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Steina et Woody Vasulka: le son de l’image (Fr)

texte de présentation en ouverture de l’exposition : Au commencement état le bruit Steina et Woody Vasulka, à l’espace multimédia Gantner 11 octobre 2014 -24 janvier 2015.

 

Je ne connais pas bien le travail des Vasulka, ni ne suis en rien un spécialiste de la vidéo, et pourtant les rencontres avec leurs travaux m’ont marqué et ce depuis que j’ai pu voir à l’American Center à Paris certaines de leurs bande et aussi plus tard à la Maison des Beaux Arts (MBXA) lors d’une rétrospective organisée en 1984. Les rencontres se sont succédées et les découvertes étaient à chaque fois importante, qu’ils s’agissent d’une pièce de Steina à la Biennale de Venise ou plus récemment encore lors de l’exposition qui s’est tenu au ZKM: Buffalo Heads. C’est lors des préparatifs de cette exposition et des recherches que j’avais entrepris pour réaliser l’exposition Figment Paul Sharits à l’espace Gantner que nous nous sommes rencontrés plus longuement que lors de leurs passages parisiens. Aussi lorsque Valérie m’a demandé de parler d’eux ai-je décidé de le faire sous le couvert de la méconnaissance et du déplacement.

Tout commence pourrait-on dire à la fin des années 60, alors qu’après s’être installé à New York, Woody s’intéresse par l’entremise d’Alphons Shilling aux dispositifs de projections

Apres l’été 67, alors que je travaillais sur des films multi-écrans, j’ai développe une théorie personnelle accusant I’image séparée du cinema (le photogramme) et son cadre d’être particulièrement responsables de la tendance narrative du film, tendance que je soupçonnais d’être a I’origine de mes inhibitions quant à l’utilisation du cinema.Mon attention s’est dirigée contre I’appareillage cinématographique lui-même.

Alphons traversait une crise similaire mais sur une échelle bien plus large, Clans la mesure où il avait également affaire avec la peinture .Nous avons fait des expériences avec une camera sur un support pivotant, dirigée a distance. Alphons a filmé une scène (une personne marchant dans la pièce} et en installant le projecteur a la place de Ia camera tout en projetant sur les murs du même espace, il réussit a reproduire les mouvements initiaux de l’image.

Cette reconstruction de I’espace a déclenche pour nous deux toute une série d’expérimentations. Nous sentions que notre dilemme avait quelque chose a voir avec l’espace – la construction et la reconstruction de I’espace dans le temps. Nous avons utilise tous les deux cette expérience de l’espace réel pour nous tourner vers (l’interprétation des codes sous-jacents : pour Schilling ce fur la conquête des principes binoculaires,pour moi le temps l’énergie comme principe organisationnel des sons et des images.

Woody : Que faire avec une camera et un moniteur ? Un feed-back’ Pour nous.c’est de 16 qu’a j’ai11i l’étincelle qui no-us a illumines. On a dit beaucoup de choses a ce sujet, Jonas Mekas a parle de culte, de l’électricité’

Steina : Avant même d’avoir une camera.nous avons acheté un synthétiseur de son Putney. Tout de suite après, trois moniteurs. Et Jusqu’en 1979, nous avons tout visionné sur ces trois moniteurs.Toute notre réflexion a tourné autour du concept dune matrice de moniteurs.

Woody :Les synthétiseurs de son nous on aussi conduit aux oscillateurs.11 y avait la un autre moyen de produire des images après le feed-back. Nous injections des fréquences dans le moniteur pour étudier les modes d’interférence

En jouant de cette interaction -le son produisant de ]’image – nous avons compris qu’il y avait la un unique matériau: : ce sent des voltages et des fréquences qui produisent des sons et des images. Gene unicité du matériau de base a sans doute été pour nous la découverte la plus importante, avec l’interactivité. Ainsi, nous pouvions générer, ou contrôler, l’image par le son. Et cc matériau avait pour nous une réalité physique.

Ce travail avec les sons des images proche d’une recherche liée à la synesthésie va favoriser une appréhension et compréhension particulière de la vidéo et va orientée toute l’œuvre des Vasulka comme un travail ouvertement et prioritairement expérimental. La recherche, l’étude des fonctionnements de tel ou tels dispositifs couplant caméra et moniteur qu’ils s’agissent du feed back, ou bien du couplage oscilloscope, et distribution de la trame de balayage de l’image. Par la suite les couplage des synthétiseurs de sons couplés au tramage des l’énergie lumineuse permet de produire des torsions, contorsions distorsions de l’images qui peuvent évoquer visuellement le feed back mais dont la production se distingue dans la mesure ou il s’agit d’une modification spatiale de la trame. Si ces appareils sont couplés au jeu musicale de alors nous sommes en présence d’un travail ou la synesthésie est pensée selon des champs incorporant le domaine de l’improvisation autant que le travail de l’atelier.

O parle de l’importance du dispositif dans la production des Vasulka, et cette critique est bien souvent négative. Ils sont envisagés comme des chercheurs, des passeurs, des relais, mais aussi comme de formidables organisateurs qui mettent à disposition des équipements et des espaces mises à la disposition d’autrui. La Kitchen fondé par eux en 1971 en étant la trace marquante, et qui aujourd’hui encore est en activité, certes sous d’autres formes mais elle a servi d’art-lab pendant de nombreuses années et d’exemples pour des structures différentes tel que le Media Study de Buffalo, ou bien plus récemment l’école du ZKM, et la fondation Langlois à Montréal.

Ils ont su créer les conditions de production et de réceptions des travaux qu’ils ont eux-mêmes créées ou bien ceux d’autres artistes. Ils ont rendus possible la création d’espace d’accueil sous la forme de laboratoire au niveau de la fabrication des outils et des objets autant que dans l’espace et de le temps de la réception c’est à dire de la présentation.

Avant de nous intéresser brièvement à cet aspect de leur travail. Je voudrais effectuer plusieurs détours par le champ de l’art, du cinéma et de la vidéo afin de déconstruire l’appréhension habituelle que nous avons des travaux de Steina et Woody Vasulka.

La notion d’expérimentation appliqué à la pratique artistique bien que souvent revendiqué par les artistes dans le passé, depuis la fin du 19 siècle est, de manière générale, mal acceptée, ou pas facilement acceptée par les amateurs autant que par le marché de l’art. Mettre en avant l’aspect d’expérimentation signifie bien souvent mais, pas systématiquement, remettre en cause ou en tout cas questionner la finalité du produit, de l’œuvre. C’est aussi changé le statut de la production de l’artiste, qui font des esquisses, des essais, des tentatives, du travail du studio et de laboratoire l’outil nécessaire à une éventuelle production d’un objet (pas forcément) finalisé. Lorsque le laboratoire est affilié, à une université, un groupe, une marque, il est attendu que la production débouche sur un objet. On constate que c’est toujours ainsi que c’est négocié la recherche avec les groupes de télécommunications ou électroniques tel que Bell, IBM etc… Stan Vanderbeck, John Whitney pour n’en cîter que deux, ont finalisé des travaux dans des laboratoires par des œuvres closes tels que Poemfield (1966) pour le premier et Catalog (1961) pour le second. Il est difficile de s’écarter totalement de cette finalité qui fait qu’une recherche doivent déboucher sur un produit. Comme si toute recherche se doit être performative.

Remarquons à la fois le formidable écart mais aussi les liens pouvant exister entre Vocabulary (1973) œuvre plus tardive de Woody Vasulka qui montre diverses possibilités de faire de l’image à partir du Multikeyer, du scan processor et du Dual Colorizer. Dans cette bande Woody dispose deux objets tridimensionnels dans de nouvelles relation spatiale l’un vis à vis de l’autre lors du traitement de leur forme. De son côté John Witney en 1961 explore les possibilités de produire une représentation tridimensionnels à partie du mouvement et de la répartition d’de point lumineux qui sont ensuite coloriser.

Vocabulary_09

Mais si l’on décide à penser un axe de recherche avec un support donné , la sérialisation et les questions relatives à la perception visuelle dans le cas de Rose Lowder, la relation d’une musique visuelle live dans le cas de Steina… on s’aperçoit que le travail de recherche et les productions qui l’accompagnent peuvent être envisager comme constituant appartenant à la production d’une œuvre si tant est que l’on doivent recourir à ce terme. Il ne sont pas les esquisses qui préfigurent le grand œuvre tel qu’on la critique et l’histoire veulent les lire et les imposer et nous bassinent avec cette interprétation antique du travail artistique. Les essais sont l’œuvre car celle-ci est appréhendé en un devenir et ne fige que partiellement, ponctuellement selon les besoins d’une présentation, d’une exposition. Le travail artistique est alors la manifestation d’un travail quotidien de recherche à partir duquel des extraits, des extraits, des travaux vont surgir qui seront peut-être figés dans une forme , comme trace d’un temps et d’une recherche. C’est ainsi que se comprenne nombre de travaux de Steina et Woody Valsulka comme la trace, ou plus exactement comme le prélèvement, la suspension d’un devenir. Ils sont un instantané dans le balayage constant de la trame.

La question de l’insistance d’une action de Steina se filmant jouant du violon, et transformant l’aspect de l’image, selon des torsions, des aplatissements, n’est pas sans me rappeler la dimension obsessionnelle de Vito Acconci, ou répétitive de Bruce Nauman qui reprend encore et encore la même action comme jouer du violon, marcher sur une ligne… ou bien encore Tony Conrad répétant le même accord et, dans un autre registre, Jack Smith se préparant sans aucune finalité pour une performance dont on découvre que c’est en fait la préparation qui est la constitue et non pas ce qui devrait suivre, subvertissant ainsi le champ du spectacle en faisant de ces moments d’apprêts, moments, actions qui ne sont en général pas vues, puisqu’ils permettent à l’œuvre d’advenir mais que l’artiste affirme pour eux mêmes. On est , de fait dans un retournement de l’usage qui procède de la transmutation des valeurs. Et c’est aussi ce qui advient avec les travaux de Steina et Woody. Ils mettent en scène et en œuvre la trace de recherche qu’ils font passer du statut d’expérience à celui « d’œuvre » pour lequel j’emploierais les guillemets, modifiant autant les paramètres d’appréciation de ce que peut être une œuvre à travers la déconstruction des paramètres classiquement usités pour définir ce qu’est l’œuvre. L’outil et l’exploration de ses possibilités fait œuvre. Il inaugure une redéfinition du langage à partir de l’usage d’un nouveau média, qui bien qu’électrique procède de manière analogique à ses débuts va se transformer petit à petit vers le numérique. Dans tous les cas il s’agit de l’extension du concept définissant la vidéo comme étant une image électronique comme temps-énergie. Il s’agit pour les Vasulkas d’écrire en lumière (ce qui caractérise le fonctionnement du dispositif vidéo) et non pas d’écrire avec la lumière (photographie et cinéma). Ainsi Les Vasulka réalise le souhait de Len Lye pour le lequel l’énergie est lumière et rythme et qu’il explore de magistralement dans ses trois derniers films et ses sculptures.

