un découpage de l’image par bandes verticales.

y.b. : Si ce film s’inscrit dans la lignée des films structurels que je faisais dans les années 1970 et 1980, c’est parce qu’il vient clore un chapitre important de mon travail. En effet, j’ai consacré l’année 2007 à mener à bien un projet d’exposition sur Paul Sharits et une publication lui étant dédiée. Paul a été un ami important à plus d’un titre, il a su m’aider alors que jeune cinéaste je ne savais pas très bien comment m’orienter dans le champ du cinéma expérimental, en m’invitant à présenter mes travaux aux États-Unis. J’avais repéré que beaucoup de ses films s’inspiraient du musical, et ce point nous avait permis de nous rapprocher, tant est si bien que, au début des années 1980, j’avais entrepris la publication d’un ouvrage sur son travail. De toute évidence c’était trop tôt, ou pas le meilleur moment.

Aussi lorsque je me replongeais dans ses archives, en découvrant des films et des documents, des envies ont ressurgi par échos plus ou moins conscients. Une fois le projet abouti, l’exposition faite, l’ouvrage en cours, j’ai voulu d’une certaine manière en finir. Affection exonérante en est la trace manifeste. Clore et aller ailleurs.

Cet ailleurs se déployant par une liberté dans l’usage du son pour ce film que je n’aurais pu / su me permettre dans les années 1970 ou 1980. Visuellement, et par l’usage du flicker, par les différents patterns que je travaille dans le film, je renoue avec des travaux antérieurs, mais je me nourris d’autres choses que sont notamment tous les films à textes que j’ai fait dans les années 1990 et 2000 et qui m’ont permis d’envisager d’autres articulations au sein des flicker. Affection exonérante bénéficie de ces acquis.

M.B. : Le son, effectivement, a ici une importance capitale qui vient renforcer l’impact visuel. Pourrais-tu m’en dire davantage sur la façon dont tu as prémédité cette bande sonore ? Comment l’as-tu mixée ?

y.b. : Oui, le son est en effet capital dans ce film. Alors que je travaillais la bande image, j’écoutais à la fois de la musique, des programmes de radio divers sur Internet, et parfois, quelques œuvres particulières m’inspirant, j’en ai enregistré des bouts. Je travaille sur une pièce qui donne sur la rue, et les bruits de celle-ci sont à la fois proches mais pas pesants. Lorsque des livreurs déballent des caisses de bouteille de bière ou autre, le son qui provient de la rue est pour le moins intéressant, j’ai enregistré quelques séquences que j’ai mixées avec une partie de Hymnen 3 de Karlheinz Stockhausen. J’aime de nombreuses pièces de musique de ce musicien, ce qui m’intéressait plus particulièrement dans cette œuvre, c’était la masse des strates sonores qui se mêlent et produisent un flux de matière dont j’aime à penser que le tissu visuel d’Affection exonérante partage aussi.

Les sons que j’ai récupérés, je les ai collés, superposés brutalement à cet extrait d’Hymnen, m’appropriant / dénaturant (pas vraiment) le travail du compositeur afin de conduire à un paradoxe au moment ou on s’y attendra le moins. Faire qu’au moyen de la musique, soit remis en cause la fascination qu’a pu exercer la proposition filmique, déjouer le confort de notre regard et de nos certitudes qui attendaient l’augmentation irrésistible du crescendo. Je voulais briser, mettre un terme à ce savoir-faire, à ce plaisir esthétique. Donc la pièce est montée à partir de la fin du son.

M.B. : Le choix de filmer cette source lumineuse me semble emblématique d’une certaine empathie du spectateur vis-à-vis de l’image, comme une mise en abyme du dispositif de projection lumineuse. La fin abrupte de la vidéo vient casser notre crédulité et cet effet hypnotique. Cherchais-tu à créer un effet séducteur pour mieux le mettre en péril et renvoyer ainsi le spectateur à sa propre condition, comme dans un mouvement de distanciation brechtienne ?

y.b. : Je pense avoir commencé à répondre à cette question ci-dessus. L’une des particularités des flicker, autant que des drones, c’est leur pouvoir hypnotique, la capacité qu’ils ont de nous fasciner, leur dimension immersive importante. Connaissant cela, je voulais en jouer, ou plus exactement m’adresser et faire qu’on se pose la question de cette fascination. Je ne sais pas si j’avais pensé à ce mouvement de distanciation brechtienne, ou alors sans m’en rendre compte. Par contre, je sais que je souhaitais casser quelque chose. J’ai toujours, et ce quelque soit le type de film réalisé, utilisé des techniques, des procédures qui visaient à se ruiner.

M.B. : Dans Still Life (1997), qui engage le spectateur à prendre conscience du manque de prise en compte par les pouvoirs dominants de l’évolution du Sida, ou Hezraelah (2006), qui traite du conflit entre Israël et le Liban, tu as recours à un langage écrit qui contextualise et suscite un message fort.

Pour Affection exonérante, en revanche, cet impact visuel ne se fait pas à travers l’utilisation d’un discours mais via le développement d’une certaine abstraction. J’ai néanmoins l’impression que cette vidéo emporte le spectateur afin de le sortir d’une forme d’atonie visuelle. Fais-tu une différence entre cette vidéo et d’autres à portée plus ‘politique’ .

y.b. : Cette question n’est pas facile, car ainsi que je l’esquissais, il me semble qu’il existe des rapports entre cette bande et des films précédents comme ceux que tu cites. Dans le cas de ces trois films auxquels il faudrait ajouter toutes les versions et configurations de Tu, sempre, le dispositif mis en place se déploie selon des modalités de capture du spectateur. Attraper le spectateur au moyen d’images clignotantes, de défilement de textes multiples et simultanés, ou de mot à mot dans des espaces ou il lui faut trouver une place à partir de laquelle il pourra faire quelque chose, de ce qui lui est proposé. Affection exonérante répond à, reprend ce type de procédure mais le fait sans contenu immédiatement perceptible, hors de celui d’une mise en abîme du dispositif visuel lumière-œil. Je voulais aussi tordre et jouer avec la fascination de l’abstrait, le plaisir de l’abstraction… Et le titre, aussi bien que le son, participent de ces moyens que j’utilise afin de donner à entendre et à voir autre chose que ce qui est proposé. Ou montrer que dans ce dont on fait l’expérience, l’expérience de l’altérité n’est pas écartée.

An interview with Wayne Yung (Eng)

from the zine Revista Nós Contemporâneos Nº 50 

Mon, Apr 16, 2007 at 4:54 PM

Yann Beauvais: Could you speak about the question of race, identity, stereotypes, and colonialism within gay culture?

Wayne Yung: Although homosexuality has always existed in many cultures around the world, modern “gay” culture has been defined by white men, from New York to San Francisco, Berlin to Paris. Gay images of masculine beauty focus on the white man’s face and body, as seen in the vast majority of Western gay porn. Nonwhite men are rarely seen, and then often in stereotypical positions: the Asian man is subservient, the Latino is hot-blooded, the black man is reduced to a giant phallus.

Gay culture is certainly influenced by the mainstream culture surrounding it, including its racism and postcolonial attitudes. The special thing about gay culture is the focus on a liberated sexuality, where one can defy the social conventions, crossing the boundaries defined by class and race. So a white man and a brown man, who might never meet at work or school, could very well meet in bed.

And yet you still bring all your everyday attitudes to bed with you, including your racism, mental stereotypes and sense of privilege. So we’re expected to speak a European language in bed, and not an Asian language. The white man often has more money, so he’ll pay for the bar tab, the restaurant bill, the hotel room, and in return he’ll also make the decisions (where and when to go, etc.)

