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Trois films de Paul Sharits (Fr)

Trois films de Paul Sharits Cinéma le Bel Air Mulhouse le 13 novembre 2007

Cinéastes américains né en 1943 et mort en 1993.

Les trois films composant cette séance sont représentatifs du travail cinématographique de Paul Sharits.  Lorsqu’en 1966 Paul Sharits se lance dans la réalisation de Ray Gun Virus, il a déjà à son actif plusieurs films importants qui l’ont établi comme l’une des figures majeures du cinéma expérimental américain qui ont œuvré au renouvellement de cette pratique. Il s’intéresse en effet à un cinéma qui interroge les conditions mêmes de ses possibilités.  En 1965, lorsque Paul Sharits rejette tous ses travaux antérieurs qu’ils s’agissent de peintures, graphismes ou films, il se lance dans la production d’un cinéma débarrassé de toutes boursouflures narratives au profit d’un cinéma qui met en scène et travaille à partir de ses constituants. Pendant une dizaine d’années, de film en films Paul Sharits  façonne une véritable ontologie du cinéma aux côtés de cinéastes tel Hollis Frampton, Tony Conrad, Michael Snow…

Son cinéma sera alors un cinéma du photogramme, un cinéma du ruban, un cinéma du défilement mais aussi un cinéma qui sortira du cinéma pour habiter les cimaises avec les Frozen Film Frames (tableaux de pellicules) autant que l’espace d’exposition avec ses Locational Pieces (film in situ, ou installations).

RAY GUN VIRUS 1966 couleur sonore 14 minutes

Ce film est dédié à Regina Cornwell

Ce film est essentiel à plus d’un titre car il est le premier film qui a été pensé à la fois comme « un temps lumineux projeté et un objet spatial. » Ce film provient des travaux entrepris par Paul Sharits avec les partitions et des dessins modulaires qui lui permettent d’envisager le cinéma sous d’autres formes que celles de la seule projection.

Comment concevoir, articuler des formes dans le temps sans recourir à une trame narrative. Comment organiser et produire un développement temporel sans aucun artifice extra cinématographique. On voit dans cette interrogation quelques similarités avec celles de Dziga Vertov quant au cinéma (le ciné-œil) autant qu’avec celles de Kasimir Malevitch quant à la peinture non objective.

Ce qui permettra à la fois à Paul Sharits de sortir de cette difficulté mais aussi de produire le cinéma qu’il veut. Dans ce dessein, le recours au flicker, c’est-à-dire au clignotement, est privilégié dans un premier temps autant que la structuration du film comme une projection lumineuse temporelle autant qu’un diagramme qui permet d’appréhender le film dans son intégralité à la manière d’une partition d’un dessin qui vous donne les moyens de voir les symétries et le développement des séries de couleurs. La perception du film Ray Gun Virus s’effectue selon deux axes, le premier privilégie la projection et la perception des variations chromatiques que le flicker induit, tandis que le second axe permet de voir ce que l’on ne pouvait percevoir lors de la projection c’est-à-dire les éléments à partir desquels nous avons perçu ce que nous avons vu.

On peut dire que c’est à partir de ce film que se radicalise le cinéma de Paul Sharits, et que ce film nourrira le développement de Razor Blades (réalisé entre les années 65 et 68) aussi bien que de T,O,U,C,H,I,N,G.

Quelques mots sur RAY GUN VIRUS sont encore nécessaires, le film parle du rayon du pistolet et de son virus. Le rayon se réfère à la projection elle-même, le virus à ce que le flicker produit tandis que le pistolet est le projecteur. Cette explication du titre peut-être satisfaisante, mais elle risque de manquer certaines caractéristiques du film à savoir qu’il s’agit d’un film fait avec des photogrammes de couleurs pures qui accompagné d’un vrombissement sonore consistant en la lecture des perforations par la tête de lecture optique. Ce son agressif dans un sens va induire une tension particulière en maintenant un déphasage entre ce qui vu, perçu et entendu, mais dans les deux cas la répétition, l’insistance  du son autant que la persistance des images va modifier, pour ne pas dire transformer notre perception, et le film va nous mettre comme le fera T,O,U,C,H,I,N,G dans une situation qui instaure un dialogue entre différents plans de perception rarement actualiser de cette manière au cinéma. En effet il y a à la fois l’écran qui frémit, pulse aux rythmes des couleurs et qui induits la perception de couleurs qui ne sont pas à l’écran, ni sur le ruban.  Nous avons donc l’écran de la projection, l’écran de notre perception, la conscience que l’on en a et le renvoi : dialogue de l’un à l’autre. Voir un film devient ainsi une négociation entre ces différentes instances qui font que pour comprendre ce que l’on voit, on doit suspendre le défilement du film. L’objet qui est perçu nécessite ainsi sa mise à l’écart pour être saisi, analyser. Ne peut-on dire que nous sommes en présence d’un objet de penser, ou plus précisément que le film travaille la production de pensée.

T,O,U,C,H,I,N,G 1968 couleur sonore 12 minutes

Ce film est dédié à David Franks

« L’ambiguïté est inhérente au flicker film. On la voit à l’œuvre dans Ray Gun Virus (1966) ou N :O :T :H :I :N :G (1968) à travers la perception de couleurs et d’illusions optiques ou bien encore dans la perception des images figuratives de Piece Mandala /End War (1966). Avec T,O,U,C,H,I,N,G, l’ambiguïté s’effectue aussi bien visuellement ou auditivement. Visuellement le titre, T,O,U,C,H,I,N,G, écrit lettre à lettre  entrecoupée de virgules, signale  un ordonnancement du film en six parties égales séparées au centre par une partie distincte. Les couleurs dominantes  du flicker dans ce film  sont les lavandes, oranges et jaunes, le recours aux paillettes crée un aspect BD voyant renforcé par une pulsation frénétique.

Dans toutes les sections, le poète David Franks apparaît en plans moyens, et dans cinq partie sur six il est aux prises avec deux actions, dans l’une il tire sa langue entre une paire de ciseaux recouvertes de paillettes vertes, dans l’autre sa joue apparaît griffée de paillettes rouges par la main d’une femme aux ongles vernis de paillettes vertes traversant l’écran. Au fil du développement du film, les actions se déploient dans un sens et puis l’autre à l’écran….

Dans la section finale du film, les yeux de Franks sont ouverts et ne sont plus recouverts de paillettes. » Catalogue de distribution Leo Castelli.

Ce film conjugue plusieurs stratégies visuelles en associant aux flicker de couleur pures des éléments figuratifs comme c’étaient le cas dans Razor Blades ou Piece Mandala / End War. De plus le son tient un rôle prépondérant dans ce travail puisqu’il est avec Word Movie l’un des premiers films dans lequel le mot s’entend et va servir de motif sonore. Cependant le traitement du mot est particulier dans la mesure où il ne s’agit pas d’une énonciation d’une suite de mots comme dans Word Movie, mais de la répétition d’un mot pendant toute la durée du film. Ce mot a été enregistré plusieurs fois afin d’avoir à de marquer, d’affirmer des différences de prononciations et de souligner à travers la répétition, les écarts et induire ainsi des manifestations auditives similaires à celles que met le flicker coloré.

On remarquera aussi, ce qui me paraît essentiel, que dans la dernière partie du film, aux photographies de David Franks et aux photogrammes de couleurs pures viennent s’ajouter des photogrammes dans lesquels un rectangle coloré  occupe la majeure partie du cadre, préfigurant un travail postérieur  avec deux projecteurs : Declarative Mode. Dans ce dernier film que vous pouvez voir à L’espace Gantner dans l’exposition Sharits, un même film est projeté sur lui-même, une image dans l’image, cette projection en déphasant les deux projecteurs d’un écart d’une seconde.

Cependant dans Declarative Mode, le rectangle plus petit ne change pas de taille comme c’est le cas  avec  T,O,U,C,H,I,N,G.  Cette section du film fait écho à celui d’Hans Richter Rythme 21 qui a été longtemps  considéré comme l’un des films fondateurs de l’avant-garde  cinématographique. Dans ce film Richter filmait un carré qui s’agrandissait et rétrécissait de manière similaire induisant des volumes et des aplats, une dynamique particulière que radicalisera Paul Sharits avec T,O,U,C,H,I,N,G.

COLOR SOUND FRAMES 1974 couleur sonore 26’30

C’est à partir de la fin des années 60 que Paul Sharits  s’est ouvert à d’autres objets que le photogramme, l’a plat de l’écran, le cadre, en interrogeant la notion du ruban avec S:TREAM:S:SECTION :S :ECTION :S :S :ECTIONED (1970), Sound Strip / Film Strip (1972), mais aussi avec la notion du film comme ligne une ligne dans le temps, tel que le déploie par exemple l’installation Film Strip / Sound Strip (1971).

À partir de 1973 avec la série des Analytical Studies, il joint les deux approches, celle qui interroge le photogramme et celles qui investissent le défilement, le ruban lui-même.

Color Sound Frames est issue de la première section d’Analytical Studies III, intitulé “Spécimen”, utilisant trois cycles de gammes de couleurs entrelacées et produisant un film à clignotement.  Dans Color Sound Frames ce n’est pas le clignotement qui est l’enjeu mais  plutôt la relation entre le ruban et le photogramme. Les images sont des rubans refilmés avec leurs perforations et la ligne de séparation photogrammique apparentes.  Le champ directionnel et la force peut-être soit ascendant soit descendant. Pour un segment, le ruban a été refilmé à l’envers (de la fin au début du ruban) et deux sections ont des images de rubans superposés l’un sur l’autre. Alors qu’il était refilmé, le ruban se déplaçait à des vitesses variables. Le synchronisme sonore des perforations est entendu lorsqu’elles sont lues par la tête de lecture.

Au début du film, les sections sont décrites ainsi :

Section 1 : Vecteur A : Ascendant (en avant)

Section 2 : Vecteur B : Descendant   (en avant)

Section 3 : Superpositions convergentes

Vecteur A (avant) + Vecteur A (rétrograde)

Section 4 : Superpositions divergentes

Vecteur A (avant) + Vecteur B (avant)

Color Sound Frames est un film sur le film et sur les illusions qui peuvent résulter des propriétés matérielles du film créant des abstractions.  Les directions actuelles du mouvement peuvent sembler ambiguës à cause des variations de vitesses. À grande vitesse, la ligne de séparation photogrammique disparaît. Dans les sections superposées, les couleurs se fondent et en forment d’autres alors qu’à d’autres vitesses, les couleurs et les perforations semblent onduler.

Color sound Frames préfigurent les installations comme Synchronoussoudtracks,  Episodic Generation et 3rd Degree mettent en scène le ruban de pellicule selon le déploiement d’une fausse continuité spatiale d’un écran à l’autre dans lequel le ruban semble glisser d’un écran à l’autre, et dont la perception se transforme au fur et à mesure que  les vitesses de défilement de chaque écran se modifient, se désynchronisent ou semblent se mettre en phase.

yann beauvais le 9 novembre 2007

Paul Sharits (Fr)

in note programme Adicinex des 27 et 28 novembre 1980

« On a l’art pour ne pas périr de la vérité ». Nietzsche

« Je me suis transfiguré en zéro des formes et me suis repêché du trou d’eau des détritus de l’Art Académique. Malevitch

Si l’essence de l’art est la manifestation de l’indicible, de l’imperceptible, c’est par le cinéma que Paul Sharits vise cette essentialité. Son œuvre n’est pas seulement une critique de la perception et de l’esthétique, elle atteint dans son implacable épuration des contenus et des formes, ce paradigme, ce mirage du rien que l’art moderne, et pas seulement lui, a repoussé dans ses limites extrêmes. Sharits parle volontiers de l’influence de Malevitch sur son œuvre, il évoque aussi ce fantasme de Flaubert ; une nouvelle sur le rien : la forme du rien ! C’est aussi à Debussy que l’on pensera devant le très beau travail de Sharits sur le son : la musique comme souffle de la vie : ultime manifestation de l’art par le musical.
Considérons deux grands axes de recherche dans l’œuvre de Sharits. T.O.U.C.H.I.N.G,N:O:T:H:I:N:GRay Gun Virus, le film est appréhendé ici, comme une succession de photogrammes pulsés dans l’espace et dans le temps par la lumière. Cet axe met en évidence l’intermittence comme constituant majeur du film. Avec les films « flicker » de Sharits est dévoilé le dispositif cinéma. C’est une suite de : on/off/on/off continus, régulable à volonté. Regardant T.O.U.C.H.I.N.G, le spectateur est amené à se poser un ensemble de questions sur les processus de conscientisation. La conscience du spectateur est ancrée dans le temps. S’en apercevoir c’est geler le temps. C’est arrêter le défilement. C’est briser la narration au profit de ses constituants. C’est opérer un ralentissement, un retard du défilement des pensées dans notre conscience. Point nodal du travail qu’effectue Paul Sharits dans et par le film photogrammique.

Dans son deuxième axe de recherche le film est appréhendé cette fois comme se déroulant dans le temps. Ça défile, ça se développe dans le temps. Les films de cette conception (S/S/S/S/S/SInferential CurrentAnalytical Study…) interrogent les possibilités de la temporalité et ses divers modes d’actualisation dans le film. Les différents temps et épaisseurs dans le film se combinent et s’affrontent avec l’éprouvé temporel du spectateur. Seule l’œuvre de Sharits nous offre avec ses complexités temporelles simultanées ce temps unique dont notre émotion est tissée.
Le premier axe de recherche envisage le film comme une suite interrompue de photogrammes. Le deuxième comme un défilement d’une bande de plastique dans le temps ; d’où il résulte une synthèse possible que seront les derniers travaux de Sharits, tels que Epileptic Seizure ComparisonDream DisplacementDeclarative Mode,Episodic Generation. Dans cette synthèse, son travail ne s’épuise pas. Ces films ouvrent un nouveau champ d’investigation qui est encore loin d’être défriché. La simplicité extrême du matériau utilisé induit une complexité des enjeux et des relations qu’entretient le cinéma avec son spectateur, l’art, la métaphysique, le social. Voir à ce propos Epileptic Seizure Comparison où de l’intérieur on est à l’extérieur de la crise épileptique et inversement. Ou dans Declarative Mode, où l’on s’aperçoit que le bord de (de l’écran, de la connaissance, du temps ou de la raison…) est le seul recours possible si l’on veut appréhender quoique ce soit de l’existant. Connaissance par les bords, par les gouffres, par les fuites ; telles seraient quelques-unes des voies possibles d’accès au travail de Sharits. Il va sans dire que l’on ne peut que mutiler son travail en l’appréhendant aussi succinctement par le texte. Il s’agit d’un travail dont on ne peut faire l’économie, et dont l’éprouvé du spectateur est fondamental.
yb

Adicinex Paris

étaient présentés le 27 novembre
Declarative Mode 1976-77 40’ double écran
Episodic Generation 1976 30’

et le 28 novembre
T.O.U.C.H.I.N.G, 1968 12’
Inferential Current 1971 8’
Tails 1976 3’
Epileptic Seizure Comparizson 1976 35’

El Soporte Inestable (Fr)

Instabile materie de Jürgen Reble

in Cosmos En busca de los orígenes. De Kupka a Kubrick, catalogue d’exposition du même nom, ed par Arnauld Pierre, TEA Tennerife Espacio de Las Artes, Tenerife 2008

publié en espagnol et en français, sous le titre Le support instable.

Le support instable

L’œuvre cinématographique de Jürgen Reble se caractérise par sa dimension cosmique. Parmi les cinéastes contemporains, il explore avec ténacité ce champ du cinéma dans lequel la méditation et la recherche spirituelle sont fortement ancrées. Son travail entretient des fortes relations avec ceux d’Oskar Fischinger, Stan Brakhage et James Whitney (1) et Jordan Belson, qui à travers une investigation sur les particules interrogent autant le cosmos que l’atome selon des harmonies plus ou moins distantes et ce, en fonction du rapport entre abstraction et champ musical ; ou bien ils le font à partir d’expérience de la perception.

Dans les années 80, au sein du collectif Schmelzdahin (2) ,  puis seul, Jürgen Reble s’est fait connaître en tant que cinéaste. Dans ces années-là, le cinéma expérimental allemand connaissait un renouveau et une effervescence inouïs (3). Dans ce contexte particulier, le super 8 dominait. Il s’agissait pour la plupart des groupes, et ce pas seulement en Allemagne, de proposer de nouvelles approches cinématographiques. Pour la nouvelle génération, il était important de se démarquer du cinéma qui avait dominé l’époque précédente et qui se prolongeait comme si le modernisme était atemporel. Il s’agissait de revitaliser la pratique du cinéma à tous les échelons : fabrication, diffusion et monstration des travaux en s’affranchissant par exemple, du traitement formaté des laboratoires de développement et de tirage, privilégiant du même coup le savoir faire de l’artisan. C’est ainsi que le son, souvent mal-aimé (4) prenait une place prépondérante lors de la projection grâce à la stéréo des projecteurs super 8. L’utilisation de ce format soulignait les potentialités immersives de chaque projection et en faisait un outil très performant alors qu’il était initialement destiné à la sphère du privé. Ces qualités immersives seront explorées par Jürgen Reble dans ses films mais plus encore dans les performances de Live cinéma (5) qu’il réalise au sein de Schmelzdahin à partir de 1987, puis en son nom propre ou avec le musicien Thomas Köner.

Par son nom, Schmelzdahin (dissous-toi) désigne les processus que les artistes explorent. Le groupe privilégie le montage en récupérant des films (found-footage) de toutes provenances en travaillant quelques éléments narratifs. Simultanément Schmelzdahin procède à une série d’investigations concernant la décomposition, la dissolution, la transformation des différentes émulsions utilisées en cinéma. Les films sont plongés dans un étang, enfouis dans la terre, ou accrochés aux arbres. Les pellicules subissent de plein fouet les aléas climatiques et font apparaître de nouvelles réalités se substituant aux représentations initiales et qui sont celles de la corrosion. L’étude des résultats de ces lentes décompositions conduit le groupe à explorer d’autres types de transformations bactériologiques, manuelles ou chimiques.

Le film laissé aux vents subit un « acte de purification » ; il engendre simultanément l’apparition de masses colorées qui se séparent de leurs formes liminaires, en produisant des mosaïques ou des conglomérats bariolés rappelant les moirages de vitraux. Ces premières expériences prouvent qu’il est possible de travailler par-delà la séparation des couches émulsives constituant support. Ces expériences mettent en jeu l’instabilité en devenir du support, qui est voué à disparaître à plus ou moins brèves échéances.

Les transformations, les décompositions déclenchées par les cinéastes accélèrent les processus d’effacement spécifiques du support. Et ce sont ces processus de dégradation, de son effacement de l’image qui sont le sujet du film. Chaque film travaille l’imagerie de sa dissolution, ou montre la prolifération de ce qui le dévore (6). L’objet dont Jürgen Reble exploite les transformations est le signe de son ensevelissement à venir. Si la trame narrative est présente dans les films du groupe elle s’estompe chez Jürgen Reble avec Instabile Materie (1995).

Jürgen Reble travaille la plupart du temps avec des found footage super 8 ou 16mm. Le film Rumpelstilzchen (1989) qu’il réalise en solo est le recyclage d’un film des années 30, l’adaptation du conte de Grimm dans lequel un nain transforme la paille en or. Le traitement réalisé sur le ruban est la mise en acte au moyen du film de cette opération alchimique. Le film noir et blanc original est saturé par la couleur, il a subi une mutation alchimique au travers d’une flamboyante polychromie. Ce film inaugure une pratique qui confère aux émulsions une nouvelle vie, en ce sens on peut la qualifier d’alchimique.

Rumpelstilzchen

Le travail de Jürgen Reble partage avec de nombreux cinéastes des années 80, un intérêt pour la transformation de la matière même du cinéma par les manipulations s’effectuant à même les différents supports, pendant les phases de développement et de tirages.

Cette transformation que subit la matière cinématographique modifie aussi bien l’aspect physique du ruban qui est projeté ou qui sert d’original, que les objets qui sont distribués et qui surnage à ces défigurations de la représentation. Il s’agit d’un déplacement de la représentation ; comme si la figure s’effaçait au profit des éléments qui la constituaient et des particules qui la rendaient possible. Au moment où cette figuration s’évanouit dans la matière, cette dernière induit de nouveaux conglomérats, des mosaïques cristallines, des éclats granuleux. Des traînées de poussières, proliférantes viennent maquiller plus que hanter les images initialement enregistrées. On ne sait plus, si on est avant ou après le cinéma. Si on est avant ou après la création. S’agit-il d’un cinéma qui travaille les constituants en rendant visibles, par leur accélération, ce qui dévore les émulsions au fil du temps ou s’agit-il d’une esthétique post-cinématographique, qui se repaît des ultimes sursauts d’un support face au numérique qui le submerge de son intense prolifération. L’approche bien que matérialiste s’écarte de celles, théorisées par les cinéastes Britanniques dans le cinéma structuraliste matérialiste (7) qui interrogeait les conditions de la représentation en privilégiant la matière cinématographique même, remettant en cause la figure de l’auteur autant que la position du sujet bourgeois quant à la production et à la consommation de la représentation. En Allemagne, cette démarche est explorée par Birgit & Willem Hein. L’approche de Jürgen Reble se distingue de ces dernières, elle partage une dimension expressive distincte qu’ont manifestée de manière singulière et à différentes époques aussi bien Oskar Fischinger, que Stan Brakhage et James Whitney, ou même Len Lye “ car ce sont tous des artistes qui ont crée une sorte de musique optique qui a su ne plus être musique, mais film (8)”. Tous ces cinéastes font du film un instrument de connaissance, l’expérience du film devient alors le chemin d’une quête qui nous transportera vers d’autres rivages. Chez Oskar Fischinger, cette démarche se situe dans la continuité de l’esthétique romantique assignant à la création artistique la production d’un art total, qui puisse élever l’âme: “Ceci constitue le fondement de notre pensée : l’esprit créateur ne devra jamais être entravé par quelque réalité ou quoi que ce soit qui puisse nuire à sa création pure et absolue” (9). On en trouvera encore une illustration magistrale dans les films de James Whitney. Pour ce cinéaste, chaque film est un moyen d’accéder à la médiation à travers des motifs complexes de points et des rythmes dont les pulsations, rotations et combinaisons sont rigoureusement planifiées selon stases flux (voir Lapis, 1963-67 ou Wu-Ming 1977) (10). Lorsque Stan Brakhage entreprend Dog Star Man (1961-64), se pose la question de la complétude de l’homme et sa quête incessante pour la réaliser, le film poursuit à la fois le cheminement d’un homme montant une montagne autant qu’il façonne une autre vision dont le médium est à la fois la mémoire et l’agent. Brakhage propose une écriture à la première personne qui explore une vision subjective certes, mais qui est partageable par d’aucuns” (11). Schématiquement, on pourrait dire que le cinéma de Jürgen Reble se situe à la croisée de ces pratiques. Il partage en effet avec Oskar Fischinger cette aspiration à une élévation de l’âme à travers la poursuite d’une recherche cinématographique absolue, sous des formes qui s’apparente plus à la conduite d’une médiation en recourant à des boucles à partir desquelles des singularités pourront être isolées, au fur et à mesure des répétions. Sa démarche est singulière, véritablement spécifique, pour ne pas dire unique quand bien même de nombreux cinéastes explorent des processus similaires de traitement d’image, ils ne le font pas selon les mêmes visées. Aujourd’hui ces traitements qui signent une indépendance vis-à-vis de l’industrie du cinéma à travers cette esthétique de la matière pelliculaire sont communs.

Jürgen Reble a créé un type de traitement de l’image cinématographique. Il a exploré une tension entre les différents éléments de chaque proposition en passant du film à la performance ou à l’installation selon des temporalités inhérentes à chaque situation. Il existe une étroite relation entre les mécanismes de dissolution, les virages et les images premières que déploie le travail en direct lors des performances et qui font de l’image un vivant. La confrontation entre les qualités spécifiques des dégénérescences du support avec les résidus et les poussières crée de subtiles mise en abîmes qu’il explore rigoureusement et qui évoque les minutieuses investigations des performances du Nervous System(12) de Ken Jacobs. Chaque film peut faire surgir, au seuil de son évanouissement des mondes engloutis et convoque des espaces et des temps révolus. Il nous suffit de penser à ces trajets sur la Circle Line dans le film Chicago (1996), qui convoquent autant le premier cinéma (par la nature du plan : un travelling à l’avant du métro) qu’il évoque ces villes après l’apocalypse dont est friand le cinéma de science fiction. La traversée de la ville est à la merci du mirage de la production de l’image, comme le subit le long travelling sur Market Street à San Francisco dans les tremblements et décollements pelliculaires d’Eureka (1974) d’Ernie Gehr. Dans Chicago, la poussière de l’émulsion s’écaille littéralement sous nos yeux, pour devenir son. Les craquements ne sont pas tant ceux du parcours du métro aérien que l’écho d’un effondrement probable de la ville, son engloutissement dans la masse sonore sourde et lente de Thomas Köner. DansChicago, les effets sont produits dans une gamme de noirs et blancs, qui en regard de la manipulation chimique sont souvent plus intéressants que ceux, résultants des films couleur (13). Le blanchiment et la dissolution vaporeuse des images se conjuguent au déplacement du métro qui est ralenti lors du refilmage. Ces techniques de refilmage avaient déjà été utilisées par Jürgen Reble Instabile Materie, et rappelle parfois Secret Garden(1988) de Phil Solomon (14) ou certains des films peints de Stan Brakhage, ceux de sa dernière période Black Ice (1994) ou Chartres Series (1994)…. Cependant, dans Instabile Materie, les vitesses de refilmage changent fréquemment. Ce sont elles qui impulsent et caractérisent des plans déjà vus selon de nouvelles variations chromatiques. Ce film ne répond pas à une trame narrative, comme le fait Passion (1990) à la manière d’un journal filmé, ou bien Das Goldene Tor (1992) qui se déploie de manière similaire sous la forme rite lors du passage de l’hiver, de l’obscurité à la lumière (15). Chicago inscrit le déplacement d’un lieu à l’autre comme trame du film. Le transport de l’image et du son (recyclage sonore du prélèvement de la poussière de l’émulsion récoltée par Thomas Köner) sert de trame linéaire au film ; alors qu’avec Instabile Materie on est en dans le registre de la méditation. Le film propose une investigation sur des images de paysages inconnus, qui donnent cours à la production d’images mentales. Il met en place des techniques d’exposition, de fluctuations et de permutations de plans afin de les explorer le plus intensément selon les plans ou selon leurs chromatismes, comme le fait à sa manière Stan Brakhage avec le cendrier en verre de The Text of Light (1974)(16) ou bien comme le fera Fred Worden dans One (1998)(17). Ces deux derniers films travaillent l’énergie et les paysages que produit la lumière selon une imagerie dite abstraite. Instabile Materie manifeste l’Alchimie dont parle le cinéaste Nathaniel Dorsky, lorsqu’il évoque sa production dans le champ cinématographique: « pour que l’alchimie s’accomplisse dans un film, il faut que la forme induise l’expression de sa propre matérialité, et cette matérialité doit être en accord avec son sujet » (18).

 instabile-materei_02

Instabile Materie est un film qui répond à une bourse de la ville de Hambourg. L’obtention de la bourse entraînait que le travail ait un lien d’une manière ou d’une autre avec le centre de recherche DESY (19). Ce laboratoire est spécialisé dans l’étude de la matière et plus particulièrement dans l’étude des particules élémentaires, il est doté d’un accélérateur de particules. La première version (1995) du film de Jürgen Reble comprenait des intertitres qui ouvraient chacune des huit partie du film. Ces intertitres se référaient à des particules élémentaires qui sont l’objet des recherches du DESY (20). Quelques années plus tard Jürgen Reble a retiré ces intertitres, dans la mesure ou la manière dont le film s’intéresse à la matière et à la lumière n’a rien à voir avec celle que pourrait avoir un physicien de la matière.