Le signal est le matériau de notre pratique artistique. On peut aussi bien parler de fréquence et de voltage au lieu de temps et énergie. Comme le dit Steina dans une interview en 1985 dans laquelle les deux artistes expliquent comment ils ont travaillé ensemble et en quoi leur connaissance lié à la pratique d’un médium, le film pour Woody, la musique pour Steina, les a conduits a exploré avec une grande liberté la video à partir d’une inversion des priorités. Woody avec la musique, Steina avec le cinéma, la méconnaissance réciproque de ces médias les conduits à imaginer et faire des choses qui sortes des sentiers battues, et s’opposent ainsi aux règles et aux conventions qui imposent le bien filmé, ou le bien rythmée ‘ qu’il faut comprendre avant tout comme acquiescement à un certain nombre de règles édictée, imposée par une approche technique et ou patrimoniale des médiums ;

L’intérêt de leur recherches convergent pendant longtemps dans la mesure ou le travail d’analyse du signal et sa manipulation à partir des synthétiseurs de son leur permet de comprendre le travail de la trame, du balayage, mais à partir d’un moment les motivations vont diverger, Steina va s’interroger et privilégier les dispositifs optiques de capture et de manipulations de l’image accouplé, en dehors du fétichisme (ou si on peut le dire en français) ou d’une préciosité en regard de l’image filmée, alors que Woody s’intéresse à la stéréo, à la vision binoculaire, retrouvant d’une certaine manière les premières recherches qu’il avait entrepris avec Alphons Shilling dans les années 60.

De fait la séparation mais aussi ce qui les unissait c’était la reconnaissance de l’inadéquation de l’instrument caméra comme productrice de l’image. On peut dire que la caméra est un outil extraordinairement limité et contrôle par un nombre important de règles techniques et esthétiques. Pour Woody, la caméra, la camera obscura devient l’ennemi, le sténopé est l’archétype de ce dispositif qui monopolise et façonne la production d’image, et c’est pour cette raison qu’il cherche des alternatives quant à la production de l’image en mouvement, quelque chose qui serait détaché de la caméra obscura et de sa perspective… dans le cas de Steina, la résistance s’exerce sur l’œil qui est derrière la caméra, celui qui sélectionne, cette instance de pouvoir. En prenant compte de cette dimension on comprend alors pourquoi et comment les Vasulka sont éloignés de cet œil caméra du cinéma. Le cinéma bien que référent important pour la vidéo ne participe pas du même dispositif de fabrication, production de l’image. La relation avec la reproduction photographique n’est pas sa raison d’être, et surtout pour chacun d’eux cela marque l’abandon de la suprématie de l’œil comme comme distributeur de l’histoire, de la représentation. Steina privilégiera une approche mécanique dans laquelle elle abandonne la prise de décisions quand à la disposition des objets dans le plan ; c’est alors qu’elle introduit le concept de all vision en recourant à des dispositifs des miroirs sphérique qu’elle couple à al caméra et a des systèmes de rotation, elle prend ce qui est à l’entour le studio, le jardin la nature, et n’arrange pas les objets dans le cadre, (Somersault, The West) alors que Woody se tournera vers l’ordinateur.

Chacun de nos travaux sont des suggestions. Ils permettent de penser et de continuer à travailler sauf qu’au fil du temps nous avons dépasse la seule phénoménologie de la vidéo. Rappelons nous que dans un premier temps la vidéo est analogue c’est à dire elle est du temps réel, et vous travaillez les bandes de manière linéaire. De son côté le digital, en fait le numérique permet un accès ouvert, random access, à n’importe qu’elle point du travail, le transformer localement ou le permuter sans avoir à tout refaire. Avec l’analogue on est encore dans la culture de l’original qui est distinct de meilleur qualité que la copie, avec le digital cela est aboli ; la copie ne se dégrade pas, la dégénérescence semble abolie. On est aussi passé de la boite à outil et ses constructions de boites de dérivations, de colorations, de transformation du signal aux codes. Ce qui change beaucoup car le code est écrit, pensé en amont alors que la boite, le commutateur que l’on installé pour modifier le signal à l’entrée ou à la sortie permettait des test etc…

noisefieldQue l’on pense à Noisefield, Violin Phase ou nombre travaux des années 70.

violin phaseC’est dans ce champ d’applications qu’existent des convergences dans les recherches des vidéastes de l’époque. On songe aux premiers travaux de Gary Hill qui s’interroge sur la relation son image… mais aussi Nam June Paik. Les différences sont grandes car la si l’on pense à la manière dont Steina, ou Charlotte Moorman joue d’un instrument de musique on voit bien le grand écart entre les propositions. De même, Steina Vasulka met toujours en avant une performativité du dispositif, de la capture, de l’exécution mais moins dans le champ de la réception. Les essais de simultanéité de l’action que privilégie le montage rapide, les switchs entre un point de vue et uns autres qui vont avec le numérique s’exposer en devenant multi écran, dans la même image, ou dans un assortiment de projections.

Je me suis toujours demandé comment les artistes qui avaient travaillé avec la vidéo analogique avaient digérés le passage au numérique. Je pensais que cela avait relativement facile pour les Vasulka dans la mesure ou ils avaient toujours fait appel à des outils qu’ils avaient conçut ou qui avaient été conçu pour eux. Je n’avais jamais pensé que le surgissement du code, des programmes les avaient plongés pendant plusieurs années dans une sorte de désarroi, car soudain tout ce qu’ils avaient fait était, pensé devenait obsolète. Il fallait maintenant écrire le code, c’est à dire que l’image s’était véritablement dématérialisée. Avec les commutateurs, il y avait une sorte de matérialité de l’image, on la trafique en totalité. Avec le digital, c’est aussi la possibilité de généraliser et d’amplifier l’incursion dans des parties de l’image, comme si le travail de la truca se démultiplier.

Mais une des choses qui manquent peut -être au digital c’est la dimension de l’imprévisible, l’irruption de l’intempestif dans l’image et le sons, l’erreur, le mal fait etc…. Bien souvent la culture digitale s’oppose à ces défauts, ces mal versions, sauf bien entendu avec le glitch. Steina a un programme qui déjoue l’uniformisation de l’image digitale, et elle s’est aperçut que trop souvent les artistes, veulent toujours contrôler ce qu’ils font, la place de l’imprévisible est limité au strict nécessaire. (voir une interview qu’il donne en 2010 à Terry Flaxton). On fait toujours face au diktat de l’Auteur. C’est ainsi que la question de l’auteur vient se greffer à nouveau selon des modalités périmées bien que toujours activées par le marché et par les « auteurs » eux-mêmes qui n’ont pas su et ne veulent pas transformer, accepter la mutation de leur position répétant jusqu’à satiété la sempiternelle ritournelle d’un égo survitaminé.

L’usage et l’utilisation des instruments mécaniques/ optiques ainsi que les programmes qui se substituent ou accompagnent les décisions du vidéaste, renforcent l’autonomie créatrice selon des modalités privilégiant l’improvisation et la dimension performative du faire (encore faut-il savoir quoi en faire). Ainsi Steina peut-elle depuis le milieu des années 80 privilégiés l’espace extérieur et les paysages du Nouveau Mexique depuis qu’ils se sont installés à Santé Fé. Son installation sur les chutes d’eau de plusieurs écrans (6 ou 7 à vérifier Biennale de Venise) n’est pas tant impressionnante par l’objet filmé la chute d’une grande masse d’eau que par la subtile chorégraphie et synchronisation des différents écrans qui manifestent alors des composition s entre eux jouant entre l’unisson, la forme fuguée et les dissonances si l’on peut parler de dissonance dans le champ des écrans. Il s’agit de mise en phase et déphasage qui font surgir la coupe qui a été le vecteur essentiel du cinéma et que la vidéo a écartée au profit de la continuité et du flux, mais qui est réintroduit spatialement avec les multi écrans quelque soient leur nature. Le montage se déplace du vecteur temporel pour s’implanter dans l’espace.

Par rapport à cette transformation du faire à partir de la mutation des outils les Vasulka ont donc pendant plusieurs années étaient désarmés . Tout ce qu’ils savaient, avaient appris au film des expériences n’avaient plus aucune pertinence. Le code changeait la donne. La matérialité était finalement abolie. Faire des images n’avaient plus rien avoir avec la capture de la réalité, elle devient construction et organisation d’une suite, d’un enchainement de code selon du pré-programmé. Cependant dans cet univers pour le moins assisté, l’uniformisation guette. La dématérialisation de l’image qui s’accompagne d’une multiplication exponentiel des traitements est bien/trop souvent régit par l’exclusion de l’aléa ; à moins de programmer ou d’inclure dans le code des lignes de fuite qui puissent désorganiser la mécanique bien huilée du programme initial.

 

art of memoryC’est ce travail que va privilégier Steina dans ces travaux depuis la fin des années 90, alors que Woody va réintroduire une dimension dramaturgique qu’il avait exclut de ces machines de vision dans The Commission ou Art of Memory dans lesquels il souligne l’importance de la cinématographique en regard de sa production narrative. Le dispositif cinématographique est, pour Woody Vasulka ce qui trame le narratif c’est ce qui l’avait poussé a le quitter. Il faut bien sur entendre ici la trame comme chainon narratif et non pas élément constitutif du balayage video. La trame est modulable, elle avait été l’un des enjeux du développement formel de son travail des années 70.

Si l’expérimentation est privilégié dans le champ du faire, elle l’est tout autant lors de la monstration, il faut penser que l’exposition ou la projection sont des moments dans lesquels les artistes peuvent explorer des modalités et des dispositifs. Ainsi l’espace de l’exposition est un espace proche du laboratoire il perpétue le travail initié chez eux lorsque les Vasulka invitaient des gens à venir voir des travaux, et qui se déploiera ensuite à la Kitchen et à Buffalo. On ne peut penser la dimension performative d’une œuvre dans son faire si l’on évince de cette exploration et de cette expérimentation la composante ayant trait à la réception et donc à l’installation des œuvres. Ainsi le dispositif qui reçoit se trouve mis en crise par la précarité d’un projet qui met en question ses habitudes et se modes de fonctionnement. Se heurtent des logiques de flux, dans lequel le figé, la forme arrêtée doit être produite afin de permettre à l’espace d’art de présenter, manifester sa capacité à recevoir et à innover en recevant des œuvres en devenir.