In my case, language and class have less effect, since I speak native English and get paid in euros. So then it’s about my skin colour, and the assumptions that other men have when they see my Asian face. It often confuses them, that I have a brown skin but a Western mentality. I’ll pay my own way, and argue circles around him in English. Some white men don’t like this, because they think I’m not “Asian” enough (I should be quiet, obedient, etc.), while other men are thrilled to find an Asian who’s NOT so obedient and mysteriously quiet.

In this case, the question of “Asian identity” revolves around what you mean by the word “Asian”. Is it skin colour? Birthplace? Language? Cultural attitudes? I was born and raised in Canada, and I hate it when a white man assumes I’m an expert in karate and Chinese calligraphy. I identify myself as “Chinese-Canadian”, which is not the same as “Chinese”, and is much closer to “Canadian” (I often forget to include the word “Chinese-”, and my brother’s children will probably be just “Canadian”). I speak native English, but can throw in a few Cantonese phrases; I sometimes cook spaghetti, sometimes rice; and I know damned well what my rights are, and will speak my mind loudly. So is this “Asian”?

YB: Could you speak as well about the relation of Chinese culture within Canadian ones? And how do you articulate this within “The Queen’s Cantonese”?

WY: Chinese have been in Canada for well over one hundred years, and now form about 30% of Vancouver’s population. The city was originally well-known for being very “British”, but is now well-known for being very “Asian”. In “The Queen’s Cantonese” I made the Chinese aspect of Vancouver very extreme, heavily infiltrating the gay scene with Cantonese-speaking characters. But this is just a fantasy of Vancouver (Christopher Isherwood once said his “Berlin Stories” described the city as he wished it was, while ignoring the boring everyday realities). Certainly there’s a Cantonese-speaking gay scene in Vancouver, but we don’t actually have our own bars and saunas like in my video.

In truth, Chinese-Canadians are assimilating very fast into mainstream Canadian culture; my generation generally speaks little Chinese, and I think the next generation will only speak English. It’s a natural consequence of a school system where everything is taught in English, and we study Shakespeare instead of Confucius. Chinese culture has heavily influenced the cuisine of Vancouver, but less so the culture. Our immigrant parents are still very Chinese, but the Canadian-born children are essentially Canadian, with just a few Asian influences. I would compare our position with that of black Americans: they share the same language as white Americans, and although they may have a distinct (sub-)culture, it can’t exactly be called “African”.

YB: In nearly all your filmmaking, you use wit and comedy to question the notion of race, role, and attitude within the queer culture.

WY: Although my analysis is very political, I know that most audiences are not very interested in political films. Most people just want to see sex and comedy, so I use that in my work to make it more accessible. But certainly there’s always a layer of politics underneath the entertainment. Putting Asian men in the central role is already a very subversive act in North America, where Asian men are mostly either ridiculed or ignored. Why can’t the Asian man be the romantic hero, the love interest?

Certainly you could point to the gay cinema of Asia (such as “The Wedding Banquet”, “Farewell to My Concubine” and “Happy Together”), where Asian people do play the central roles. But what has that got to do with me, growing up in Canada, living now in Germany? My concerns are here, not in Asia. The cinema of Asia doesn’t address the racism that I’ve seen on the streets of Vancouver and Cologne. That’s why I (and other Asians living in the West) need to make our own stories, and not rely on imports from Asia.

YB: Could you speak about your filmmaking and its relation within queer culture, queer cinema? Could we speak of a queer Asian cinema opened by Richard Fung in Canada, and renewed by newer generations here and there?

WY: Richard Fung was the first one to use video to describe the issues of gay Asian men, and played a major role in inspiring me and other other gay Asian directors. Gay Asian films and videos have been mostly well accepted in the gay film festival scene, with works from the English-speaking world emerging first, and then later works from Asia too. However, it still remains largely a concern of Asian directors; non-Asian directors rarely include any Asian actors in their works.

There are probably about thirty film and video makers in the world who have shown specifically gay Asian characters on screen. This is from the thousands of other directors who show gay characters of other races, the huge majority being white characters. Most gay Asian directors know each other personally, since we meet at film festivals, which often put all the gay Asian films into one special program. This “ghetto programming” has both good and bad sides: on the one hand, it’s an easy way to get an overview of the gay Asian scene in one show, but on the other hand, it means other programs (the “sex” program, the “family” program, the “religion” program, etc.) can remain all white.

YB: What is your relationship with Asian queer culture, contemporary cinema and video?

WY: There remains a very strong division between gay Asian films from Asia, and gay Asian films from the West. The issues are simply too different. Western Asians have to deal with racism, which is less of an issue for a Japanese gay in Tokyo. All young men in South Korea (including gays) are required to serve in the military, which is not required in North America. So I can’t really say that I particularly connect with the gay films of Asia; I enjoy the work as an outsider spectator, but I’m certainly not an insider.

Furthermore, Western gay Asian films and videos come almost exclusively from English-speaking countries like USA, Canada, UK, and Australia, reflecting historical patterns of immigration. But what about Asians in France, Germany, and the Netherlands? What about the Asians in South America? I’ve seen surprisingly little work in this area, and would love to see more.

Revista Nós Contemporâneos Nº 50, Edson Barrus (ed.)
Paris: BarrusMÁIMPRESSÃOeditora, 2007, 5 pages, unnumbered.

http://wayneyung.webhosting.softronics.ch/beauvais.html

 

Autour du mot (Fr)

in  Spirit # 23 , Octobre, Bordeaux 2006

Du mot, de l’image du mot

La vitesse du mot, suspension de la parole : l’image ; instable.

Passage, défilement des phrases, dans toutes les directions.

Il est question de vacillement, de vertige plus que d’effondrement.

L’étourdissement qui nous saisit est en cela proche du travail de capture des images lors d’un déplacement quelconque et pour lequel il s’agit d’attraper au vol, plus que de rendre compte d’une réalité. On esquisse un passage, on dévoile furtivement un paysage, une architecture, une ambiance, ce n’est pas tant la reproduction qui prime, que la sensation.

Le mot s’abîme dans son image ; les mots s’éclipsent dans leurs transports.

La lettre, le mot, la phrase n’ont pas le même impact, une fois projetés, à l’écran. Cet écart est l’un des plus singuliers traits du film, le cinéma convoque son élargissement, son dépassement.

Le signe projeté revêt une autre importance, plus graphique certes, mais pas seulement, il ne singe pas l’affiche.

çSigne statique ou mouvant, selon les cas. Il s’incruste telle une pelure et troue ainsi l’image. Il est pour certains cinéastes : images : mots :dites, images. Alors que pour d’autres, le mot hante résiduellement l’image tel un commentaire, ou bien lui assigne sens et non-sens.

Dans de nombreux films, j’en appelle aux mots. Ils sont les images qui scandent le film, ils en conditionnent la durée selon les arguments qu’ils exposent parfois mots à mots ; plus souvent, selon des défilements horizontaux plus ou moins rapides. Le texte traverse l’image, selon des directions qui perturbent notre lecture. Soudain, cette dernière redevient redécouverte. Elle convoque d’autres gymnastique et questionne ainsi nos habitudes, redynamisant l’acte d’appréhension des lettres et des mots se jouant ainsi d’une musicalité de la langue qui fait office d’anticipation. La lecture est à la merci de la vitesse autant que de l’ordre et du sens d’apparition des lettres, des mots. L’enchaînement n’est plus garanti. On est pris dans une lecture qui est à la fois suspendue à l’organisation du texte qui ne répond plus aux critères usés et qui est aussi conditionné par la vitesse de son déroulement de son apparition. Le contrôle est alors extérieur et il nous faut abandonner ainsi ce à quoi nous avons toujours d’une manière ou d’une autre cru : au pouvoir de communication des mots qui forment phrases.