Une part du film orignal montrait le site du laboratoire à Hambourg ainsi que les chercheurs expliquant leur démarche à partir de modèles et de théories mathématiques. L’accélérateur permet de faire entrer en collision les particules en sorte que l’on peut tenter de voir à la fois l’événement qui se produit et ce qu’il déclenche. Le rapport entre la matière et l’antimatière est source d’énergie à travers les déflagrations ; c’est à partir de l’analyse du comportement de ces particules que s’élabore la théorie du big-bang qui préside à l’apparition de l’univers.

Instabile Materie est la réponse du cinéaste à ces préoccupations relatives à la matière vivante. Comme dans beaucoup des films précédents de Jürgen Reble, il utilise de nombreux documents : films documentaires sur les peuples d’Afrique, films scientifiques, extraits de long-métrages… Tous ces métrages de films sont littéralement ensevelis sous des couches de produit chimiques. C’est ce matériau filmé, transformé par des couches de produits chimiques, qui devient la source visuelle du film. À ce stade, les rubans sélectionnés subissent une mutation radicale, et vont donner naissance à des conglomérats, des particules d’images qui sont retravaillées par le cinéaste selon différentes stratégies qui vont du virage, à l’abrasion de couches chimiques et émulsives, à la rephotographie et manipulation chimique secondaire. La palette du cinéaste est vaste, la connaissance qu’il a du matériau et des réactions potentielles des émulsions en relation aux traitements chimiques est essentielle. Elle confère à ses projets une grande intensité, pour ne pas parler d’efficacité, que l’on retrouve dans les grattages et rayures (21) qui viennent parfois strier les sédiments chimiques, créant une chorégraphie de lumière auréolant une forme organique, ce sont des incisions incandescentes dans la profondeur des couleurs dominantes de l’émulsion.

Ce film propose, met en évidence les processus de matérialisation et de désintégration ou de dissolution de la matière, à partir de la matière même du support. L’ambition du film n’est donc pas de traiter tant des particules élémentaires que de produire un équivalent visuel à cet événement qu’est l’apparition de l’univers ou d’un univers. C’est ici que la démarche de Jürgen Reble rejoint celle de Stan Brakhage lorsqu’il tente à travers ces films autant que dans ces textes, de donner à voir à l’écran une vision qui serait celle d’avant les réglages et les codages. Une vision qui ne s’articule pas sur la reconnaissance mais une vision qui accepterait tous les événements visuelles comme faisant partie de son champ d’application et de traitement. Jürgen Reble partage cet intérêt pour la déstabilisation de la perception visuelle, lorsqu’il devient difficile de gérer, d’ordonner les champs perceptifs visuels (22). Lorsqu’on atteint des seuils perceptifs dans lesquels il est impossible de déterminer la provenance ou la nature des formes et mouvements que l’on perçoit à l’écran, on entre dans un espace d’instabilité qui est exactement l’objet investit par le film. C’est à partir du moment où l’on ne peut plus assigner aux mouvements, à l’image un lieu spécifique que cette dernière se donne à voir comme inédite, dès lors seront privilégiés des mouvements suspendus, les flous ainsi que l’impossibilité d’assigner aux éléments de figurations qui surgissent une quelconque relation de cause à effet quant à leur irruption, en dehors de la puissance de l’énergie. Nous naviguons dans d’autres espaces, nous les parcourons visuellement, mais ils sont avant tout des espaces mentaux.

Les huit parties qui composent le film ne proposent pas de réel développement. Elles ont toutes une durée similaire et sont séparées les unes des autres par un fondu au noir et pause silencieuse. Dans Instabile Materie, il n’y a ni évolution ni transformation qui répondrait à une forme de composition pré-établie. Chaque partie correspond à un traitement chimique spécifique (oxydation, virage…) qui induit des motifs, des cristallisations particulières. On remarque cependant que l’apparition de certaines formes reconnaissables : véritables mirages qui se mirant à travers les couches de sel, tel Saturne et ses anneaux, une meule tournoyant dans un décor de pierre, un enfant devant un feu de cheminée, nous invitent penser que nous parcourons le cycle d’un système de complexité biologique. De la proto-forme en tant que masse d’énergie non formatée (23), aux multiples cristallisations, puis à des organisations de plus en plus complexes jusqu’à l’espèce humaine. Mais on ne saurait réduire le film à une interprétation de la théorie de l’évolution, dans la mesure ou le film travaille les matières des surfaces émulsives, qui autorisent parfois le surgissement de traces des empreintes antérieures. Ce que nous identifions résulte d’un processus de décomposition qui ne nous en fait appréhender que des restes. Entre ces restes par forcément identifiables nous établissons des connexions avec des images plus anciennes que nous avons en mémoire et par là même nous les interprétons.

La plupart des bandes originales ont été blanchies au moyen d’acide chlorhydrique, ou par une quelconque solution de blanchiment. Les objets reconnaissables sont avant tout, comme des points de focalisation qui distribuent le regard, qui ramassent ou dissolvent la matière selon des formes évanescentes. Ainsi par exemples deux formes allongées selon une double rotation concentrent une masse granulaire en leurs pourtours et façonnent d’une spirale (24) un ouroboros. Cette figure récurrente dans la seconde partie du film se mêle parfois à une forme circulaire qui selon l’accumulation de grains, selon les irisations peut-être tour à tour une planète, ou le signe chinois de la complémentarité, ou bien encore un œil. Les masses colorées en mouvement ne sont pas limitées à une attribution, elles fluctuent, elles sont toujours en devenir. Le film joue de et avec cette instabilité, laquelle renvoie à la nature même du support utilisé : le support argentique. Le film travaille avec les détériorations (25), (ici voulu) avec l’ablation du substrat photographique, avec les retraits et les dissolutions souvent augmentées par la réticulation des émulsions et qui font de celles-ci des éléments non projetables. Jürgen Reble accélère les processus d’évolutions naturels du film, en ce sens il maîtrise les éléments autant que le temps de cette mutation.

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Nous sommes confrontés à des paysages qui sont soit invisibles, inaccessibles ou incommensurables. Ils sont ancrés dans un sol minéral porté par la musique. Cette dernière fait appel en totalité à des sons issus de matière minérale : pierre roulant sur un sol dur, sable s’écoulant et terre. Par le son, l’immersion est accentuée et ce d’autant plus que les sons recourent en la juxtaposition et le croisement d’objets en rotation ou en expansion. L’instabilité de la bande-son répond à cette instabilité visuelle. Afin de renforcer ce climat, comme le dit Thomas Köner : « I did not write in the sometimes noise-elegiac style that I do when working for the classic narrative silent film, but I kept the balance instable, like between major and minor. And I developed rather long themes to distract from the possible impression of seeing the images as a series of slide, to give it a larger space.(26) »

Le film déploie de fait une quête, non pas tant pour trouver la signification de l’existence, mais il représente une tentative afin de comprendre et d’exposer, ce qui désigne à la fois la monstration et l’enregistrement. Le visionnement du film requiert à la fois une attention et un détachement afin d’être dans disponibilité totale proche de l’immersion. La bande-son est un élément essentiel dans cette perception immersive, car c’est elle qui agissant comme un contrepoint juxtapose des tensions aux variations rythmiques des images,  dans les accélérations ou dans les ralentissements de l’enchaînement de blocs de photogrammes. Les différentes couches sonores constituant la bande-son se superposant les unes aux autres en laissent apparaître au premier plan comme le fait l’image, des éléments qui attirent notre attention alors que le reste du son se meut plus lentement. La juxtaposition de ces rythmes et de ces éléments fait constamment osciller notre écoute qui passe du général au particulier comme le font les masses cristallines ou les enveloppes organiques de l’image. Cette ambivalence détermine notre expérience du film. Les formes ovales dominent parfois et s’opposent aux surfaces cristallines, qui peuvent a leurs tours se transformer en comètes granulaires. Les surfaces cristallines sont des surfaces qui n’ont pas de profondeur ; pures surfaces réfléchissantes elles annihilent tous effets de volumes et par conséquent tout mimétisme photographique. Elles sont le big-bang cinématographique.

Dans Instabile Materie, la difficulté ne réside pas tant dans les déplacements, le transport que dans la clôture du film. Comment revenir à une expérience qui refermerait ce moment en dehors du temps. À la différence de James Whitney qui recourt à des motifs de mandala afin d’organiser la structure de ses films, ou Jordan Belson qui propose une expérience visuelle souvent induite par la structure musicale, Reble ne propose pas de suivre un chemin aussi défini, dans la mesure ou les films, et Instabile Materie plus qu’aucun autre, dépendent des effets des solutions appliquées au matériau. Dès lors l’expérience du film dépend grandement de notre investissement et des rapports que nous produisons à la réception de ce flux d’images et de sons. Instabile Materie met en crise l’expérience narrative du film au profit d’une immersion qui s’apparente à celle qui se manifeste dans les films flickers sans les effets stroboscopiques. Nous sommes en présence de bourdonnements visuels qui nous plongent dans un autre univers, nous ne sommes pas assaillis mais portés par le film. Le film explore un transport particulier, dans lequel la représentation des séquences tient un rôle particulier puisqu’elle manifestent écarts aiguisant du même coup notre regard afin de capter les moindres variations de matières…

Dès lors, on comprend comment ce film, ouvre de nouveaux espaces pour le cinéaste. Si le moteur du film relève d’une forme de contemplation, la question du support de cette contemplation resurgit. Une telle expérience dans sa fragilité même ne nécessite peut-être plus l’écran comme interface? Ne peut-on alors imaginer, quelque chose de moins défini, proche en cela de ce que nous propose le cinéaste à travers ces paysages de matières? Quelque chose de moins stable, en suspension, vaporeux, auquel il recourt dans ses dernières performances de Quasar (2007), à partir de fumigène créant un espace flou propice à quelques éphémères apparitions lumineuses, de molécule ou galaxie en formation.

yann beauvais

1) Voir Jürgen Reble, Les champs de perception in Scratch Book 1983-1998, p 336, sous la direction de yann beauvais & Jean Damien Collin, Light Cone, Paris 1998

2) Il s’agissait d’un collectif composé de Jochen Limpet, Jürgen Reble et Jochen Mueller, actif entre 1978 et 89, et basé à Bonn, mais c’est à partir de 1983 que le groupe a travaillé avec les effets de décomposition bactériologique et les transformations chimiques.

3) Voir le numéro spécial de The Independent Eye 11, #2/3 coordonné par Mike Hoolboom, Toronto, Spring 1990 et Der Deutsche Experimentalfilm der 80er Jahre, Goethe Institut München 1990

‘) La piste optique des films 16mm n’est pas d’une grande qualité en monophonie, à moins d’utiliser du 16mm magnétique, qui était moins usité en dehors de l’Europe.

5) Pour Jan Schalcher dans Live Audiovisual Performance as a Cinema Practice: « Le concept de live cinéma à ses origines en musique autant que dans le film et s’est développé ou a transférer des techniques de composition à un autre niveau que celui du montage. » in The Cinematic Experience ed by Boris Debackere & Arie Altena, Sonic Acts Press, Amsterdam 2008. Fred Worden décrivant une performance de cinéma de Ken Jacobs a recouru à ce terme en 1993, dansKen Jacobs’ Chronometer, in Cinematograph Sentience, A Journal of Film and Media Art, San Francisco 1993

6) Stadt in Flammen (1984) en est l’archétype. Un film de série B réduit en super 8 subit des décompositions bactériennes qui ont attaqué les trois couches d’émulsion les mélangeant selon d’autres configurations.

7) Voir Malcolm LeGrice : Abstract Film and Beyond, Studio Vista, MIT Press 1977, et Experimental Cinema in the DigitaAge, bfi, publishing, Londres 2003. Peter Gidal : Structural Film Anthology, bfi, publishing, Londres 1978,Materialist Film, Routledge, Londres 1989

8) Jürgen Reble : Dans les champs de perception, in Scratch Book, opt cité

9) Oskar Fischinger : Ce que j’ai à dire est inscrit dans mon travail in Musique Film p 48-50 ed yann beauvais & Deke Dusinberre, Scratch Cinémathèque Française Paris 1986, originalement publié in Art in Cinema catalogue, San Francisco Museum of Art, 1947.

10) Pour une analyse de la démarche de James Whitney, voir Enlightenment de William Moritz in First Light p 63-69 ed Robert Haller, Anthology Film Archives, New York, 1998

11) “Imaginons un œil qui ne sait rien des lois de la perspectives inventées par l’homme, un œil qui ignore la recomposition logique, un œil qui ne correspond à rien de bien défini, mais qui doit découvrir chaque objet rencontré dans la vie à travers une aventure perceptive”, Stan Brakhage, Métaphores et vision, centre Georges Pompidou, Paris 1998, ed originale Metaphors on vision, Film Culture, New York 1963

12) Le Nervous System de Ken Jacobs est un mode de projection qui fait appel à deux projecteurs d’analyse modifiés par des obturateurs externes et montrant le même film. Le cinéaste joue avec les retards et avancés ce qui modifie progressivement notre perception de la représentation. Le travail explore les potentialités 3D inhérentes à de brèves séquences de films d’archives, faisant surgir des paysages, des volumes dont on ne pouvait pas imaginer l’existence.

13) Voir Jürgen Reble : Chemistry and the Alchemy of Colour, in Millennium Film Journal n° 30/31, p13-19, Deutschland / Interviews, New York, Fall 1997

14) Pour une discussion de ce film voir Scott MacDonald A Critical Cinema 5, Interviews with Independent Filmmakers, University of California Press, Berkeley 2006

15) Steven Ball dans Spinning Straw Into Gold: Four Works by Jürgen Reble in the New Medium of Film, qualifie la forme de Goldene Tor comme “myopic mythopoeia.” 2004

16) Pour une discussion de ce film voir The Seen, in Stan Brakhage : Scrapbook, Collected Writings, p 203-216 Documentex, New York 1982

17) Ce film consiste en l’exploration d’une seule image : « Lumière et non-lumière ; presque la même chose que le noir et blanc, mais plus archaïque et fondamentale (dès qu’il cela devient du « noir et blanc » cela devient symbolique) » Fred Worden Notes for the film One, 1998

18) Devotional Cinema, Tuumba Press, Berkeley 2003

19) www.desy.de

20) Je dois ces informations à Jürgen Reble lors d’un échange mail en avril 2008

21) Le grattage de l’émulsion permet de réaliser des films sans caméra, Len Lye et Norman MacLaren furent parmi les pionniers de ces techniques. Les cinéastes qui font eux-mêmes le développement et le tirage de leur copie les ont incorporés comme un élément parmi d’autres. De nombreuses performances, comme celles de Schmelzdahin, puis de Jürgen Reble recourent à ces inscriptions en direct sur le ruban : Alchemy est exemplaire à cet égard.

22) Voir Zwischen Resten von Bildern de Jürgen Reble, in Reste Umgang mit einem Randphänomen de Andreas Becker, Saskia Reither, Christian Spies, Transcript Verlag 2005

23) Cette question de l’énergie a été centrale pour deux cinéastes Stan Brakhage, voir Metafors on Vision, trad. française, opt citée, et Len Lye: From the Art That Moves,(1964) in Figures of Motion, Len Lye Selected Writings, Auckland University Press 1984, trad française in Len Lye, L’art en mouvement, ed Centre Georges Pompidou, Paris 2000.

24) Cette forme de spirale en rotation avait déjà été utilisée dans Passion

25) On se souvient que Peter Delpeut et Bill Morrison ont tous deux travaillé à partir d’un corpus de films d’archives en décomposition. Peter Delpeut Lyrisch Nitraat (1990) et Bill Morrison avec Decasia (2002).

26) Le 26 avril 2008 Thomas Köner en réponse à une question que je lui avais posée : « je ne composais pas dans le style élégiaque à partir de bruits que j’utilise pour les films narratifs du cinéma silencieux, mais je tenais instable la balance, par exemple entre le majeur et le mineur. Je développais des thèmes relativement longs afin de nous écarter de l’impression de voir des images d’un diaporama, afin de créer un espace plus large. »


 

Künftige Filme / Films à venir (Fr)

in Notation Kalkül und Form in den Künsten
herausgegeben von Hubertus von Aelunxen, Dieter Appelt und Peter Weibel, in Zusammernabeit mit Angela Lammert Akademie der Künste, Berlin, ZKM Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe, 2008

Traduction française : Films à venir

Comment inscrire une pratique cinématographique lorsqu’elle s’affirme en dehors d’une trame narrative? Telle est une des questions qui se pose aux artistes et cinéastes expérimentaux.  Le cinéma de divertissement s’élabore selon des modalités d’écriture qui participe du phénomène littéraire.  L’avant-garde des années 20 ne s’y était pas trompée, qui revendiquait pour ce nouvel art qu’était encore le cinéma, une émancipation de ce champ discursif au profit d’une autonomie revendiquée en tant que cinéma intégral, pur…

Pour ces artistes, l’usage du cinéma nécessitait la production d’outils conceptuels et de systèmes de notations spécifiques, et qui et ne sont plus la simple reprise des formes utilisées par d’autres supports.

En quoi consiste la notation en cinéma ?

La notation en cinéma présuppose le façonnage d’outils qui permettent d’appréhender le film avant et après sa réalisation; comme l’est une partition pour un musicien, pour un danseur, ou un script pour un informaticien.  C’est à partir de la pensée de la partition que se comprennent les systèmes de notations produits par les cinéastes expérimentaux et les artistes et ce, depuis les années 20.  Ces méthodes de notations, à la différence de la musique classique font appel à une grande variété de systèmes et de codes, qui, dans les années 20, résultent d’une analyse du modèle musical et de son rabattement dans le champ cinématographique. Si l’on pense le cinéma en dehors du narratif, on questionne les constituants du cinéma lui-même: la lumière, le ruban, les photogrammes autant que les conditions de la projection. L’intermittence qui est au cœur du dispositif de capture et de projection y tient un rôle prépondérant. Pour reprendre les termes d’Hans Richter le cinéma se comprend alors comme articulation du temps. Les cinéastes procèdent à une tabula rasa afin de constituer une nouvelle vision, au moyen de représentations inouïes, jusqu’alors inconnues. La discursivité écartée au profit de la spécificité visuelle de la matière filmique incorpore la piste sonore et accompagne ainsi, la production de sons synthétiques dans les années 30.  Ces choix induisent deux attitudes quant à la réalisation d’un film. D’un côté, l’abandon de la narration promeut l’improvisation qui explore les potentialités photographiques du mouvement, et affirme les potentialités du médium lors du tournage, en s’écartant par exemple de la forme – tableau, de l’autre, il s’appuie sur le façonnage de systèmes de relations selon le rythme, la mélodie, la vitesse et les durées à l’enregistrement ou à  la restitution. Dans tous les cas, nombreux sont les emprunts au musical et à l’abstraction picturale.

Si pour Léger, l’ennemi c’est le scénario, pour d’autres artistes, l’élaboration d’un nouveau langage s’effectue selon la production de formes de notations qui marquent la spécificité des éléments à l’œuvre dans le film. Comment inscrire le déplacement de formes selon les mouvements, les rythmes, les déplacements à l’intérieur du cadre? Comment inscrire leurs durées ?  Comment  figurer les enchaînements abruptes où fluides qu’autorise le montage cinématographique?   Chaque cinéaste façonne, selon les codes qui lui sont propres, des partitions qui promeuvent dans la séquence, le développement d’un mouvement d’un objet, ou d’un ensemble de formes selon des paramètres qui convoquent l’idée d’orchestration.

Ces écritures de partition potentielle (relevé) ont été crée en premier lieu par Vikking Eggeling et Hans Richter. La partition permet d’établir graphiquement le développement d’une forme, la transformation d’un motif, l’ornementation d’une ligne mélodique, en un mot elle signe un flux à travers une transcription graphique de ses enchaînements. Envisagée de cette manière la partition n’est pas tant la reproduction par anticipation de ce que sera le film, qu’elle affirme, avant tout des virtualités. La partition est une carte des possibles. Elle ne préfigure pas la reproduction à l’identique, elle désigne, au contraire, un champ du probable à partir desquels une actualisation est possible.  Chez les cinéastes de la première avant-garde l’inscription du dynamisme, le mouvement, et la transformation spatiale et temporelle des objets s’effectuent au moyen de croquis relevant du programme. Ces partitions qui sont bien souvent des notations mettent l’accent sur les transformations et les permutations autant que sur la fréquence et la dynamique dans lesquelles s’effectuent ils se manifestent. La partition est un réservoir de potentialité. Elle permet d’actualiser, ou de figer par la réalisation un chemin qu’elle indiquait.  La production séquentielle induit un principe d’économie dans l’élaboration de son développement, et préfigure les traitements d’animation numérique dans la logique de sa programmation. Elle annonce le recours au travail image par image comme le feront à la fin des années 50, Gil Wolman, Peter Kubelka et leurs films à clignotements, puis dans les années 60 et 70 Kurt Kren, Paul Sharits, ou Victor Grauer. Ces cinéastes organisent les photogrammes selon des progressions géométriques ou les structurent selon des mandalas avant que la sérialisation ne s’impose comme règle de répartition et donc de distribution des grappes de photogrammes sur le ruban.  C’est en ce sens que la sérialisation convoque la partition, elle en est le script.

Ce travail quant à la notation et la production de partition est essentiel car il permet de visualiser, par projection sur papier, le comportement des objets choisis, au sein du dispositif cinématographique. La manière dont Kurt Kranz aborde la question de la partition est distincte de celles de Ludwig Hirschfeld-Mack. Ce dernier est concerné par la production d’une synesthésie dont l’exécution sera la plus conforme à la partition de sa sonatine en trois mouvements. La partition se déploie visuellement en fonction des rythmes colorés et des accords, tout comme elle inscrit les différentes phases des lignes mélodiques dans les rouleaux de Vikking Eggeling et Hans Richter. La synesthésie sous-tend la production de la plupart de ces partitions. Elle est au cœur de la série des Studie d’Oskar Fishinger. Chez Kurt Kranz ou Werner Graeff c’est la représentation du développement de formes dans le temps qui privilégient une représentation continue de l’évolution des objets selon une progression géométrique. D’autres cinéastes envisageront de recourir à  des formes plus ouvertes, en s’éloignant du paradigme mathématique au profit d’une dimension plus poétique.

La représentation de la succession des séquences obéit à une progression géométrique ou  s’effectue selon des variations libres, étant entendu que le nombre d’éléments de la séquence  ait été défini  préalablement.

À chaque cinéaste correspond un système de notation qui s’illustre dans une partition, un diagramme, un mode d’emploi, on est dans un arbitraire total. Pour les cinéastes, la difficulté principale réside dans la représentation de tous les paramètres en jeu dans un film et dans leur prolifération avec les installations selon des schémas lisibles. Si la question de la représentation du rythme et de la vitesse est importante, elle n’est pas la seule à générer des configurations graphiques particulières. Les mélanges optiques colorés, provoqués par l’alternance de photogrammes induisent des effets de volume ou de profondeur et de couleur, qui ne sont éprouvés qu’au visionnement. Une partition spécifique en rend compte au moyen d’un code distinct qui se superpose aux autres systèmes de notation où s’en distingue radicalement dans une autre partition. Cette option est celle que choisit Paul Sharits. Les Frames Studies  de Paul Sharits[1] sont des études préparatoires montrant les effets potentiels des fondus chromatiques occasionnés par les « flicker-films»

study for score sharits Frozen Film Frames Study Declarative Mode II

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study for score sharitsSelon l’époque, certains usages dominent. Dans les années 20 la référence au musical distribue majoritairement les propositions des artistes et des cinéastes, alors que dans les années 60, les schémas ou les diagrammes sont les propositions les plus fréquemment utilisées et ce par l’amplitude de l’ouverture qu’ils autorisent.

La partition musicale est érigée en modèle d’écriture du film, il s’agit d’une transposition du référent au profit d’un territoire qui n’a pas produit les outils inhérents de sa pratique. Ce rapprochement est d’autant plus flagrant lors de l’avènement du sonore, qu’il interroge la représentation de  l’articulation,  la synchronisation des événements sonores et visuels. Ces partitions sont-elles pour autant des story-board?, dont dépassement prendrait en compte la spécificité des éléments travaillés par les cinéastes. Les dessins ou les diagrammes utilisés empruntent ou suivent des typologies musicales, comme les portées. (Oskar Fischinger : Diagramm zur Synchronisation von Ton und Bild, 1931; Ludwig Hirschfeld-Mack : Dreiteilige Farbensonatine (Ultramarin-grün), 1924). En outre la partition ne se cantonne plus au seul relevé du développement de la pièce, elle représente des processus exploités par le cinéaste à partir desquels tout où partie du film est réalisé. Lorsqu’il signale l’articulation d’évènements audio-visuels, le système de notation se raffine; afin d’en facilité la réalisation, on indique par exemple la périodicité, des cellules rythmiques sont isolées, les chevauchements, les renversements, inversions sont soulignés. Les codes choisis sont multiples, ils répondent à l’usage des  cinéastes. On ne schématise pas de la même manière un film qui fait appel à des mouvements d’appareils et des plans séquences qu’un film de clignotement ou de  refilmages, comme Berlin Horse (1970) de Malcolm LeGrice. Dans un cas, la forme générique du déplacement est tracée alors que pour les autres c’est l’ensemble des combinaisons et leurs variations qui est reporté.  Les films métriques de Peter Kubelka sont de véritables partitions qui peuvent être refaites à tout moment[2]. De fait, seul Arnulf Rainer permet cette recréation dans la mesure où il ne fait pas appel à des images enregistrées mais à quatre éléments : le photogramme noir ou blanc, et le bruit blanc et l’absence de bruit.  Ces films ont une existence duelle, ils sont à la fois le ruban de pellicule projeté et la partition.  Dans quelques cas, le film devient un tableau accroché au mur pour Peter Kubelka ou un Frozen Film Frame  pour Paul Sharits. En regardant le tableau de pellicule on voit dans l’espace ce qui s’appréhende dans le temps. La lecture du film comme partition s’effectue horizontalement chez Peter Kubelka, et verticalement pour Paul Sharits. Le Frozen film Frame élargi notre compréhension du cinéma en nous donnant à voir le film dans son intégralité sans l’éprouvé temporel. (Illustration) On peut dire que l’on est en présence de la carte du film.  L’usage du Frozen Film Frame préfigure chez Paul Sharits son travail avec les multi écran et les installations à travers les nombreuses esquisses qu’ils en réalisent.