Introdução, Mão dupla (Fr)

Mão Dupla escola de artes visuais do Parque Lage, Rio de Janeiro, 2005

L’utilisation de la photo et de la vidéo s’est répandue à tel point qu’il est quasiment impossible pour un artiste aujourd’hui d’envisager un quelconque travail sans recourir à ces outils, qu’il s’agisse de produire des pièces originales, ce qui est rare, ou de documenter une œuvre, une performance, un évènement. La photo et la vidéo se substituent alors à l’œuvre et témoignent ainsi d’une activité éphémère passée dont elles manifestent chacune à sa manière une trace.
L’apparente démocratisation dans l’accessibilité des outils informatiques, la simplicité de leurs usages laisse présager des possibilités inouïes ; tout ceci semble promettre à chaque usager un devenir artistique en puissance.
Le recours à la photo, à la vidéo, ne procède pas des mêmes motivations, mais leurs usages relèvent souvent de démarches similaires qui abolissent l’idée du professionnalisme que véhicule l’industrie (dont la marque se retrouvait dans la division du travail) et la pratique académique de l’art (qui revendiquait un savoir faire unique et le culte du beau) autant qu’elle manifeste une appropriation démocratique des moyens de communication. Si tout est possible alors tout serait permis et rien ne s’oppose à cette fringale dévorante de tout enregistrer, de tout photographier d’une manière ou d’une autre. La photo devient un moment du film et non l’inverse.
Mais la nature des documents diffère en fonction de l’objet filmé. D’aucuns interrogent les postures, les attitudes, les comportements par prélèvement dans une réalité plus ou moins proche de l’artiste. Ainsi : le travail sur les activités quotidiennes. Pour d’autres c’est avant tout l’enregistrement spontané d’une action qui justifie la désinvolture du montage. Dans les deux cas , l’acte prépondérant est la capture, comme le font nombre de cinéastes expérimentaux des années 60 et 70, le montage devenant secondaire sauf si pour renforcer l’idée de l’accumulation proche qui elle est proche de la collection. Rares sont les artistes pour lesquels l’immédiateté de la prise entraîne une mise à disposition sur le champ de l’enregistré faisant du visionnement public un moment constitutif de l’enregistré. Faire de la diffusion instantanée un moment du partage, un catalyseur de l’échange comme le sont les films de famille en d’autres occasions. L’expérience de l’art de dissolvant dans la vie.
Les travaux sélectionnés pour cette exposition indépendamment de leur qualité intrinsèque participent de ce champ réflexif. Par leur annexion dans une exposition, ils ne peuvent échapper aux questions relevant de la mise en espace d’une image, de la nécessité d’une telle monstration dans des lieux quasi public (école, galerie, musée), de la pertinence de l’accrochage … Quel type de partage est en jeu dans l’exposition ? Que nous donne à vivre telles photos et vidéos ? Comment s’articule la nécessité du faire avec celle du montrer ?

yann beauvais

C’est toujours du cinéma (Fr)

in Catalogue, Taipei Golden Horse Film Festival, 2005

C’est toujours du cinéma

Écrire sur le cinéma expérimental aujourd’hui, c’est reconnaître, que cette pratique cinématographique est souvent séparée de son médium d’origine  à savoir : le support argentique. La production de films ne se cantonne plus à ce support, elle s’actualise selon une combinaison de médium qui va de la vidéo à la pellicule, en passant par le numérique sous quelques formes que ce soit.

Faire du cinéma aujourd’hui c’est, comme le remarque Gene Youngblood1, le distinguer de son médium, comme nous distinguons la musique d’un instrument particulier. Il y a cinéma à partir du moment ou est organisé dans le temps un flot d’évènements audiovisuels. Entendue ainsi la pratique cinématographique expérimentale entretient des rapports complexes avec le numérique.

J’aimerais indiquer dans ce texte quelques-unes de ces relations. En quoi les usages du cinéma expérimental tendent à dépasser le cadre de la linéarité du dispositif afin d’instaurer des alternatives au régime narratif dominant, et travaillent selon des modalités plus ou moins proches de celles de l’art numérique. En quoi l’apparition des nouveaux instruments a modifié la manière dont on fait et pense aujourd’hui le cinéma et ce, à partir, de quelques propositions contemporaines.

Le cinéma expérimental interroge en priorité la séquentialité de la forme narrative en privilégiant d’autres modes de composition et d’informations des images et des sons dans le temps. Cet intérêt pour le façonnage d’autres formes de visions l’a souvent conduit à s’inscrire en porte-à-faux avec le cinéma de divertissement qui privilégie le développement de formes narratives stables. Les cinéastes expérimentaux ont investi de leur côté, un vaste champ de possibles qui travaillent à élaborer d’autres visions, on parlera souvent à son sujet de cinéma visionnaire2, autant qu’ils renouvellent tout en la déplaçant l’expérience du cinéma dans sa réception ce que l’on appréhende dans le cinéma élargi3.

Le cinéma expérimental contemporain n’a pas le privilège de la nouveauté, il est une forme cinématographique plus valorisée qu’auparavant. On l’étudie, on l’expose. Il est devenu une catégorie du cinéma comme d’autres. Il n’est plus un cinéma de résistance, une alternative aux images dominantes, il est devenu un genre. En ce sens le désigner comme différent et du même coup le marginaliser était de mise antérieurement, aujourd’hui c’est un critère électif. L’expérimental est devenu un attribut fortement valorisé, il est le garant d’une distinction. Distinction à la fois des formes, mais aussi des outils qui le manifeste. Nombreux sont les cinéastes expérimentaux qui travaillant toutes les étapes de fabrication du film en explorent les possibilités et transforment ainsi la perception que l’on a du film.

Dès lors on comprend combien l’attribut expérimental est valeur recherchée au cinéma. Il signe le film en désignant son appartenance au champ de l’art.

Cette signature se comprend différemment pour les cinéastes eux-mêmes qui élaborent de nouveaux outils de films en films et qui recourent à certains processus en fonction des outils qu’ils utilisent. C’est ici que l’on trouve des ponts entre le cinéma et les pratiques numériques. En effet, si l’on s’en tient à une approche matérialiste, on reconnaîtra que les outils de production conditionnent en grande partie l’esthétique de la production. On doit à Malcolm LeGrice et à Peter Gidal4 la réactualisation de ces pensées dans le champ du cinéma expérimental de la fin des années 60. On voit ainsi l’importance de la tireuse optique pour le cinéma matérialiste britannique de ces années, qui interroge les conditions de représentation par l’examen et le traitement des séquences au moyen de cet outil. Quelques films5 préfigurent, dans leur usage de found footage, des esthétiques du recyclage contemporain, mais ils s’en distinguent autant dans l’analyse que dans l’usage qu’ils font des documents appropriés ou détournés. On repère de même manière, les transformations qu’a apportées le montage Avid. Une efficacité dans la coupe et une efficience dans la pulsation audiovisuelle dont les « clips » ont été les premiers bénéficiaires avant que les cinéastes expérimentaux s’en emparent (Henri Hills, John Smith). Ainsi le cinéma expérimental privilégie d’une part une étude de ses outils autant qu’il peut répudier toute incursion dans le domaine de la technologie afin de revendiquer une approche « low tech » qui sied parfaitement à ce médium presque désuet qu’est devenu l’émulsion argentique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre cette résistance à la technique comme on le voit dans d’autres domaines des arts plastiques. Cette attitude est prisée par des cinéastes travaillant le journal filmé ou des projets autobiographiques ainsi que des portraits filmés.

Si la tireuse optique a été prépondérante dans le façonnage d’une cinématographie analytique défendue par les cinéastes britanniques ou allemands des années 70 ; elle a trouvé pour les cinéastes des générations suivantes, une nouvelle pertinence, dans la mesure ou son usage permet d’éviter une partie des coûts des effets optiques et diminue les frais de tirage des copies. La tireuse optique facilite le contrôle et la manipulation des images du film comme d’autres artistes le font avec leur médium, comme on peut le voir aussi dans les films de Takashi Ito. À partir des années 80; ce n’est pas tant la question du détournement et de l’analyse des séquences qui importent que leurs recyclages en fonction d’un travail sur les textures et les matières comme on le constate chez Jurgen Reble, Mathias Müller, Mike Hoolboom, Olivier Fouchard ou Mahine Roudi. Les cinéastes privilégient les spécificités et les traitements qui s’appliquent aux émulsions et qui font toute la spécificité du film : ce qui le différentie d’autres supports et principalement des palettes d’effets disponibles des logiciels tel Adobe Photoshop, After Effect, ou Final-Cut…6 L’aléatoires des effets sur la pellicule comme l’abrasion des images, les rayures ou les convulsions granulaires sont ici induites sans pour autant en contrôler totalement les résultats. Ces processus de transformations de la matière sont partis intégrants du travail du film, elles ont été pendant longtemps écarter au profit d’autres composants du support, mais elles sont redevenues7, à partir des années 80, un territoire fortement investit par des générations successives de cinéastes super 8 et 16mm, qui ont su arpenter de nouveaux chemins. Ainsi Mathias Müller dans plusieurs de ses films dissout les éléments qu’il s’approprie afin de les fondre dans une nouvelle œuvre8 (Sleepy Haven, The Memo Book, ou les plus récents films réalisés avec Christoph Girardet tel Mirror ou Beacon participent chacun à leur manière de cette même stratégie. Mirror travaille le format, le scope en recourrant à un subterfuge, deux images dv côte à côte la constitue). Peu de cinéastes ont continué leur recherche, de manière innovante en changeant de support. Deux figurent dominent Jurgen Reble et Mike Hoolboom qui chacun à leur manière ont réussi à transférer une approche de la matière image du pelliculaire au numérique. Si dans le cas de Mike Hoolboom le passage au numérique attise la vivacité et la précision du montage en introduisant des effets de glissements d’une séquence à l’autre, dans le cas de Jurgen Reble c’est le développement de processus qui mixe les effets numériques avec les effets des émulsions après leur mélange qui prolongent l’usage du cinéma en le renouvelant. À cet égard Yamonote Light Blast est un magnifique prolongement de Chicago qu’il avait réalisé dix ans auparavant.