Mais qu’advient-il alors que le mot s’échappe se son cadre et se met à exécuter des partitions qui ne lui étaient pas attribuées.

La lettre, le mot n’ont plus alors d’espace et de comportement imprescriptible. Tout redevient possible.

Ils habitent le temps de l’image et non plus l’espace de la page ou l’écran.

La question de la lettre, du mot, est centrale dans mon travail. La première expérience cinématographique que j’ai faite, consister en la réduction d’une maîtrise de philosophie à quelques dessins de mot sur la pellicule et qui devait permettre de faire l’économie de la lecture du travail au profit d’une expérience cinématographique articulant ces concepts mêmes.

Le mot comme image, n’est pas l’image du mot comme la si bien exploré Hollis Frampton dans Zorn’s Lemma en produisant un alphabet singulier qui lui permet de nous conter d’autres histoires.

Le mot, le texte ne travaille plus la traduction.

On est plus dans le domaine musical de la résonance que dans le champ de l’irradiant. Ces textes participent de la fulgurance d’une inscription, qui s’évanouit au moment ou elle se dévoile.

C’est alors que la scansion du mot à mot autant que les vitesses des déroulants induisent au travers de ces fulgurances une indéniable poésie.

yann beauvais

Intervention Section Film

Section Film

Film Congress Mulhouse Juin 2001 organisé, Intervention

Je voulais vous remercier de m’avoir invité. Je voudrais aussi tout de suite pointer quelques similarités chez nous tous qui nous sommes occupés de diffuser ou de montrer des films, ce sont un engouement, une passion, pour montrer quelque chose qui n’est pas disponible et qui n’est pas forcément visible dans le lieu, ou dans le pays, dans la ville d’où l’on provient, où l’on est. Quel que soit le type de cinéma où de film fait, quel que soit le type de film promu, je crois qu’on partage une attitude, une position qui n’est pas simplement théorique mais qui relève de la pratique : faire des choses.

J’aimerais, vous indiquer à la fois la spécificité d’où je parle et ce que j’ai pu déclencher par inadvertance ou par démarche politique -mais qui ne s’envisageait pas nécessairement comme telle- à l’époque où j’ai commencé .

Je fais des films qu’on a qualifiés d’expérimentaux. Lorsque j’ai commencé à la fin des années 70, cela s’inscrivait au sein de quelque chose qui semblait avoir de nombreuses relations avec la pratique artistique contemporaine du moment : la conceptualisation que déployaient certains cinéastes et artistes et la possibilité d’interroger le support autant que le médium. Cette démarche consistait à ne pas me limiter à faire seulement des films. Pour moi, être un cinéaste expérimental, faire des films, signifiait s’occuper tout autant de leurs diffusions que de leurs programmations, c’est-à-dire leur offrir une visibilité qu’ils n’avaient pas nécessairement. Vers la fin des années 70 en France, quand bien même on avait assisté à un réveil de cette cinématographie dite expérimentale, on n’y avait pas souvent accès, on ne pouvait voir si facilement des films. Ainsi, à partir de 1981, sans réaliser les conséquences d’un acte qui semblait anodin, nous avons fondé à plusieurs, dont Miles McKane , Light Cone ; une structure qui ne se limitait pas à diffuser du cinéma expérimental, mais surtout à distribuer des films expérimentaux. Dans les années 80, et je crois que l’expérience était partagée par d’autres pays européens même si cela a été fait d’autres manières, c’est qu’il y avait comme une sorte de chute dans la production des films expérimentaux. Une certaine lassitude, et le surgissement de quelque chose de nouveau, l’apparition sur le marché de l’art des nouvelles technologies, qui accompagnait la possibilité d’inscrire une autre forme artistique : l’art vidéo. Les cinéastes au tout début des années 80, se sentaient minorés, comme s’il n’avaient plus de lieu. La démarche a alors consisté pour moi autant que pour d’autres, à être un agent et à établir un espace à partir duquel les cinéastes pourraient diffuser leurs films et ensuite, les promouvoir. Mais très rapidement, en créant cela, je me suis rendu compte d’une difficulté. C’était très bien d’avoir les films, mais si ceux-ci restaient sur des étagères, cela n’avait aucun intérêt. Pourquoi faisais-je des films ou pourquoi d’autres en faisaient-ils, si on les laissait sur des étagères ? Il fallait donc, immédiatement ou presque, créer un espace ou un lieu où l’on puisse montrer ces films. Il était évident que je n’innovais en rien, je n’avais pas même la prétention d’ innover en quoi que ce soit. C’est quelque chose que tout cinéaste – j’ai presque envie de dire tout artiste dans son acceptation la plus classique ou dans la représentation qu’on a de celui ci, c’est-à-dire un artiste qui vient du modernisme- donc tout artiste de cette époque-là, crée des lieux de diffusion, ou crée l’espace dans lequel va pouvoir émerger, être montré, rendu visible, contre ou par rapport, mais toujours vis-à-vis. Il créait, ou on créait un espace à partir duquel on tient compte des spécificités du support qu’on utilise, mais aussi il essaye de dynamiser ces supports en les montrant de manière distincte. Cela, Jonas Mekas, ainsi que d’autres, l’avait fait aux Etats-Unis dans les années 60, mais aussi bien en Allemagne ou en Italie à la fin des années 60 ou au Brésil dans les années 70. Je n’apportais absolument rien si ce n’est la connaissance d’expériences passées, de plus dans les années 80, les questions ne se posaient plus de la même manière ; les urgences, ou la nécessité d’inscrire le cinéma expérimental me semblait toujours pertinente mais semblait devoir être résolue, donc appréhendée, distinctement. Fort de cela, il y eut création d’un lieu qui s’appelle Scratch qui montre des films selon une fréquence qui se voulait hebdomadaire, selon les limites imposées par une structure qui n’a pas de lieu, ce qui est différent de ceux qui ont parlé avant moi. Nous étions un peu des nomades et il nous fallait trouver à chaque fois des espaces où l’on pouvait soit créer un événement en mettant en rapport le cinéma avec d’autres pratiques artistiques, soit simplement constituer une fréquentation, une régularité, afin de montrer que le cinéma c’est quelque chose au quotidien. C’est quelque chose qui, pour moi, est tous les jours, il n’y a pas de jours sans, je n’ai pas de off dans le cinéma, c’est là. C’est très bête, mais il me semblait très important d’effectuer ce travail. Un travail pas nécessairement très glamour, ni très éclatant, mais qui pourrait constituer et progressivement nourrir un terreau afin que des échanges puissent avoir lieu. Et ces échanges ont eut lieu entre cinéastes, mais aussi entre cinéastes et autres praticiens.