On doit cependant distinguer deux types de notations. L’une qui est antérieure à la production du film, qui la conditionne, et l’autre qui lui est ultérieur, plus proche du relevé. Par exemple, les partitions de Landscape for Fire d’Anthony McCall présentent des diagrammes condensant les actions à accomplir dans un espace et sont souvent divisées en plusieurs motifs synthétiques. On appréhende d’un coup la simultanéité des actions alors que le film nous montrera la succession de leur déroulement et ce quand bien même, le cinéaste fait du document, au montage, un véritable film et non pas, l’enregistrement d’une performance[3]. Ces partitions sont conçues au même moment que les dessins, véritable plan pour les films / performances de lumière solide[4]. Elles sont des empreintes à venir, une simulation, comme le sont à leur manière les diagrammes d’Yvonne Rainer pour Walk, She Said.

Landscape for Fire nv

Dans les années 60 et 70 les cinéastes expérimentaux ont recourt à la notation afin de dresser de véritables chartes, qui par leurs graphismes montrent les processus déployés dans chaque film en condensant les mouvements et les tensions à l’œuvre.  Les partitions de Kurt Kren (6/64 Mama und Papa, 12/66 Cosinus Alpha) ou Taka IImura (Time, 1, 2, 3 1972), participent de type de  représentation. Elles permettent de comprendre la proposition d’un coup, tout en sachant que rien ne remplacera l’expérience même de la durée de la projection. Le cinéma structurel dans toutes ses formes recourt à la notation afin d’explorer la combinaison des permutations d’éléments. C’est l’art de la combinatoire appliqué au cinéma qui prolonge ainsi une approche processuelle du médium. Pour Paul Sharits, la production de partition selon des point colorés ou des lignes, façonne l’analyse, à partir des constituants du dispositif tel le clignotement (travail du photogramme, pour lequel un rond de couleur correspond à un photogramme), la vitesse de défilement du ruban refilmé, (ligne colorée alternée). Une étude comme  Frozen Film Frame Study  Declarative Mode II, peut devenir un film ou une installation;  ou bien le dessin est la marque d’une virtualité  Study for Declarative Mode II 1976. D’un côté on fait face à la trace de la pulsation chromatique, (lecture verticale) de l’autre on est face à un report de l’esquisse de lignes mélodiques (lecture horizontale) que seule la projection accomplira, qu’il s’agisse d’un mono écran ou d’un multi écran. La multi projection et l’installation distillent la question de la spatialisation de l’image projetée en modifiant les schémas de représentation à partir de boucles.

La difficulté réside toujours dans l’isolement, la sélection des éléments et des processus cinématographiques les plus pertinents. Que s’agit-il de mettre en avant au moyen de cette notation?  Montrer la forme générale comme les schémas de Pirâmidas 1972-1984 ou Water Pulu 1869/1896,  de Ladislav Galeta ? Mettre l’accent sur des moments clefs, véritables nœuds de transformations dans la configuration de la proposition (voir les diagrammes de Five Abstract Film Exercises des frères Whitney) ou bien encore révéler quelques particularismes qui sont difficilement analysables, mais perceptibles lors de la projection (Moment 1972 de Bill Brand).

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La notation est-elle ce qui permet de faire l’économie d’un texte explicatif? N’est-elle pas chez Paul Sharits ce qui le conduit à explorer le film en tant qu’objet en montrant à côté de l’installation diverses phases de développement d’une proposition?  D’un détail, telle une étude, au Frozen Film Frame, en passant par des schémas et dessins relatifs au projet ; dans tous les cas, la prédominance du film en tant que moment unique de la projection en salle est abolie. Le film devient à travers ses notations, comme on le pressent chez Peter Kubelka, mais pour des raisons diamétralement opposé, un objet pluriel, dont la projection n’épuise pas le devenir.

Lorsque la partition se réfère à une exécution live du film, c’est à dire à une performance, elle répond à d’autres critères et peut s’apparenter à une déclaration d’intention ; ou bien à un programme, un code[5] et plus encore à un canevas à partir duquel s’effectue une improvisation, dans ce cas elle partage des principes avec les systèmes de notations chorégraphiques et scénographique. En ce sens elle est la marque qui impulse l’enregistrement ou qui modifie les conditions de l’enregistré selon des paramètres spécifiques de la projection, polyptique, intervenants externes, son direct, les instructions données par Maurice Lemaitre pour Le film est déjà commencé ? (1951)[6], ou Ken Jacobs avec Blonde Cobra (1959-63)[7]  sont exemplaires…  Le mode descriptif est privilégié pour synthétiser une installation en gelant graphiquement un moment dans le déroulement de l’action. Angles of Incident 1973 de William Raban, Third Film Feedback 1974 de Tony Conrad en sont des exemples historiques. De son côté Wind Vane 1973, de Cris Welsby, recourt à un graphisme expliquant le dispositif de capture des images par deux  caméras, mais ce dispositif est assujetti à l’aléatoire de la force et de la direction du vent ; c’est en prenant en compte l’aléatoire que procèdent les installations de Jurgen Reble telle Das Galaktishe Zentrum 1993. La notation est un canevas.

Les notations utilisées par les cinéastes expérimentaux fixent la charpente d’une proposition, elles s’effectuent selon des répertoires mis au point par chaque cinéastes. Elles permettent une analyse de l’œuvre et c’est ce qui explique qu’elles sont parfois reportées une fois le film réalisé. Elles sont potentiellement interprétables par d’autres cinéastes, mais les « remake » ont été jusqu’alors peu nombreux dans cet espace du cinéma. Lorsqu’elles sont utilisées comme script, ou mode d’emploi d’une performance elles confèrent une autonomie interprétative et partagent alors avec la musique électroacoustique, cette capacité qu’à l’interprète de s’affranchir du texte qui n’est plus un texte sacré. Ces notations sont les instructions d’un film à venir[8].

yann beauvais


[1] Voir : Je me sens libre (1976) I Feel Free (1976), in Paul Sharits, ed yann beauvais, les presses du réel, Dijon 2008

[2] Voir Peter Kubelka : La théorie du cinéma métrique (1978), in Peter Kubelka Paris Expérimental, Paris 1990, in Peter Kubelka,  herausgegeben von Gabriel Jutz und Peter Tscherkassky, PVS Verleger, Wien 1995

[3] Voir Entretien avec Olivier Michelon, in Anthony McCall : Elements pour une Rétrospective 1972-79-2003, Monografik Editions, 2008

[4] Expression d’Anthony McCall, Line Describing a Cone and Related Films, in October n°103, MIT Press, winter 2003

[5] Voir John H.Whiney : Digital Harmony , On the Complementarity of Music and Visual Art, le chapitre Do It Yourself, p129- 137, Byte Books, A McGraw-Hill Publication, Petersbourg, 1980

[6] Le film est déjà commencé ? séance de cinéma de Maurice Lemaitre, André Bonne Paris 1952

[7] Voir les instructions données lors de la location du film dans l’utilisation d’une radio lors de la projection du film.

[8] L’été 2007, n.o.w.here a initié un projet Instructions For Films en demandant à une quarantaine d’artistes d’envoyer un projet de films. Le résultat fut exposé lors de Zoo Art Fair du 12 au 15 octobre 2007, accompagén d’une publication .

La vidéo selon Edson Barrus (Fr)

in Revue&Corrigée n° 77 septembre 2008 et Revue&Corrigée n° 78, décembre 2008

La vidéo selon Edson Barrus

C’est en conversant avec Edson Barrus que je réalisais qu’il avait commencé à faire des vidéos à la suite de la présentation de l’exposition  Arte Cinema, dont j’avais été un des commissaires. Cette exposition proposait un panorama du cinéma expérimental et des films d’artistes américains et européens des années 60 et 70 en les mettant en rapport avec la pratique des plasticiens brésiliens qui au début des années 70 ont fait des films qui interrogeaient le cinéma en en faisant une pratique qui privilégiait plus l’action réalisée pour le film qu’ils ne s’intéressaient à travailler le matériau-cinéma comme le faisait alors les cinéastes américains et européens.

La possibilité de voir quelques-uns de ces films a facilité la commutation du travail d’Edson Barrus. En effet peu ou pas satisfait des usages et définitions que les pratiques académiques d’une avant-garde artistique qui perpétue la hiérarchie des beaux-arts -quand bien même elles reconnaissent l’existence de nouvelles pratiques-  pour laquelle il n’est d’art en dehors de la peinture et de la sculpture, le cinéma et la vidéo offraient alors une alternative vraiment efficace pour s’en distinguer, même si cela peut sembler au premier abord paradoxale. Cette émancipation du territoire de l’art consacré, qui s’accompagne d’une sanctification du travail d’Hélio Oiticica et de Lygia Clark selon des grilles d’interprétation  qui ont tendances à les « parquer dans certaines catégories »  et  à les cantonner à certaines pratiques permet ainsi, d’esquiver une radicalité et des lectures du contemporain (où devrait-on parler de territoire sacré de l’art ? ). Elle ouvre alors un champ de possibles dont Edson Barrus se saisit en travaillant avec cet outil qui est à portée de main, et dont les coûts  sont relativement modestes.

 

Si les premières bandes et installations apparaissent simples, c’est que sont privilégiés l’enregistrement d’une action. Il s’agit souvent du même geste, répété encore et encore. Les répétitions montrent que ce qui est au cœur du travail n’est pas tant le geste lui-même que le processus, qu’un tel geste déclenche. La répétition façonne notre perception autant qu’elle transforme l’objet sur lequel elle s’exerce. Nous sommes en présence d’une proposition, une performance qui met en scène un processus se déployant dans le temps et dont le filmage rend compte plus ou moins intégralement dans la durée. Le film n’est cependant pas un document de l’action, il informe de l’action en cours. Cela relève du constat. Et c’est parce que cela relève du constat que la conclusion de l’action filmée nous est rarement proposée. Les quelques exceptions sont importantes dans la mesure où elles s’inscrivent alors dans un espace narratif qui sera déjoué en fonction de la mise en espace de la bande.

Au moment où Edson Barrus se lance dans la vidéo, vers 1997-98, rares sont, au Brésil, les œuvres qui privilégient le low tech [1]autant en ce qui concerne l’enregistrement que le montage. La vidéo de création domine le formalisme de quelques propositions ou la sophistication des productions est telle, qu’elles inscrivent la pratique de la vidéo comme art : art vidéo, mais surtout elles s’inscrivent dans une économie qui participe à la fois du cinéma autant que de la télévision[2]. Ces travaux s’écartent ainsi de la singularité de cet outil, par leurs coûts et leur révérence à la division du travail qu’impose le professionnalisme. En effet, le recours à des équipements de masse autorise une réactivité, une immédiateté patente, qui permet à chacun de faire ses propres programmes au moyen de ses images. On entre ici dans un nouvel espace (inhérent à la quotidienneté) qui fait de celui qui montre (play, re-play) un exécutant tout aussi important que celui qui enregistre. L’écart entre l’enregistrement et sa diffusion à l’écran est minimisé. Cet usage bouscule ainsi les habitudes des réflexes professionnels à travers une réintroduction des bandes dans le circuit dont elles émergent. Cette habitude de montrer quasiment dans l’instant l’enregistrer est une des caractéristiques de la structure Rés do Chão, espace de vie expérimental  établi et supervisé par Edson Barrus de 2002 à 2006.[3] Cet usage, cette diffusion quasi immédiate de l’enregistré dans son lieu d’émergence constitue véritablement une expansion du feedback[4], appliqué au lieu comme médium.

L’année 1998 est importante, dans la mesure où elle inscrit la vidéo comme nouvel outil dont s’empare Edson Barrus. Jusqu’alors sa pratique se déployait dans le champ des arts visuels et principalement de la sculpture qui par-delà les objets convoquait autant la performance que l’installation. Une certaine théâtralité s’affirme en regard de la performance (qu’elle soit filmée ou non). De la même manière, la spatialisation  de pièces comme Boca Livre, ou dans les installations du Projet Cão Mulato est essentielle car, elle interroge la place accordée à l’image en mouvement en confrontant les temporalités de l’exposition et de la projection. Cette confrontation sape la domination de l’image en mouvement selon des stratégies d’exposition qui soient, les brouillent par l’adjonction d’objets[5] parasitant l’écran, en un mot les noient, soit les disqualifient en tant que tel. Elles deviennent parties d’un dispositif plus large qui les incorpore. Elles sont alors moments, et éléments de l’installation et non pas l’instrument de celle-ci.

On constate déjà, chez Edson Barrus une distance vis-à-vis de l’image en mouvement, qui s’amplifiera au fil des ans et qui le conduira à privilégier une apparente nonchalance quant à l’image vidéo. Cette inattention souligne que ce qui importe Edson Barrus ; ce n’est pas tant l’image en elle-même que les processus que ces images en mouvements déploient. Ici il n’est guère question de fétichisation de l’image, elle a peu d’importance en tant que telle, ce qui importe c’est ce qu’elle permet de travailler, ce que l’enregistrement met en jeu, autant que le dispositif que la monstration déploie et qui duplique fréquemment l’enregistrement tout en le décalant. Avec le Rosário, la fabrication et l’exécution minutieuses de ces pliages sont masquées par le chapelet déposé sur l’écran de télévision. La régularité de la tâche se comprend au moment où on s’approche de l’écran afin de voir autant l’image que l’objet. La perception de l’objet dévoile du même coup le processus de fabrication de ce Rosario. Le processus qui est quasiment sans fin détermine par conséquent la durée de la présentation qui peut-être variable à l’image du processus de fabrication qui peut se perpétuer.

Toutes les premières vidéos privilégient le plan fixe, parfois : le plan séquence. L’action est cadrée, la reproduction suggère en apparence une adhérence entre la restitution et l’enregistrement. Cependant, les écarts temporels se manifestent dans le son de chaque bande. La continuité est construite par la répétition du même geste, ou de la même action et ce indépendamment de la conformité linéaire de ce même geste ou action. C’est le son de la radio, qui marque les interruptions. Il ouvre un ailleurs.

Cet ailleurs, est essentiel pour la vidéo, qui à la différence du cinéma est d’emblée sonore et synchrone. Ce synchronisme est travaillé par Edson Barrus comme a-synchrone puisqu’il incorpore souvent dans ces premières vidéos un son extérieur à l’image (la radio diffusant un programme musical ou d’information quelconque) qui nous transpose de ce fait dans un autre espace renforcé au fil du temps.  Le montage s’effectue alors dans le mixage du son de l’action (Lavo as mãos, Quem et même Boca Livre ; tous de 1998) avec celui de la radio autant que par les coupes dont on prend conscience selon les conditions spécifiques de présentation des bandes.

Ces premières bandes sont travaillées avec une caméra vhs grand public, par la suite, Edson Barrus utilisera une hi-8 et puis un appareil photo numérique et une mini-dv. Les outils dont l’artiste se sert sont communs, un équipement de masse qui revendique l’importance  du faire sur les privilèges du professionnalisme qu’ils s’agissent de celui de l’industrie audio-visuel ou celui du marché de l’art. Cet usage convoque les pratiques du cinéma expérimental qui se sont appropriées les outils du marché afin d’explorer et  de définir un autre usage du cinéma, un cinéma à la première personne[6]. Un cinéma qui a façonné de nouveaux territoires d’expressions et, qui en s’emparant des outils les moins nobles de l’industrie cinématographique, ceux, destinés au grand public, a su développer un cinéma pour lequel l’expression d’une subjectivité n’a pas à être médiatiser par un personnage, une fiction…  De la même manière dans les années 90 plusieurs artistes américains[7] utiliseront les caméras jouets Fischer Price qui étaient avant tout destinés aux enfants. Ce recyclage des instruments accompagne souvent un recyclage des images. Cette tendance s’est fortement réactualisé dans le cinéma et la vidéo des années 80 et 90. Nous verrons en quoi l’usage qu’en fait Edson Barrus est singulier.

La disponibilité des outils de filmage permet à Edson Barrus de s’éloigner plus encore de la production d’objet d’art. Au moyen du film autant que dans ces dernières, Edson Barrus remet en cause la pérennité de l’œuvre. L’objet qui est souvent le but ultime de la production, est annihilé, une fois l’exposition faite, il n’en reste rien ou quasiment. À cet égard le parangolata (que l’on pourrait qualifier d’instrument musical sous la forme d’un vêtement) et les performances qui en découle,sont importants, car d’une part ils se différencient du parangolé de Hélio Oiticica qui incorpore la samba dans le champ de l’art à travers un  vêtement fait pour danser. Il accompagne la samba, il est plastique, mais n’est pas sonore lui-même. Ce vêtement est d’apparat, on en conserve sa trace, il est aujourd’hui une relique ; de son côté, le parangolata est un instrument sonore qui implique dans son usage, autant une dispersion sonore que physique ; son épuisement. Il relève de la combustion, il se réalise dans l’auto combustion on voit alors le parallèle entre le parangolata et l’ampoule qui s’enflamme, autre objet-performance d’Edson Barrus. Les traces en sont quelques vidéos qui témoignent d’une mise en espace d’un lieu investi par l’artiste autant que par les spectateurs pendant la durée de l’exposition. Chaque présentation est non seulement inhérente au lieu, mais elle est aussi un chantier, où mieux un laboratoire ou s’expérimente le travail à travers une re-élaboration de la proposition. C’est en ce sens qu’il faut alors distinguer ce qui se fait entre Boca Livre et Cão Mulato[8].

L’usage du film, de la vidéo permet d’interroger d’autres zones et lieux des pratiques d’art. En se saisissant de la caméra, Edson Barrus ne cherche pas à se confronter à l’histoire du cinéma (expérimental ou non), ni non plus aux usages qu’en font les plasticiens, il recourt à des outils qui sont devenus communs et qui permettent à chacun de faire des images. Son appropriation est critique. Cette critique ne procède pas d’une analyse marxiste et matérialiste telle que produite par Malcolm LeGrice[9] et Peter Gidal en Angleterre qui ont su très bien démontré en quoi les outils façonnent la représentation et un type de spectacle cinématographique privilégiant la narration la plus éculée. Des approches similaires se retrouveront en Allemagne avec les Hein, ainsi qu’en Pologne à la même époque.  C’est parce qu’ils sont disponibles que ces outils sont essentiels pour Edson Barrus. Mais cela ne leur confère aucune primauté. L’outil à portée de main sera toujours privilégié. La caméra (quelle qu’elle soit) est tenue à la main, jamais de trépied. Elle est prolongement du corps comme elle l’est pour nombres de cinéastes super 8. À la fin 2006, Edson Barrus utilise fréquemment un téléphone portable pour filmer des séquences très courtes, qui sont mises bout à bout avec très peu de montage. Les films comme La choukrane (2007) ou  Surportable II (2007) jouent des écarts entre le pixel et les motifs en mouvement induit par leur transfert sur l’ordinateur.  Il est important de souligner qu’Edson Barrus ne filme pas avec le viseur de la caméra mais en recourrant à l’écran de contrôle. Le contrôle du cadrage est différent, ce n’est plus l’œil qui dirige et façonne l’image mais la main. L’image devient tactile, l’image devient respiration. Lorsqu’il recourt à l’appareil photo numérique qui lui permet de filmer des séquences de trois minutes, alors l’appareil est tenu en avant avec les deux mains afin d’assurer une meilleure stabilité et un plus grand contrôle du cadrage. Cette durée, autonomie de trois minutes (et plus selon l’appareil), s’apparente à  la durée des cartouches de super 8. Un autre trait relie ces deux medium, c’est la définition de l’image, le grain dans un cas les pixels dans l’autre, et qui est encore accentuée avec les portables.  La pauvreté apparente de l’image du super 8, de l’appareil photo numérique (3M de pixels) et du mobile signe les films qui sont pour la plupart fait dans l’instant. Capter sur le vif, dans l’urgence. This is My Heart (2004) n’aurait pu être réalisé autrement qu’au moyen d’un appareil photo numérique, dans le métro de Berlin. Il s’agit d’un film capté à la dérobée, ou le son joue un rôle prépondérant. C’est le son qui nous fait comprendre le cadrage, qui le justifie. Avec ce film que ce n’est pas tant la reproduction d’un événement qui importe pour l’artiste que la capture de ce moment unique qui à chaque projection nous interroge. L’actualité du questionnement de cette femme afro américaine, qui hurle dans le métro face à l’indifférence et au racisme se répète d’une projection à l’autre. Au cri de la femme, exhibant un cœur de verre rouge répond le silence embarrassé des passagers de la rame, tout autant que le nôtre, qui, assistons à la projection. Ce film évoque par sa facture un autre film d’Edson Barrus : Palestine Libre (2004). Dans les deux cas l’absence de montage participe de l’affirmation du tourné monté. Il s’agit de film constitué d’une prise unique comme on le voit dès Rede (2002) puis dans  Avenida Paulista, V,- 2,  (tous de 2004) Volta Completa,(2005) ou même Deus me Louvre (2006). Mais ces films à la différence de This my Heart, Palestine libre, ou Páginavirada (2006) mettent en scène des parcours urbains ou bien encore la quête de la Joconde à travers les méandres du Louvre. Le tourné monté est une pratique à la fois très simple, il suffit d’enregistrer et cet enregistrement est ce qui est projeté. Pas de travail secondaire. Le tourné monté présuppose à la fois une grande maîtrise de la caméra (bien que ce ne soit pas tout le temps nécessaire) autant qu’une modestie par rapport aux conditions de capture inhérente à cette manière d’envisager la pratique cinématographique. Ce n’est pas par hasard que cette manière de filmer a été validée à la fois par les cinéastes structurels (d’un point de vue conceptuel) autant que par les cinéastes qui font des journaux filmés et plus particulièrement ceux qui travaillent avec le super 8 (garant d’authenticité). Le tourné monté impose un cadre de tournage dans lequel le cinéaste va gérer ce qui est filmé. Il peut s’agir de filmer une performance, ou une action conçue pour la caméra (dans le cas de films de plasticiens des années 70) ou bien encore profiter des limites temporelles imposer par le cadre de la cartouche de super 8, ou bien de la durée  de capture de l’appareil photo numérique. Se servir de ces limites afin d’en tirer le meilleur parti ? Profiter de cette limite temporelle (défini par avance ou que l’action captée impose) pour  travailler au plus près de la chose filmée. À cet égard Páginavirada, autant que This is my Heart sont d’une efficacité redoutable. L’action montrée est l’objet du film.

Toute longueur serait superflue et casserait le projet. Ces films créent ainsi une temporalité, une linéarité qui ne dépend que de leurs seuls constituants. Ils permettent ainsi une ouverture vers un ailleurs réflexif, sans aucun souci pédagogique. Leur efficacité réside dans l’économie et la réduction des moyens qui sont à l’œuvre.  C’est ce même principe que l’on retrouve à l’œuvre lors de la déambulation dans le Louvre, à la recherche du nouvel emplacement de La Joconde dans Deus me Louvre.

Indo Pro Bras (2006) nous en propose une version nouvelle puisque c’est à partir d’un ensemble de courtes séquences à l’occasion d’une promenade en voiture dans différents quartiers et zones industrielles de Sao Paulo. De la sortie de chez soi, jusqu’à un restaurant qui marque la fin de cette après-midi d’hiver. Dans ce film, on est à la merci de l’aléa dans la mesure ou rien ne semble déterminer la succession des plans, comme c’était déjà le cas avec Promenade (2006), ou Imersidao (2006) et Mode d’Emploi (2006) qui montre la confection d’un plat dans la cuisine de Keith Sanborn et Peggy Awesh en novembre de cette année 2006.

Nous reviendrons sur l’aspect politique de ces films ainsi que celui de Redes en les rapprochant de la série Documento, sur laquelle Edson Barrus travaille depuis trois ans. On peut d’ailleurs penser que c’est cette série qui a donné naissance à la série : Manifestons!, consultable sur You-tube[10].

Arrêtons nous un moment sur ces travaux qui à la manière de Avenida Paulista, -2, ou V, nous propose des traversées d’espaces. Qu’ils s’agissent de São Paulo, de Paris ou bien même de New York, à chaque fois nous sommes dans une situation qui n’a ni début ni fin, quand bien même nous atteignions le sous-sol de l’institut du monde arabe, ou nous sortions du Holland Tunnel. L’action a déjà commencé, la caméra enregistre un moment de celle-ci sous la forme d’un parcours dans l’avenue da Paulista etc. On est d’emblée dans l’événement, c’est donc le flux du déplacement et les transformations occasionnées qui attirent notre attention et font du film un objet de médiation. Nous repérons les différences, les singularités des toiles de fond auquel nous ne prêtons habituellement qu’une attention distraite. C’est parce que ces fonds : l’avenue d’une ville, un tunnel sont parcourus, que nous commençons à les regarder. Pris comme décor, ils ne seraient qu’un fond sur lequel des personnages évolueraient, alors qu’ici, ils sont à la fois : fond et premier plan. Ils occupent ainsi toute l’épaisseur de la représentation. Ce sont les modifications progressives du paysage de l’avenue, ou la monotonie des clignotements et des réverbérations lumineuses sur les parois du tunnel qui deviennent les motifs sur lesquels nous nous attardons. Ils réalisent par une accumulation virtuelle ce que nous proposent plus directement les films tels que Formigas Urbanas (2002-04), Making Off (2005), ou bien même Rue de Lappe (2005). Ces films invoquent l’idée de la collection à partir d’une sélection de plans de « homeless » portant, tirant, poussant leurs fardeaux  dans Formigas urbanas et ceux des travailleurs qui, quotidiennement, font ou défont dans Making off. Dans ces deux deniers films, les gens qui assurent leur survie d’une manière ou d’une autre en sont les protagonistes. Les deux films ont en commun le lieu de tournage, le balcon de l’appartement qu’occupait Edson Barrus à Rio de Janeiro. Formigas Urbanas renvoie au recyclage des matériaux comme mode de survie. Le film confronte des personnes qui collectent des montagnes de rébus, de ferraille, de papier qui sont revendus au poids. Ces travailleurs, fourmis urbaines ont investi la rue Lavradio dans le centre de Rio où ils y survivent. Leurs territoires est la rue, leurs familles viennent les rejoindre le dimanche. À côté de ces sans abris, d’autres travailleurs, employés de la mairie, éboueurs, balayeurs transportent, tirent et poussent aussi leur outil de travail. Le film est ainsi un concentré d’activité incessante, en majorité d’hommes qui portent leur fardeau, et dont l’outil de travail est à la fois l’instrument de survie tout autant que leur seule possession. Dans ce film, comme dans Making off, et comme c’est le cas avec Rue de Lappe, Edson Barrus nous montre des réalités, souvent occultées..  Loin des clichés souriant qui montrent un Rio de plaisir, ou de violence spectaculaire, on est ici en présence d’une économie de la survie. De même Rue de Lappe, montre la vitrine d’une boutique en travaux, et  qui  au fil des semaines, subit d’importantes transformations afin d’être loué. Les ouvriers font et défont incessamment, entre et sortent constamment de la boutique. Leurs activités évoquent celles à l’œuvre dans Making off, et dont on ne peut savoir à quel point si, l’efficacité importe.  Ces deux films offrent des moments narratifs  Dans un autre film : À travers (2005) le bout de trottoir  en face des fenêtres de l’appartement qu’habitait à ce moment-là, Edson Barrus à Paris[11]. Un sans-abri dort à même le trottoir, il se réveille alors qu’il fait froid et que les passants passent sans presque le remarquer. Il s’est approprié ce bout de trottoir, près de la porte d’entrée rouge d’un immeuble.  Le dernier plan du film (le troisième) nous montre un bout de moquette qui pourrait servir de couverture à cet homme, dont on ne sait s’il est dessous se protégeant du froid ou non. Son irruption bouscule et vient salir le bel ordonnancement policé de la ville quotidiennement nettoyée.