Dans ce film, le travail sur les textures se combine au mouvement du métro, ainsi les lignes de fuite pixellisées autant que les rails du train à Tokyo tissent une trame visuelle à laquelle on ne peut assigner de source, à partir de quels moments en effets les textures émulsives se dissolvent dans les pixels. La cristallisation de l’émulsion, son écaillement syncope le flux constant du déplacement et du même coup, inscrit à la manière des glissements et des rotations une fluidité par-delà les accidents. Bien que s’inscrivant dans une économie chromatique (puisqu’en noir et blanc) on retrouve cette fluidité du parcours qui s’oppose au montage cinématographique traditionnel, que l’on pressentait dans le film de Nicolas Rey Terminus for you et que l’on retrouve dans l’Arbre Tahouse ou Didam d’Olivier Fouchard et Mahine Roudi. La plupart des films «alchimiques»9 participent tous d’une esthétique de la dissolution, comme si la représentation cinématographique ne pouvait se donner qu’à partir du moment où elle s’abîme dans la matière. On peut regrouper nombre de films expérimentaux des années 80 et 90 dans cette catégorie. Ce travail se caractérise par une approche qui investit des longueurs de photogrammes et non plus des photogrammes. Cependant ces bandes ne correspondent pas aux plans ou aux séquences du cinéma narratif, mais à des blocs que la-la cinéaste transforme, manipule comme le font chacune à leur manière Cécile Fontaine, Frédérique Devaux et d’autres cinéastes10 qui combinent l’appropriation des found footages avec un traitement abrasif du support, qu’ils s’agissent d’interventions graphiques, picturales ou chimiques. Le spectacle cinématographique, ou ce qui en demeure est celui de sa disparition, de son devenir fantomatique, presque le mirage d’une image, la dissolution de l’image mimétique au profit de sa matière même. On peut alors se demander s’il s’agit d’une destitution de l’image représentative : figurative, au profit de constituants abstraits dans le surgissement de motifs dus à la chimie du support? En ce sens ces «alchimistes» partagent, selon des stratégies alternatives, l’une des préoccupations des cinéastes pour lesquels il n’est plus nécessaire de fabriquer de nouvelles images, mais plutôt, de travailler avec celles qui nous entourent, qui nous habitent, qui nous tiraillent, qui nous fascinent. Cette compréhension du film aujourd’hui, dépasse le clivage des supports en se manifestant dans tous les champs du cinéma tel que nous l’avons défini plus haut. Le travail du cinéaste privilégie alors la recherche des matériaux en recourant à des archives, véritables bases de données11 à partir desquelles une fois les sélections effectuées un travail de réappropriation s’opère selon des agencements et des combinaisons, des recombinaisons, des variations (dont on peut voir la trace chez Wayne Yung par exemple), qui ravivent la dimension musicale autant qu’ils affirment l’existence d’un méta cinéma pour lequel l’appropriation, le plagiat, la copie, le détournement jouent un rôle essentiel12. Le film de found footage est devenu depuis deux décennies, un genre à part entière. Pour l’un des champions de la cinématographie métrique, la cueillette de matériau est devenue aujourd’hui un enjeu important. Le found footage ne s’est pas limité au seul support analogique, mais trouve de nombreux emplois et prolongements avec la vidéo numérique, ainsi que dans le net art et chez les vj, pour lesquels les samplers et autres effets applicables en direct sont monnaie courante lors des performances. Le traitement n’est plus différé, c’est le mixage en directe qui devient l’objet de la performance. Cette opération occultée dans le cinéma traditionnel est devenu le contenu de performances qui travaillent l’improvisation. On en trouve la marque dans les performances des groupes de cinéaste expérimentaux13, : Métamkine, Schmelzdahin, Noemino, Silt…, pour lesquels les émulsions ou les dispositifs de projection sont manipulés. Dans ces performances ce sont les variations, les recombinaisons des séquences, leurs transformations graduelles ou rapides qui sont au cœur de l’action proposée. Les interventions des VJ représentant une extension et une radicalisation de quelques-uns des principes de ces performances.

Dans ce contexte, le recours aux boucles est prépondérant dans la mesure où il permet de créer des modifications à partir d’un corpus défini et dont maîtrise facilement les transformations. L’accès aux instruments numériques facilitera ces possibilités tout en modifiant profondément le rendu. L’usage des boucles avaient été une stratégie utilisée par le cinéma structurel14 afin de questionner la nature du support même, comme on le voit à l’œuvre chez Paul Sharits, Tony Conrad ou Andy Warhol. À la même époque, la musique répétitive faisait grand usage des boucles. En effet comme on le fait en musique, on pourra déterminer s’il s’agit d’une animation Flash, d’un traitement Photoshop etc. Le polissage via les logiciels s’effectue en fonction des modes graphiques successives qui habitent, ou plus précisément habille le champ visuel d’une époque. Pourquoi le cinéma expérimental échapperait-il aux modes graphiques de son époque ?

Le travail avec les boucles s’est remarquablement illustré dans les travaux de Martin Arnold et Peter Tscherkassky qui, tous deux ont travaillé à partir de séquences de films hollywoodiens recyclés. L’usage de la répétition est une stratégie qui a fréquemment usité au cinéma. Que l’on songe à la lavandière de Ballet Mécanique, ou bien au dormeur de Sleep, mais l’un des usages contemporains de ces boucles répétitives, induit un effet comique comme on le voit parfois à l’œuvre chez Raphaël Ortiz, Martin Arnold, ou Keith Sanborn.

C’est l’ordinateur qui a permis à Martin Arnold de travailler autant la bande son que l’image dans son dernier film, ce qui n’était pas le cas avec Pièce Touchée. En effet avec Alone, Life Andy Hardy le montage a été réalisé sur l’ordinateur. Le recours à l’ordinateur facilite le travail du cinéaste puisqu’il lui permet de faire de nombreux essais et de voir les résultats des permutations choisies15. De son côté Peter, Tscherkassky expose les possibilités du support analogique même. Ainsi dans Dreamwork, le recours à un faisceau laser sur des photogrammes afin d’impressionner la pellicule vierge. Ce qui intéresse le cinéaste c’est de manipuler et de produire un cinéma qui ne pourrait pas être réalisé au moyen d’autres supports car, avec l’ordinateur, on peut seulement imiter l’imprécision16, alors que dans ce film, c’est le balayage manuel imprécis du faisceau qui révèle des parties d’images et se conjugue aléatoirement avec l’action du film. Le cinéaste renouvelle le rayogramme17, en l’appliquant à la fois au ruban ainsi qu’à la technique d’impression des parties de celui-ci qui englobe les performations et la bande son.

Cette revendication, à faire des films, qui ne pourrait s’effectuer au moyen d’un autre instrument est importante car elle démontre la vitalité de la pratique tout en affirmant l’appartenance à une communauté. Les films de Rose Lowder, Nathaniel Dorsky, Bernard Shreirner sont effectivement des travaux qui utilisent la plastique et les qualités intrinsèques du médium cinématographique, quant à ses possibilités de capter et restituer la lumière sur les photogrammes, qu’ils soient sérialisés ou non. Ce traitement, cette qualification de la lumière, les densités des couleurs, le rendu projectif sont des conditions essentielles du support. C’est ici que le choix des émulsions est prépondérant dans la mesure ou ces dernières vont conditionner la chose filmée. C’est en ce même sens qu’il faut comprendre l’importance et la qualité des formats utilisés. Pour les cinéastes, le recours à un support vers un autre, entraîne parfois des modifications importantes autant qu’il permet de juxtaposer les formats. Le super 8, aux couleurs acidulées de Yannick Koller avant d’être numérisé, n’est pas le même que celui plus fané du film de Lisl Ponger qui est gonflé en 35mm faisant surgir une rugosité due aux grains des souvenirs. Si pour certains, le passage d’un support à l’autre ne se limite pas seulement à des considérations d’accessibilité et de facilité d’emploi ; il peut être un choix esthétique comme cela l’était pour les films de Derek Jarman. Pour d’autres, c’est la maniabilité d’un support et ses bancs de montage qui conditionnent le traitement d’un support vers un autre, comme on peut le voir par exemple chez Richard Fung, Leslie Thornton, Zhao Liang…

Si d’un côté de nombreux cinéastes ne voient pas l’utilité d’investir d’autres supports, pour d’autres c’est la crainte de la disparition du support analogique qui font qu’il développe les instruments d’une autonomisation de toute la chaîne de production cinématographique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’existence d’un grand nombre de laboratoires alternatifs, qui se sont développés dans le monde. Ce micro milieux est le territoire à partir duquel le cinéma se fabrique et se pense collectivement. Leurs visibilités et utilisations plus fréquentes en font des espaces dans lesquels une esthétisation des procédés chimiques est patente. Ils sont une véritable alternative dans l’économie d’un film et pour lequel le tirage des copies de distribution est un luxe. Tous les films directs, c’est-à-dire ceux qui sont obtenus à partir d’un travail de peinture, de grattage ou de manipulations diverses directement sur le ruban, font face à un tel dilemme vis-à-vis des copies de distribution. Le dernier travail de Stan Brakhage a été fait de cette manière en interrogeant le filtrage de la lumière par la couleur comme le font les vitraux. Mais dans le cas du film, les rythmes et le calibrage de la lumière et de la couleur participent avant tout d’une double temporalité, celle de l’application sur des longueurs de ruban et celle de la diffusion saccadée lors de la projection. Il s’agit de créer ainsi des visions inouïes, produire un monde qui ne peut exister en dehors du cinéma. Nous parlons de cinéma car nous pensons que cette démarche est partagée par de nombreux artistes lorsqu’ils travaillent à partir de la synesthésie, qui fût comme l’un des grands moteurs de l’abstraction picturale mais aussi cinématographique. 18 Faire entendre ce que l’on voit, ou voir ce qu’on entend est une source, un principe de la musique de Ryoji Ikeda, autant qu’elle motive les travaux cinématographiques de Joost Rekveld ou Remi. Remarquons que ces derniers génèrent leurs images au moyen de l’ordinateur avant de les kinescoper sur du 35mm afin d’obtenir un meilleur rendu de l’image projetée. L’usage de l’ordinateur pour générer des images est une pratique répandue au cinéma, dans la mesure ou l’outil permet de contrôler plus facilement les déplacements d’objets. Ainsi la multiplication des propositions textuelles se déploie dans les films et installations réalisés avec ordinateur dont le travail de yann beauvais participe. Les traitements et l’évolution de textes dans l’espace (de l’écran) se réalisent au travers d’algorithmes qui transforment le rapport à la linéarité. Ainsi, un film devient la combinaison figée que détermine le cinéaste. Dès lors, les versions se multiplient19. Cette prolifération interroge ce que nous attendons et ce que nous recevons des images. Pour beaucoup de cinéastes, l’image est toujours cet espace privilégié dont la durée est déterminée par l’auteur. Ainsi le cinéma expérimental est le prolongement déplacé d’un type de contemplation que l’on trouvait dans les beaux-arts. Elle nécessite une attention accrue. Hors cette attention vis-à-vis de l’image s’inscrit en porte-à-faux avec les rapports que nous entretenons avec les images, en effet notre attention est plus distraite. L’image est devenue ambiante. Elle meuble et nous accompagne partout. Dès lors, les cinéastes s’inscrivent contre ces usages et exigent une plus grande attention, en travaillant soit à partir de l’immersion soit à partir d’une interactivité que l’on trouve dans de plusieurs installations et travaux pour ordinateur. Cette interactivité présuppose à la fois une compréhension des enjeux de l’œuvre ou bien une nonchalance qui invite au parcours léger d’un travail. On assiste à un renversement des priorités dans la mesure ou les cinéastes et la plupart des vidéastes travaillent avant tout, les images, ont certaines difficultés à envisager leur dissolution dans l’espace d’une galerie, d’une fenêtre, d’un site…

Edson Barrus envisage le film comme une expérience d’un moment pour lequel la durée du travail est modifiable en fonction des demandes. Il déplace ainsi comme le font de nombreux artistes aujourd’hui la question de l’unité d’une œuvre au profit d’un processus qui questionne notre rapport aux images ainsi que le rapport que la représentation entretient avec la réalité. La nature du document filmé change autant qu’elle est modifiée par Keith Sanborn lorsqu’il détourne un film de propagande de la marine américaine en doublant les plans qui le composent. C’est parce que le rapport aux images et à leurs usages s’est transformé que la projection en salle est devenue une des possibilités pour les cinéastes, qui ne s’y limitent plus20. La plus grande accessibilité des outils numériques, le déplacement d’intérêt pour l’usage des images entraîne des modifications de comportements des cinéastes qui joue avec ces nouveaux supports selon la nature du projet.