Une autre chose m’a semblé très rapidement évidente et là je ne faisais que répéter ce que tous les cinéastes de l’avant-garde ont pu faire, c’était que montrer des films n’est pas suffisant. Il faut en parler, écrire, leur donner la possibilité d’être vu par un ensemble de pairs qui n’appartiennent pas au cinéma, et donc essayer d’induire des liens et des passages entre les pratiques. Je dis essayer, cela ne veut pas dire que cela ait marché ou non. Essayer de focaliser, tenter de produire des liens. Qu’est-ce qui était au centre de tout cela ? C’était avant tout une passion à faire partager la découverte d’un film comme on le fait d’un corps, c’est-à-dire découvrir un autre territoire que l’on allait arpenter et ceci de manière désirante presque. La découverte et la remise en circulation de certains films, qu’ils soient historiques ou contemporains, me semble tout aussi importante. Pouvoir remettre en circulation les films de Lazlo Moholy-Nagy m’avait semblé essentiel dans les années mi-80. Retrouver les négatifs, mais aussi des copies, ou essayer de trouver des moyens de remettre en circulation une histoire qui me semblait une histoire oubliée. Je ne me sentais pas du tout victime en tant que cinéaste, je voulais simplement donner accès, permettre de voir. C’était un peu comme permettre de voir un film de Warhol ou de Debord ; c’est-à-dire donner la possibilité de cesser d’avoir uniquement des a priori, je pourrais dire théoriques, donner à voir et se donner les moyens de voir. Se donner en pâture, en quelque manière me semblait essentiel. Ce n’était pas la question de remettre les pendules à l’heure, mais simplement d’offrir la possibilité d’accéder à un type de pratique et à un certain nombre de choses comme cela. Pas un instant pour Miles McKane ou moi-même la question de la validité d’une telle démarche ne s’est posée, on le faisait en même temps que nos films, en même temps que nos travaux. Cela nous semblait presque naturel. Après j’ai eu des confirmations ; pour beaucoup de gens, c’est tout à fait naturel de faire cela. Il n’y a aucune gloire à en tirer, nous ne sommes que des passeurs.

Etre un passeur permettait de pouvoir établir des rapports qui étaient, en France en tout cas, assez conflictuels entre vidéo et cinéma ; tenter de nourrir, montrer que le cinéma dit expérimental n’était pas qu’un cinéma qui s’était façonné dans les années 70, et que les questions d’identité étaient pour lui, par exemple des questions vraiment prépondérantes; que l’illustration, ou le travail sur, contre, avec, ou vis-à-vis de (c’est comme vous voulez) la narration n’était pas quelque chose qui avait été liquidée, mais quelque chose qui se pensait autrement. La situation des cinéastes n’était pas tout à fait la même dans tous les pays. L’indépendance revendiquée chez vous, en Suisse ou en Allemagne, ne s’appliquait pas de la même manière en France. Cela a créé des sortes de cloisonnements un peu particuliers vis-à-vis de ce cinéma. Il a fallut lutter contre nos plis de cinéastes, contre tous ces façonnages qui consistent à se croire victimes ou ostracisés, et ceci nous a permis de constamment reposer ces questions sur ce que nous faisions. Et parmi celles-ci cette chose sidérante, cependant systématique et qui constitue l’un des paradoxes de cette pratique de cinéaste expérimental : c’est qu’à la différence d’autres plasticiens, il me faut très souvent, trop souvent, devoir prendre en charge toute l’histoire de ce cinéma. Ce qui est paradoxal dans la mesure où on ne vous demande pas, en général de prendre en charge l’histoire de la musique si vous êtes un musicien. La difficulté de visibilité, ou la méconnaissance de ce territoire, nous conduit souvent à devenir quasiment des apôtres, et les apôtres, moi, réellement ça me fait chier, ça manque de chair. J’avais cette difficulté à envisager cela. Le fait qu’on doive systématiquement prendre en charge cette histoire m’a fait comprendre quelque chose d’ essentielle dans le travail accompli, qui à a voir avec la singularité de ces œuvres. Si on ne faisait pas quelque chose qui relevait du patrimonial, c’est-à-dire que si on n’essayait pas de restaurer certaines de ces œuvres, si on n’essayait pas de les remettre de nouveau en circulation, ces œuvres, n’avaient pas d’existence et n’apporteraient absolument rien, n’auraient plus d’actualité. Cette absence d’actualité était quelque chose qui m’horripilait. Je suppose que vous fréquentez les musées, que vous écoutez de la musique, et l’usage que vous avez de ces musiques, de ces œuvres est un usage actuel, vous avez accès à celles-ci.

Dans le cinéma expérimental, il y avait cette difficulté à ne pas avoir accès aux œuvres, et ainsi, ce qui m’importait et ce qui m’importe toujours constamment, ce n’est pas tant ce qui se passe ici, en France, mais ce qui se passe ailleurs, ce qui n’est pas forcément vu, ce auquel on n’a pas accès afin de de le montrer. C’était, une fois encore, être un passeur. Passeur cela signifiait, cela signifie toujours pour moi, interroger les possibilités même de l’émergence de ce cinéma, et voir en quoi ce cinéma a encore une pertinence aujourd’hui. En quoi est-il pertinent ce cinéma ?, je vous laisse répondre, je n’aurais pas la prétention d’avoir même l’ombre d’un soupçon sur cela, j’en fais. Je ne peux pas dire plus que cela, ou je n’ai pas envie de dire plus que cela. Je fais des films et il y a une pertinence. Le fait d’avoir instauré un lieu, d’avoir peut-être aidé à la reconnaissance d’un champ, et qu’aujourd’hui, (en tout cas localement), c’est-à-dire en France, ce champ est un peu plus reconnu m’a semblé important, mais je ne tiens pas à m’y limiter. Puis s’est posée la question de savoir comment faire qu’une structure telle que Lightcone ou Scratch, puisse continuer à exister sans que ses fondateurs n’en deviennent les fossoyeurs. C’est bien beau de mettre en place quelque chose, mais c’est une expérience, trop souvent répétée et qui veut que les gens qui créent certains instruments de promotion ou de diffusion de ces travaux meurent avec leur œuvre. Ils n’arrivent pas à transmettre, ils n’arrivent pas finalement à se séparer du bébé. Le bébé ce n’est pas quelque chose qui m’a fasciné ou me fascine, non, j’ai plus des difficultés avec les enfants. Donc, il fallait larguer la chose. Et larguer la chose ce n’est pas s’en débarrasser, c’est donner les moyens à Light Cone et à Scratch de continuer sans moi, sans nous, avec d’autres. De sorte que si la chose a été valable, elle doit pouvoir exister sans ses fondateurs. Autrement elle n’avait pas lieu d’être, et dans ce cas-là, ce serait la remise en cause de ce que j’ai fait pendant 25 ans et de ce que je suis à oser venir vous en parler là précisément. J’avais juste envie d’indiquer cela, je pense que je n’ai pas envie de faire un exposé sur l’économie de ce champ, à moins que vous ne le souhaitiez.

Un mot à ajouter, ce matin, il avait été dit que le cinéma est un art. Oui, c’est un art, mais rappelons nous que chaque cinéaste, en tous cas chaque cinéaste expérimental, mais c’est la même chose pour les autres artistes, on pourrait enlever le terme expérimental, chaque cinéaste doit toujours constamment redéfinir ce qu’est le cinéma et ce qu’est sa pratique. Cette redéfinition, induisait pour moi, de créer des « institutions » ou des lieux qui puissent l’aider à être.

Voilà, ce sera tout ce que j’avais à dire.

Remembrances – Visible Cities (Fr / Eng)

publié simultanément en allemand et en anglais dans le catalogue de la 3eme biennale Film+Arc Gratz 1997

Pendant longtemps, je me suis demandé si le fait de filmer les villes relevaient d’une activité cinématographique particulière. Ces villes filmées, que j’ai habité, parcouru ou traversé, sont le reflet d’une expérience sensible complexe. En effet, comme la plupart des cinéastes incluent dans cette série, le rapport que nous entretenons à l’espace à ceci d’essentiel qu’il reflète avant tout notre manière d’être au monde, d’habiter le monde à tel moment donné; et ceci, par delà la multiplicité de nos écritures. La ville, au cinéma n’est jamais un espace anonyme. Elle est toujours affirmation d’une subjectivité par le regard porté sur cet espace publique / privé autant que par son traitement.