Il ne s’agit pas  d’une apologie de la représentation misérabilisme pas plus d’ailleurs qu’avec Formigas Urbanas, Making off, This is my Heart, mais plutôt une attention particulière du au sentiment d’exclusion, ou plus exactement de non appartenance. Cette disqualification : ne pas faire partie de votre monde, par exemple celui des blancs brésiliens ou de l’Europe occidentale n’explique pas les films, mais elle signale une attitude, une disposition à voir certaines choses. Montrer comment la survie se déploie par et dans le recyclage à Rio, c’est prêter attention à d’autres formes d’existence et de faire.

Making off, enregistre les signes fébriles d’activités. Chacun tout à sa tâche démontre que ce n’est pas tant le résultat qui importe que le faire et défaire. On s’active, un mur s’élève, des fûts de bière sont alignés devant un bar, des porteurs tirent et poussent leurs fardeaux, des hommes refont un toit, tant disque, d’autres s’activent autour d’une bouche d’égout, et que d’autres encore déroulent et enroulent des bâches le long d’immeubles en rénovation, ou sur un toit. Un autre s’essaye à entasser les rebus de ferraille sur une carriole. Son activité n’est pas à proprement parler couronnée de succès, mais elle est constante et s’oppose ainsi à l’apparente efficacité d’autres activités, au demeurant plus performantes.

Les murs sont terminés avant d’avoir commencer à s’élever inversant ainsi la temporalité et malmenant ainsi cette productivité affichée. Ainsi le vieil homme entassant les bouts de métaux incarne-t-il a son insu le mythe de Sisyphe. Certains semblent défaire de jour, ce que, Pénélope faisait la nuit.

Toute cette économie, toute cette efficacité du travail est balayée par l’accumulation même des plans constituant la bande, qui pourrait à l’image de cette productivité magnifiée pourrait être sans fin. Ces corps au travail sont tous masculins, quelques-uns portent l’uniforme de leurs fonctions et inscrivent plus officiellement leur appartenance à la société hiérarchisée, alors que d’autres sont ostensiblement des rouages d’une économie parallèle.

Le film fonctionne à partir d’une série de séquences montées en alternance. Ce montage  n’est pas systématique, l’agencement et la reprise des plans est souple, et répond à une logique qui découle plus de la qualité  des séquences. C’est l’activité dépeinte qui déclenche le montage plus qu’une structure pré-existante. Le film prône ainsi une désorganisation subtile du travail, qui affirme dans son déroulement même ce qu’elle dépeint c’est-à-dire faire et défaire c’est toujours travailler. Le film amplifie ainsi ce que mettait en évidence Formigas Urbanas pour lequel le montage jouait aussi un rôle prépondérant, qu’il ait été fait dans la caméra ou secondairement.

Ces films du travail font appel à un autre caractéristique d’Edson Barrus  qui consiste à privilégier l’observation. Ces films nous plongent dans des univers singuliers. Nous  regardons attentivement ce qui se déroule et ce, quand bien même les légers tremblements d’une caméra tenue à la main. Les films dépeignent les gestes de la quotidienneté ou explorent des aspects de la vie urbaine contemporaine dans ses interstices. Un détail et c’est tout un monde qui se déploie, comme le montre par exemple Produto. On retrouve ces mêmes prédilections thématiques dans Baianagem (2007) qui se déroule à São Paulo sur un segment de l’avenida Paulista. Le film prend littéralement son vol avec la descente de deux travailleurs le long d’une façade d’immeuble, puis se poursuit avec d’autres qui font un exercice en traversant l’avenida Paulista, suspendus dans les airs, avant de suivre une corde descendant pour nous montrer des travailleurs cassant littéralement des pierres.

Cette tenue, qui est aussi une retenue, car il n‘est pas question ici de voyeurisme, met en jeu une attention dont la marque se traduit par la tension de la prise : on pourra parler d’éclaboussures de l’image que sont ces oscillations, fluctuations du cadrage. Parfois la tension s’entend à travers le souffle de la respiration d’Edson  filmant. Ainsi : À travers, Deus me Louvre, FilmeX et Pour Homme (2005). L’irruption de ce souffle signe la présence d’un corps filmant, d’un corps travaillant, jouissant…

La présence du filmeur, sa signature ont dans le cinéma expérimental été affirmé par de nombreux cinéastes et vidéastes. Chez les cinéastes, c’est par les bougés, par les flous ou dans toutes ruptures de l’enregistrement (trope de l’image) que cette présence se dévoile comme on la ressent à la vision des films de Jonas Mekas ou Anne Charlotte Robertson, tandis que chez d’autre c’est la maîtrise de l’outil qui s’énonce par une maestria dans le maniement de la caméra comme le donne à voir Téo Hernandez. Chez les vidéastes[12] c’est avant tout le son qui signale la présence du capteur d’images : l’auteur. Qu’il s’agisse d’un commentaire direct ou bien de la présence d’une respiration.  Ce sont, ce corps, cette voix-off qui inscrivent la présence du filmeur autant qu’elle préfigure celle du spectateur.

Dans FilmeX et Pour Homme, ou dans 69, des films pornographiques homo sont refilmés au moyen d’un appareil photo numérique. L’écran du téléviseur est cadré au plus près afin que les pixels se voient et rivalisent avec les textures de la peau des protagonistes. Ce cadrage permet un balayage de la surface de l’écran et par conséquent de caresser des parties de l’image initiale.  Ce recyclage des images  pornos  est une pratique fréquente chez les cinéastes et ou vidéastes contemporains (Mike Hoolboom, Nguyen Tan Hoang, Steve Reinke, Jerry Tartaglia, Tony Wu, pour n’en citer que quelques uns). Mais chaque vidéaste, cinéaste retravaille les images pornos selon des projets particuliers qui  prédéterminent autant la nature du prélèvement que son retraitement et sa réincorporation dans le corpus d’un film. Rares sont les films qui se limitent au seul usage de found footage porno gay en dehors du Sodom (1989) de Luther Price, d’une ou deux bandes de la série The Hundred videos (1992-96) de Steve Reinke[13], All You Can Eat (1993) de Michael Brynntrup et les trois films de Edson Barrus. Ici on écarte une production importante qui est réalisée par les amateurs à partir du piratage de sites internet. À la manière de ce qui ce fait avec les compilations de type «  best of », les amateurs effectuent des assemblages, organisent des collections de segments de films réservés à un usage privé.

Le recyclage dans ces trois films ne participe pas de la même économie dont procède les travailleurs de Formigas Urbanas. Le  registre diffère, il inscrit l’appropriation d’images pornos gay dans une circulation qui s’affranchie de la stricte consommation privée. Par son recyclage et sa diffusion différenciées Edson Barrus déplacent le lieu de l’image porno en y introduisant un élément absent bien que constamment, sous-entendu, celui du spectateur voyeur qui joue avec son magnétoscope, ou lecteur de dvd. Avec FilmeX et  Pour Homme, le corps du spectateur / cinéaste est présent par le son (respiration)  autant que par le survol de la surface de l’écran lors du filmage. Le recadrage que subissent les images fonctionne comme un démontage. L’usage du gros plan qui est la valeur d’échange de la pornographie et qui doit se conclure par l’éjaculation (« the money shoot »)[14] est ici détourné. L’artiste, re-filme des séquences présélectionnées, en les recadrant au moyen de gros plans qui font se mêler, ou parfois se dissoudre, les textures des jeans, les grains de la peau avec les pixels de l’écran de télévision ou d’ordinateur. Le refilmage permet de monter les séquences dans l’ordre qui convient au spectateur/cinéaste tout en se débarrassant de la linéarité initiale de ces mêmes scènes, en juxtaposant les films et les séquences créant de nouveaux « tricks [15]». Ce travail fait du spectateur un auteur à part entière, à tel point que c’est à partir de telle rencontre potentielle que fonctionnent les dispositifs de consommation du porno sur le web. Faire du spectateur acheteur l’auteur des rencontres. D’une certaine manière Edson Barrus illustre assez bien ce précepte en retravaillant ces images. Ce faisant il participe de ce mouvement plus large qui interroge la notion d’auteur en travaillant à la production de travaux au moyen du recyclage.  L’anonymat présupposé dans la consommation de la pornographie se trouve contourné, puisque c’est dans l’affirmation du plaisir de faire quelque chose avec ces images, qu’Edson Barrus revendique leur détournement ou plus simplement leur usage différencié et leur remise en circulation dans un autre espace, celui du cinéma autant que celui de l’exposition. C’est pour cela qu’on ne peut inclure les Videopunhetas dans ce même registre car elles semblent plus participer de la performance filmée que du détournement. Elles sont plus proches en effet des performances de Vito Acconci : et principalement celles ou il se masturbe[16].

Par son accessibilité via le web, la pornographie est devenue une banque de données en constant renouvellement, dont le développement qui privilégie autant l’idée de la collection telle qu’on la voit à l’œuvre chez Andy Warhol à travers ses photomatons, que chez Christian Marclay dans Telephone ou bien même chez Matthias Mueller avec Home Stories(1990) , que la production de réassort, d’arrangements qui remettent ainsi en question l’idée de l’auteur.  C’est à partir de la fin des années 80  que l’on trouve chez les cinéastes et les vidéastes un usage massif d’images pornographiques, qui semble faire écho au développement de l’épidémie de sida. Travail à partir de représentations qui sont sans risques puisque du domaine des images. Mais ce travail permet surtout de signifier l’importance et la nécessité d’une sexualité gay qui ne serait pas à la merci des codes répressifs et réactionnaire du moralisme hétéro religieux de l’époque.[17]  Ainsi nombreux sont les vidéastes qui s’emparent d’une iconographie minorée pour nombres de raisons[18]. Les activistes ne sont pas les seuls à travailler à partir de ses images, leurs usages se généralisent  augmentant leur circulation dans de plus vastes cercles.

Ces réassorts, ces collections sans fins travaillent elles aussi le recyclage[19]. Il s’agit d’un recyclage de représentations et non plus de matériaux de survie en ce sens ce recyclage suit la logique des mouvements de libération de minorités qui affirment leurs identités, leurs appartenances au travers d’une réappropriation, d’un détournement des images de ces mêmes groupes qu’elle qu’en soit l’idéologie. Cet usage est affirmatif, il n’est plus subi, imposé, mais activé.

On retrouve la collection dans de nombreuses bandes d’Edson Barrus, que l’on pense à cette accumulation de masturbation filmées d’une main dans Videopuhetas ainsi que le déroulement d’écrans de Bate Papo 22cm[20] (2001) dans lequel des hommes entre en contact avec d’autres au moyen de photos, textes et voix[21]. Les propositions et les photos défilent tandis qu’au second plan se fait entendre la rumeur de la ville de Rio.  Ces deux dernières bandes semblent affirmer le narcissisme que Rosalyn Krauss voyaient à l’œuvre dans de nombreuses vidéos des années 70[22] et que le recours à des outils comme l’appareil photo numérique et le cellulaire ont renforcés. Le « replay »  comme instance de divertissement avec les protagonistes devient la règle et, signe l’usage de ces outils. Mais ici nous ne sommes pas dans cet usage-là. La bande enregistre des actions d’une part et de l’autre un défilement. Si l’action renvoie à une pratique narcissique et se joue ainsi de la pratique de l’art comme masturbation, clin d’œil malicieux à Duchamp, et la déplace au moment de sa diffusion imposant l’exposition d’une intimité qui n’est à priori pas là pour être partagé. On est en présence d’une situation qui rappelle quelques-unes des propositions d’actionistes viennois, sans la violence, mais plus encore, de tous ces travaux qui interrogent autant l’identité que le rapport que l’on entretient à la représentation du plaisir. Que ce plaisir soit solitaire déclenche un grand nombre de question qui interroge avant tout le spectateur quant à la position qu’il doit prendre face à cette monstration. Ces questions de réception sont souvent liquidées par l’apposition de jugement moraux qui évacuent du même coup la dimension politique autant que les questions sociales et esthétiques contenue dans la proposition.

Les questions de politique sont au premier plan d’un grand nombre de travaux d’Edson Barrus et montre combien l’artiste est attentif au spectacle du monde contemporain, c’est-à-dire à la spectacularisation de ses représentations. La série des Documento[23] mais aussi les films Mudando de assunto (2007) : autour de la représentation de la vie de Saddam Hussein à partir de quelques clichés d’une revue, Frustrated (2006) qui s’interroge sur l’engagement américain en Irak à partir de manchette du New York Time d’Octobre, A francesa (2006) qui suit une manifestation contre le CPE, à Paris

Paginavirada : la page Arafat tournée sont immédiatement politique par leur sujet. Mais il existe d’autre manière d’inscrire le politique dans l’image. Parfois le continu de l’image n’est pas directement politique, mais par sa capture il est comme un révélateur des conditions sociales de quelques personnes : on pense à cette femme dans le métro de Berlin de This is My Heart, ou bien à ce sans abri qui dort sur un trottoir de jour à la Bastille dans Rue de Lappe. (2005). Cette dimension sociale se trouvait déjà dans Formigas Urbanas ou dans Making Off ainsi que dans Baianagem. Elle interroge à la fois la place du filmeur autant que la nature du document filmé, qui peut appartenir au champ exploré par le documentaire dans son versant cinéma personnel. Ces travaux participent à la fois de l’affirmation d’une vision singulière, à cet égard Isto (2006)  est exemplaire par le minimalisme de son cadrage qui nous fait découvrir un éclat d’une scène dans Chinatown à new York à partir de la vue de la fenêtre d’un bus, et un amoncellement de cageots. Mais dans tous les cas de figures jusqu’alors explorées par Edson Barrus à travers ses films qui sont ouvertement politiques et sociaux, jamais il n’est question d’activisme. Ses films ne sont pas là pour illustrer, démontrer, prouver, ils sont plutôt des prélèvements de situations, de moments, des captures ; c’est dans ce sens qu’il s’apparente au documentaire, sur le vif. On pourrait ainsi les rapprocher ainsi de cette pratique photographique qui s’est fait une spécialité de l’impromptu, qui privilégie par conséquent l’instantané. Si Edson Barrus, comme certains vidéastes et cinéastes expérimentaux explorent ce chemin qui affirme la suprématie de la capture non programmée, c’est afin d’affirmer la plus grande réactivité par rapport aux situations, événements qui surgissent, qui passent ou transitent devant ses yeux. On retrouve là cette manière, pour ne pas dire cette aventure de l’œil et de la main travaillant la matière visuelle d’un seul jet. On pourrait certes y voir une filiation avec Stan Brakhage, ou Jonas Mekas, auquel il faudrait ajouter certainement tous les artistes qui, depuis les années 60, ont mis en avant l’improvisation comme phénomène constitutif de la pratique de l’art[24]. Son mode d’improvisation est plus radicale que d’autres dans la mesure, ou il se manifeste à tous les niveaux ; ce qui signifie, travailler avec ce que l’on trouve dans un lieu à tel moment donné. On ne peut s’empêcher de penser que l’improvisation et la production qui en découle déclinent différentes modalités du recyclage, qui comprendront alors aussi bien les images en mouvement. La capture d’images (photos  ou en mouvement) devient un mode de recyclage particulier qui s’effectue en vertu d’un déplacement ultérieur qui est souvent saisi, au moment de la capture même. C’est ce qui se laisse si bien voir dans les errances visuelles  de Tédio 1 (1997) et dans la manière d’occuper le temps de l’enregistrement par la production d’actions diverses. Il ne s’agit pas pour Edson d’affirmer l’ennui d’une manière systématique comme a pu le faire Bruce Nauman[25] dans quelques bandes dans son atelier à partir de répétitions incessantes.

Les errances visuelles de Tédio 1 se distinguent de celles de Peter Gidal dans ses différents films, bien qu’elle travaille l’épreuve du voir même, de la nécessité ou non d’assister à l’intégralité de la bande. On retrouve ce qu’interrogeait de film en film, Peter Gidal : à savoir la question de « l’anti- illusionisme » de la représentation et les finalités d’une  telle représentation quant à sa destination  publique[26]. Dans les deux cas, mais ils ne sont pas les seuls, c’est la rétribution, le plaisir du spectateur qui semble différé, ou plus simplement mis de côté. Cependant Chez Edson Barrus, les capacités d’improvisation, les interventions camp (bien que restreintes) mettent constamment à mal le systématisme potentiel de la proposition. En ce sens cela rejoint un des termes de la définition de Peter Gidal quant à la production du film Structural/matérialiste : Chaque film est l’enregistrement ( pas une représentation , ni une reproduction) de sa fabrication. La production des relations (plan à plan, plan à l’image, grain à l’image, dissolution de l’image au grain, etc) est une fonction de base qui est en opposition directe à la reproduction des relations.[27] Dans Tédio 1, on voit en quoi la prise en main de la caméra, génère un questionnement de l’outil, mais surtout un déclenche un que faire avec ça, face à ça, en présence de ça.

Dans ce même texte, Peter Gidal poursuit : « le contenu réel est la forme, la forme devient le contenu. La forme signifie les opérations processuelles, pas la composition. » Ce n’est pas en effet la composition qui préoccupe Edson Barrus dans cette bande, mais bien plutôt les agencements entre son et image qu’il explore autant que les rapports entre quotidienneté et événement public (la mort et les funérailles de Diana sont des motifs récurrents de la seconde partie de la bande). La télévision et le re-filmage partiel des images de différentes émissions diffusées sont déjà prévalent. Le filmage, sa nonchalance tend à instaurer un rapport à l’image distinct de celui, voulut par Gidal, puisqu’il favorise une « écoute  inattentive » de l’image. Voir un film de Peter Gidal c’est faire avant tout l’expérience de la durée, syncopée par quelques étincelles figurales ; pour  autant voir ce travail d’Edson Barrus c’est privilégier l’inattention mais c’est surtout voir des images comme on écoute la radio, avec plus ou moins d’attention. C’est entrer et sortir de l’image, pour n’en prendre que les sons : opéras, musique brésilienne, bruits de tissus…, incroyable interview, télé protestante, commentaires d’actualité qui accompagnent la bande sur toute sa durée. Le monde chez soi, à porter de main, et d’oreille.

Le politique surgit au détour des images, par la juxtaposition de ces sons avec des images du lieu d’habitation ou des pièces, objets d’art sont déposés, parfois utilisés.

De nouveau, le son tient un rôle particulier dans ce film ; il nous plonge dans un temps narratif particulier, lorsqu’il s’agit de chansons, d’airs d’opéra (italien), ou d’émissions de télévision qui ne fournissent pas d’indications particulières quant aux dates. Ce n’est plus la même chose lorsqu’il s’agit d’actualité, (radio/télé) qui confère un temps donné à la capture. Glissement progressif d’une actualité à une remémoration et une confrontation au temps présent du visionnement. On retrouvera un éclat similaire dans le film ,d’ailleurs (2006)[28] qui sculpte la montagne Sainte Victoire aux moyens de surimpressions multiples, lorsque se fait entendre la voix d’un homme politique français parlant de l’affaire Clearstream. Ces jeux avec le synchronisme interrogent une notion du hors-champ élargi au son qui inscrit le retard comme moment constituant de la réception ; c’est pour cela que le « replay » est essentiel dans la pratique d’Edson Barrus, parce qu’il favorise une interaction immédiate et déclenche des possibilités de réinterventions, de réinterprétations différées d’un événement. Ce différé se retrouve travaillé dans les séries des Documentos qui proposent l’enregistrement brut de l’écran (a tela : la toile[29]) d’un téléviseur et dans lequel on voit parfois le reflet du vidéaste. Cet enregistrement recadre l’image, et nous permet de revoir. Le monde vient à nous au travers de cette toile animée, son actualité est événementielle, ponctuelle. Le revoir, c’est affirmer toute son inactualité, c’est mettre à jour quelques mécanismes d’assujettissements auxquels nous nous plions quand nous regardons l’événement diffusé par nos écrans cathodiques. Cependant il ne s’agit pas pour Edson Barrus de travailler en procédant à une investigation d’un thème, en l’occurrence pour Johan Grimonprez le détournement d’avions et d’images dans Dial H.I.S.T.O.R.Y (1997). Pour l’un, c’est la réponse par rapport au direct qui constitue et motive l’appropriation et par conséquent le détournement, tandis que pour l’autre, c’est la réappropriation de l’histoire et de quelques-unes de ses représentations qui façonnent le projet.

Une autre particularité c’est l’inclusion du corps du filmeur, par son reflet et ou sa respiration. Ainsi l’acte d’appropriation s’inscrit physiquement à l’image, il n’est pas une opération de montage ou simple copier coller, qui neutraliserait  celui qui en prend possession. Ces différences se répercutent vis-à-vis de la question de l’auteur. En effet, on a pas l’impression d’être en présence de la même catégorie d’auteur comme si celle qui nécessitait  de se référer au banques de données utilisées[30], prônait la notion industrielle de l’auteur (validée par le marché de l’art)  alors qu’elle semble travaillée la notion de piratage. De son côté, Edson Barrus ne fait aucun cas de ses sources ; on peut parfois les reconnaître, elles sont à disposition puisque diffusées. Le geste est signé physiquement, s’affirme par le point de vue, dans le cadrage, les bougés etc… Il ne s’agit sans doute pas de la même spectacularisation, nous ne sommes pas dans un néo-situationnisme, mais dans une autre démarche qui vise à mettre à disposition des éléments audio-visuels afin de penser. Il n’y a pas d’habillage, de retouche à la post production. Ce que l’on voit est tel qu’il a été filmé.  De toute évidence nous ne sommes pas dans le même registre de domination et donc la notion de partage n’est pas la même.

L’improvisation fait retour d’une autre manière encore. J’aimerais ainsi aborder, c’est-à-dire revenir à ces bandes qui recourent à une performance spontanée, ou bien, à celles enregistrant une action, une performance antérieure. Dans tous les cas c’est la notion de document qui resurgit. Mais ici le document n’a pas la même valeur que celui qui le confère aux photos des performances[31], et du Land Art. Ces documents filmés lorsqu’il s’agit de l’enregistrement d’une action, ou d’une performance ne sont pas encore validées par le marché de l’art comme l’ont été les documents photographiques. Mais si certaines performances ne sont réalisées que pour être filmées, d’autres n’ont d’existence que parce qu’elles ont été filmées[32]. Quel est donc leur statut, sont-elles simplement des moments dans le déroulement du film ? ou sont-elles l’objet du film ?  On peut penser que par ce transfert médiatique la plupart de ces performances deviennent objets de sculptures, mais lorsque c’est le corps d’Edson Barrus qui les performe elles deviennent, pour reprendre la terminologie d’Erik Alliez  et Giovanna Zapperi à propos de Birgit Jürgenssen , des « sculptures de soi ».

J’insisterais ici plus sur les quelques films qui enregistrent une action, une performance et la montre intégralement ou synthétiquement.

Il s’agit de Uma coisa bem simples (1998-2004) et de Lavo as Mãos (1998-2004) ainsi que dans une certaine mesure de Quem (1998-2004) et de Banda Phodre (2004).

Lavo aos Mãos nous montre l’artiste se lavant les mains en utilisant un / des savons. Au bout d’un moment on comprend qu’il ne se lave pas les mains mais fait fondre le savon entre ses mains à force de l’astiquer. Le parallélisme avec Video punhetas est patent. L’action est accompagnée par une suite d’air d’opéras et autres musiques entendues à différents moments. Cet hors champ sonore est un élément essentiel qui nous permet d’appréhender en partie la durée de l’action, mais nous renseigne sur la non linéarité de l’enregistrement que l’on peut aussi ressentir à l’image. On   se trouve être dans une situation similaire à celle des spectateurs de Wavelength (1966-67) de Michael Snow qui décrivent le film comme étant un zoom traversant un espace pour déboucher sur la photo noir et blanc d’une vague, faisant ainsi, l’impasse sur la multiplicité des raccords et montage dans le film. Le processus survole alors les spécificités matérielles du film. C’est exactement ce qui se passe avec cette bande d’Edson Barrus, l’amenuisent progressif du savon annihile toutes les modifications apportées lors du tournage.

Avec Uma coisa bem simples, c’est une autre chose qui est en jeu, mais c’est surtout une dimension poétique particulière qu’inscrit le film.  Ce film est l’enregistrement d’une action, performance réalisée quelque temps auparavant par Edson Barrus et dans laquelle une ampoule brûle de tous ses feux pour s’abîmer dans l’obscurité[33]. La forme de l’ampoule électrique, c’est-à-dire la représentation de l’idée s’enflamme et éclaire un espace (de pensée) avant de s’éteindre. J’y vois une référence[34] à cette ampoule négative sur laquelle Paul, Sharits avait travaillé (en tout cas sa représentation) dans N :O :T :H :I :N :G (1968), qui nous montrait l’écoulement de la lumière hors d’une ampoule. Dans la proposition d’Edson ce n’est pas la lumière qui est négative, c’est tout simplement la lumière qui est feu, l’idée qui prend feu[35].  Dans les deux cas, les œuvres sont contemplatives.

Mais le son nous appelle à nouveau et principalement celui de Banda Phodre. Le titre désigne la police corrompue à Rio de Janeiro. Le matériau du film est l’enregistrement d’un vécu (vivência)[36] d’une nuit dans laquelle un ensemble d’événements se sont déroulés. La continuité de l’enregistrement est pulvérisée par le re-filmage au moyen d’un appareil numérique autant que par la désynchronisation de la bande son avec l’image. Mais de nombreux synchronismes surgissent, la force, la dynamique de l’événement se retrouve au travers de cet acte qui brise les liens de causalité entre le son et l’image. On est dans une pratique qui pourrait évoquer l’usage de la discrépance[37] si cette dernière participait moins d’un projet esthétique. Dans ce travail Edson Barrus restitue l’énergie de la soirée, de la nuit en se jouant du synchronisme. On est ainsi proche d’une proposition musicale qui se superposerait à l’arrangement des images en créant une dynamique que souligne les effets de neige autant que les distorsions qui viennent trouer, dérégler parfois l’image. On retrouve là, les effets que travaillaient, chacun à leur manière : Nam June Paik et Wolf Vostell dans leurs premières bandes vidéos.   Ces écarts entre le son et l’image sont moteurs dans de nombreuses bandes d’Edson, mais leur disjonction est rarement autant poussée que dans Banda Phodre. Le plus souvent il travaille la séparation entre le son direct (dont on voit la source à l’image) et le son off (musique, voix…). Cette dichotomie produit alors des espaces virtuels à partir desquels nous pouvons dériver.Dans Banda Phodre ainsi que dans les Documentos et les trois films porno, le re-filmage confère à la surface de l’écran une autonomie qui travaille l’interstice, l’entre. L’appropriation par les écarts permet-elle au  sujet (qui fait, qui voit) de constituer un lieu qui lui soit propre aussi éphémère soit-il (par exemple le temps de la bande)? Les écarts entre enregistrement et diffusion pointent avant tout l’étape de la fabrication. La question de la réception de ces écarts, sautes, hiatus induit une perception de ce qui a été enlevé, gommé, effacé. Signalons cependant que le processus déployait par Edson Barrus ne travaille pas l’effacement comme le font à la fois Naomi Uman dans son film Removed (1999) ou bien encore Terre Thaemlitz (2000) dans son album Interstices chez lesquels la trace de ce qui a été gommé est manifeste[38]. Dans tous les travaux qui recourent au re-filmage partiel de l’image, on sait bien que l’on ne voit qu’une partie  de l’image mais le hors-cadre (est-ce un hors champ ?) n’a pas le même sens que le blanchiment des corps féminins dans Removed, ou les hommes ne baisent plus qu’avec une représentation pour le moins émoussée. Le hors du cadre des re-filmages d’Edson Barrus est porté par le son, l’image est doublement disqualifiée. L’aspect documentaire du reportage est mis à mal par le recadrage, qui s’accompagne de moirages qui viennent habiller l’image, lui conférant des textures et des irisations qui rappellent les feed-back. La mise en abîme se perçoit dans ces moirages qui marquent à la fois le recyclage autant qu’il désigne l’écart de toute appropriation.