On constate que si le cinéma est appelé à disparaître dans sa forme analogique il continuera de réaliser à travers d’autres supports. La qualification des flux d’informations selon des considérations temporelles a trouvé, à travers des médiums successifs, à se manifester de multiples façons. Si le cinéma expérimental a joué un rôle fondamental dans cette histoire c’est qu’il a été l’un des premiers supports a interrogé au sein de sa pratique, les formes de récit qui remettent en cause la linéarité même de ceux-ci, en travaillant d’autres champs et aspects de l’image il a préfiguré bon nombre de traitements dont se nourrit le numérique.

yann beauvais

1 In Cinema and the Code , in Future Cinema, The Cinematic Imagery Film, sous la direction de Jeffrey Shaw et Peter Weibel, Mit Press, 2003

2 C’est P.Adam Sitney dans Visionary Film qui a caractérisé le cinéma expérimental américain des années 40 et 60 de visionnaire dans son ouvrage publié à en 1979

3 Ce concept de cinéma élargi a été étudié par Gene Youngblood, Expanded Cinema. New York, E. P. Dutton, 1970

4 Voir Malcolm LeGrice : Abstract Film and Beyond, Studio Vista NY 1978 et Peter Gidal ; Structural Film Anthology, BFI, Londres 1978, Materialist Films, ed Routledge, NY 1989

5 On pense à Castle I, Yes, No, Maybe, Maybenot, Berlin Horse, Threshold de Malcolm LeGrice, ou même Rohfilm de Birgit et Wilhem Hein.

6 Sur l’esthétique de la sélection dans les médias, voir Lev Manovich : The Language of New Media, Mit Press, 2000

7 Nous parlons de réactualisation, car dans les années 60 chez Stan Brakhage (Dog Star Man en étant la quintessence) ou Carolee Schneemann (Fuses) l’attaque des émulsions était courante, moins graphiques que celles que l’on trouve dans les films lettristes des années 50 tel Le film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître.

8 Voir Matthias Müller : Mes films s’écartent de cette vision des choses, in Monter Sampler, L’échantillonnage généralisé, de yann beauvais et Jean Michel Bouhours, Scratch & Centre Georges Pompidou, Paris 2000

9 Sur le cinéma alchimique voir yann beauvais ; Des constructions, Film Appreciation Journal n° 123, April June, Taipei, 2005

10 On pense entre autres à Phil Solomon, Métamkine, Peter Delpeut, Carl Brown, ou le groupe Stilt, Maria Coburn, Ichiro Sueka.

11 Dans ce sens Creative Commons, ou UBUWED, thing.net sont des sources facilement accessibles.

12 Sur ces questions voir Critical Art Ensemble : Libres enfants du savoir numérique, http://www.critical-art.net

13 Dans la tradition du cinéma élargi, des cinéastes tel Valie Export, William Raban ou yann beauvais, ont joué avec les dispositifs de projections.

14 P.A.Sitney, op citée et David James : Allegories of Cinema: American Film in the Sixties, Princeton: Princeton UP,1989.

15 Interview de Martin Arnold :Le cinéma et le corps : un art du luxe. In Scratch Book ed yann beauvais & Jean-Damien Collin, Paris 1999

16 Voir interview de Peter Tscherkassky par Xavier, paris novembre 2001, www.brdf.net

17 Le rayogramme est une photo produite sans caméra. Des objets sont posés directement sur de la pellicule vierge et éclairée brièvement. Man Ray a recouru à ce procédé au cinéma dans les années 20, après l’avoir découvert.

18 À ce sujet voir les catalogues Son&Lumière centre Georges Pompidou Paris 2004, et Visual Music, Moca, Los Angeles 2005

19 Dans le cas de Tu, sempre de yann beauvais, il existe déjà 5 versions du film pour l’installation.

20 Si l’on s’en tient à la liste des cinéastes montrés, on constate que Edson Barrus, Jurgen Reble, Joost Rekveld, Mathias Muller, Christoph Girardet, Richard Fung, Keith Sanborn, yann beauvais, Leslie Thornton travaillent autant les projections que les installations.

Autour du cinéma expérimental et de la jeune vidéo brésilienne (Fr)

à l’occasion d’un été brésilien, Faux Mouvement, Université Paul Verlaine, Metz, 25-10-2005

La pratique du cinéma expérimental au Brésil si l’on s’en tient au support argentique est aujourd’hui quasiment inexistante. Rares sont en effet les cinéastes qui travaillent ce champ avec de la pellicule. Des cinéastes, tel Arthur Omar ont privilégié la vidéo et, en ce qui le concerne, le travail photographique et les installations, d’autres tel Jomard Muniz de Britto, qui est l’un des poètes majeurs du Brésil, a réalisé plusieurs films super 8 dans les années 70, il s’est tourné récemment vers la vidéo comme avecAquarellas do Brasil (2005).
Karim Ainouz a de son côté réalisé au moins deux films expérimentaux dont Paixo Nacional (1994) un film sur un jeune Brésilien qui fuient les persécutions homophobes de son pays entrecoupé avec des vues touristiques du Brésil comme pays de liberté sexuelle, O preso (1991, une fiction expérimentale) avant de se consacrer à d’autres projets plus classiquement queer tel Madame Sata. Ses travaux antérieurs comme ceux de Vivian Ostrosvky, qu’ils s’agissent de Copacabana Beach (1981) ou des plus récentsIce Sea (2004), sont généralement tourné en super 8 avant d’être gonflé en 16 ou 35mm.
Carlos Adriano serait alors l’une des rares exceptions dans ce paysage, il travaille principalement le 16 et le 35mm et ses films oscillent entre la forme documentaire et l’étude expérimentale comme dans son film Remanescensias (1994-97), qui est une étude à partir des 11 premiers photogrammes jamais enregistrés au Brésil, l’onde de la mer sur les pontons d’une jetée. Ce travail est de facture expérimentale, il oscille entre le caractère graphique du traitement de l’image, apposée sur l’image, un habillage de l’image et un travail plus directement cinématographique de tirage optique qui alterne des couleurs et des « flickers » ainsi que les rythmes de pulsation de la très brève séquence. Ce film participe d’une esthétique néo-structurale.
Arthur Omar est l’autre cinéaste qui a continué à œuvrer dans le cinéma au moment pour sa production vidéo prenait une plus grande ampleur. Il incarne parfaitement ce qui est aujourd’hui devenu une pratique courante chez les cinéastes expérimentaux du monde entier à savoir le recours à différents supports qui sont utilisés en fonction du sujet et de son traitement. Certains des travaux qu’Arthur Omar effectué sur la pellicule se sont reportées dans le domaine de la vidéo. Si la matérialité du film était prépondérante dans Vocês (vous 1979) par le recours au clignotement et plus exactement aux effets stroboscopiques sur la figure d’un jeune guérilléro armé. C’est la granularité des textures et des pellicules qui sont privilégiés dans Tesouro da Juventude (trésor de la jeunesse1977). Ce film rend hommage à Alberto Calvacanti en utilisant seulement des extraits de films ethnographiques montrés à la télévision, ou trouvé dans les poubelles des salles de montage. Le refilmage de ces éléments produits par le recadrage une transformation de la granularité et des textures qui deviennent flux de matière lumineuse [1]. Ces textures, ces matières moirages et transformations dans le retraitement de l’image trouvent leur prolongement dans les vidéos plus récentes telA Ultima Sereia (la dernière sirène) 1997, ou bien dans Panico Sutil (panique subtile1998) et surtout dans A Logica do Êxtase (la logique de l’extase 1998)

Il faut se poser la question de cette absence de production contemporaine expérimentale argentique, en la mettant en perspective selon deux axes, l’un politique, l’autre économique. D’un côté les évènements politiques qui ont marqué le Brésil depuis les années 64 jusqu’à la démocratisation du pays quelque vingt ans plus tard, qui ont pesé de tout leur poids sur la liberté d’expression des cinéastes ; de l’autre, les coûts de production d’un film 16mm sont exorbitants pour une économie pauvre et quand bien même le film soit expérimental. Cette pratique est luxueuse car onéreuse si on la compare à celle du super 8 ou de la vidéo. S’explique alors le recours au super 8 comme une alternative radicale, une forme de réaction et de résistance vis-à-vis d’une société réprimée. Ce format par la légèreté de la caméra, la facilité de son utilisation, permet, au Brésil l’épanouissement de toutes les formes cinématographiques qui vont de la revendication libertaire, à la déclamation poétique en passant par le film formel [2]
On se souvient que Lygia Pape déclarait en 1973 que « le super 8 est réellement un nouveau langage, et ce principalement quand on est en dehors d’un engagement commercial dans le système. C’est la seule forme de recherche, c’e [3] » A cet égard,Wanpirou (1974) de la cinéaste pourrait facilement s’inscrire dans cette cinématographie du corps que l’on verra en France dans la seconde moitié dues années 70, qui s’approprie certains thèmes du cinéma fantastique à partir desquels, les rites, la sexualité sont montrés plus ouvertement que dans le cinéma de divertissement. Le super 8 favorise à la fois cette réappropriation et sa disqualification par l’amateurisme de ses protagonistes.

La déclaration de Lygia Pape est proche, dans ses choix, de celles des partisans de ce format qu’ils soient européens ou américains des années 60 et 70 et qui, tous, louent sa maniabilité, sa légèreté, sa disponibilité. En France, le super 8 expérimental a été désigné comme cinéma du corps par Dominique Noguez en 1977 et cinéma corporel par Maria Klonaris et Katerina Thomadaki. Rappelons que ce cinéma du corps a été fortement influencé par Werner Schroeter et Kenneth Anger qui mettent en scène des rituels. Ces rites, sont à côtés de la quête identitaires des traits distinctifs de l’art corporel. On retrouve certaines relations entre les premiers travaux de Iole de Freitas :Elements (1972) et Glass Pieces / Life Slices (1974) et ceux de Maria Klonaris et Katherina Thomadaki qu’il s’agissent de l’Enfant qui a pissé des paillettes (1974) ouDouble Labyrinthe (1975).