Etre au monde c’est avant tout prendre la mesure d’un espace personnel vis à vis d’un espace publique. Cette mesure se retrouve dans le rapport que nous entretenons avec l’histoire, la nôtre aussi bien que celle des lieux et des espaces qui nous constituent autant, que nous les produisons. Le cinéma s’avère être à cet égard, un outil privilégié dans le façonnage de tels espaces mentaux (privés et publiques).

Filmer l’espace c’est un peu comme arrêter le temps, ou plus exactement c’est tenter de saisir le flot d’un fleuve. C’est dans ce sens que les jardins de Tivoli filmés par Kenneth Anger dans Eaux d’artifices (1953) sont exemplaires. Ce jardin d’eau se joue de différents aspects organiques afin de solidifier l’eau en des sculptures bouillonnantes, frémissants au vent et à la course folle d’une chimère virevoltante. Le solide devient liquide avant que de s’affirmer comme poussière lumineuse bleue.

Lorsqu’on filme des villes on est toujours emporté par des images parasites, par des fantômes qui viennent interférer ou prennent possession de l’espace que l’on représente. Il ne faudrait pas penser que de telles images fantômes soient uniquement négatives, se seraient se méprendre; elles sont parfois des réminiscences de l’enfance ou de temps révolus et dont nous faisons l’expérience qu’au travers de celles-ci. Que l’on songe au New York de Jonas Mekas (Walden) dans lequel la nature et l’enfance sont si présents que l’on finit par se demander parfois, si il s’agit bien de New York et non pas d’un pan de Lituanie parachuté à Manhattan. Cette représentation de la ville est paradoxale puisqu’elle s’effectue au moment où l’adhérence, s’agit-il d’une croyance, à cette ville est la plus lâche, quasiment suspendu au souffle d’une âme.

Il n’y a pas d’espaces vierges qui n’auraient pas été spoliés par des clichés et différents mirages dont on est plus ou moins conscient.

D’autres fois, les lieux sont tellement chargés d’histoire qu’il est impossible de ne pas la voir, les camps de concentration en sont l’un des exemples les plus frappants que décrivent Nuits et brouillards d’Alain Resnais ou Cooperation of Parts (1987) de Daniel Eisenberg. Les cicatrices des corps chez Alain Fleisher sont aussi lisibles à même le sol des villes. Cependant, ces cicatrices n’appartiennent pas qu’au passé; c’est ce que nous montre très bien Alain Resnais, Jean Luc Godard, Jean Marie Straub, ou Chantal Ackerman dans certains de leurs films.

Des épaisseurs d’images, découpent les villes selon des architectures fuyantes; suite de travellings s’emboîtant les uns les autres chez Chicago Loops (1976) de James Benning, Non, je ne regrette rien (1984) de Gustav Deutsch, Seeing in the Rain (1981) de Chris Gallager ou Nichschennichsehen (1993) de Jan Peters ou Hightway (1958) d’Hilary Harris. Cette syncope spatiale s’oppose à un autre usage des travellings qui étire le temps jusqu’à le dissoudre comme on peut l’éprouver dans Eureka 197 d’ Ernie Gehr ou Chicago (1996)Jurgen Reble. La ville devient la matière émulsive.

Les villes d’Italie ou bien New York jouissent d’une aura incroyable pour de nombreux cinéastes. Mais, pour chaque cinéaste, filmer de telles villes revient à prendre en charge, d’une manière ou d’une autre (en toute connaissance de cause ou alors par simple ignorance), l’histoire des représentations de ces villes au travers du médium utilisé. Ainsi à l’ombre de chaque nouvelle vision peut en surgir d’autres, qui nous emportent vers d’autres rivages, visages ou paysages. L’évocation qui n’est pas une citation devient l’objet de prédilection des cinéastes à la recherche d’un temps, d’un personnage disparu. On pense ici principalement à The Fallen World (1983) de Majorie Keller et L’appartement de la rue de Vaugirard (1975) Christian Boltanski. De même le recours à la reprise d’un motif : le pont; doit s’appréhender comme un hommage à un maître; c’est dans ce sens qu’il faut comprendre le film de Jakobois sur les ponts d’Asnières; un hommage à Van Gogh.

De même la vision impressionniste de Paul Strand dans Manhatta (1921) se retrouve au détour de quelques plans du film de Chantal Ackerman par delà les transformations successives de Manhattan. Fascination pour le Meat Market, pour le débarcadère du Staten Island Ferry…

Des lieux déjà filmés sont revisités, j’ai refilmé, dans Amoroso (1983) les jardin de Tivoli, mais pour inscrire une différence supplémentaire les jeux d’eaux et de matières se donnent dans les tonalités rouges et les visions de Rome évoquent celles des Homes Movie – Rome, Florence;, Venise (1965) de Taylor Mead.

De même l’espace filmé peut nous permettre de nous remémorer et dans ce sens la fiction de la représentation, donc son interprétation devient la trace d’un au-delà que nous convoquons simultanément confrontant les expériences au moment ou l’une d’elle advient; c’est ainsi que travaille Son nom de Venise dans Calcutta désert; comme envers du décor d’India Song. Le second film permettant au souvenir de surgir dans son éclatante fragilité. Pur événement s’il en est, le film dispose de notre souvenir afin de faire éclore au travers du palais effondré ce que veut dire être sous le coup d’une passion amoureuse. Le délaissement et l’abandon s’inscrivent dans les lieux laisser à l’abandon, presque un terrain à déchiffrer autant qu’à défricher.

La ville comme tombeau de l’image propose des concrétions de surfaces dans lesquels les premiers plans s’épanouissent au moment de leur dissolution. Les cimetières comme lieu du temps suspendu; permettent d’évoquer plus facilement le révolu, le distant. Ils sont aussi des espaces urbains particulièrement fécond pour l’errance de l’imagination. Pourvoyeurs d’émotions ils sont les catalyseurs d’images, voir The Dead (USA) de Stan Brakhage ou le film Majorie Keller ainsi que ceux du groupe MétroBarbes Rochechouart réalisé au cimetière du Père Lachaise.

Au détour d’une rue surgit l’histoire, autant par les traces de monuments engloutis, conservés ou restaurés que par leur disparition. Ici les films Premonition (1995) de Dominic Angerame, Les Antiquités de Rome (1989) de Jean Claude Rousseau, Verlassen; Verloren Einsam, Kalt (Missa Solemnis) (1990) de Klaus Wyborny sont exemplaires de telles disparitions et du malaise qu’elles déclenchent dans notre être au monde. Mais ces lieux eux-mêmes sont inséparables des événements qui s’y sont déroulés. Événements banals, quotidiens, comme dans les films d’Alain Fleischer, autant qu’historique. Ce bouillonnement de l’histoire est telle que certaines villes sont hantées par le souvenir d’images filmés qui finissent par la signifier. La ville volée par ses images mêmes devient source de méprise et d’errance, à la recherche d’un espace neutre.

Mais on a pas besoin d’aller loin, il suffit de filmer une chambre, un appartement, une place dans une ville quelconque pour que se manifeste une indicible altérité, le surgissement d’un autre temps qui vient éclore à la surface de l’écran. Je pense à One Second in Montreal (1969) de Michael Snow, Spacy (1980) de Takasha Ito, Maas Observation (1997) de Karel Doing et Gregg Pope.