Il y a chez Edson Barrus une plasticité de l’image qu’il faut souligner.

Le cadrage est souvent d’une grande précision, qui renforce des dynamiques de couleurs. Si l’on pense à Palestine Libre et à son cadrage partiel d’un drapeau palestinien géant qui joue du contraste chromatique de la bannière, ou bien à Aguagrande (2006) aux surimpressions tissant textures et matités de l’eau sous toutes ses formes, on retrouve ces préoccupations du cadre. C’est ainsi qu’il faut comprendre le choix du cadrage des cageots colorés dans Produto, qui évoquent celui de Formigas Urbanas où le foisonnement des personnes tirant, et poussant des charges, se réalise dans une polyphonie chromatique. L’usage de l’appareil photo numérique permet de jouer avec les zones d’éclairages. Ainsi les intérieurs évoquent parfois des clairs obscurs et des jaillissements d’irradiantes luminosités, et convoquent ainsi quelques moments d’histoire de la peinture. Les lieux, les habitats sont troués par des halos de lumières qui refont : défont les espaces filmés. La cuisine de Mode d’emploi, l’ascenseur de -2 en sont quelques exemples.

Les vidéos peuvent être présentées de différentes manières qui vont du simple moniteur, à la projection en passant par l’installation. Toutes les bandes n’ont pas pour fonction de se transformer en installation, certaines répondent à des critères temporels, à des impératifs narratifs que la projection satisfait pleinement. D’autres ont besoin d’être montrées sur moniteur, elles sont intégrées à l’événement qui se déroule alors, dans des formes plus ou moins issues ou élaborée de Rés do Chão, ou d’Açúcar Invertido. Parfois elles sont pensées comme installation.  La question de l’installation est abordée d’une manière singulière par Edson Barrus.

Si, pour de nombreux artistes, l’inscription dans le marché de l’art entraîne une banalisation de la pratique de l’installation comme projection d’une vidéo sur une paroi, un écran, elle s’accompagne rarement d’un questionnement de l’usage de l’image en mouvement dans le monde de l’art et de rapports que de telles projections ont avec le flux et l’exposition  des images dans l’espace public. Tous les films réalisés par Edson Barrus ne sont pas destinés à devenir des installations ; de même tous ne vont pas être bouclés. C’est autant l’objet filmé de Das dunas so sei dizer isto (2006) qui préside à son passage à la projection plutôt qu’à sa diffusion sur moniteur, qu’il induit le travail même. Pour Edson Barrus, le paysage de dunes de sables ne paraît pas se transformer, c’est un endroit calme, et pourtant au moment du filmage de ces dunes du Ceara, le vent, les bourrasques sculptaient le paysage. L’installation permet d’arrêter le temps, de le figer, et ce par-delà la reprise incessante de deux boucles, l’une sonore l’autre silencieuse pendant près d’une heure ; la répétition facilite l’appréhension de cet espace en transformation constante. C’est un objet particulier qui ne requiert pas toute notre attention. Les dunes changent à l’écran autant qu’elle ne changent pas ; elles sont là. Le film s’en fait l’écho. Tout est bouleversé, mais rien n’a vraiment changé. La vidéo est alors un bloc de temps que l’on investit ou pas, presque un papier peint, ou plus exactement une ambiance, qui se distingue des travaux « ambiant » par la crudité du son. Ici, ce n’est pas le se sentir mieux, ni l’être au monde serin qui s’expose, c’est la violence, l’inconfort de la nature qui s’impose au regard.

Dans d’autres travaux comme le Rosário, Boca Livre, la monstration sous forme d’installation nécessite le seul moniteur.

Le recours à l’installation entraîne fréquemment la mise en boucle d’une bande, afin que la pièce puisse être vue à tout moment, à n’importe quel moment de sa durée. L’installation présuppose fréquemment des bandes de durée relativement courte afin de pouvoir capter les spectateurs qui débarquent à n’importe quel moment dans l’espace de la projection. Ces conditions quant à la réception de l’œuvre installée ont été, dès les années soixante-dix, théorisées et déployées entre autres par Paul Sharits. Ces installations qu’il désigne comme locational piece[39] sont des projections multiples qui constituent une image composite. Ces locational pieces travaillent soit le défilement (dans son horizontalité)  du ruban soit les photogrammes qui composent ce même ruban et avec lequel Paul Sharits à interroger le dispositif cinématographique même à travers le flicker. Certaines installations conjuguent ces deux approches. Dans tous les cas, tout est donné immédiatement (en ce qui concerne Epileptic Seizure Comparison 1976 pour lequel les trois parties de l’œuvre s’apparentent à un développement plus ou moins linéaire). Cette immédiateté dans la perception des éléments se retrouvent dans quelques-unes des  installations d’Edson Barrus, Rio (2005) ou 69 (2006) qui toutes  simulent l’usage de la boucle en répétant une ou deux courtes séquences sur la longueur d’une bande (soit 60 minutes). Ces bandes deviennent installations par défaut, elles sont plus des bandes projetées dans un espace et ne nécessitent en rien l’attention que présuppose la projection en salle (de cinéma). Tout revient, il n’y a pas même de transformation, permutation, variation, comme c’est le cas avec Paul Sharits ou d’autres cinéastes qui recourt aux  boucles cinématographiques.  Ce qui distingue les travaux d’Edson Barrus  d’autres, c’est leur absence totale de développement, la séquence est courte, et se répète sur 60 minutes, il n’y a pas d’évolution, aucune narration ; une redite, un constant-déjà-vu, une banale répétition qui se nourrit de toutes les  expectatives, impatiences des spectateurs.

La vidéo pour Edson Barrus est devenu un outil lui permettant de travailler le quotidien  autant qu’elle inscrit et fait du quotidien un travail artistique pour autant que ce dernier soit compris comme dissolution et dissémination anonymes dans le champ social.

 

 



[1] Dans les années 70, pour de nombreux plasticiens brésiliens, le super 8 a tenu ce rôle de medium low tech. Cet usage se retrouve dans de nombreux pays qui ont fait du super 8, un outil de résistance et de contre pouvoir aux images dominantes et ce à partir de la fin des années 60.

[2] Sur l’histoire de la vidéo brésilienne voir Arlindo Machado : Video Art: The Brazilian Adventure, où Les pionniers de l’art électronique au Brésil/ Pioneers of Electronic Art in Brazil in festival@rt outsiders 2005: brasil anomalie digital arts HYX Orléans 2005…

[3] Rés do Chão est un espace d’expérimentation artistique autonome à Rio de Janeiro, impulsé par Edson Barrus.

[4] Rosalind Krauss pointait cette particularité de la vidéo dans son article Video The Aesthetics of Narcissism, in New Artist Video, ed Gregory Battcock A Dutton Paperback, NY 1978

[5] Dans Boca Livre, deux écrans de télévision sont déposés à même le sol pour l’un deux l’écran orienté vers le plafond et sur lequel est disposé le Rosario, celui là même dont on appréhende la fabrication à l’écran.

[6] Sur ce sujet voir Patricia Zimmermann : The Amateur, The Avant-garde, and Ideology of Art, in Journal of Film and Video n°3-4, Summer Fall 1986, ainsi que Roger Odin, sous la direction, Le film de famille usage privé, usage public, Editions Méridiens Klincksieck et Cie 1995, et le Je filmé, ed yann beauvais Jean-Michel Bouhours, ed scratch & Centre Georges Pompidou, Paris 1995

[7] On pense entre autres à Sadie Benning, Peggy Awesh, où Joe Gibbons

[8] Pour une description du fonctionnement particulier de l’installation Cão mulato, voir Ricardo Basbaum Mistura + Confronto / Mixture + Confrontation catalogue de l’exposition du même nom  Porto 2001

[9] Malcolm.  Le Grice Abstract Film and Beyond.  Cambridge, MA:  MIT Press, 1977, et Peter Gidal, ed. Structural Film Anthology.  London:  British Film Institute, 1978.

[11] Ce film diffère de From my Window (2001) de Cao Guimarães, dans lequel la dimension poétique du jeu des enfants dans une rue boueuse prend le pas sur une quelconque dimension sociale.

[12] Mais ceci n’est pas une règle générale, que l’on pense au travail de Jan Peters qui dans la plupart de ses films autobiographiques manifeste sa présence par le synchronisme de son image et de sa voix.

[13] Pour un descriptif des bandes voir The Hundred Vidéos Steve Reinke The Power Plant, Toronto 1997 et http://www.myrectumisnotagrave.com/100videos/100videosplash.html

[14] Voir à ce sujet le livre  Porn Studies, textes réunis par Linda Williams, Duke University Press 2004

[15] Tricks, est un roman de Renaud Camus qui conte de multiples rencontres sexuelles brèves. Préface de Roland Barthes. 1ère édition : Mazarine, Paris 1979

[16] Dans Seedbed (1972), Vito Acconci se masturbe pendant huit heures, trois fois par semaine dans la galerie Sonnabend. On ne le voit il est caché sous un faux sol, sa voix, ses râles sont amplifiés par un micro comme le fit au Guggenheim Museum, Marina Abramovic dans un remake en 2005. Dans les deux cas, on ne voit pas l’acte, on l’entend.

[17] Sur le travail effectué par les activistes et les rapports entre usage de la pornographie, le sida, la société voir : Douglas Crimp : Aids Cultural / Analysis Cultural Activism  October 43 Mit Press, Winter 1987,  sur l’usage de la pornographie gay Thomas Waugh The Fruit Machine, Duke University Press, Durham and London 2000, et son archéologie de l’érotisme et pornographie gay dans Hard to Imagine, Columbia University Press New York 1996, et How do I Look, edited by Bad Object-Choices, Bay Press, Seattle 1991

[18] Depuis la fin des années 70, Lionel Soukaz est en France l’un des cinéastes qui a le plus œuvré pour une reconnaissance de l’imagerie porno homo. Tous ses premiers films ont utilisé ces représentations, dans un premier temps à partir de photos puis avec des images en mouvement.

[19] Sur cet usage de la collection, du réassort, du recyclage et de l’archive voir : Desmontaje : film, Video/apropriacion, reciclaje, ed Eugenie Bonet, Ivam, Valencia, 1993 et The World in Pieces : A Study of Compilation Films, Patrick Sjöberg, Stokholm 2001

[20] Nom d’un site brésilien de rencontre gay qui signifie littéralement :brin de causette. Préfiguration du chat.

[21] Lionel Soukaz, cinéaste expérimental, gay activiste depuis les années 70 et qui a travaillé avec Guy Hocquenghem et René Scherer, a réalisé récemment une bande : www.webcam (2006) qui recours à ces pratiques sexuelles médiatisé par le numérique.

[22] Rosalind Krauss option citée

[23] A ce jour les documentos sont au nombre de 10 :

Documentos # 1 : Tortura met en rapport l’usage de la torture par les français pendant la guerre d’Algérie et ce que font les américains en Irak aujourd’hui

Documento # 2 : Arafat em revista nous propose une vie d’Arafat à travers le feuilletage du Monde 2

Documento # 3 : La flambée d’automne, sur l’irruption de la violence dans les banlieues française, suite à la mort de deux adolescent poursuivis par les policiers, et aux provocations de Sarkozy. C’est dans ce matériau que je puiserais, entre autres, pour réaliser d’un couvre-feu (2006)

Documento # 4 gripe aviaria, sur la propagation de cette épidémie

Documento # 5 sans choisi, sur les politiques de l’immigration aux Etats-Unis et en France

Documento # 6, sur la guerre au Liban et le Hezbollah, premier de la série en brésilien

Documento # 7 sur la retraite de Fidel Castro, en espagnol

Documento # 8

Documento # 9  pas choisi, sur les immigrants en France

Documento # 10 Les enfants soldats

[24] Pour une étude de l’improvisation tel que les performers l’ont pratiqués dans les années 60 voir  Greenwich Village 1963, Sally Banes, Duke University Press,1993 , L’Art au corps , ed Philippe Vergne, Musée de Marseille RNM 1996, et  Out of Actions Between Performance and the Objet 1949-1979, Paul Schimmel, Moca Los Angeles 1998

[25] Bruce Nauman : Image Texte 1966-1996, ed Christine van Assche, Centre Georges Pompidou 1997

[26] Voir Peter Gidal : Structural Film Anthology, son introduction, BFI, Londres 1976 et Materialist Film ed Routledge Londres 1989

[27] Peter Gidal, Introduction Structural Film Anthology, p.2, c’est nous qui traduisons.

[28] , dailleurs a été coréalisé avec yann beauvais, suite à une commande de K-Livre à Aix en Provence et Les 100 Talents à Tarabel.

[29] La toile de l’écran sera élargie par Edson Barrus à l’espace d’une église dans ce tissage de film 35mm qu’il fit à l’occasion d’une exposition à Metz à l’été 2005. Sur ce projet voir http://www.yannbeauvais.fr/article.php3?id_article=195

[30] Voir la liste des archives consultées au générique de fin. Cette attitude qui vise à valider théoriquement le piratage alors qu’on paye les droits manifeste de toute évidence une compréhension de la culture comme industrie à laquelle s’applique par conséquent les tarifs commerciaux en vigueur dans les pays occidentaux.

[31] L’une des discussions les plus intéressantes sur la notion de document en photographie est sans doute celle d’André Rouillé : La photographie, Folio essais n°450, Gallimard Paris 2005

[32] Il y aurait certainement toute une histoire des films de performances à produire, citons comme source : Into the Light, ed Chrissie Isle Whitney Museum of American Art,  New York 2001 auquel il faudrait ajouter

[33] Edson nous a précisé que cette vidéo fût présentée la première fois dans le sous sol d’une maison qui servait de niche pour une chienne et ses sept chiots. La vidéo placée au centre de l’espace se reflétait sur  6 grands miroirs et éclairant ainsi tout l’espace.

[34] Je ne pense pas qu’Edson connaisse ce film de Paul Sharits. Pour une discussion de ce film avec Paul Sharits voir Jean Claude Lebensztejn : Ecrits sur l’art récent : Brice Marden, Malcolm Morley, Paul Sharits, Editions Alines Paris 1995, repris in Paul Sharits sous la direction de yann beauvais, Les Presses du réel 2008

[35] voir le texte de présentation de ce film dans le catalogue de Light Cone, http://www.lightcone.org/ :  On a moulé l’idée selon la forme d’une ampoule au moyen d’embouts de phosphore d’allumettes et de paraffine qui s’enflamme dans une auto combustion progressive provoquée par un agent extérieur. Cette combustion augmente en illuminant tout l’espace alentour en atteignant son climax avant de s’engloutir dans l’obscurité. Guy Brett fait remarquer dans Brazil Experimental arte /vida ; proposições e paradoxos, Contracapa Rio de Janeiro 2005, dans l’étude sur Cildo Meireles que la métaphore du feu est essentiel pour la compréhension de l’art brésilien conceptuel et représente une voix d’accès à la pratique contemporaine.

[36] Cet événement de Vivencia avait pour titre « unicacena » (scène unique). Cet événement émergeait de Res do Chao. Il nous faut préciser que le titre joue sur la similarité potentielle entre phodre et foder con ph (a real fuck !)

[37] Le son discrépant a été théorisé et appliqué au cinéma par les lettristes. Les films d’Isidore Isou : Traité de bave et d’éternité (1950) ainsi que le film de Maurice Lemaîre : Le film est déjà commencé (1951) travaille ces processus, mais aussi le film/ performance  de Gil Wolman : L‘anticoncept (1952) ainsi que le film de Guy Debord : Hurlement en faveur de Sade (1952). Frédérique Devaux : Le cinéma lettriste, ed Paris Expérimental, Paris 1992.

[38] Sur les processus utilisés par Terre Thaemlitz pour ce cd voir : http://www.comatonse.com/writings/interstices_install.html

[39] Voir les textes de Paul Sharits sur ces travaux in Film Culture n° 65-66, New York 1978 et I Feel Free,, Je me sens libre in p135/139 in Paul Sharits, op citée, version anglaise et française.

No never not me (on yann beauvais) (Eng)

in yann beauvais Tu, sempre # 5, les livr&, Espace Multimédia Gantner, 2003

by Mike Hoolboom

SARS
I am from the city of SARS. Severe Acute Respiratory Syndrome. Like any respected illness, it is quickly spread, highly contagious and fatal. Without warning, the city I’ve lived in all my life has been converted into a plague epicenter. Again.

Like me, the television has no memory. It doesn‚t matter what happened before. There is only now. I live in an eternal and ever expanding present. I am from the city of SARS, always have been.

The first case was uncovered only a couple of months ago and the headlines followed soon after, hospitals were secured, health officials appear so often in the media we wondered if they had time for much else. Their pictures are intended to calm and reassure, though Toronto is a city so concerned with work deadlines that anything as involving as panic would have to be planned and inserted into already crowded civic schedules, squeezed in between gulps of cappuccino and committee meets.

Toronto is a city built on the superego, requiring endless sacrifice, tireless work hours and devotion. SARS could not be better contained anywhere else. Toronto‚s citizens have already swallowed the watch full eye of conscience ; the surveillance cam of the imagination belongs to each of us, as we perform our rituals of greeting and leaving. While part of us is always here, in the moment, in what grammarians like to term the present tense, in close-up, the other part is always in long shot, looking at ourselves from a very great distance. This is the distance of the superego, the judge, the one for whom nothing is ever enough. Not even SARS.

Along with a new disease, a new word makes the rounds of the city, at once quaintly old fashioned and terrifying. It is a word so powerful it threatens to loose the hold of the microchip which has already possessed us in a viral replication all its own, converting our everyday into two kinds of time : on-line and off. Cowering beneath its three syllables, the steady march of progress itself seemed in doubt, threatening to turn us into a living museum of the middle ages. Quarantine. They were actually talking about putting people in quarantine. Maybe the whole city, who knows ? For this contagion could pass through the air. Lie waiting on doorknobs and elevator buttons. No surface, no matter how familiar, could be entirely trusted, assumed benevolent, safe. This is part of the power of a plague, like an avant work of art, it overturns assumptions, upsets the easy jog between experience and its naming. It is a contagion of the imagination.

Of course I acted like everyone else in the midst of catastrophe, I ignored the whole thing. Shut off the radio. Refused the news. This plague might be killing people but not me, never me, my friends and neighbors. Because I grew up on books, I thought if you scratched hard enough at anyone afflicted you would uncover some psychic tremor, some moment of ill will that lay in wait, festering for an answer like this one. Ridiculous I know. That our life might be broken into chapter summaries, cover copy, even appendices and a bibliography, this hardly seemed unlikely, not after so many centuries bent to the rule of the book. But to imagine that scripture might apply to something as even-handed as the plague, that was more than a stretch. The tabs were running pictures of the youngest victims‚ they could find and splashing them all over the city. The innocent are dying, they fairly screamed, and if the blameless could fall, well, then who was safe exactly ? Armed with this plague, we stood at last beyond the law. I washed my hands at every opportunity, just as the doctors prescribed, but more than that, I answered every phone call, met every request, cast a benevolent eye wherever I went. I would ward off illness one smile at a time. Make a force field of virtue.

Because no one I know comes down with it, SARS remains a media confection. How confusing when San Fran Jay calls to ask, « Is it safe to visit ? » He has a child now, a young boy, so the ledges he used to jump off without thinking twice seem a little steeper. A new kind of vulnerability has entered him and with it a new kind of fear. He‚s calling for more than assurance, he would like to receive a guarantor of safety, something so bright his boy will be able to make it out across the continent. I imagine the bird men of Minsk, the hooded saints of Venice, the phallic warriors of Bremen walking untouched over cobblestones that had not yet felt the fury of blitzkrieg ; five hundred years ago the machines of death were slower, but no less terrible. These masked visitors, witches and fantastics, were amongst the few to enter cities whose very mention, or so legend has it, was enough to prompt illness. Crossing ramparts filled with soldiers armed to contain this empire of illness, who would dare pass between them except for those who had died already ? But I don‚t tell this to Jay, I have no mask of feathers to protect me, no insider‚s deal I can offer that will spare him. According to the papers at least, the prospect that he would come and visit me and then die, leaving his child destitute, seems unlikely, but not impossible. Every decision, Jay reminds me, leads to the end, and as he says the words I can hear the small terrible place inside where his boy is always getting hit by the bus, thrown into the path of a motorboat, pianos fall from the sky to crush him, cracks in the pavement swallow him whole. For their parents, children are also a kind of plague. Two weeks later Jay comes down with fever, and calling me from a feinting, vomit filled sickbed he sounds happier than I‚ve heard him in a long time. The decision has been made for him. He won‚t have to come.
Losing It There is a way of forgetting events even as they happen.

Last year I fell in love with Srin, an ubermind from Brussels. We had exchanged The Look over a decade of festivals and incidental meetings, secreted the love gas that says yes, you, I want to reach into the very heart of you and travel the seams where your cells knit together, arrive at some originary moment where the first inklings of what you might become, the joint of a finger, a strand of hair, was being borne. This is what our touching might allow, and for a few very cold weeks in Brussels it did, until it was time for me to go back home again, having experienced the terror and loneliness and high altitude mind merge that real sex allows. I lived there with Srin and her little girl, Tanya, who looked like the Russian doll version of Srin, like if you struck her under a shrink ray her little girl would be left standing there, which was unnerving to say the least. Srin was working and a single mother, friendless in this grave new city built from Congo gold and dismembered slaves, living right up against the edge of her abilities, terminally stressed, just getting by on the money front which meant she was mostly broke. When Tanya went off on one of her eight year old tantrums it was usually enough to crank Srin off her thin edge. The ensuing explosion was a wonder to behold, a full on attack with a voice dripping hate you could hear from the far end of the block, no matter if we were in the middle of a supermarket line-up, waiting for the tram WHAM POW she‚d go off, flaming that little girl until there weren’t‚ ashes to be stirred. I was terrified of course, had been the subject of just this kind of weather growing up, but was fascinated to watch young Tanya‚s face while her mother slammed. She never looked scared (that was left for me) or defiant or angry, in fact, her face quickly settled into a mask of non-expression, a hard, shiny object that all the heat in the world couldn’t warm, couldn’t find a place to stick to. She would always look off her mother‚s face, at some terminal point in the distance, and hold her stare until Srin ran out of gas, and then Tanya would fast talk about something else, anything else using her best I‚m-a-little-girl voice. As if this anger, this torment could not be going on. What I was watching was Tanya forgetting this moment, even as it was happening to her. She was trying to keep the rage from becoming part of her, though she was already capable of an impressive fireworks display of her own, but most of her was wedged up against her own experience, committed to saying no, not that, that could never have happened to me.
Denial, repression, splitting. These are all familiar companions to plagues the world over.

Thomas Köner or The Music of AIDS
I never met him. He was sitting, all six feet and more of him in a chair looking like he‚d just come off the football pitch after a too satisfying round of headers, not larger than life, no, but seeming larger in that moment than the dark isolationist drones that he’d been resodding Europe with for the past decade and a half. I was too much in the thrall of him, waiting for his concert to begin, to up and introduce, not this over mind of computer electronica, so I sat there trying not to stare at the broad back, thinking : There are two sides to everyone, but remembering as well Roland‚s cautionary wave, “No more heroes Mike. Just because someone can pull sounds out of their laptop” Roland leaves the rest unspoken. He might have added : hit baseballs, swing sticks, throw balls, and write melodies irresistible to anyone under the age of twenty. There are certain moments of the flesh, which still belongs to the coliseum, to bloodlust and the appetite, summoned only in crowds. The music man sitting in front of me is one of their number, modest despite his proportions, a free jazz saxophonist who worked his riffs up into Dutch radio before he got tired of so many notes. He started working for Paistie, the drum factory that ran across borders, there wasn’t a skinhead who hadn’t seen Keith Moon blow up his kit night after night that didn’t want to bum rush the show and run off home with a set of Paisties under each arm. They were the grail of serious drummers and Thomas Köner, he can named at last, the Aryan giant seated across from me, Köner became a sales rep for these gongs and snares, which seems, in retrospect, a coincidence too fantastic to swallow but he swears it‚s true. They said of Andy Warhol that he was someone to whom life just happened, but Köner works the other side of the street, passing so slowly it doesn’t seem like he‚ s moving at all, not until he‚s actually arrived, and there is no moment of his life, no incidental job or conversation or sexual act which has not become, sometimes days or weeks or years later, the most perfect kind of music.
While he is flogging Paistie Thomas began recording, assembling an archive of cymbals rubbed slowly with rubber balls, contact mics catching sounds not quite audible, microscopic after tones he would layer up later, building long waves of sound that you wouldn’t hear so much as have them settle in place of your spine, retuning the world around this dark, still center.
He liked to holiday in the north of Finland, away from people, people seemed an unavoidable part of work and its routines. He always arrived in the rainy season, a calm drizzle running through the heavy air, this is what he dreamed of all year, walking those Finnish hills that would fall away only to reveal another hill, and then another just the same. No horizon, only clouds, low shifting and pressing earthwards, you were always inside the weather he said once, a thousand years ago. Inside the gray damp pour which might at last arrest the inner monologue we use to hook the world to our personality. To hear Thomas narrate his vacations (and believe me I never have) is to arrive at an exact portrayal of his music. Words where none belong. Descriptions of plague.

His first CD Nunalak Gongamour (amour=to love, gong=drum) laid out on Roland’s home-made Barooni label, was a fledgling effort, still hanging onto his sax, although its shiny valves featured now as a reworked bass drone, nothing Parker or Coltrane might ever call home, but you can hear it in the grooves, he‚s not quite there yet, the train‚s still coming in. He teamed up with Roland again for Teimowhere his Paistie drones took flight. Thomas loved the names of glaciers, abandoned Finnish settlements, maps of explorers condemned to the trials of sight, busy making a private cartography of their own flesh, the density of tissue and ligament and bone relearned in places no one had ever dared encounter. It is a place, simply put, where the merely human does not really belong. A place Thomas thinks of as home.