D’autre part, il ne faut sous-estimer l’intérêt que les plasticiens brésiliens ont ainsi que leurs pairs occidentaux pour le cinéma dans les années 60 et 70, avant qu’ils ne s’intéressent plus à la vidéo. Au brésil, comme le remarque justement Arlindo Machado, [4] l’usage de la vidéo s’est rapidement déployé pour les artistes et principalement en regard de l’enregistrement d’actions ou de performances ce qui les distingue ainsi de la plupart des travaux cinématographiques qui ne le faisaient pas nécessairement.
C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender le travail d’Hélio Oiticica.
L’un des traits distinctifs de la production cinématographique envisagée par Hélio Oticica fait voler en éclats la notion de cinéma (quand bien même il a tourné plusieurs films super 8, (Brasil-Jorge (1971), Agripina é Roma-Manhattan (1972) qui sont plus ou moins achevé, pour Bruce Jenkins Hélio désactive le cinéma pour renouer avec une sorte de pré cinéma [5] ). Il propose une nouvelle forme de cinéma élargi : le quase-cinema. Ses propositions cinématographiques agencent des modes du cinématographique qui est entendu comme un dispositif, un équipement qui outrepasse le seul ruban, c’est-à-dire : la salle. Dans ces installations de quasi-cinéma tel Neyrotika(1973 slide show) et l’ensemble des Cosmococas, et Helena inventa Angela Maria(1975) il produit un environnement où des évènements audio-visuels se déroulent dans une mise en scène dans laquelle les interventions et la participation des spectateurs n’est pas conditionné par une narration stabilisée, car plus éclatée, fragmentaire, mais par une ambiance audio-visuelle composée de chansons pop, et de projection dans laquelle l’expérience corporelle, la sensation physique de l’espace est prépondérante. On retrouve ici une influence décisive dans la compréhension d’un événement cinématographique qui transcendent le support même, au profit d’une mise en scène, d’une mise en espace d’un évènement proche de la performance, en la personne de Jack Smith [6]
. Les projections sont réalisées au moyen de diapositives, la temporalité, et la mécanique de ces projections multiples est constitutive du dispositif. En ce sens Hélio Oiticica partage avec de nombreux cinéastes expérimentaux et les artistes de l’époque, cette nécessité d’incorporer les outils qui façonnent l’expérience. Mais il partage avec d’autres la valorisation d’un art d’ambiance, un art d’immersion. Préfiguration et revitalisation d’un art total qui se manifeste différemment selon les époques.

« Diapositives : diapositives non-audiovisuelles parce que, lorsqu’on les programme, on élargit les limites de la succession des images projetées… enrichies parce qu’elles deviennent relatives à l’intérieur d’une sorte d’environnement ridicule : à mon avis, Jack Smith en a été le précurseur : il a su tirer de son cinéma non pas une vision naturaliste cherchant à imiter l’apparence mais une sorte de narration fragmentaire… un miroir brisé, les diapositives déplacent l’environnement par une durée non spécifique et par le replacement continu du projecteur qui cadre et recadre les images sur murs-plafonds-sols, juxtaposition de la bande-son (disques) faite au hasard…ces blocks dont les cinq premiers ont été programmés par Neville et moi, replacent à mon avis les problèmes de l’image déjà épuisé par Tropicalia (qui réalise en 1967), (etc) dans une perspective de spectacle (spectacle performance) que l’expérience de Neville rend très intéressantes à mes yeux.. [7] »

On se souvient qu’Hélio Oticica été fortement impressionné par les performances et les films de Jack Smith en 1971 il écrit « J’ai vu un autre film de lui (Curse of Cretinism) et j’ai pensé : youpee, ce mec est égal à moi, non pas que je souhaite faire des trucs identiques, ou qui paraissent similaires, mais c’est que l’absurdité du langage allié au désintérêt pour le banal m’intrigue énormément, et l’esprit général des trucs me rend familier avec tout [8] . Il y a un paradoxe dans cet énoncé vis-à-vis du banal dans la mesure ou Jack Smith autant qu’Hélio Oiticica ont tous deux travaillé sur des manifestations et mise en lumière du banal, chacun à leur manière qui peut se lire par exemple dans la liberté que se laisse les deux artistes vis à vis de la production de la piste sonore de leur pièce. Je me souviens de Jack Smith jouant des disques, selon l’inspiration du moment sur un tourne disques lors des projections qu’il fit à Paris deFlaming Creatures (1963) et No Président (1967-70). L’expérience cinématographique se déplace alors dans le champ de la performance. Dans le cas de Smith, l’expérience est en suspens, virtuelle si l’on attend à un événement hors du commun. On est plongé dans une dilatation temporelle ; un espace-temps indéfini ; en effet on pouvait attendre plus d’une heure avant que Smith n’apparaisse sur « scène », si tant est que l’on puisse parler de scène, sans savoir exactement à quels moments la performance avait commencé. Les performances pouvaient présenter les manifestations d’un spectacle en devenir, qui sont marquées par la projection d’une diapositive, l’audition d’une musique, le réajustement d’un colifichet…
Cette faculté d’improvisation de Jack Smith se retrouve fortement dans le film d’Hélio :Agripina é Roma-Manhattan [9]
. Ce n’est pas un hasard si Hélio fait appel à Mario Montez qui est l’un des acteurs travestis de Jack Smith. Dans ce film, la part d’improvisation est proche de celles qu’on voit à l’œuvre de Smith comme cinéaste ou acteur. Pour mémoire rappelons aussi que Mario Montez est l’un/e des protagonistes phares de Flaming Creatures. Cette dilatation, ou compression du temps inscrivent dans la performance l’expérience de la drogue, autant qu’elle manifeste une esthétique « camp » dont la particularité chez Smith est de s’en tenir aux préparatifs. Les deux artistes partagent ces préoccupations par-delà les différences des œuvres.

Ce travail d’Hélio est singulier à plus d’un égard dans la mesure ou il met à la fois en crise le cinéma et les arts plastiques selon des formes participatives qui renouent en les renouvelant les expériences d’art total préconisé par Andy Warhol avec Exploding Plastic Inevitable de même avec les Cosmococas se peut se retrouvait un sentiment similaire à celui que devait ressentir les spectateurs du Movidrome de Stan Vanderbeck. Une plongée dans l’image et le son dont le spectateur n’avait aucune connaissance de la durée de l’expérience dans laquelle il s’est plongé.

Deux autres points me semblent important à souligner. L’un relève de cette parenté que l’on peut discerner chez Hélio Oiticica et Andy Warhol vis à vis du monde des célébrités, qu’il s’agisse de cinéma ou de rock. On retrouve chez l’un comme chez l’autre les portraits de Marylyn Monroe, ainsi que des portraits de chanteurs pop ; Jimmy Hendrix, Mick Jagger…cette fascination pour les stars roc

L’autre point concerne l’homosexualité d’Hélio Oiticica et sa mise en scène dans quelques travaux. On ne peut s’empêcher d’y penser à la projection d’Agripina, ou deNeyrotika. Ce sont les corps plus que la trame narrative qui compte, c’est la performance de Mario Montez en drag qui importe plus que tout [10]. De même, les corps de ces jeunes hommes dans Neyrotika exposent et exhibent une sexualité sont le sujet du travail. Ils inscrivent l’importance du rôle dans la constitution d’un personnage, et manifestent clairement des situations de désir. Il ne s’agit pas pour autant d’un travail militant, loin de là, cependant l’affirmation du désir pour ces corps est clairement prononcée par le nombre de clichés et par le type de cliché, l’enchaînement des photos créant une « quasi animation » pour reprendre les termes d’Ivana Benes [11]et donc une fois de plus se tient au seuil du cinéma.
Comme d’autres homos de sa génération et des précédentes, Hélio partage l’usage de la projection filmée pour montrer publiques des images plus ou moins proscrites par les médias dominants.

La vision des films qui constituent le corpus de Cinemarginalia 70 prend aujourd’hui, une nouvelle dimension. En effet, ces films ont vieilli. Ici il faut comprendre ce vieillissement comme la détérioration du support, sa décomposition partielle liés aux conditions de stockage autant qu’à l’usure occasionnée par les projections. On remarque ainsi deux types de traces, celles si caractéristiques du super 8 : les rayures ponctuelles qui s’inscrivent en gris et les poussières collées, traces noires virevoltantes, ainsi que les collures. Avec le temps, la trace des dépôts qu’ils s’agissent de scotche ou de salive, travaille l’émulsion. Parfois, autour d’une rayure plus profonde, la pellicule s’abîme dans la couleur, les couleurs changent, comme si filtrées, avant de se mouvoir parfois dans un bouillonnement de matières qui est proche des films alchimiques contemporains comme Jurgen Reble, Phil Solomon.


[1] C’est nous qui traduisons « Un jour, je décidai de rendre un hommage au cinquantième anniversaire de son film En rade (No porto). En réalisant un film expérimental dédié à ce maître. Je n’utilisais que des extraits de documentaires ethnographiques montrés à la télévision ou trouvés dans les poubelles d’une salle de montage. Par le refilmage, les effets visuels, les recadrages, la granularité augmente, l’altération des valeurs chromatiques, les gros plans extrêmes de petits détails, les répétitions et les surimpressions, je créais un flux rythmique de lumière constant et hypnotique qui déconstruisait le documentaire traditionnel, en entremêlant les images d’hommes, d’animaux, des volcans, de tribus, d’arbres, des arènes, des avalanches sans me préoccuper de l’information, mais juste de l’émotion d’un inconscient attentif. » in Arthur Omar : A Logica do Êxtase, Centro Cultural, Banco do Brasil, Rio 2001

[2] Sur le cinéma super 8 brésilien, voir les nombreux articles de Rubens Machado et principalementMarginalia 70, O Experimentalismo no Super-8 brasileiro itau cultural, Sao Paulo 2001.

[3] st aujourd’hui la pierre d’achoppement de l’invention. Lygia Pape in Expoprojeçao 73, de Aracy Amaral, Sao Paulo, ediçao do Centro de Artes Novo mundo, 1973

[4Made in Brazil tres decadas do video brasileiro, Itau Cultural, Sao Paulo 2003, il existe maintenant une traduction française

[5] Bruce Jenkins in Critical Voices series pour l’exposition d’Hélio Oiticica Quasi-Cinematranscription, New Museum of contemporary art New York, 10/03/2002

[6] c’est nous qui traduisons « jack est un génie et je l’aime, (..) j’ai appris avec lui en peu de jours tout ce que j’ai toujours désiré comme fut le déchifrement viscéral du monde américain, les rebuts de consommation, etc : sujet film : la production d’un monde d’images richissimes : en même temps l’isolement et la mythification qui font de lui, c’est aliénante et absurde : on le prends pour une génie fou artaudien, à qui tout est permis et interdit simultanément, et les gens paraissent se contenter avec ce rôle passif qui performe ce jugement compulsif absurde : une folie ! Le jour de cette projection de diapositives avec bande son, c’était cette ambiance : ça s’appelait “Travelogue of Atlantis” (…) en somme tout a commencé à 10h30, et trois heures plus tard, les trois premières diapositives, il s’arrête pour demie heure : il a changé l’écran de place, en sorte que les diapositives projetées subissent une coupe à la projection, puis il a changé le projecteur de place afin de donner la coupe d’évitement à chaque diapositive, le reste de la diapositive teinter l’ambiance : incroyable, l’attente et l’anxiété qui me dominaient valaient vraiment la peine : ce fut une espece de quase cinema, si le cinéma est tout ce qu’on peut imaginer ; la même simplicité complexe que l’on peut ressentir avec godard, mais plus grand que godard pour moi ; les images, la durée de chaque diapos sur l’écran, etc, c’était génial et importantissime : la bande son musique d’une radio ondes courtes (…) musiques latines de types espagnoles de malaga), choses incroyables, bruits : son téléphone, et voitures dans le trafic, etc ça c’est fini à une heure du matin, j’en sorti transformé. Jack Smith en couleurs : un must : vous voyez que chaque diapositives est une totalité et la séquence intégralle est une transformation au degré le plus fort : un travelogue (un journal de voyage), concept génial ! » lettre à Waly Salomao le 24 avril 71, in Hélio Oticica e a cena americana, curadoria Gloria Ferreira , Rio de
Janeiro 1997

[7] in Helio Oticica Galeria Nationale du jeu de Paume, RNM Paris 1992

[8] c’est nous qui traduisons « havia vistou outro filme dêle (curse of cretinism ) e havia pensado : pux, esse cara é igual a min ; nao que eu quisesse fazer algo idêntico, ou mesmo paraceido, mas é que o absurdo da languagem, aliado a um desinteresse pelo banal, me interessam demais e o espirito geral dai coisa me faz muito familiar con tudo » lettre à Edival Ramosa d’avril 1971.