Errance des cinéastes autant que des spectateurs qui ne voient les villes qu’à travers des amoncellements d’images de ces mêmes villes; De Maasbruggen (1938) de Paul Schuitema, U. S. S. A (1987) de Vivian Ostrovsky etDreaming in Yellow While Searching Carpaccio’s Gold (1990) d’Andrea Kirsch fonctionnent comme des catalyseurs; ils répercutent des plans, des séquences.

La ville s’écroule. La mémoire nous joue des tours et nous fait parcourir des villes dans lesquels nous sommes et n’iront jamais, mais que nous connaissons cependant si bien comme c’est le cas dans Wei weit weg (1995) de Bjorn Melhus. De leur côté les cinéaste façonnent des villes que nous sommes toujours prêts à arpenter les yeux fermés, avec délectation ou frayeur. Les plus beaux voyages ne sont-ils pas ceux que l’on fait sur place, à l’image d’un touriste sans bagage, qui aurait pour tout guide : Joseph Cornell.

Et pourtant jamais je ne cesserai de filmer certaines villes, New York, Paris ou Venise; afin de les découvrir et de m’y perdre inlassablement. Rapporter, ramener la ville nous renvois toujours dans l’instant à ce passé qu’on a pas encore vécu. yann beauvais

Remembrances – Visible Cities English text

For quite some time I have asked myself whether filming cities stems from a particular form of cinematographic activity. The filmed towns which I have inhabited or traversed reflect a complex sensory experience. Most of the filmmaker in this series are agreed that the relation we have to space reflects our way of being in this world at any given time – we concur, despite the multiplicity of our imageries. The city in film is never an anonymous space. It always confirms a subjectivity that develops from looking at this private and public space as well as from one’s dealing with it.

Being in this world means, above all, measuring out a personal space vis-à-vis a public space. This measuring is based on the relationship we have to history – our own history as well as that of places and spaces which, one the one hand, turn us into what and who we are and which we, on the other hand, produce ourselves. In this respect, film proves to be a privileged tool in the forming and shaping of such (private and public) mental spaces.

Filming space is somewhat like desiring to halt time or, more precisely, the flow of a river; in this sense, the Gardens of The Villa d’Este filmed by Kenneth Anger at Tivoli are exemplary. This water garden pays no heed to the different organic aspects when it casts water to frothing sculptures which tremble in the wind and in the wake of a whirling fantasy. What seemed solid a moment ago becomes liquid before turning into luminous blue dust. When filming cities one always lets oneself swept away by parasitic images, by phantoms which come to interfere with or take possession of the portrayed space. One should not assume that such phantom images are always to be judged negatively – that would be a mistake; there are sometimes reminiscences of childhood or of times passed which we may experience solely via these images. One need only think of the New York of Jonas Mekas in which nature and childhood are so present that one sometimes comes to ask oneself whether it is, actually, about New York and not perhaps about some sections of Lithuania transplanted to Manhattan. This representation of the city is paradoxical since it occurs precisely at that moment in which contact with this city -and be it only the belief in this contact- is at its slackest, virtually suspended in the breath of a soul.

There are no virgin spaces; there are no places which have not yet been spoilt by clichés and various, more or less conscious, illusions.

In some cases the spaces are so replete with history that it is impossible not to see it; the concentration camp as described by Alain Resnais or Daniel Eisenberg are one of the most striking examples. The scarred bodies in Alain Fleicher’s films are also readable on the pavement of the city. However these scars are not only part of the past -that is what Alain Resnais, Jean Luc Godard, Jean Marie Straub or Chantal Akerman have demonstrated to us unequivocally in some of their films.

Images of various intensities cut the cities into series of architectures; James Benning, Gustav Deutsch, Chris Gallagher or Jan Peters dovetail camera panning sequences. This spatial syncopation contrasts with another kind of camera-travelling which stretches time until it dissolves, as one can witness in the films by Ernie Gehr or Jürgen Reble. The city becomes filmic matter, emulsive matter.

Italian cities or New York hold an unbelievable aura for numerous film makers. But for each of them, filming such cities amount to, knowingly or unknowingly, looking into the history of the representation of the city by means of the given medium. Thus, in the shadow of each new vision others can arise which carry us towards other shores, faces or landscapes. Cineasts searching for a remembrance of things past or of a lost characters are particularly fond of falling back on an allusion which is not a quotation, like, for example, Marjorie Keller and Christian Boltanski. Similarly, the recurrent use of motifs, such as the bridge, is to be understood as an homage to a master; in this sense that the film by Jakobois about the bridges of Asnières is an homage to Van Gogh.

The impressionist vision of Paul Strand is, likewise, to be found in panning shots in some of the takes in the film by Chantal Akerman beyond successive transformations of Manhattan. The fascination for the Meat Market, for the quay of the Staten Island Ferry…

Places already filmed are revisited: I filmed the Gardens of the Villa d’Este anew, but in order to make further difference apparent the play on water and the playing are kept in hues of red and views of Rome are reminiscent of those by Taylor Mead. The film space can enable us to recollect, and, in this sense, the fiction of the representation, that is, its interpretation becomes a trace of a beyond which we conjure our minds, and, at the same time, we compare these experiences with the moment in which one of them occurs: in this regard, Son nom de Venise dans Calcutta désert serves as the opposite of the setting of India Song; thereby, the second film allows for memory in all it’s amazing fragility. As a pure event, if it is that, the film commands our memory in order to expound through the broken down palace what it means « to be a passionately loved ». The unattended places convey a sense of desertedness and abandonment – a space to be deciphered and cultivated.

The city as a tomb of the image implies the thickening and hardening of the surfaces which unfold as a foreground the instant they dissolve. The cemeteries as place of suspended time enable us to remember more easily the time gone, the distant. They are also especially fertile urban spaces for the imagination. As providers of emotions they are the catalyzers of images, for example, in the film of Stan Brakhage or Marjorie Keller as well as in those by the group « Métro Barbes Rochechou Art » group that were filmed in the « Père Lachaise » cemetery.

Et the turn in the street, history arises indicated the traces of engulfed, preserved or restored monuments as well as by their disappearance. Here the works by Dominic Angerame, Jean Claude Rousseau and Klaus Wyborny are exemplary for these disappearances and for the malaise they introduce into our being in this world. The places themselves, however, are inseparable from the events which took place here. These may be trivial, everyday events (as in the films by Alain Fleischer), but also historical ones. This vortex of history is so powerful that some cities are practically haunted by the memory of images filmed there, images without which the city might not have any significance at all. In search of a neutral space, the city plundered by these same images easily falls prey to contempt and vagabonding.

One need not to go far though:

It suffices to film a room, an apartment, a square in any city for an unspeakable alterity to manifest itself, for another time to appear which unfolds on the surface of the screen – I am thinking of the films by Michael Snow, Takashi Ito, Karel Doing and Gregg Pope.

The film makers ramble as much as the viewers do who only see the cities through the accumulation of images of these same cities: the films of Paul Schuitema, Vivian Ostrovsky and Andrea Kirsch function like catalyzers; they reflect the takes, the sequences.

The city collapse. Our memories play tricks on us and have us run through cities in which we have never been and never will be but which we, however, know so well. The film makers shape the cities we are ready, at all times, to survey with closed eyes, delighting in them or abhorring them. The loveliest journeys -aren’t they the ones we go on our minds, like tourists without any baggage and with Joseph Cornell as the guide?