I caught myself looking at shoes in a shop window. I thought of going in and buying a pair, but stopped myself. The shoes I am wearing at the moment should be sufficient to walk me out of life. (Blue by Derek Jarman)
Thomas passed through the wall with Teimo, not just reaching across so he could bring back a taste from the other side, but stepping fully into it. This was art that had to be lived before it could be imagined, and he went to live there now, thick, sub-sub-bass chords layered and then layered again, and somehow in the illuminating gas that was past lonely he could work up a drenching, nearly heart-breaking emotion that belonged to anyone with ears enough to hear it. Teimo was an unexpected hit on Roland’s micro-label, widely reviewed, selling over 2000 copies, and then there were concerts, gigs in Japan and South America and another pair of isolationist masterpieces (a word, like many others, that Thomas really detests) on Barooni that would cement his reputation :Permafrost and Kaamos.
Thomas finally met yann beauvais at a festival, Antwerp was it ? somewhere in the early 90s, when he was loading up pictures made by fellow German arbeiter Jurgen Reble, who was working the image side of the room with slowly moving pictures, processed in a magic of chemicals that flickered to life while Köner put his bass lines through the heavy juice, micing bits of the room and sending it back through frequencies only he could hear, though we could all feel them. And no one felt them more than yann who was bold enough to ask, even then, if he and Thomas might preside over their own marriage of pictures and sounds, but Thomas could only say : Not yet. A polite way of saying never ? But the moments grew, nothing with Köner is fast okay, not yes or no for sure, and squatting over dinner at yann‚’s one Paris evening in the mid-90s yann asked again, and was surprised to hear Thomas say that he too was about to wonder when the two of them might. In Reble, Thomas had found a partner in crime, both romantic artistes in the classical mode building transcendental something through abstraction. Repetition. Contemplation. Repetition. A vast slow build. yann’s work offered a change of pace, if Jurgen was a rock, yann was a mosquito, the meaning right up in front of your face, and with Tu, Sempre, at last, there were words and politics. Politics for the iceman.
“While working on Des Rives, our first performance, I invited Thomas to New York where I’d lived for periods during the 80s. I took him to places that were special to me, though they weren’t included in the film. There he could find some of my mental sonic landscape, like the revolving hotel doors, which divided sounds of the street. As we walked I told him stories, about the coldest winter of 1976 for instance. I was coming out of the subway looking for Rafik when I saw a man lying on the pavement. It took me awhile to find the blood around him, and then the police kneeling over his face, and I realized he‚ d been shot. The first dead man I‚d ever encountered.” (yb)

Together they would try to conjure the sounds of the plague, lift some private sorrow into the sonorities of word and musical event, pitched so that hearts might open while hearing it, and without end. yann called this work Tu, Sempre (Always You).

Cocktails in Amsterdam
It‚s 7:30 in the morning here, an hour past midnight in the city I used to call home, a cold fog reaching up over the red-bricked roofs making its inhabitants suddenly and wonderfully invisible to each other. A library hush accompanies, everyone careful not to break the spell that seems to summon each new-bricked canal for his or her pleasure alone, every citizen a metropolis. I am sitting with Yankees, who has grown tired of the long distance swimming that took hold of him at an age when most serious swimmers had settled into retirement. He prefers movies now, all those hours in the water have given him a feel for doubles, mirrors, reflections of every kind.
In a rash moment, I‚d forgotten to pack my HIV meds in the on flight bags, and scurry through uniforms of the new Europe, the new personality that waits for me here, feeling for the crisp plastic screw tops buried deep in my luggage, more responsible than any act of will or prayer for keeping me alive. The cocktail they call it back home, a word I associate with the Dick Van Dyke show, balm of the North American preteen. While the longhairs were Wood stocking we were swallowing the old dreams on black and white television, watching Rob reach for his evening martini. Of course he worked as a comedy writer, what else amidst this barely contained topos of fear, every surface of his showroom apartment crammed with a brave new American manufacture, fridges and stoves thrown into the breach of empire. They, the enemy, the Communists and anarchists, the queers and niggers and Indians waited on every corner to take back what had once belonged to them (“As if !” Rob thinks). These white appliance bulwarks accumulating like treasures in the Vatican, in upwardly mobile homes like Rob and Laura‚s. At night, when he gets home to his perfect wife and TV dinner (if only they could stop showing us the Vietnam war ! These images of empire upset the digestion) he lounges in a chair large enough for three Robs, and reaches for his cocktail, unshaken, unstirred, and surveys the kingdom of his living room, a territory which he knows that soon (Will I get that raise ? That longed-for promotion ?) will be expanding, absorbing others of its kind. He‚s an American after all, he‚s been promised from birth.

I am shuffling through my bags searching for my cocktail thinking of Roband Laura when a grizzled survivor from the next table begins to speak (To us ? Is he speaking to us ?) in a desperate mix of Dutch and English and some sub-German dialect. He is making a speech in fact, though we are the only ones near enough to hear it, and as I pop my pills his eyes go wide and he shouts, “Juden” while running his hand over his throat. Yankees wants to leave RIGHT NOW but I’m tired, my motors aren’t running yet and besides, I haven’t finished my sandwich. I walk on over to him and give him my best threatening made-in-Canada stare down, which looks more like an apology if you want to know the truth. I come from a culture of apology, while the Americans have made a public imaginary out of success, the will to power, we in Canada have practiced an art of failure, rubbed it smooth until we could practice it with élan and grace, we have succeeded in making a culture of failure and apology, so my stony look glances off him no problem. He shouts back at me then, “Juden ! We should have killed you all. You are bringing plague to our land.” Because I’ve stepped off the plane hardly myself, I push my face into his and hurl a string of invectives (sadly, these remain the only Dutch words I’ve managed to retain). He leaves then, dissolving into the mist, another ghost of the old world biding his time until his hour will round again, some ancient memory of fear waiting for the radio, the loudspeaker, the TV, to begin the revolution, the purging and rituals of exclusions, the bloodletting of the righteous. There are graves to be spat on. Museums, which must be marked or bombed. The dead must never rest.

The most chilling word he offers of course is we. We should have killed you all. As if it were me too, waiting with the hatred in my mouth, my own killer. As if I‚d marched alongside him looking for enemies and finding them everywhere. And then each other. And then me.
Of course he knew, didn’t he, instantly, just what my medicine was for, which meant that either he himself was similarly afflicted, or he knew someone who was. Unusually, I‚m able to pull out my Norvir just about anywhere. Because I have to take it with meals I carry a bottle of the bright orange liquid into restaurants and cafes and bars, and no one looks up, no one notices at all, and I wonder if I‚m just the same, these small signifiers of the end multiplying all around me, though without the code they appear as benign moments of the cityscape, passing shadows, unnoticed. Of course people are dying in front of me all the time, I just don‚t see them. I won‚t see them. Not me, never me, no.

Amsterdam Redux
I have been invited to Amsterdam to share the long moments alone in the edit room from the past couple of decades. Retrospectives are usually reserved for the dead, but this one attracts so few people (who exactly did I have in mind when I named one of the programs, « The Agony of Arousal » ?) that I am weightless, an astronaut bounding over these strange new equators of the past. It was a long march alright, but mostly just for me, those old bruised pictures raised to light, some of, which, mercifully, would be heading straight for the dumpster as soon as I got home. The last screening contains my most recent and personal work. Naturally, it is about AIDS. When the lights come up, when I have watched my friends die again, the way only someone in a film can die, over and over, and without end, I am moved, a little choked as I stand up in front of the handful, so I‚m not prepared for the first question, not at all. My interrogator has one of those long, thin faces they manufacture in a plant just north of the city. They give them away for free so everybody has one, faces which seem to drip from their foreheads and stitched across it, almost carelessly, a pair of slave trader lips and glasses so beautiful you could make a down payment on a house with them. Serious. He has a serious face. This serious face asks me, “Why did you bring those movies here ? We don‚t have a problem with AIDS in Amsterdam. It’s only the junkies,” he insists, pausing to look around the room, “and the junkies haven‚t come.” There is a moment in Le
tters From Home
 when Sally says, “Twenty more people will die of AIDS while you’ve been watching this film.” But because it was made in 1996 that no longer holds. Now the number is more like thirty. But of course these people are dying in Africa and Asia, that‚s what the man with the dripping, serious face is telling me. It’s them over there, not here, not now, no, never not me.

Besides, I have committed the worst sin a filmer can make in these fringe venues. I have bored the audience, dulled and deadened them. Now it is their turn to tell me how much. If this is all feeling a bit off the beam, it‚s because I‚d spoken to Martel the day before, a stranger OK, we never met in the end. He worked as a journalist for the national daily and had been sitting on a mound of my tapes for the better part of a month, ready at last to squeeze his musings into sound byte infotainment Dutch so his readers, maestros of Matrix-land and other moments of LA manufacture, might glimpse some far shore of cinema between his homilies. Only he can‚t do it. He is at home when the call comes, it‚s his doctor, the tests have come back and would he mind coming in ? No, better make it today. When he arrives he hears the words he‚d been dreading these too long years, lost in the arms of the anonymous, his once lover already dead but that was already four, five summers ago, when something steady flickered up into his life at last, at fucking long last and then that was gone too. There were others but never for long, not too long now, they would start getting too close and he couldn’t help it, he could feel himself letting them go, just couldn’t face all that again, not yet. And now the doctor is telling him, ”I’m sorry. You’re HIV positive.” He calls me later that day, with a small, thin voice sounding far away from me, his body, the body of friends and family. It is a voice sounding from some long ago recess of his mother, the plains of Sinai, the Uldivai Gorge, he is calling from a thousand years ago so it’s no wonder I can hardly hear him saying, “I’m sorry. I‚m so sorry.” And then just, “I can’t.” Over and over. He echoes the doctor’s words, he can‚t help it, he hears them pounding away inside in place of his heartbeat, “I’m sorry,” he says, “and I just can’t do anything for you. My doctor told me that I’m…”Only he can’t bring himself to say the word, not today, not with the fresh kill still lingering in his mouth. That comes a few days later, when we talk and talk and talk, he doesn’t want to meet, no way, doesn’t‚t trust himself to leave the apartment, he knows what‚s out there now, how many kinds of misery the body can conjure. But he delivers the news and many other things besides which I can’t repeat for you here. But it’s his voice I hear ringing clear through the room when the man with the serious face tells me that I’ve come to the wrong place, we don‚t have an AIDS problem here. Now take your avant movies and leave please, when we want some more propaganda we’ll just turn on the TV.

Walter Blumenthal
“In August 1942 the Gestapo arrested Walter and his wife Elisabeth in their apartment in Berlin-Charlottenburg. They were to be taken away in a lorry. Shortly before it left, something was thrown from the vehicle. A neighbor saw this and later picked up the object. It was Walter‚s wallet, containing his business card and two photos. Walter and Elisabeth, both in there seventies, were deported to Thereslenstadt and later murdered in Minsk. Time and again the family of the neighbor who found the wallet told its story, preserving the memory of the Blumenthals and their fate.” (Jewish Museum, Berlin)

Pip’s Story Robert decides to go to Portugal, it’s not unusual, the Europeans are always leaving, turning the corner, opening the next door. From his friends he gathers a list of forty places he has to visit, no doubt about it, he’s going to be busy there. He’s young, not yet thirty, but one of those born into a sense of duty, he entered this world the way others enter a monastery, there is work to be done, so he crosses the border with his steering wheel in his right hand, and diligence in the other. He visits two, sometimes three places a day, never straying from his list, precious list, and at night he settles the car by the roadside, or sometimes in a park or school, and goes to sleep. He doesn’t have money for hotels, but he eats well, fish mostly, it’s the season, and those glazed palm trees for desert, a little heartier than their Paris cousins, pastry fans made in layers, which come apart in his fingers. The floor of the car is covered in them.
One night he has trouble finding a place to sleep. The streets are too narrow to park in, the schools are locked or closed, and he finds himself driving on past the outskirts of Vila do Conde. There‚s a large road running to Porto and he pulls off the shoulder hoping to stay there, right there, but when he looks out there‚s nothing, not a tree, a post, a bench, nothing. It‚s like someone‚s taken an eraser to this part of this world. So he keeps driving though very slowly, because no matter how he turns, or how far he ventures across this road, which is not a road anymore but a path of dirt and small stones, he can‚t make out a thing. Finally he decides to stop, he wants to get out and take a look around, so he leaves the headlights on. He opens the car door, steps away from the hood, and very nearly slips and falls. He is parked five feet away from a sudden drop. The land ends here, while beneath him the river is flowing. Waiting for travelers. The moment I keep rubbing in Robert‚s story is when he decides to stop the car. Of course it‚’s luck, pure chance, but couldn’t we also see this as an instant of knowing ? Imagine a school, a university where students would learn to recognize, organize, even attract moments like these. I believe that such a school exists, though there is no one paid to explain the way, no curriculum, and above all no rules. I believe that this is the place which art inhabits, though mostof its practitioners would gape at the mention.I know, I know there is little evidence of this kind of risk, perhaps this is why most shows are dull affairs celebrating the narcissism of objects (Look at me ! At me !). The drivers of these cars have pulled over long before the abyss, they have planned their routes well, and they are efficient, workmanlike, organized. But the art I long for, the hope I carry each time I cross the threshold of the gallery, museum, cinema, is that I will find someone living outside the code, who has left the known world behind, willing to risk everything for this moment of seeing, where the body can show itself again, radiant in its new understanding.
When he stopped the car Robert was still too young to believe in accidents, surrounded by nothing at all, his body reached out and saw his own death, and ordered him to stop. If you met Robert you‚d understand right away how he managed to do this, because Robert is someone who always in love, not with Sam or Julie or José just in love, just like that, opening. Robert is always opening, and when you meet he is so soft and easily bruised. It‚s something like a challenge, like he‚s laid down a glove between the two of you because that soft face is asking : will you join me here, in this place, opening and then opening again. And without end.

yann‚s movies
yann‚s first movie is entitled R (5 min 1976). He ventured to an empty field and shot it like a Bach fugue one afternoon, flicking his glass eye over the tall grass once, twice, three times, then zooming in and flicking again, easing matters with a real time pan then back to a staccato single frame eruption, breaking up the landscape until it appears as if it‚s looking at itself. What yann‚s insistent flicker reminds us, is that this is a reproduction, the natural world has vanished behind the curtain of science. There is no there there. When he tells me he made it all in-camera, I can hardly believe him, it appears the result of patient hours of rephotography, smoothing the moments, the repetitions, and the glissando glides of black and white flickering across this root life. It is a film I tried to make once and failed, no not just once, but three times, in each instance getting as far as the lab door before realizing no, this would never do, it’s not ready yet, and it never was.

Unexpectedly R became a hit, or at least a thud, which is max impact in the fringe microverse. It established him instantly as a force to be reckoned with, prints were purchased and circulated, he was an artist after all. yann feels that all films are not created equally, that democracy has little place in the production of pictures. “In your life you may produce only three or four films that are of any consequence,” he tells me, “perhaps only one. The rest are beginnings, pointers, and preludes. He wonders if he has already filled his quota.” Somehow none of this seems to bother him, tug at him, the way it pulls at me, almost all the time. I obsess about Yes, the teen idol band whose symphonic rockalots washed over my mescalined ears again and again. They were capable of three perfect records and a live set that made me weep to hear it. Then followed a double LP of such bloated self-importance even the band turned against it. Subsequent efforts proved little more than technical exercises (so many notes, so little feeling), each new record seemed haunted by the group‚s understanding they‚d lost touch with the manna they used to call home, the old numbers dutifully trotted out as concert encores, but when they reached for it now it was gone. They put out record after record, the line-ups changing as one member after another quit in frustration, all consummate musicians at the top of their game, unable to summon again the big feeling they had in those few short years. When I talk to Steve Reinke about this he figures that an artist has about a decade, more or less, to make their best work in, the rest is rise and fall. Hopefully, Steve winks at me, no one else notices. I had imagined matters would be different here on the fringe, no one looking over our shoulders for the next big thing, there was simply no place to aspire to that might bend the relation between the movie that wanted to be made and its maker. But yann assures me it isn’t so, and after watching the sub-optimal efforts of fringe makers in fests around the world I can only concur. The muse is a temporary diversion.
yann didn’t stop with R, though it would haunt him in the years to come. He was competing with himself, though when he began he didn’t know there was a race on. Each year brought another film, or two, until he had a body of work, by the turn of the century there were thirty, forty films, a trail of emulsion hinting at the secret pleasures celebrated by all those who had made an adventure out of seeing. There wasAmoroso(14 min 1983-6), a flickering travelogue with young Miles seen through rosy glasses, and while its midsection boasts a bravura fountain edit that would make Kenneth Anger blush, it‚s simply too long, too many vistas which flatten as the relentless pace continues until everything looks just the same. There is Divers-Épars(12 min 1987) and Spetsai (15 min 1989), flickering chase films which grab at the world in small bites, nothing lasts, no not for more than the time it takes to say “There” and “There” and “There”‚ one scene replacing the next in rapid fire succession. These are chase films, only the haunted one, the lonely pursued figure is never seen. The filmmaker yann. After a lifetime of childhood illnesses and fever he learned to push himself until he was too tired to go on, then he would push himself some more. For years he has lived on the verge of collapse, seeing too much, living a little too much, and the moment before falling, when the white light edges off the corner of the eye frame, is an experience he returns to in film after film. He is condemned to it somehow, it‚s how he sees, so when he picks up the camera, there it is again.
In the early 90s he began the first of what would be a trio of films about AIDS. The first,SID-A-IDS (5.5 min 1992), was made in conjunction with Positive, a Paris-based AIDS joint that grew alongside ACT UP. (“My good friend began Positive so that’s where I went,” says yann, shrugging.) yann offered to commission a series of shorts around AIDS which he would tour through France, a difficult promise to keep as it turned out, because “art and politics don’t mix in Paris”. (Later, when his film was purchased by ARTE, he gave the money to ACT UP.)

Still Life (12 min 1997) features a cascade of words, a rainbow flicker shattering its procession of titles into quick, outraged phrases. This is yann’s J’accuse. Three voice-overs cycle through the speakers, Derek Jarman’s pill regimen from Blue, David Wojnarowicz’s recount of a friend’s last hours and yann’s confessional. This is a formalist’s politic, an image made of words : “15 years of the epidemic in France. 45,000 dead. “Everything is OK !”

The consolation of making movies
While my friend died I…
While I watched him die I…
After I left the funeral I…

Paris : Black and Blue
I never manage to arrive in a city, no matter how long I stay, and the frame it provides for its inhabitants remains a blur. Paris, for instance, never brings the Marais hipsters into focus, the hustlers circling the Bastille, waiting for a look on a stranger‚s face that will admit them into anonymous worlds of pleasure (and pain of course, in a city this beautiful, this old, pain is never far). Instead, Paris is a face, yann’s face, his too-blue eyes opening the moment between us, shining with the luster of a childhood he refuses to leave behind. But while they are softly singing of the now, right here and now babe, they are also lost somewhere. While yann speaks of censorship problems, lobbying the museum, health care for immigrants, his eyes are wandering through the windows, up over all the walls and outside, lifting, always lifting to the stars he knows are there, even under these small roofs, the impossible miniature of this apartment. When I speak to yann I can’t help thinking : heaven is not so far, after all.

When we alight at Orly, after a three hour flight where the blonde flight attendant (do they only come in blonde ?) can‚t stop smiling, putting everyone on edge (is the joke on us ?) I‚m lost straight away, so even though I know it will cost me a good part of my screening fee, I climb into a cab. I take out the camera and pull my arm into focus, hanging off the thirty degree windows, still steaming from the day‚s oven, watch the light play across my fingers, the background coursing past, my body shaped and reshaped in the French ozone holes. We rush together along the highway, there’s no room for fucking around here, the cars so close I can count the hairs on the back of the neck of our neighbor. The driver plays jazz, what else, but I jump from the seat when he starts to sing along to Armstrong’s Black and Blue, the angriest cut of the great entertainer, the one who kept walking in the back door and raving up the joint then leaving when the show was over. “Oh sorry ma‚am, I better not have that drink, thanks for asking,” knowing that black and white cocktails didn’t mix in these small minds, so he left the same way the cleaners and busboys did, heading for the colored only hotel. He just kept smiling, and shrugging and laughing, certain that it would turn out alright, and some nights it did, but the long years of nigger and boy and sniggering pale trash that weren’t fit to wipe his horn worked its way up into Black and Blue, only he sang it so sweet and sad they couldn’t help playing it on the radio, even today, and whenever they did, you couldn’t help singing right along with him.
How will it end ?
Ain’t got a friend.
My only sin
Is in my skin.
What did I do ?
To be so black and blue.
(Black and Blue by A. Razaf, T. Waller, H. Brooks)

Up ahead a bus stops and the driver, the little tag on the back of his head says his name is Gus, rolls his eyes at me before remembering I’m anglais, complicated matters like traffic are doubtless beyond my understanding, so he turns back to face them and so do I. The first woman off is a great round ball of a tourist and she is followed, more slowly than surely, by a tribe of others, each wearing the same incredible t-shirt, dark cotton strained by too many crème brûlées and the long miles of bus. There is a simple message sprayed across their collective chest, loosed at last onto the baking cobblestones. “I’m Rea” No wonder they’re smiling.

yann shows me his new movie, Tu, Sempre, a political film thank you very much, with a capitol P. He has grown tired of the emulsion benders, the many still exploring the material roots of cinema. How does it work ? What happens when you take just this one moment, say a zoom or pan or even flickering colored light, and let that become the movie ? For both of us this used to be a place we called home, but we don‚t have much feeling for home left in us, not after burying the ones that lived there with us.

My body feels like a third person in the room, my mind a second person, my friend a first person, the doctor absolutely necessary. (Tu, Sempre)

There are texts flowing, crawling, and moving through the frame.Confessions, statistics, commentaries, notes in the margins running, always running and it is too much, it appears as compulsion, hysteria even, all these words in a place usually reserved for pictures. I can‚ help but wonder if yann has come to end of his pictures, or found himself in a place where pictures are no longer enough, unable to bear the burden of all that needs to be shown and shared. Between the words there are moments of flesh, glimpsed in close-up, the camera crawling through the pores, but just for an instant, just long enough to remind us that these words, this movie, has come from a body, and is returning to it.

At that point when I first began to comprehend the enormity of what was happening to my community, I understood only that we would lose many people. But I did not anticipate that those of us who remain, that is to say, those of us who will continue to lose and lose, would also lose our ability to fully mourn. I feel that I have been dehumanized by the sheer quantity of death, so that now I can no longer fully grieve each person- how much I love each one and how much I miss each one. (Tu, Sempre)
In place of a single viewpoint, the portal of imperative that movie talk usually offers (Do you love me ?), there is only diffusion, a scattering of words. They appear at once streaming in opposite directions, spoken in voice-over, asking, language always asks us to listen (Do you love me ?) insisting the viewer/listener make a choice. Which path to follow ? And how far ? For each member of the audience, a different movie. And in place of the pictures, which have been denied us, we are forced to summon our own.

Along with the common celebration of the unbounded flows in our new global village, one can still sense also an anxiety about increased contact and certain nostalgia for colonialist hygiene. The dark side of the consciousness of globalization is the fear of contagion. If we break down global boundaries and open universal contact in our global village, how will we prevent the spread of disease and corruption ? This anxiety is most clearly revealed with respect to the AIDS pandemic. The lightning speed of the spreads of AIDS in the Americas, Europe, Africa and Asia demonstrates the new dangers of global contagion. As AIDS has been recognized first as a disease and then as a global pandemic, there have developed maps of its sources-a spread that often focuses on central Africa and Haiti, in terms reminiscent of the colonialist imaginary : unrestrained sexuality, moral corruption, and lack of hygiene. Indeed, the dominant discourse of AIDS prevention has all been about hygiene. We must avoid contact and use protection. (Tu, Sempre)

A confession. Seeded along these two texts are words of my own, yann had asked me for them how long ago now, a year, or two at least, and after I scribbled them into the computer and sent them off he had one further request, that I record them as well. I remember standing at the microphone at the beginning of the session with Terry, the kind engineer who pretties up rock bands most days but loves the lyrics most of all. It’s what keeps him hanging in there hour after hour, listening to the same dull tunes wearing grooves into the imagination. But he lives for a well turned phrase, so he never minds when I book an hour because at last there are only words, precious words now, no Chuck Berry reworking in sight. I start by saying hi to yann and Thomas, feeling like a ghost, like I’m leaving something behind which I won‚t be around to see later.

These words. This testament.

There is no speaking without a return address, my words find there way back on a silver disc yann posts from Paris. On its smooth surface, an accretion of null points and ones, digital evidence of the crosstalk between yann and Thomas. The soundtrack has arrived.

It is strange, uncanny even to hear my voice gathered up into the storm of Thomas’s plague. He makes me remember. There are so many sounds that have passed through my life, and lacking the means to describe them, they slip right on by, there‚s nothing for them to hold onto. My memory begins with the eyes (Was the day bright or dark ? Not : was the day loud or quiet) and to an unfortunate degree, stays there. What Thomas summons (how did he know ?) on this disc is a micro-memory of sound, not déjà vu but deja écoute, the thousand small ways the body is defeated, unable to get up off the floor, breathe clearly, see across the room, and then something like hope, the beginning of hope arises out of these congested tones as the cells begin their patient work of restitching, climbing the mountain of the next day, leaving fever behind. There is no final clearing here, but the work, which I need hasten to mention does not belong entirely in Thomas’s laptop but in this place of trust grown slowly between yann and Thomas, is gobbed up into narrative form, telling tales of a (social) body’s passage through plague. How could I fail to hear it as my own story, granted chords and micro-tonal murmurings, even as yann‚s voice, crisp, deadly, precise, delivers fragments from the frontlines of this illness, giving way at last to Greg Bordowitz raising the roof at an AIDS rally. The hairs on my arms are standing. For three months nothing else will do, it accompanies breakfast, email, everything but the edit room. Digital narcissism ? Or some way to feel, with Rimbaud, with all of those similarly afflicted : “Je suis un autre”. But also : we are not alone. Someone has learned our song, someone from the outside, and we can sing it along with him. This plague will not be the end of us after all. This song, this movie will continue after we have cum and gone. Hear it if you can.

Always You (Tu, Sempre)

They told me it wouldn’t last, that I wouldn’t live, that there was nothing they could do for me. The year is 1988 and I have AIDS, and there‚s nothing, not really, that anyone can do about it, except to monitor my decline, along with all the others, weak and weaker, all waiting to hear what we already know. It‚s worse now, we didn’t think it could get any worse but now it‚s worse. When we leave there will be funerals to attend and friends to visit. New ways to say good-bye.

There are fevers and bad glands and pneumonia of course and bad reactions to drugs and shingles and nerve problems and I keep thinking I‚m one of the lucky ones. Because I’m still here. Still alive. Slowly, while my friends are lowered into the ground, or burned, or tossed across the water, or scattered across parks and street corners they used to brighten, slowly these new drugs arrive. Where once there was certain death, now there was a reprieve, for some of us at least, for many it was already too late. For anyone who was unlucky enough to be born wherever health care was impossible, in the epicenter of the disease, in Asia and Africa, the drug companies just said no, you can‚t afford it, you can‚t afford to live, and we can‚t afford to make you live. But I won the lottery again, because unlike my friends in the States, I get health care just because I was born in this country, this Canada, this Canada of the body. So I take the drugs, even though they make me sick, sicker than I’ve been for a long time, but I get over that. I get well again, and then something like normal happens. For a while it‚s manageable and there‚s not a funeral every week anymore, now it‚s every month, or every two months and all around me people are beginning to feel again. We‚re letting ourselves feel again. Because that‚s possible now, and it hasn’t been possible for a long time.