[9] Le texte du film est : Agripina é Roma-Manhattan
em rum e em petroleo a inundar
herald-o-Nero aceso facho
e borracho
mae-patria ensinando a nadar !

[10] Sur Mario Montez, voir yann beauvais : hommage à Mario Montez in Poussières d’image, Paris Expérimental Paris, 1998

[11] Voir le texte H.O and Cinema world in Hélio Oiticica Quasi-Cinema, exposition organisée par Carlos Basualdo, Hatje Cantz publishers, 2001

Deux ou trois choses qu’on sait de lui (Andy Warhol) (Fr)

Septembre 2009, La Furia Umana / 2 rivista di teoria e storia del cinema (in)visioni, vampate fantasticherie e filosofia

Deux ou trois choses qu’on sait de lui.

Le nom et l’œuvre de Warhol sont inséparables du cinéma et de la télévision. Sa production a été intense, elle est obsessionnelle si l’on s’en tient aux périodes dans lesquels elle s’est exercée. Il est cependant difficile, aujourd’hui, d’en rendre compte dans la totalité alors que la plupart des travaux sont enfin accessibles.

L’œuvre plastique de Warhol est hantée par le cinéma. Celui-ci se manifeste dans tous les registres de sa production. Le cinéma génère les œuvres par la citation et le recyclage de quelques emblèmes comme le sont les icônes hollywoodiennes et principalement les stars de son époque : Liz Taylor, Marilyn Monroe, Marlon Brando, James Dean…, autant que son histoire : Bela Lugosi…

Mais l’influence du cinéma se ressent aussi en tant que le dispositif cinématographique est avant tout une formidable machine de duplication. En effet, le passage d’un photogramme à l’autre inscrit des écarts qui sont plus ou moins marqués selon les films et leurs formes. L’enregistrement continu d’un plan fixe minimise les écarts alors que les mouvements de caméras et les « strobes » les augmentent. Ces deux stratégies se déploient à des périodes distinctes dans la production cinématographique de Warhol. Par ailleurs, le cinéma conditionne une prolifération de clichés. La Factory de 63 à 68 se comprend comme le lieu d’avènement potentiel et comme réceptacle d’images avant même qu’il soit question de support. Celui-ci n’est pourtant pas en retrait, il conditionne les traitements et les caractéristiques de la prise, de la pose, du projet etc…. Il en va de même de la vidéo qu’il pratique des 1965, Warhol décrit quelques uns de ses avantages : « comme celui de pouvoir être visionner immédiatement, » avec laquelle « on peut filmer avec très peu de lumière. On peut faire des prises instantanées et grâce à cela, on peut conserver la même ambiance créée pour une scène donnée.1 »

Warhol inaugure son entreprise cinématographique à partir de 63, date ou il tourne Sleep. De 63 à 68, il ne cesse de filmer, alors que la production vidéo s’étend entre 65 et 87. Les films s’enchaînent les uns aux autres comme c’est le cas avec les sérigraphies des Campbells’ Soup Cans ou des Marilyn , ou avec les photomatons et les Polaroïds qui sont des moments singuliers dans l’élaboration et la fabrication (industrielle) des portraits peints. Une accumulation et une production constantes qui inscrivent les moindres variations et écarts comme des différences mineures que l’on retrouvent sur la toile dans la texture d’un aplat coloré, ou bien dans le mouvement des grains de l’émulsion des films en plan fixe de Warhol.

Les premiers films fonctionnent selon un étirement temporel, proche de la contemplation pour certain, de l’ennui pour d’autres. L’expérience dilate le temps, elle relève de l’hallucination. Hors du temps, le regard absent, on fait l’expérience d’un détachement de la réalité et de soi, en même temps qu’on est plongé dans une intense investigation du moindre changement à l’image. Le portrait de Robert Indiana savourant un champignon dans Eat (1963) joue de cette dilatation temporelle; la dégustation qui n’est pas montée chronologiquement, renforce l’idée d’étrange irréalité (inquiétante étrangeté ?) puisque le champignon renait dans la main de Robert Indiana alors qu’il a été dégluti. L’expérience de l’étirement temporel est irremplaçable dans le visionnement de Empire et de Sleep. Dans ce dernier film un homme qui dort, ausculté par le regard pudique de la caméra de Warhol, (on ne verra pas le sexe du dormeur2), est montré sous tous ses angles, au moyen de nombreuses répétitions créant une étrange dynamique du sommeil. Filmer le sommeil d’un homme c’est à la fois partager une intimité de manière singulière et inscrire son altérité face à l’autre, étranger. Proche mais cependant distant, le regard ne comble pas les écarts entre les amants; on est ailleurs, à côté tendu vers la constitution d’une représentation qui, dans ce cas a nécessité un tournage fastidieux, due à la caméra mécanique utilisée par Warhol. Les spots de lumière sculptent le corps selon une topographie granulaire, modifiée par le choix des cadrage et de la composition qui fait apparaître le corps comme un champ de clair-obscur respirant posément. La vitesse de projection étant plus lente que celle de la capture nous sommes plongés dans un sommeil doublement paradoxal. Le sommeil du dormeur est irréalisé lors de sa restitution distendue des prises autant que par son accomplissement par delà, les tungsten. Dans la plupart de ses films Warhol joue d’un éclairage contrasté d’angle, qui découpe les espaces et sculptent les corps. Les ombres et les zones d’obscurité envahissent l’espace à la manière du cinéma expressionniste, mais plus encore, elles favorisent la perception des mouvements du grain dans toutes les zones intermédiaires de gris. Ce grouillement d’autant plus perceptibles lorsqu’on est en présence de film projetés à 16 ou 18images secondes.

Les premiers films de Warhol se focalisent sur de simples actions domestiques qui participent fréquemment de l’homo-érotisme : un homme nu qui dort, tailler une pipe, une coupe de cheveux, des baisers, déguster une banane…

Les films plus tardifs, reprennent cet érotisme en le déplaçant, mettant souvent en scène un beau gosse face à des aspirants le convoitant: My Husler (1965), I a Man, Bike Boy (1967-68), Lonesome Cowboy, San Diego Surf (1968). Ces comédies sexuelles font du « cute boy » la proie du regard de la caméra autant que celui du spectateur. Ce voyeurisme de Warhol imprègne les peintures et les films, il se déploie avec ampleur au travers l’enregistrement continu mais surtout, dans le fait que Warhol frustre nos attentes de multiples manières, que ce soit parce qu’il privilégie le hors champ (Blow Job, Couch…), ou bien encore par les mouvement erratiques de la caméra, aux zooms incontrôlés qui scandent la scène filmée de nombre de « comédies » qu’elles soient réalisées en film ou vidéo . L’ obsession de l’enregistrement est une constante de l’œuvre de Warhol, qui la déploie vers la collection. Comme si l’accumulation d’images et de sons (en effet il enregistre un nombre phénoménal de cassettes audio et vidéo) permettait de ne rien perdre de l’action, de l’événement qui se déroule à portée de caméra et de micro, tout en la dissolvant dans la durée. L’exemple le plus évident de cette démarche se retrouve à la fois dans les portraits photographiques ou filmiques (Screen Tests au nombre de 500, auxquels il faut ajouter les portraits vidéos à partir de 70), mais aussi dans les films de « performance » qui sont l’enregistrement intégral d’une action dans la limite du stock de pellicule attribuée à celle-ci: 2 bobines de 54′ pour le portrait d’Henri Geldzahler (1964) fumant un cigare, 9 bobines de 30 mètres pour Blow Job (1963), plus d’une quinzaine de bobines pour Taylor Mead’s Ass (1964), 2 bobines de 33′ pour Beauty n° 2 (1965) et Paul Swan (1965) et 24 cassettes audio d’Ondine; leurs transcriptions erronées constituent le livre A a Novel (1968)3. Signalons que le magnétophone devient le meilleur agent du « speed », comme si l’enregistrement cautionnait la parole hystérique du « dopé ». On retrouvera dans deux épisodes de Chelsea Girls des manifestations de décollement vers un ailleurs: Pope Ondine, dans lequel Ondine explose littéralement entre deux shoots et dans Eric says all ou Eric Emerson sous influence, s’effondre.

Si l’intérêt initial de Warhol pour le cinéma est partagé par la culture camp, fasciné par stars et divas de tous poils, il ne s’y cantonne pas, mais vise à la production mêmes de stars. Dans un premier temps il fait appel à côté de son entourage, à quelque uns des personnages les plus actifs de l’Underground américain depuis la fin des années 50 : réalisateurs, acteurs, performeurs ou écrivains tel Jack Smith, Taylor Mead, Mario Montez, Ronald Tavel . De plus, il « façonne » de nouvelles stars : Ondine, Candy Darling, Joe Dallensendro, Edie Sedgwick, Viva, Ingrid Supestar…

Jack Smith a exercé une profonde influence sur Warhol. Son aptitude a gérer l’improvisation à quelques niveaux que ce soient est déterminante. Comme Warhol le reconnaît, alors qu’il assistait fréquemment au tournage de Normal Love: «Jack Smith filmait beaucoup (là-bas) et j’ai appris quelque chose de lui pour mes propres films, le fait qu’il faisait appel à n’importe qui se trouvant là, ce jour et aussi le fait qu’il filme jusqu’à ce que les acteurs s’ennuient. 4 ». De son côté Taylor Mead lui permet de faire le lien avec la beat generation. Tarzan and Jane Regained sort of fait écho autant au Kerouac de Pull My Daisy (1959) qu’aux premiers films de Ron Rice à travers les déambulations quelles soient spatiales où psychiques. C’est Pull My Daisy qui a libèré les énergies, comme le reconnaît Taylor Mead : « Il s’agissait d’un film fascinant sur des gens spontanés, très éloigné d’une pensée de l’intrigue.5 », et ce malgré le fait qu’il ait été totalement écrit . On retrouve un apparent paradoxe similaire dans plusieurs films de Warhol qui dynamitent le scripte afin de mettre « en danger » les protagonistes; on pense ici aux films écrits par Ronald Tavel et plus particulièrement à Kitchen (1965)6.