And yet, I will never cease to film certain cities – New York, Paris or Venice – in order to discover theme and to lose myself there tirelessly. When we tell of the city and let it rise in our mind’s eye, at that very moment, we experience a past we have not yet lived.

 

Le cinéma décolle (Cécile Fontaine) (Fr)

Le cinéma décolle. (Centre Georges Pompidou, cinéma du Musée à l’occasion de la rétrospective Cécile Fontaine)

On peut faire des films de toutes les manières que l’on peut imaginer. Il n’y a pas une pratique (dominante) qui dicterait et imposerait la juste manière de faire un film; même si certaines se voudraient être définitive; on ne saurait cantonner le cinéma, à la fiction, à la bande-annonce, etc. Cécile Fontaine envisage avant tout le cinéma comme un support qu’elle travaille, dans sa matérialité même, un réceptacle d’images déjà impressionnées, que l’on manipule après les avoir extrait de leur lieu d’origine, afin de les redistribuer selon d’autres organisations. Pour elle, le cinéma est ce champ qui permet de déployer au travers d’une richesse de textures, de graphismes et de collages, les qualités de (la) lumière et leurs montages en fonction des transparences qu’offrent les différentes surfaces sensibles utilisées par les cinéastes.

Son oeuvre se caractérisent par la primauté qu’elle accorde au décollage et au montage, et aux choix de ses images – mêmes si la plupart ne sont pas de son fait puisqu’elle utilise la plupart du temps des « found footage » – qui privilégient les scènes domestiques quotidiennes. Cette pratique n’exclut cependant pas tous les Super-8 qu’elle produira avec ou sans caméra. C’est souvent dans ses courts films qu’elle met en relief les potentialités de calibrage de la lumière au moyen de formes indéfinies: Le calvaire (1984), Light (1986), Abstract film en couleur (1991).

Cécile Fontaine appartient à cette école du cinéma qui privilégie le contact direct sur la pellicule; c’est à dire un cinéma qui n’a pas nécessairement besoin d’images photographiques pour exister (assertion démentie par la production de la cinéaste) un cinéma qui inscrit le cinéma dans son appartenance à un art tactile autant que visuel et qui prône le savoir faire dans les traitements de la matière. Un cinéma principalement concret et dont les effets visuel seront souvent abstraits. Le paradoxe de la cinéaste vient de la manifestation de ces oppositions au sein de chaque film. La maîtrise des outils et ce qui permet à la cinéaste de s’inscrire à la fois dans une tradition inaugurée dans les années 30 par Len Lye poursuivit par Stan Brakhage à partir de la fin des années 50 et qu’une nouvelle génération de cinéastes redécouvre au seuil des années 80, alors qu’ils développent et traitent leurs films eux-mêmes.

Le travail cinématographique de Cécile Fontaine s’effectue sur des « found footage »; c’est à dire sur des séquences de films qu’elle n’a pas tourné. A la différence d’un grand nombre de cinéastes de « found footage » qui prélèvent de courtes séquences ou quelques images d’un même film, Fontaine recycle en totalité les films qu’elle utilise (qu’ils soient trouvées ou données ne changent pas grand chose à son attitude). L’utilisation de l’intégralité de l’objet trouvé entraîne un certain nombres de manipulation et traitement qui sont spécifiques de son travail. Dans le fait de recourir à l’intégralité de l’objet: film trouvé; il y a une affirmation quand à la nature du montage, le désignant comme catalyseur de variations. Le montage n’est pas appréhendé comme ce qui unit, ou lie le divers mais comme ce qui transforme, et fait du même: le différent. Glissement qui établit par une économie de moyens, les bornes que la cinéaste ne dépassera que très rarement. Il s’agit toujours d’être à même de maîtriser les données alors que le résultat des manipulations chimiques, ou graphiques bien que connus n’est jamais certain ou même stable. Ces manipulations, qu’ils s’agissent du décollage d’émulsion et recollage de celle-ci sur d’autres bases ou supports, ou des grattages et découpages de partie d’émulsion, sont toujours à la merci d’un dérapage incontrôlé qui transforme radicalement la séquence; pouvant entraînant sa disparition définitive. On retrouve cette tension, ce risque dans tous les processus que développent, créent la cinéaste. En effet lorsque la cinéaste effectue ses décollages d’émulsion on songe à la fois à la perte et au gains simultanée. L’altération d’une des couches composants le film couleurs s’accompagne de l’apparition du multiple et nous fait gagner ainsi une polyvision dont la cinéaste sait admirablement bien jouer en combinant les rapports de couleurs selon des éclats qui évoquent autant Duchamp-Villon que le Len Lye de Rainbow Dance (1936), que l’on songe aux joueurs de golf en violet, vert et jaune de Golf-Entretien (1984) et son pendant la première partie de Two Made For TV Films (1986), ou aux danseurs dont les mouvements s’encastrent les uns dans les autres selon une chorégraphie chromatique comme c’est le cas dans Japon séries.(1991). Dans ces trois films, le montage consiste à jouer avec le décalage des trois couches d’émulsion d’une même scène. Ce montage chromatique répond cependant à d’autres critères qui affirme la spécificité d’éléments purement filmiques: bande sonore optique, ligne de séparation de photogramme, les trois couches constituant l’émulsion couleur, « la cadence déréglée par l’étirement de l’image initiale et donc le changement de format ». Mais ces films ne se limitent pas à ces seules manipulations, ils travaillent le support selon un ensemble de techniques que la cinéaste à découvert à partir de 1983 avec A Color Movie (1983). Ce film déploie une diversité de stratégie qui deviendront la marque de la cinéaste, tout en l’inscrivant simultanément dans un courant du cinéma expérimental qui met en avant la matérialité du support que se soit au moyen du développement ou du traitement tirages, virages, colorations des émulsions ou par le refilmage. A la différence de bon nombre de ces cinéastes, Cécile Fontaine n’utilise aucunes de ces techniques sophistiquées, elle est plus directe. Elle arrache, gratte, poinçonne, raye ou brûle l’émulsion, et la recolle, la repositionne sans respecter la continuité du déroulement de la prise de vue. A Color Movie est, à cet égard, un véritable précis de déconstruction cinématographique. Ce premier film, revendiqué comme tel, permet à la cinéaste d’envisager le cinéma selon des caractéristiques graphiques, et picturales non pas tant dans le rendu que dans les techniques d’apposition et de manipulation du support même. Le film n’est plus considéré comme seule surface sensible à impressionner mais comme surface d’inscription. Déplacement qui introduit une coupure dans le photo-graphique le faisant devenir: kiné-graphique. La seule limite à ces ajouts est le couloir du projecteur qui ne peut recevoir les épaisseurs du ruban ainsi constitué. Dans la lignée du Brakhage de Mothlight (1963) Cécile Fontaine renouvelle les approches en collant différents papiers et plastiques colorés comme dans L’Atelier (1984) autant que dans A Color Movie. Elle applique ces mêmes techniques à l’ensemble du ruban, faisant subir aux différentes couches d’émulsion prélevées des traitements similaires qui se complexifient d’un film à l’autre. Ces premieres expériences sont fondamentales pour la cinéaste en tant qu’elle lui permette de mettre l’accent sur ce qu’est un film pour la cinéaste à savoir: « un objet transparent qui laisse infiltrer la lumière du projecteur pour créer des motifs et des couleurs à regarder avant tout comme objets plastiques mouvants sans aucune référence précise au monde du réel, si ce n’est à la réalité physique du film même ». Cette qualification du cinéma comme producteur de motifs colorés mouvants fait que les compositions chromatiques qu’elle développe, fonctionnent souvent comme des vitraux. Vitraux qui ne sont pas asignifiants, puisque la majeur partie des films 16mm sont faits à partir de scènes quotidiennes, anodines mais, qui par accumulation, leur confère la caractéristique du rituel. On pense aux défilés des élus locaux et le salut aux armes des forces policières lors de visites officielles dans les territoires d’outre-mer d’Histoires parallèles (1990); véritable clin d’oeil narquois à l’enfance de la cinéaste. Elle leur passe véritablement un savon. Avec ce film; elle à fait tremper les séquences dans des solutions savonneuses afin d’obtenir des mouchetés particuliers. Dans ce même film aux plans des officiels elle juxtapose des séquences qui semblent provenir de la crise de Suez, révélant ainsi des conflits potentiels dont la manifestation à l’écran se voit dans la diversité des textures et des traitements. Il y a chez Cécile Fontaine une ironie et un humour, un plaisir du jeu de mots d’images sous-jacentes au montage, que ce soient lors de successions qui privilégient l’analogie des formes: réservoirs de motos allemandes en noir et blanc et baigneurs en couleur de Cruises (1989) ou adéquation entre le sujet et le traitement de l’émulsion comme c’est le cas avec Overeating (1985). Dans ce film, la mâchoire du mangeur de poulet semble être en proie elle-même à une étrange mastication. La représentation est pliée, déchiquetée en tout sens, la pellicule est broyée sous les coups incisifs d’une faim sans merci. Ce film est exemplaire pour plusieurs raisons, la première tiendrait au fait qu’il y a une parfaite adéquation entre traitement et contenu, le film après avoir trempé dans diverses solutions a produit un étirement de l’émulsion qui s’est décollée du support. La seconde est le recours aux boucles qui permettent de faire voir plusieurs fois le processus et ses conséquences Et la troisième tient au fait que la cinéaste effectue le même travail avec la bande-son qu’avec l’image. Un nouveau montage discrépant est proposée par la dérégulation du synchronisme initial. Certains films suivent la bande-son d’un film comme générateur pour le déroulement d’un autre film. Ici, on pense à Cruises, qui met en relation trois types de « found footage », mais dont la publicité pour une croisière du Norway dans les Caraïbes sert de fil conducteur sonore pour l’enchaînement et la distribution des autres séquences qui composent le film. Il s’agit du journal (filmé) de campagne d’un officier allemand pendant la guerre (Agfa daté 41) ainsi que des comédies des années 20. La croisière initiale vecteur d’une nouvelle croisière atemporelle convoque des temps qui juxtapose conquête territoriale et tourisme. C’est en ce sens qu’il faut envisager la relation entre les séquences des soldats allemands visitant et se détendant en famille dans quelques régions bucoliques et les scènes de plages colorées des années 80. Ce film, l’un des plus aboutis de Cécile Fontaine fait de l’image fantôme l’une des caractéristiques de sa palette cinématographique. Lorsque la cinéaste décolle l’émulsion colorée sur une longueur donnée du ruban, elle obtient deux éléments: l’un qui est la base, souvent jaune pâle; fantôme d’une image à venir, l’autre constitué de deux couches d’émulsions est à la fois plus fragile mais en même temps plus définie. Dans Cruises, dans Home Movie (1986), ainsi que dans Sans Titre Mai (1988), les fantômes viennent hanter un présent plus distinct, et s’incrustent comme parasites du défilement serein. L’image fantôme devient le support d’une bataille qui fait se côtoyer plusieurs temps distincts, lieux et histoires. Dans Stories (1989) une vie de chien se mêle à un western (une série télévisée quelconque des années 60) et à des plans d’un déjeuner familiale; en l’occurrence la famille de la cinéaste. Les temps se télescopent; les images se chevauchent et vont parfois comme c’est le cas avec Cruises et Sunday (1993) créer des marqueteries et des mosaïques particulières: un couple de danseurs en noir et blanc des années 20 se mêle aux danseurs d’une croisière des années 70, des enfants allemands jouant au ballon qui se transforme en raquette jaune etc. On pourrait multiplier les exemples qui soulignerait l’incroyable précision et maîtrise que Cécile Fontaine a de ses outils et ce d’autant plus que certain effets mis en place par la cinéaste s’apparentent à ceux que d’autres ont développé à la même époque (83-84) dans la même ville (Boston) mais en les alliant à ceux obtenu au moyen d’une tireuse optique tels Caroline Avery et Phil Solomon. Fontaine et Avery vont jusqu’a partager les scènes banales et les manifestations de la quotidienneté sous tous ces aspects, que l’on songe aux communions de Home Movie, aux travaux ménager de The Living Rock (1989), ou aux différentes processions de Home Movie, Histoires Parallèles, Cruises, et Sunday.