When I talk to my friend Gene he says I like bareback riding I don‚t care, if I get a dose I‚ll just go on the pills, just like you Mike, and I try to tell him but it‚s no use. He‚s going to do it anyway, and there‚s nothing I can say that might protect him from himself. There is only now. That‚s what Gene is telling me. Only now seems like such a short time.

My friend Tom is dying of Parkinson‚s. Slowly, he is losing control of his body, fired from work, his bank account empties, and it‚s not like he doesn’t care, not at all, but he starts having sex at the clubs. Sure he tries to check for condoms but sometimes it‚s late, he‚s not always careful, and eventually, finally, he becomes positive too. We are snatching defeat from the jaws of victory.
I’m so tired of dying. I know my friends are tired of it. The late night calls, the vigil in the hospital-for what ? I‚m still here aren’t I ? Just like the epidemic. Just like AIDS. How is it that a disease, which is so easy to stop, so easy not to pass along, keeps getting passed along ? Is this love ? Is this what love‚s become ? Whoops, I‚m sorry honey, I think I just killed you. By mistake. It‚s all been a big mistake. Only there’ll be no cleaning up the mess, not until the last one of us is dead and gone, no longer even able to utter a name, a single name of the long roll call of all those of us who have knelt beneath this illness, this reliable companion, and looked it straight in the face and said yes. Kill me. Infect me. I‚m ready now. Ready for the end. Won‚t you join us here ? It doesn’t take much, just a moment that‚s all, a little slip, and you’ll be on our side and then you won‚t have to read about it in the papers anymore and wonder why because you’ll be in it, body and soul. Like us. You’ll be getting busy dying.

From Scratch? (Eng)

Opening lecture, Xperimenta 09, Contemporary Glances at Experimental Cinema, Centro de Cultura Contemporana de Barcelona, 02-26-2009 Barcelona

FROM SCRATCH?

Describing the situation  of experimental film in Vancouver in the 1980s, Al Razutis had this to say: “There’s a lot of people who went through the process and vanished, whose work in its time was just as important as those who are remembered in the 80’s today. It’s a rear guard thinking that doesn’t account for the networks of influence as they’re played out at the time. I think a lot of stuff has gone down unsung and unknown and it’s terrible. [1]”
When creating Light Cone with Miles McKane, I was not thinking along these lines, but somehow the setting of the cooperative encompassed these issues among others, that had to do with local matters, such as the difficulty to access contemporary and historical woks on a daily basis and outside the festival scheme, in order to see the unseen.
As Keith Sanborn remarked in the late 80’s “films are born dead” and need to be reanimated through distribution and screening. When Light Cone was created it seemed particularly useful to establish a positive field for experimental cinema: to create the means to give access to new works and to works that we had only heard of through distribution and exhibition. These were our initial goals.
One important effect to this was to put experimental film back on the agenda of the museum. Even if it was already within the concerns of a museum, such as Centre Georges Pompidou, our aim was to put these films back within the context of art. At the beginning, this was not easy, but this moved slowly, somehow, to a kind of simultaneous recognition by the academy and by the art world. But was this for the best? Has it duplicated and maximized a canonical view of those films? A view, which duplicates as a parody, the world economy calling for a paternalist approach to any kind of otherness: a sort of cultural neocolonialism.
It seemed important at that time, as it is still now days, in a different way, to look for the unseen, the unknown or the underestimated, the marginalized. But Light Cone was created in the eighties, something like thirty years ago. Today it seems necessary to convey and have access to the unofficial, the underground, which means to look for “otherness,” in all possible meaning, as much as, to look-at it in a different way. One must understand that, for roughly the past 15 years, the experimental film scene has become part of art history as much as cinema history, which was not always the case. At festivals, historical exhibitions are either devoted to a theme such as abstract film, calculated films, found footage films and so on, or an aspect is investigated such as expanded cinema, sampling, performances. Simultaneously, avant-garde studies have become routine -not as developed as cultural studies- but it is on its way. For long the area has been a territory reserved for specialists: mostly the filmmakers themselves and a very few historians and critics.
Experimental film has become a genre in itself. Within the industry, if someone gives you credit for an “experimental touch” you get a positive appreciation (plus-value) and who knows, maybe a box office hit within the independent film scene. We have seen a subtle shift in how experimental film is talked about: from derogatory to complimentary, at least in France  since the late 90’s. In both cases and maybe today even more, this will to standardize, one should understand, regulates or even homogenizes things to such a degree that “experimental film” practices dissolve into an unidentified field. This turn of event evokes what has happened to the gay community: the recognition of our rights has been the best way to promote or establish as a norm a perfect right to indifference. This use of tolerance is the best way to annihilate any radical drive. As a filmmaker, and as a gay I do see a lot of similarities in these recognition practices that are promoted in order to depoliticize the “other.”

It goes without saying that in both cases what is privileged is some characteristics or singularities to the detriment of its recognition as “other.” Another talk might be given, declaring that it was about time to recognize these practices existed and therefore include them in the on-going spectacle. The more it’s included, the more it dissolves into the culture industry. Of course, it seemed outrageous that experimental filmmakers were regarded as second tier artists. Most of us have experienced this when selling prints to museums. I could speak for myself but prefer to refer to this through a letter that Paul Sharits wrote to the Wallraf-Richartz Museum, Köln in 74. Already describing this phenomenon through the standard applied to artists showing their films and filmmakers. Guess who is second rate? “To begin with, I would like to know why Michael Snow is listed and treated as a “filmmaker” while Jack Smith is listed as an “artist”. It is no secret that Snow is an accomplished and respected artist in numerous media and Jack Smith is an accomplished and respected artist only in film, slide and performance…. Furthermore, I have learned that “artists showing their films are receiving gallery sale prices for prints while “filmmakers” are receiving a mere 3DM per minute rental of their works. [2]” This division (of labor) still obtains. If you have not succeeded in entering the gallery world and the art market, you can always dream. Dreams that money can buy, (here not filmed by Hans Richter) has become the way most “films by artists” are made, duplicating the Hollywood schema, but without the ability to match its standard. The common denominator being the money spent to make the work. This fascination with cost, with the latest high tech devices to make the films, shows how far away we are from the impulse of many of the underground filmmakers of the sixties and after. The impetus to resist the Hollywood standard is nowhere to be seen, what is at stake is mostly the mirage of this dream factory. This dream factory has succeed in colonizing our imaginary to such an extent that it appears there is no alternative to it. This use of film by most artists is often directed toward the black box or the white cube, but not so often the theater. This shift toward concern with filmic reception induces, not to say promotes, indifference toward projected images. If this were really the case, it would be rather interesting because it would be the mark of a “demy(s)tification of the sacred image. It would connected to the use of image by designer when using motion graphic or architect, for which processing determined or indefinite processes procedures are the main objects disqualifying our image cult. These procedures share some aspects of what was achieved with “structural cinema”, with some of the films of the Whitney brothers, or with pattern paintings.
But let’s go back to our black box and white cube, that have become the ultimate locations where one’s work can be projected or be seen. These locations transform the reception of a work through a variety of disturbances, which sometimes requires a totally immersive space, from which it is difficult to remove oneself. This immersion expands Peter Kubelka’s Invisible Cinema, but with a twist: it is not only the eyes and the ears that are required for the show. It could be much more. This box in which there appears films and dirt particles, mostly called for endless loops while the projected flow of images follows a traditional use of narrative. We are facing a displacement of reception but are not necessarily offer new means of structuring, or alternatives to dominant narratives. The box in itself explores practices where seeing and wandering within cinema take place, much as is the case with You Tube, Vimeo, DailyMotion, that are locations where cinema takes place as well. A point has to be made about works dealing precisely with Internet censorship through their use of specific filters or mode of exclusion such as in the case of youtube: flagging [3]. Chroma, a project created by Dominik Bartowski. [4], is a software that reshapes porn images in a way that used and subverted the censor filters. The software is user friendly in order to produce your own images that are part of this general recycling, recombining attitudes which have become prevalent in our everyday life.

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Not that we are seeing different films specific to each of these apparatuses, but something distinct is happening as Lev Manovich points out: “We have a revolutionary new means of content distribution, but… the content tends to remain the same: people write letters, people shoot video, people take photographs. [5].”But at the same time, one will notice that some of the things that reflected the personal cinema are becoming banal on those sites; the confessional drive, the diaries, the trick film are examples that come to mind. These small films on display in those sites follow the setting of television. We are facing a use of cinema through television, if we apprehend Cinema as the art of organizing a stream of audio-visual events in time. It is an event-stream like music [6] In this vast quantity of work, what will we looking at? What will attract our blasé glance? This incredible amount of work is a reflection of what is also going on within the film festival. Between what has been selected and what is available through the consulting library we would need weeks to look at all the work. Confronted with such incommensurability, we are left with potential regrets, frustration or contempt. Have I not missed the one film we have been waiting for. Confronted with that vast production, in which there might be some interesting works, how will I have access to the interesting ones? Does it matter any longer to have access to all the interesting works? One could consider that this wish belongs to a time when it was possible to know the history of cinema, despite the considerable amount you were able to have seen most of the work produced within this field. But first of all, this “encyclopedic” knowledge reflected a limited view of cinema, mostly western views; from it, very often, not to say systematically, other works were excluded, which were neither western, nor made according to the reigning set of optics in use. It is interesting in that respect to notice that the way we have shaped the history of experimental films duplicates the world economy. Europe, seeking to be the dominant force in the 20’s, the US from the 40’s onward engaged in a kind of self-aggrandizing cartography: to the map one had created, one would add new territory, new cinema practices according to a fascination with exoticism: an extensive colonialism or sectarianism. This issue has been dealt by filmmakers such as Trinh Minh-Ha and Lisl Ponger by focusing on ethnocentrism within travel films [7]. This project is based on tourist films; it rarely conveys the images and the sound of the others. (In déjà vu, we can hear the tale of Karim Duarte speaking about Cap Verdian Independence Day). At other times, we discover new territory and will screen, as a new trend, films coming from outside. One should remember our cyclical fascination with new territory in which we discover films only because we have been certain to have exhibited our own. This attitude is well described in the publication Cinema of Prayogain which this double movement is acknowledged: “on one part this exchange has been the movement of classic and contemporary work from the UK to packed audiences in India over the lat 5 years of the Experimental film festival” the other part being the publication which “reflects discoveries made under these circumstances and as such we believe it is a key text for beginning the process of challenging the dominant US and Euro-centric histories mainly known in the UK [8]” Among others I have been part of this trend, focusing on diverse cinematic lands according to friendships, encounters, love. It would be presumptuous to say “from scratch.

We should be aware of the fact that since the media piracy has increased and has given access to works which were not available in different countries for different reasons, censorship. As Tilman Baumgärtel put it : “While in Europe and the USA, piracy is mostly seen as an online phenomenon that takes place via peer-to-peer networks the pirate culture in Southeast Asia is informed by the fact that in many countries here people do not have acess to the internet or do not even have a computer of their own. Therefore the predominant form of piracy in the region is the sale of counterfeit DVDs and VCDs.” [9] This media piracy have increased the visibility of the international art house, experimental as well as porno films, and has transformed filmic knowledge by adding these territories. It functions as an educational tool, and can explained the eruption of new type of cinematography within such countries. Filmmaker such as Apichatpong Weerasetheakul is a good example or this interaction.

We are far from scratch.

I have always been curious of the lesser known, not to say the “unknown,” the different. This could have to do with a sexual drive but it would be a bit simplistic to reduce it to that. It seems there were always films that were referred to, but these films were never screened, or rarely, I thought it could be possible to give Light Cone and Scratch an opportunity to deal with these lost, unseen works. This explains the search for films in the 80’ such as the work of Len Lye, Laszlo Moholy Nagy, Germaine Dulac, Daniel Buren, Richard Serra, Carolee Schneeman, Anthony McCall, Jack Smith, Valie Export, and as well as for the work of lesser know individuals such as Alexandre Witkine, Eugene Deslaw, Adrian Brunel, José Rodrigo Solteiro, Nguyen Tan Haong, Wayne Yung… I could say that what was at stake was to produce and to give access to alternative paths within the history of experimental films. Not to forget the margins of the field, to dig them out in some way.

To this end, we will look at an extract from a Brazilian film made by the writer artist José Agrippino de Paula. The film is called Hitler 3° Mundo, [Hitler 3rd World], and was shot in 1969. It is the only 16mm film left by this filmmaker among a few super 8 films that he made later on, in Africa and Brazil in the 70’s. José Agrippino de Paula, is considered one of the main precursors of Tropicalism. His novels Lugar Público (1965) and PanAmérica (1967) and his play/happening: The United Nations (1968) are epic works annexing multilayered sources of icons and facts, such as pop had done in painting. Hitler 3° Mundo was mostly shot in São Paulo during the dictatorship, with the assistance of the filmmaker Jorge Bodansky as a cameraman. The film was based on a happening; Tarzan terceiro Mundo: Mustang Hibernado, made with the help of Maria Ester Stockler. One will immediately see the connections with the Living Theater, andThe Brig (filmed by Jonas Mekas) but as well with the work of Ron Rice and Jack Smith, and with that of the performers Taylor Mead and Jack Smith. What is of special interest and offers a lot to think about is to recognize how José Agrippino de Paula deals with and masters improvisation and chance, in a manner that recalls Jack Smith’s ability to work from improvisation. In both cases, these artists know how to take advantage of chance. In Hitler 3° Mundo, for example, while the man dressed as the thing is screaming from the top of a building, Zé Agrippino persuaded a group of soldiers and cops to arrest him and filmed his arrest without any authorization at a time when everyone else was trying to stay clear of the army (screening of an extract from 10’ to 15’)

hitler 3° Mundo
Cinema production has by now surpassed our ability to seize its entire scope. So we have to now find new ways of dealing with such a volume of production. The fact that production is more important doesn’t necessarily mean that the amount of strong work is also increasing; but it means that it might be more difficult to have access to it. To succeed in seeing works, we have to create a new kind of web, in order to connect to work. The film festival, a special screening presentation, might be a good opportunity to see works but it might not always be relevant. While a performance of live cinema or a site specific installation will always imply taking place directly, other filmic experience could be shared on different levels, despite the fact that we might lose, to not say dissolve the experience of the film’s grain and its unique pulse.
Mike Hoolboom said that film festivals stink of the mall: “too many shown all at once, one after another, all howling for attention like the Bargain Prices Reduced no Offer Too Low signs which greet me in the covered wagons of the shopping paradise. [10]” Indeed the festivals are one of our shopping malls, but they are not the only ones that deliver us to this mass of films. The Internet is busy covering the field. As said to Mike in response, “Avant-garde has become a programming category. But one wonders if avant-garde practices are still relevant within films today. Maybe the notion of the avant-garde and the way it has frozen a practice in a frozen genre is the main limitation to a renewal of film practices.” All the same, in the eighties and nineties, it has been important to develop visibility for works that renew the tradition of the avant-garde. And fortunately the understanding of such practices has shifted not only in regard to content strategies but mostly as regards origins. It is not the kingdom of westerners, or what westerners were fantasizing about it.
Globalization has hit culture as much as anything else, in some ways more rapidly than any other field. This is very stimulating because we don’t master what is available; we are in a wandering situation that evokes the way we walk through the mall as much as through the exhibition spaces. We are in a state of distracted attentiveness. The production being so huge, it has become more democratic. The way we were making such films belongs to different minorities such as races and gender(s). It is no longer the exclusive practice of the dominant powers: i.e. the west. The dominant power is no longer alone. Others have challenged it; different voices have erased white supremacy. In this case, the festival is no longer a place for celebration so much as a place to emphasize parallel routes. A festival becomes a collection of possibilities. It’s a network, a web. We go to festivals not so much to see films, as to meet and encounter people, in that sense the festival is like the opening within the art scene. The sheer quantity of works already implies further screening opportunities and so questions the means of any single festival. In a festival, one work follows another. This massing and the attention required to see work is (maybe) not the best at festivals. The way we have conceived of exhibition is obsolete, and we should think about new forms of giving access to the works.
Today transmission does not necessarily imply theatrical screening. It encompasses broadcasting and downloading. One has to deal with multiple channels of exhibiting a work, in order to create new space for film. We not only need to see works under proper conditions, but we need to think about what it means to make this type of work today. The amount of cinema is such that we have to create anew the conditions of reception for these works. We can’t keep on duplicating forever, the same horizon, as if cinema had reached an eternal form of display. Cinema is no longer what we have previously known. Cinema has become democratic, some will say perverted, to such an extent that it invades the city walls, the mall and any screen we have access to. Can we continue making and exhibiting the same type of works that belongs to a past epoch, to certain types of political, social and esthetic conditions? Can we sustain the same old fascination for a Work of Art as it was in a previous era? Can we still perpetuate this film form as duplication (reproduction) du Grand Œuvre according to canonical norms? Can we still display the same old history that excludes and protects more than it shares?
How much longer are we going to look at the same canonical history of film, as if there had not been any other makers, any other trends that have questioned this? The film archive category has been useful for a time, but to erect it as dogma to secure its eternity seems rather strange because it demonstrates what it was, but is not any longer. Frozen in its celebration, like any potentate, it can’t cope with differences. The inclusion of otherness reflects only a new twist to gain another chance for survival. Do we have to follow once again American history and its numerous sequels, where nationalism becomes the key word to oppose or confront domination. In order to promote another vision, we too often respond with similar strategies, therefore giving added attention to the object we are trying to critique. How are we going to proceed? Should we give cinema a chance, creating specific spaces to encounter projects, such as sites giving access to different schemas? Manifestons! Manifestons! for example is a You tube platform where we can look at works “without quality,” which no longer invests the ontology of the image with anything

manifestons youtube edson barrus

Other than its availability.

This proposal, Cecilia Cotrim [11] has rightly pointed out, resists the normative functioning of the contemporary cultural system, by focusing its effort on the creation and dissemination of daily writing. Expanding and torpedoing this notion of keeping a daily activity, focusing on one of its aspects sometimes absent from our daily life. It is the process that is asserted: the notion of dissemination and not so much the actual image. By playing the medium against itself, against the grain, the artist Edson Barrus is offering ways to think about our use and abuse of images. Similar experiences are produced when activism is geared toward political/social/aesthetic issues…
The diversity of approaches toward cinema offers the opportunity of opening new territory in which it might not be the theatrical moment, which is the most important, but a context from which, in which a work is given meaning. Some proposals of Keith Sanborn deal with these issues. Facing a proliferation of works we have to produce these moments, in which reflexivity as much as relation will give the work a dimension that a screening does not supply. We could run screenings from the web to which you subscribe, or with pod casting. It is how we can understand why so many filmmakers are now giving access to their films on different platforms, in order to emphasized this displacement. But we might well turn away from the “massification” of this culture, its spectacularization by staging anew modest forms of screenings as some of us have the habit of doing. To reshape the display of cinema by reinvestigating the private sphere to induce other behavior? We have to open the critical space, which seems to have disappeared. It seems more than necessary to invest such a critical space in which not only works are shown, but also in which works become not an end but a vector of critical studies. Does it mean that film for film sake is out of consideration? If, in 1992, it was useful to wonder about the production of new images to make films [12], one wonders today whether it is not the concept and practices of filmmaking in themselves which are still pertinent?
Experimental film and its contemporary practices are part of the cultural landscape and retain respected specific niches, expurgated of any claims to subversion, utterly sanitized. As if there were any way to politicize these practices. Searching for recognition we might have lost some of the determinant impulses within this practice that had to do with countering/opposing/subverting. Reification took place on different levels, but we can encounter the drive of such practices in other fields that have nothing to do with this fascination for ruins and with the domination of the archive of our lives.

From Scratch? Is this what we were born for?

“Films are born dead: they must be reanimated to be counted among the living. They pass most of their existences unseen, as inanimate bodies. There is something eerie in reviving them. For, in their inertness, films decay into oblivion, or by force of power they attract, become ritual objects of museological mysteries: unseen, unheard, sacred. [13]” Keith Sanborn
yann beauvais delivered on February 26th at CCCB Xperimenta 09


[1] Al Razutis Interviewed by Mike Hoolboom, in Inside The Pleasure Dome Fringe Film in Canada, Toronto, Gutter Press 1997

[2] Letter to Marlis Grüterlich 1974), in Paul Sharits, Ed yann beauvais Les presses du Réel, Dijon 2008

[3] Computing a variable used to indicate a particular property of the data in a record. Signaling. On the used of Flagging in You Tube, cf Flagging or Fagging (Self-)Censorship of Gay Content on Youtube, Minke Kampman in Video Vortex Reader, Responses to Youtube, ed by Geert Lovink and Sabine Niederer Ink reader #4, Amsterdam 2008, pdf at www.networkcultures.org/publications

[4] To have access to this project: http://online.impakt.nl and http://chromasoft.wordpress.com

[5] We Have Only Started Interview with Lev Manovich,J Hidding in The Cinematic Experience edited by Boris Debacker & Arie Altena, p 137

[6] Gene Youngblood: Cinema and the Code in Future Cinema The Cinematic Imaginary after Film p 156 Ed by Jeffrey Shaw and Peter Weibel, MIT Press 2003

[7] On this issue, see Tim Sharp in Ailleurs 3, Centre Culturel Suisse Paris 1999 andhttp://lislponger.com

[8] Brad Butler & Karen Mirza Preface in Cinema of Prayoga Indian Experimental Film & Video 1913-2006 A no.w.here Publication, London 2006.

[9] Media Piracy and Independent Cinema in Southeast Asia, in Video Vortex Reader, Responses to Yutube ed by Geert Lovink and Sabine Niederer Ink reader #4, Amsterdam 2008, pdf atwww.networkcultures.org/publications

[10] In Showing Pictures : A conversation with yann beauvais and Mike Hoolboom, 2008http://www.mikehoolboom.com/writing/essays/Showing%20Pictures.htm

[11] Querer a multidão, Cecilia Cotrim 2008

[12] It was Peter Tscherkassy in a round table in 1992 at the Viper Film Festival who was addressing this issue. This assertion was very stimulating for me at that time.

[13] Keith Sanborn: History, Necrology, Detection in Underexposed, Artists Space 1987

Le film de voyage entre carnet de notes, colonialisme et subjectivité (Fr)

PUC, Rio de Janeiro 04-11-2008 à l’invitation de Cecilia Cotrim

Je vous prie de bien vouloir accepter cette lecture comme un travail en cours d’élaboration. Entre le moment où j’ai pensé développer ce sujet et la délivrance des gouffres se sont ouverts. Je ne pensais pas que certains de mes films allaient aiguiller la recherche, non pas tant pour les glorifier que pour remettre en cause les a priori qui avaient pu les générer. Dans cet exercice qui interroge un champ en regard de quelques travaux, j’ai rencontré et croisé d’autres analyses qui adressent un ensemble de questions que je ne fais qu ‘effleurer aujourd’hui.

Le journal filmé est un genre cinématographique à part entière qui existe depuis le début du cinéma. Les premiers films des frères Lumière relèvent de ce genre qui rend public des moments qui révèlent l’espace privé de la famille autant que des lieux qu’elle habite, que de l’intime tel qu’on le comprend aujourd’hui : Le repas de Bébé (1895) des Lumière, Window Water Baby Moving (1959) de Stan Brakhage, My Grandparents, (1972) de Dieter Meyer en sont quelques exemples. Le journal filmé documente la vie du filmeur : La sortie des usines Lumières (1895), Private Life of a Cat (1947) de Maya Deren et Alexander Hammid. Par les formes plurielles qu’il peut emprunter, le journal n’est pas contraignant en dehors des règles que s’imposent le cinéaste, la fréquence des captures autant que le choix des scènes ne répond à aucune contrainte particulière. Le journal filmé est un cinéma à la première personne. Il s’agit d’un cinéma qui s’inscrit en dehors du cinéma narratif traditionnel et qui partage avec les films de famille, et donc avec l’amateur, un ensemble de moyens et buts. Il est affirmation d’une parole extérieure à la production dominante du cinéma, expression d’une personne et de son entourage, de son mode de vie. Le cinéaste enregistre différentes activités que ne prenaient pas en charge le cinéma dominant telles les activités quotidiennes domestiques ou sexuelles. Dans un journal à priori, il n’y aurait pas d’interdit en dehors de ceux du cinéaste. Fuses (1964-67) de Carolee Schneeman, Loads (1980) de Curt McDowell, Matsumae Kun No eiga (1980) de Hiroyuki Oki, mettent l’accent sur les rencontres et relations sexuelles des cinéastes. Des malades tiennent des journaux afin de donner à voir ce qui est souvent marginalisé : la douleur ou spectaculaire dans le cinéma narratif classique : la mort, ou pudiquement évité dans le cinéma documentaire. À partir de la fin des années 80 de nombreux journaux de maladie ont été réalisés comme ceux de Carl George DHPG mon Amour (1989), d’Hervé Guibert La pudeur ou l’impudeur (1990-91) ou plus récemment The Odds of Recovery (2002) de Su Friedrich.