Le cinéma semble appartenir à la première Factory recouverte de papier d’argent alors que la vidéo émerge dans une nouvelle Factory, qui évoque plus l’entreprise habilement gérer que ce lieu de rencontres qui brasse une faune plus ou moins marginale: drogues et prostitution, travestis et homosexualité aux côtés des mondes de l’art et des médias et d’une jeunesse dorée. La Factory du cinéma est celle où l’on vient faire son numéro en espérant qu’il pourra durer le plus longtemps possible. Le film documente ce qui advient dans cet espace réduit au champ de la caméra et parfois son hors-champ. Blow Job est basé sur cet hors champ qui nous fait fantasmer, alors que Screen Test #2 ou Beauty N°2 ou Poor Little Rich Girl , Kitchen (tous de 1965) travaillent activement avec le hors-champ au moyen d’ordre donné en voix off. La Factory est l’espace où la séduction et la provocation sont les éléments essentiels du comportement. La surenchère et la provocation sexuelle sont prépondérantes; on songe à Mario Montez et sa banane dans The Life of Juanita Castro (1965), ou bien encore différents épisodes de Chelsea Girls. Les films entraînent des comportements, ils en sont l’un des meilleurs reflets. Toujours, l’intérêt de Warhol se traduit dans le portrait d’une personne en acte: performante ; par exemple les différentes coupes de cheveux des trois Haircut (1963), Paul Swan recréant des représentations du passé dans le film du même nom. Il n’est pas demandé aux participants du film de jouer un rôle extérieur à eux mêmes, Henri Geldzahler est tel qu’en lui même fumant un cigare chez lui, alors que John Giorno dort pendant toute la durée de Sleep. Dans les film scriptés7 qu’ils soient ou non de « sexploitations » le même parti pris d’être au plus proche de la réalité de ceux qui sont filmés est privilégié. Les films avec Edie Sedgwick en sont un bon exemple qui dressent, le portrait de la superstar autant qu’ils manifestent sa capacité, ses difficultés à faire face aux situations imprévues. On retrouve dans certaines vidéos des années 70 cette manifestation de l’improvisation et principalement dans Fight (1975).

En 65 alors qu’une caméra vidéo avait été prêtée à Warhol, il avait réalisé une série de Factory Diaries dans le prolongement des actions performances de la première Factory. A partir des années 70, la vidéo semble sceller l’abandon définitif de l’Underground au profit de celui de la bourgeoisie et de la jet set, et ce malgré les tentatives de la série Vivian Girl’s (1973) qui met en scène des travestis et des mannequins habitant ensemble. Les enjeux et les portraits qui en découlent ne sont plus les mêmes; on est plus proche du cinéma de Paul Morrissey. Si les portraits vidéos se rattachent aux Screen Test et aux portraits peints (commandités), la majeure partie du travail vidéographique s’élabore en vue d’un passage à la télévision. Le projet de « talk show » s’inspire largement du contenu d’Interview lancé par Warhol en 1969 et qui rend hommage dans son style à l’humour camp et à sa puissance de dérision arme cruellement drôle des gais. Ainsi les neuf émissions Andy Warhol’s Television (1983-84) qui enchainent dans un rythme rapide entretiens et défilés de mode.

On a pas assez insisté sur le côté provocateur de certains des films de Warhol. Cette attitude n’est pas sans rappeler le détournement d’objets domestiques (urinoir, porte bouteille, bouteille de coca, les boites de soupes, une chaise électrique, un building) et la provocation dont les dadaïstes et surréalistes, incarné par Marcel Duchamp, s’étaient fait les champions. Provocation qui chez Warhol, se manifeste autant par la durée un peu plus de six heures pour Sleep (1963) et huit heures pour d’Empire (1964) vingt quatre heures pour **** (Fours Stars) 1967, que par les sujets qui élargissent le registre de l’iconographie pop et la manière dont ils sont traités, en incorporant une dimension sexuelle. Une fellation dans Blow Job (1964), des baisers dans Kiss (1963-64), de multiples accouplements dans Couch (1964), un cul dans Taylor Mead’s Ass, des rapports SM dans Horse (1965) ou Vinyl (1965). Andy Warhol revisite plusieurs fois la mythologie américaine à travers la production de westerns, qui se différencie par le réalisme sexuel autant des western spaghetti que de la production hollywoodienne. Warhol insiste sur les pratiques sexuelles des cow- boys et cow-girls jouant avec la dimension camp et gay de ses proytagonistes, remettant ainsi en cause la production hétérosexuelle normée de la représentation historique et cinématographique de la conquête de l’ouest.

Si les films de facture minimale dominent la première période; la narration n’est pas évacuée, elle est présente dès 63 avec Tarzan and Jane Regained… Sort of. De même la trame n’impose pas au film la forme définitive du plan fixe même si c’est elle qui domine dans Mario Banana, Beauty n°2… L’argument de My Hustler (1965) ou le document d’une répétition dans The Velvet Underground and Nico (1966) n’interdisent pas les mouvements erratiques de la caméra, ni même le déchainement des zooms. Les strobes cuts de Bufferin (1966), provoquent les acteurs autant que les spectateurs en interrompant brièvement son et image; ils cisèlent le défilement et le scandent de flashs. Il s’agit d’une nouvelle forme de montage dans la caméra qui interrompe la continuité de l’action et renvoie ainsi à d’autres méthodes déployées par Warhol pour provoquer et déstabiliser l’agencement d’un film comme il l’avait fait avec Kitchen (1965) ou Lonesome Cowboys (1968) etc. Le cinéma élargi est exploré principalement par Warhol , dans sa forme double écran et ce dans plusieurs films narratifs à épisodes. La juxtaposition de deux images privilégie l’éparpillement du regard qui glisse d’un écran à l’autre en fonction de l’importance donnée à la bande-son. Dans Chelsea Girls (1966), c’est elle qui oriente le regard (il existe un mode d’emploi à partir duquel on distribue le son des différentes bobines) alors que dans Lupe (1965), le déroulement de l’action scindée en deux parties, montrées côté à côte, provoque des allers retours constant d’un écran à l’autre; comme si deux temps se conjuguaient : présent et futur ou passé et présent se nourrissent l’un l’autre simultanément. Ce travail évoque paradoxalement les mises en abîme entre télévision et cinéma de Outer and Inner Space (1965).

Dans Outer and Inner Space, Andy Warhol confronte les deux enregistrements (cinéma & vidéo) en juxtaposant ces deux supports. Edie commente son image dans un dialogue impossible, dont on constate cependant quelques effets dans l’énervement dont elle fait preuve vis-à-vis de cette image enregistrée dont le volume sonore est souvent modifié. Ce dialogue (cette interaction) est multiplié par le double écran. Ce qui intéresse Warhol dans cette confrontation c’est avant tout la possibilité de travailler avec l’immédiateté de l’enregistrement vidéo et sa transformation (déformation verticale, horizontale, distorsion, variation du son) en directe lors de l’enregistrement du film induisant un jeu de miroirs, faux-semblants entre les portraits, entre le sujet et sa représentation. Ce travail trouve son prolongement selon une disjonction temporelle et spatiale. Cette multiplication des images, leurs fragmentations, le recours à la répétition dans cette mise en série du portrait dans l’image cinématographique évoque les célèbres diptyques (Double Elvis) et nombres de ses sérigraphies qui présentent deux ou quatre variations du même thème. De même les derniers plans de Lupe jouent sur les écarts et l’apparente similarité dans la reprise du motif.

Ce thème du double et son renvoie, permet la production d’un espace qui s’ouvre à d’autres dans un tourbillon sans fin. Nous sommes pris dans un espace qui a la particularité d’en convoquer d’autres hors-champ mais qui sont pourtant d’une manière ou d’une autre dans le champ, qu’ils s’agissent du double-écran ou de l’espace duel de chaque images qui les composent. Mouvements internes à la représentations qui nécessitent toujours une extériorité constamment déjouée. Ou serait-ce l’inverse?

Outer and Inner Space et Lupe préfigurent une approche du cinéma comme expérience de le multiprojection que Warhol développera autant lors de la production multimédia avec Exploding Plastic Inevitable (1966) ou bien encore au cinéma avec Chelsea Girls et **** (Fours Stars).

Le détachement que montre Warhol vis-à-vis des conditions de projections de certains films, lui permet d’optimiser et d’amplifier les formes de projections en les transformants en happenings. La multiplication des événements simultanés dans le cadre de EPI, autant que les projections à la Factory, procède d’une inattention discrète, qui font du film un événement parmi d’autre. Quasiment un film d’ameublement. Cette attitude remet en cause la prépondérance de la projection au profit d’une apparente nonchalance quand à l’image cinématographique et questionne la nature des fameuses quinze minutes de célébrité promis à tout un chacun. Les films sont plus importants au moment de leurs réalisations, le fait d’être filmé ne garanti pas la célébrité, mais la virtualise; la projection devient secondaire, pas forcément nécessaire. Le film, à la manière d’autres objets collectionnés pourra, ainsi être empaqueté dans une de ces boites : time capsule, que Warhol à l’habitude de confectionner, contenant des invitations, objets de toutes sortes dont la mise à l’écart ne confère aucun statut privilégié. Cette mise sur la touche ne procède d’aucune hiérarchisation.

Warhol a investi tous les champs du cinéma, privilégiant certaines directions tout en conservant une liberté totale de choix et de genre. Cet éventail a favorisé la multiplicité des interprétations de son travail. Cela s’applique à toute l’œuvre de Warhol, qui fait de la circulation du nom et des produits ou dérivés, son souci prioritaire. Les interprétations alimentent la circulation et la médiatisation de l’entreprise qu’est devenue l’œuvre.

Dans les quelques années de production cinématographique, Warhol est passé de la réalisation de films pour le plaisir de les faire à la production de films pour les cinémas. Glissement qui change la nature du travail, son statut et sa fonction. On passe de l’artisanat à l’industrie, on y perd la facture de la Factory (fabrique), au profit de la marque.

yann beauvais São Paulo aout/sept 2009

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1Inside Andy Warhol by Sterling Mcllhenny and Peter Ray, Cavalier, 1966, disponible sur le net à http://www.warholstars.org/andy_warhol_3.html

2C’est Fred Camper qui dans The Lover’s Gaze remarque ce pudisme qu’il rattache à un acte d’autocensure. http://www.chicagoreader.com/chicago/the-lovers-gaze/Content?oid=902142

3 A A Novel by Andy Warhol, Grove Press New York 1968, traduction française dans VH 101

4Andy Warhol Pat Hackett: Popism: The Warhol Sixties p 32, Harcourt Brace Jovanovich, New York 1975

5 Acting : 1958-1965 Taylor Mead in The American New Wave 1958-67, Walker Art Center 1982

6Ronald Tavel raconte que Chuck Wein a tout fait pour saboter le projet de ce film.

7Ronald Tavel, Chuck Wein ont été deux des scénaristes des premiers films de Warhol.