Bien que l’usage des « found footage » soit prioritaire pour la cinéaste, il devient cependant restrictif dans la mesure ou elle recherche avant tout des films qui traiteraient de la vie quotidienne qui ne serait en rien spectaculaire. Son travail n’est pas une apologie du spectacle, elle s’intéresse aux petits événements sans importance, aux êtres et à leur entourage. Comment faire des films avec ce qui nous entoure sans sacrifier au mirage technologique. Ainsi se limiter quant aux choix des films trouvés, on privilégie les journaux filmés afin de ne jamais s’éloigner des individus; on privilégie les techniques qui font appel à un arsenal d’instruments domestiques; toute un économie du film sans superflu se dévoile par ses constituants. L’une des traits saillants que l’on retrouve d’un film à l’autre est le grattage et le virage (plutôt coloration ; cela dépend si c’est effectué sur le support image par image ou sur des longueurs de ruban par trempage) de la pellicule. Ses films sont souvent précédés d’amorce opérateur personnelle que la cinéaste à créer de toutes pièces et qui sont souvent comme des précis de cinéma fontainien. Jeux de mots en images au moyen du grattage, commentaire amusé sur l’image, grattages masquant ou dévoilant tel ou tel aspect de l’image sont en jeu à la fois dans ces courtes introductions mais aussi dans ces plages qui relient un film à l’autre lorsque la cinéaste en met plusieurs bout à bout. Cette accumulation de signes, de grattages, de marques sur la représentation photographique vient interférer sur celle-ci et vient manifester une fois de plus la matérialité du support. Celle ci étant renforcé par les nombreuses rayures, pliures, accrocs qui se manifestent dans la photo; rien de léché ici, mais quelque chose de cru, brutale même. les traces des scotches qui permettent le prélèvement des émulsions colorées, ainsi que leur réapplication, les marques comme le grain ou le piqué du aux trempages successifs dans Histoires Parallèles ou L’irréversible chapitre III d’un roman 3D (1987) sont revendiquées comme essentielles. Sans celles-ci point de film. Elle met ainsi en procès la belle image léchée, tellement pleine de sens qu’elle en a perdue tout intérêt. Elle travaille avec les restes, les débris, les rébus. Proche en cela de Schwitters et des affichistes, Cécile Fontaine manifeste le cinéma dans tous ces aspects, et principalement ceux qui ont été exclus. Son cinéma est hanté par une lecture critique de la « sainte famille »; dans plusieurs films elle travaille à partir de journaux filmés voir Home Movies (1986) ou à partir de séquences tournées par son père: Correspondances(1985), Stories. Séquences qu’elle manipule et met en relation avec d’autres événements qui affirment autant la disparition d’un temps à jamais révolu, que l’illusion de la quête de ce temps mythique. Le cinéma est ce qui permet de dévoiler cette critique sociale à partir de la mythologie quotidienne.

yann beauvais avril 94