Le journal filmé est parfois le compte-rendu d’une visite ou le récit d’un voyage : telMünchen Berlin Wanderung (1927) d’Oskar Fischinger, Unsere Afrikareise (1966) de Peter Kubelka ou A Bus Trip to Washington (1988) de Nelson Sullivan. Les récits de voyage prennent une dimension autobiographique lorsque l’on va visiter son pays natal comme le fait Jonas Mekas dans Reminicences of a Journey to Lithuania (1971-72), ou bien à la rencontre de la terre de ses ancêtres : My Mother’s Place (1990) de Richard Fung. Au travers de ces retours vers l’enfance, ou vers l’origine se conjuguent facilement les liens entre récit de voyages et autobiographie. On notera brièvement que le récit de voyage est une forme littéraire très riche et qu’elle a motivé de nombreux romans au 19ème siècle qui accompagnaient comme par le plus grand des hasards l’expansion coloniale de différents pays européens.
Le journal de voyage Reminicences of a Journey to Lithuania de Jonas Mekas poursuit ce projet de fabriquer des souvenirs dans ce nouveau pays et ainsi acquérir une nouvelle mémoire à partir de moment où il est arrivé aux Etats-Unis en 1949. Dans Reminicences of a Journey to Lithuania le retour au pays natal, permet de revoir, de se réapproprier les lieux de l’enfance, les couleurs, les odeurs et un mode d’être au monde avant la catastrophe. L’enregistrement des séquences dans Lost, Lost, Lost (1949-76) ou dansWalden (1964-68) inscrit une subjectivité se déployant selon les cadrages, le choix des lieux, les répétitions, les manières de filmer…La connaissance progressive de l’instrument, la caméra avec toutes les possibilités qu’elle autorise permet à Jonas Mekas de s’affranchir des règles qu’il pensait devoir suivre pour faire du cinéma. Il passe ainsi d’une approche documentaire, à une approche plus lyrique, dans laquelle la trace de la subjectivité s’appréhende à travers les mouvements et les filés autant que par une mise au point vacillante. C’est l’expressivité du sujet filmant qui domine, plus que la reproduction d’un point de vue photographique lisse. Il recourt à des intertitres comme l’a fait Marie Menken avec Notebook (Carnet d’esquisses) dès 1962.
On retrouve une attitude similaire chez Stan Brakhage lorsqu’il filme l’accouchement de sa femme dans Window Water Baby Moving (1959). Cependant pour Brakhage, le film explore les conditions de possibilités de la vision en essayant de montrer au travers d’éclats graphiques et colorés ce qu’accéder au monde signifie à travers la production d’une vision particulière dont vous avez pu entrevoir les possibilités dans Dog Star Man(1961-64)que vous avez pu voir dans le cadre de ce cours. Il a défendu cette vision à travers ses films et dans un texte : Metaphors on visions (1963) : Imagine um olho não governado pelas leis de perspectiva feitas pelo homem, um olho imparcial, sem preconceitos de lógica, um olho o qual não reage à nomes de tudo mas descobre cada objeto através de uma aventura de percepção. Quantas cores existem num campo gramado para um bebê que não sabe o que é « verde » ? Quantos arco-íris pode a luz criar para uma olho não instruído. Quão atento à variações em ondas de calor este olho pode ser ? Imagine um mundo vivo com objetos incompreensíveis e vislumbrado com uma variedade infinita de movimentos e inúmeras graduações de cor. Imagine um mundo antes de « No Princípio era o Verbo… »

Les journaux filmés ne sont pas nécessairement destinés à être montrées à un public plus large que celui de l’entourage du cinéaste. Comment s’explique ce passage du privé au public ? À partir de quel moment, un En quoi le passage et l’affirmation de l’individu comme un « je » est-elle partagée, et rendue accessible à travers les journaux filmés ? Peut-on envisager les journaux de voyages comme des distractions de cinéaste ? Pourquoi fait-on un journal de voyage ? Un journal filmé ? Quels sont les rapports qu’entretient le journal filmé avec l’autoportrait et l’autobiographie ?

Avec l’avènement de la vidéo et du numérique les journaux filmés autant que les travelogs s’échangent dans l’instant au moyen des téléphones portables ou de manières plus anonymes sur Youtube ou Daily Motion. Cette manière d’échanger ses souvenirs au moyen du téléphone portable paraît être un condensé de ces réunions de famille dans lesquelles étaient montrés les films de famille, (des journaux filmés de l’amateur) ou les films de vacances (travelogs de l’amateur). Il s’agit d’un partage affectif en dehors de toutes considérations artistiques et ou filmiques. Ce partage se revendique immédiat, sans qualité. Il inscrit un bref arrêt, une suspension des images dans le flot d’information, requérant une attention ponctuelle. Ce partage renouvelle ainsi l’échange à l’œuvre dans toutes sociétés, groupes restreints.

Comme le remarque Susan Sontag, avec la photographie [1] :
Dès l’ouverture à l’ouest du chemin de fer transcontinental en 1869 la colonisation par l’image advint… /… Les touristes envahirent l’espace privé des Indiens, photographiant les objets sacrés les rites et les lieux, et si besoin été, les touristes payaient les Indiens afin qu’ils prennent la pose, leur demandant au besoin de réviser leurs cérémonies afin qu’ils puissent obtenir de meilleurs clichés. On ne peut dire que cela ait beaucoup changé avec le cinéma, puis la vidéo. Si ce n’est que la démocratisation des outils de capture qui passant du 35mm au 16 puis au Super 8 et à la vidéo n’a fait qu’accentuer ce phénomène de circulation et d’appropriation des espaces et des populations que le touriste blanc capture à travers son viseur. À cet égard le film Unsere Afrikareise (1966) de Peter Kubelka n’échappe pas à cette critique. Comme l’analyse Catherine Russel [2] : « L’ironie du film est qu’elle n’est pas régie par les configurations formelles du montage, mais par son contenu, qui ne dit rien d’autre si ce n’est le langage cinématographique du mélodrame. Chaque image est hautement codée, culturellement et stylistiquement. De nombreux plans d’interactions entre les Européens et Africains, tels que ceux des boys portant à leurs épaules les carabines des hommes blancs, sont symboliquement chargés. En tant qu’ethnographie comparée de l’Europe et de l’Afrique, ce film dépeint une économie de répression, mais (1929) qui implique aussi l’utopie transcendantale du colonialisme au travers du primitivisme pastoral. »
Ce n’est pas les films de Warren Sonbert qui viendront contredire ces assertions et encore moins ses journaux de voyages. Rappelons que Warren Sonbert (1947-95) est l’exemple même du diariste. Ses premiers films lyriques font le portrait et montre la vie de ses amis, dans Amphetamine (1966) on suit ainsi un groupe des jeunes gens qui se shootent, et le film se clôt par un baiser passionné de deux garçons. On retrouvera dansCarriage Trade (1967-71) cette valorisation d’un formalisme apparemment au détriment du contenu de chaque plan et qui reflètent les voyages du cinéaste à travers le monde. Les plans s’enchaînent indépendamment de leur situation géographique, proposant ainsi, une symphonie du monde qui inscrit à nouveau cette fiction d’un monde ou la « beauté sauvage » est à la porté de qui sait la cueillir : en l’occurrence un homme occidental. Le montage suit des rythmiques musicales et semble contraindre les contenus à se plier aux lignes mélodiques et aux accords du cinéaste. Cette approche fait violence à ce qui est représenté au profit d’un idéal, d’un au-delà qui n’est pas forcément celui auquel pense le cinéaste mais manifeste souvent la reconduction de clichés quant à l’autre… La juxtaposition des lieux de différents continents s’apparente à une accumulation qui frise la collection. Le film prend l’allure d’un musée imaginaire (s’agit-il d’une manifestation de la pensée de Malraux), qui nivelle toutes spécificités selon une approche universalisante. Les disparités sont gommées au profit d’une similarité de formes ou de comportements, les races, les genres se diluent dans la belle image et convoquent par contrecoup Melodie der Weld (1929) de Walther Ruttman. Tout est ramené au même plan et finalement le flot des images se noie dans le montage qui privilégie parfois des micros récits. Les indigènes n’ont aucun rôle à jouer dans ces images, ils sont la valeur ajoutée de l’exotisme. La prime à l’authenticité ?
C’est ici qu’on voit bien quels rapports cinéma et tourisme peuvent entretenir…
Ce film comme beaucoup d’autres du même genre évite toute incursion dans le champ politique, sauf en quelques rares exceptions des manifestations sont filmées, ces événements particuliers sont l’occasion de faire preuve d’une certaine virtuosité dans la capture. Les véritables exceptions qui dérogent à cette règle de la neutralité présupposée dans le regard du flâneur à la caméra sont les films de Newsreel, collectif fondé en 1967 et dont Yippie (1967) ainsi que les films sur les Black Panthers visaient à contrer les images et l’histoire édulcorée des médias officiels. De même les films de Saul Levine, partage cette attitude, principalement New Left Note (1968-82) qui fait le portrait d’une génération luttant contre le racisme, contre la guerre du Viêt-Nam, pour le mouvement de libération des femmes. Il s’agit du journal des mouvements de la gauche américaine auquel fait écho le traitement brutal du super 8 [3]
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Les questions sociales et ou politiques ne sont pas souvent abordées par les cinéastes alors qu’ils font des films de voyages. Il s’agit bien souvent de compte-rendu d’un voyage plus ou moins distant. Les films ne sont pas toujours en quête d’exotisme, et peuvent se limiter au filmage des proches avec lesquels on entreprend une ballade, une excursion comme le montre par exemple Journey to Avebury (1971) de Derek Jarman, ou encore Ação e Dispersão (2003) de Cezar Migliorin. D’autres fois, c’est la belle image aux effets attendus qui est privilégiée dans ce cas, le journal participe souvent de cette esthétique National Géographic dont se repaisse à la fois les compagnies aériennes mais aussi les chaînes de documentaires. Dans cet ordre d’idées, les travaux abondent qu’ils s’agissent de certains travaux de Eija-Liisa Ahtila avec Fishermen / Etude n°1 (2007) , Sérgio Bernardes avec Nósenãonós 3 Telas (2003) qui surfent sur l’idée du sublime au travers d’une prolifération d’images de la nature et de la civilisation qui se vautrent dans une esthétique de la monumentalité et du spectaculaire. On retrouve chez Arthur Omar cette même ferveur du sublime dans ses photos de l’Amazonie [4]. Il est ici question de renouer avec le sublime, de magnifier le grandiose, et de s’appuyer sur les stéréotypes canoniques de la beauté romantique.

Ces films décontextualisent les lieux, les habitants en les indexant à une esthétique picturale, dans laquelle ils servent de faire valoir à la maestria du voyageur. À peu de choses près, il s’agit bien souvent à travers ces œuvres ne sont que des films de vacances élargis, qui disqualifient les habitants au profit de la beauté, de la force de la grandeur d’un territoire (que l’on voudrait) vierge.
Quelques soient les cinéastes, nous sommes tous confrontés à cette production de clichés, il en va de même pour moi, lorsque je filme des lieux, des espaces on découvre des images parasites, des clichés et des stéréotypes. On est constamment entrain de négocier avec ces stérotypes.

À cet égard le film de Frank Cole Life Without Death (2000) est exemplaire dans la mesure ou le projet du cinéaste de traverser le désert du Sahara de l’océan Atlantique à la mer Rouge, seul à dos de chameau, s’effectue en dehors de toutes considérations pour ce qui se déroule dans les territoires traversés. « Au XVII ème siècle encore, le Sahara était une terre inexplorée, un vide mystérieux sur les cartes de l’Afrique. Aujourd’hui, le Sahara continue à provoquer terreur et fascination dans l’esprit des Occidentaux. Être ainsi confronté à la nature sur une échelle aussi grande constitue un défi lancé à toutes les audaces.
La partie du film qui se rapporte à la traversée du Sahara a été tournée par Cole, seul.
Sa caméra Bolex était équipée d’une minuterie qui lui permettait de préparer une prise et de s’inclure dans celle-ci. Tourner seul un film dans le Sahara exigeait une attention continue et ajoutait une complexité supplémentaire à la traversée effectuée par Cole. Le stock de pellicules et le matériel cinématographique devaient êtres manipulés avec soin et protégés pour éviter des dommages causés par la chaleur extrême et les grains de sable. Du fait que ses tournages étaient illégaux dans la plupart des pays qu’il traversait, Cole courait également le risque d’être arrêté.
Il commence alors son voyage de 7100 Km en partant de Nouakchott, en Mauritanie, le 29 novembre 1989. Son itinéraire vers la mer Rouge suit les pourtours sud du Sahara en traversant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan. Plusieurs des pays traversés par Cole sont à ce moment en proie à une guerre civile ou tribale (dont il semble ignorer ou nier la réalité). Seul son voyage lui importe.
Sa décision de voyager seul rend son voyage encore plus difficile et dangereux. Étranger dans un territoire peu connu de lui, il est encore plus vulnérable aux attaques par des bandits ou des voleurs. Cole doit naviguer par lui-même, s’occuper des chameaux en plus de trouver nourriture et eau. Ses repas consistent de dattes, riz, sardines et tout ce qu’il peut acheter auprès des habitants des oasis qu’il rencontre. Il transporte avec lui soixante précieux litres d’eau, soit en gros assez pour trois jours de voyage.
En dernier ressort, son itinéraire est dicté par l’emplacement d’une poignée de puits à travers le désert. De temps à autre, il engage des guides pour l’aider à traverser quelques-unes des parties les plus difficiles de son itinéraire, mais, finalement, il aura effectué quatre-vingts pour cent du parcours seul. Pendant son voyage, Cole est contraint à échanger ses chameaux épuisés ou blessés contre des montures reposées. Il lui faudra en tout un total de huit chameaux.
Il atteindra les rives de la mer Rouge onze mois après son départ, arrivant à Souakin, au Soudan, le 3 novembre 1990. [5] »
On retrouve ainsi chez Frank Cole, cette fascination pour l’Orient qui a hanté tant d’occidentaux au fil des siècles. De plus, le film emprunte comme le font de nombreux récits de voyages, filmés ou écrits cette forme de la quête qui mène le voyageur à se découvrir, au contact des étrangers. Le voyage et l’Autre plus ou moins indirectement, déclenche un processus qui participe de la quête d’une vérité. La confrontation à l’hétérogène entraîne ainsi une expérience proche de la révélation, de l’illumination pour certains. La forme du « récit » emprunte à Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Le pays étranger fait voler en éclats les certitudes de l’occidental, le déstabilise, le vulnérabilise. On retrouve ici cette dimension mythologique de la découverte de soi dictée par un ensemble de conduites ou d’épreuves à affronter. La dimension religieuse, pour ne pas dire mystique est fondamentale.

D’autres cinéastes interrogent les conditions mêmes de l’enregistrement des images qu’ils font des lieux, et habitants de ces territoires. Il faudrait ici s’intéresser au travail cinématographique et théorique de Trinh Minh Ha qui dès Reassemblage (1982) qui « ne se propose pas de parler de, mais simplement de parler près de. » L’inscription de cet écart le façonne une distance qui évite les écueils de la spectacularisation et les tropes affectifs intenses. Rien n’est caché, les plans ne se fondent pas les uns dans les autres, mais toujours en rupture, visible. La question de l’altérité [6] fait au cœur du dispositif cinématographique, par les coupes, variation d’angles de prises, disparition du son, et rappelle ce qui est en jeu dans le filmage des autres, c’est-à-dire la construction d’identité instable. Ces questions de l’identité, de la race et du genre mettent à mal la production d’une identité stable elle se manifesteront au travers du New Queer Cinéma [7]
et dans le Third Cinema [8] le cinéma diasporique.

Tous les films de voyages ne sont pas pour autant des travaux, ils peuvent s’apparenter comme nous le faisons remarquer à propos de quelques films de Derek Jarman, à des dérives, des découvertes de lieux, ils sont alors comme des cahiers de croquis dans lesquels l’impression fugace d’un moment, la translation d’une émotion face à un paysage dominent. On est en présence de films qui pour la plus part travaillent avec le tourner/monter, c’est-à-dire ce qui a été capturé est montré sans montage secondaire. Ce sont les notions d’improvisation, d’aptitude à réagir à ce qui se surgit de l’autre côté de la caméra, qui prédomine. Ces films négocient avec les clichés et les stéréotypes lorsqu’ils rendent compte de lieux connus. Dans Young Arnold Schwarzeneger in Brazil [9], les clichés sur les femmes de Rio abondent. On pourrait ainsi multiplier facilement les exemples. Ces clichés sont légions dans les films amateurs, mais ne sont pas absents des films de cinéastes « confirmés ». Lisl Ponger une artiste autrichienne travaille depuis plusieurs années avec des films de vacances amateurs. Il s’agit de found-footages. Elle s’est approprié ces documents qui circulaient au sein des familles et qui n’étaient pas destinés à un large public. Ils avaient la même fonction que l’album de famille et permettait la production de récit familiaux tout en la validant. On retrouve par extension une attitude similaire avec les journaux filmés de Mekas, de Téo Hernandez et de bien d’autres cinéastes expérimentaux qui document leur entourage, ou les groupes qu’ils fréquentent.
Avec Passages (1996) et Déjà vu (1999), Lisl Ponger travaille les images touristiques. Avec Déjà-vu, découvrant ces images du monde (qui rappellent ce magazine Le spectacle du monde, une version plus moderne de L’illustration), nous sommes confrontés à nos envies d’exotisme qui est largement façonnés par les images de lieux et de contrées que nous n’appréhenderons qu’au cinéma ou chez soi. Nous voyageons ainsi à travers les souvenirs de nos voyages autant qu’à travers les clichés qui parasitent notre mémoire. La particularité du film réside dans l’inclusion de nombreuses langues qui envahissent les images, en sorte que l’étranger objet du regard se fait entendre. La collection de documents mets en évidence les stratégies et les stéréotypes en jeu dans la production d’images et dans la rencontre avec les étrangers : le grand Autre.
Avec Passages, la contemplation ou l’épanchement nostalgiques sont déjoués par la juxtaposition de bandes-son qui racontent des histoires d’émigrations forcées, quittant l’Autriche face aux Nazi. La confrontation entre les images de ces voyages dans des contrées lointaines avec les récits de fuite déclenche un malaise dans lequel la naïveté du regard est évincée. Les histoires d’emprisonnements, de tortures, de fuite gâche tout le plaisir ! Les sons autant que les images sont des objets trouvés.

Le journal filmé emprunte à la quête sa structure formelle. Il ne vise pas toujours à constituer une mythologie. Il peut tout simplement illustrer un parcours, une quête sans fin. C’est dans cet ordre d’idée qu’on peut appréhender le film d’Edson Barrus,Deus meu Louvre ! (2006) Edson Barrus. Cette proposition a ceci de remarquable qu’il articule la quête d’une toile célèbre du Louvre avec l’appareil dont l’autonomie de capture restreinte. La conjonction de ces deux contraintes catalyse le suspens !

sans titre Beijing (2006), Spetsai (1989) de yann beauvais sont deux journaux de voyages, l’un se concentre sur une vue de Beijing la place Tian nan Men, l’autre sur une île du Péloponnèse.
Parler si on a le temps de la relation entre un espace marqué par des images des médias, par l’histoire, la place Tian nan Men et voir en quoi ce qui est filmé évoque ce qui s’y est déroulé quelques années auparavant. L’abnégation des soldats vis à vis de la tache à accomplir.
Pour Spetsai la stratégie de la capature d’image S8 et 16, leur plastique est barré par l’adjonction d’un texte sur l’écologie de Guy Debord, qui confère aux images une autre dimension.


[1] Sur la photographie, Editions du Seuil Paris 1979

[2] Expérimental Ethnography, Duke University Press p 132.

[4] O esplendor dos contrarios : aventuras da cor caminhando sobre as aguas do rio Amazonas. Editor Cosac & naify, Sao paulo 2002

[5] résumé du film, in dossier de production

[6] Voir Trinh T.Minh Ha : Framer framed Routledge New York 1992, et Women, Native, Other, Bloomington Indiana University Press 1989

[7] B. Ruby Rich “New Queer Cinema” : Sight & Sound, Volume 2, Issue 5 (September 1992)
Queer Looks , perspectives on lesbian and gay films Martha Geever, Pratibha Parmar et John Greyson Routlege NY 1993

Expériences sonores et films expérimentaux (Fr)

dans le cadre Du muet au parlant,  Expérimentations sonores au cinéma, Auditorium du Louvre 06-20-2004

organisé par Philippe Langlois, Antonie Bergmeier et Christian Longchamp 

 

Notes d’introduction pour quelques films des années 20 et 30

Le cinéma expérimental a toujours été habité par la musique. L’usage de la musique a permis a quelques artistes cinéastes de réaliser leurs travaux en suivant le développement de formes dans le temps. Si, dans un premier temps, la musique servait de modèle comme ce fut le cas principalement pour Viking Eggeling, Hans Richter, elle a été la source d’inspiration principale pour d’autres, leur permettant d’envisager l’avènement d’un art total. Un art qui permet de s’élever spirituellement tel que le souhaitait Walter Ruttmann qui le définissait comme «  Une autre manière de donner une forme artistique nouvelle au sentiment de la vie, un art de peindre, projeté dans le temps. Un art visuel, se distinguant de la peinture du fait de son déroulement dans le temps (à l’instar de la musique) et du fait que le centre de gravité de l’objet artistique ne réside plus (comme dans le cas du tableau) dans la réduction d’un événement (réel ou formel) à un moment, mais précisément dans le développement temporel de son essence formelle [1] » (1919) et Germaine Dulac.
Les cinéastes voudront créer une musique des couleurs et par conséquent s’interrogeront sur la synesthésie. Pour d’autre l’étude du développement de forme dans le temps trouvera son illustration la plus féconde dans la musique et par conséquent la musique deviendra un modèle.
Les séparations entre ces approches sont fluctueuses, un cinéaste pouvant utiliser le modèle musical afin de constituer un travail, c’est en ce sens que peut se comprendre une partie des écrits de Germaine Dulac vis-à-vis du cinéma et de la musique, sans pour autant avoir défini distinctement tous les composants du rapprochement et encore moins sans établir une véritable synesthésie, elle indique comme tant d’autres des liens, des correspondances qui se manifestent à travers ces différents arts. De même Hans Richter se servant du contrepoint musical chez J.S . Bach selon l’explication que lui en donne Feruccio Busoni et qui lui permet de comprendre et modéliser le fonctionnement du rythme au cinéma
A l’avènement du film sonore, le recours à la musique donc au son offre de nouvelles possibilités d’organisation et peut s’envisager dès lors plus dans le champ du contrepoint et qui pouvait ainsi renouveler dans une grande part la musique d’accompagnement. C’est ainsi que peuvent s’envisager certaines partitions comme celles de Satie pour Entracte ou même
Les cinéastes se lancèrent dans la production de films abstraits en invoquant l’analogie musicale, envisageant tour à tour le cinéma comme rythme coloré (Léopold Survage), musique visuelle (Germaine Dulac), symphonie visuelle (Walter Ruttmann). Souvent ces approches font du cinéma celui qui englobe tous les arts, et c’est en ce sens que se comprend le recours à la synesthésie. Pour d’autres la métaphore musicale permet d’interroger l’essence du cinéma, en liquidant tous référents afin de le constituer en un véritable art autonome, et donc en le fondant. Ces questions amènent les cinéastes à découvrir et définir les spécificités de ce médium, ses qualités, ses potentialités. On empruntera au vocabulaire musical par défaut, mais on envisage la matérialité du cinéma, écran, rythme, dynamisme, photogramme… Richter parle d’orchestrer le temps, ou d’orchestration du mouvement en rythmes visuels

De nombreux rapprochements s’effectuent entre ces deux arts, Germaine Dulac en est l’un des meilleurs partisans : « La musique qui donne cette sorte d’au-delà au sentiment humain, qui enregistre la multiplicité des états d’âme, joue avec les sons et les mouvements… /…Le film intégral que nous rêvons tous de composer, c’est une symphonie visuelle faite d’images rythmées et que seule la sensation d’un artiste coordonne et jette sur l’écran [2]
La cinéaste manifeste son attachement à une spiritualité de l’art partagé par de nombreux cinéastes du début du siècle. Cette affirmation d’un art proche de la musique permet de cautionner le film comme art autonome et donc comme pouvant utiliser des objets abstraits (le rythme coloré de Léopold Survage, le film absolu de Walter Ruttmann et d’Oskar Fischinger, le film non objectif de Vikking Eggeling) mais aussi comme ce qui élève l’âme loin des contingences de la réalité et de sa simple reproduction. C’est au moyen de l’organisation des objets selon des vitesses et des rythmes précis que s’épanouie la Vision filmée dont parle Raoul Haussmann. S’affronte deux conceptions de la modernité dans laquelle le rapport au musical ne fait que souligner les divergences. D’un côté la métaphore musicale, au moyen de l’élévation de l’âme favorise un cinéma abstrait qui relève le plus souvent d’une approche romantique et d’une fascination pour la synesthésie dont les exemples les plus singuliers se trouvent dans les Opus (1919-24) de Ruttmann et dans les Filmstudies (1929-34) d’Oskar Fischinger ainsi que dans les tentatives d’orgues de Sandor Laszlo. Alors que pour une autre école, la référence à la musique est ce qui permet l’évocation de processus abstrait, elle est un moyen d’articuler les images entre elles au moyen du montage court et du rythme visuel. Ainsi Henri Chomette, Hans Richter s’emploient à développer un art qui travaille avant tout le rythme visuel, échappant ainsi à tout psychologisme et à toute histoire : «  délaissant la logique des faits et la réalité des objets, engendre une suite de visions inconnues » (Henri Chomette). Ici le rythme est appréhendé comme ce qui permet d’organiser des éléments visuels disparates ; ce rythme fondateur dont Eggeling et Richter s’inspireront chacun sera tantôt rabattu du côté de la mélodie et des effets harmoniques (Eggeling, Ruttmann, Fischinger, Dulac) de l’autre sur la syncope et la vitesse (voir Richter, Chomette, Léger, Gance, Deslaw, Vertov). Le rythme c’est le battement et la mesure ; c’est ce qui scande le défilement des images dans le temps, ce rythme s’oppose à la mélodie des accords dans la mesure où il n’est pas une transcription du rythme musical mais l’application dans le champ cinématographique d’un élément de distribution (mélodie) des formes dans le temps.
Cette approche qui fait de quelques éléments du discours musical le moteur d’une altérité favorise la multiplicité d’approches et d’attitudes en fonction de ce que les cinéastes privilégient.

Les films que nous allons voir participe encore de cet engagement mais l’avènement du sonore en modifiant d’une certaine manière les conditions d’exploitation du cinéma impose une nouvelle économie de la production et de la diffusion qui accompagne par le plus grands des hasards une crise d’une rare violence aux États-Unis et en Europe. Le cinéma devient alors avant tout un objet de divertissement. Pour de nombreux cinéastes, l’expérimentation passe par une reprise de sujets, de gestes d’attitudes jusque-là délaissés. La question de la réalité et de sa reproduction dans tous ses aspects politiques et sociaux met à l’écart un type d’expérimentation au profit d’une autre plus proche de la question du documentaire et qui va nourrir des différentes expérimentations précédentes comme ce sera le cas en Angleterre avec les films de la GPO. Des cinéastes comme Hans Richter, Joris Ivens s’orientent vers une approche plus documentariste. Toutefois d’autres souhaitent maintenir tel Len Lye ou Laszlo Moholy-Nagy un cinéma de recherche. D’autres encore renouvellent l’approche en proposant un cinéma hybride. D’autres encore s’alignent sur un certain retour à l’ordre, dont on retrouve une des traces au travers de l’usage de forme musicale du passé.

Ballet mécanique 1924 Fernand Léger, Dudley Murphy
Musique de Georges Antheil, version de David Kershaw

Ce ballet n’est pas que mécanique. Il participe de l’esthétique moderniste, il en serait un des canons cinématographiques. Il s’agit d’une œuvre coréalisée dont, on ne peut déterminer la parfaite genèse mais, dont Jean Michel Bouhours à proposer il y a quelques années une des analyses les plus pertinentes lors de la rétrospective Fernand Léger du Centre Pompidou. Il met l’accent sur la perte d’un des éléments majeurs de l’esprit du film qui correspondait à l’humour grinçant de Man Ray. (tel cet enchaînement de plan associant le ventre rond de sa femme enceinte avec des pistons).

Il semble que le film ait sa source dans les travaux qu’entreprirent Man Ray et Dudley Murphy avant que Fernand Léger s’en mêle.
C’est par l’entremise d’Ezra Pound que Georges Antheil est associé au projet. À la suite du concert du 4 octobre 23, au théâtre des Champs-élysées dans lequel il joue sa dernière composition, il déclare travailler sur une nouvelle pièce intitulée ballet mécanique pour laquelle il recherche un accompagnement cinématographique.
En réalité, le film est bien plus connu que ne l’est la partition du même nom. Ou plus précisément leur reconnaissance est distincte.
Le film fut montré à Vienne mais sans le synchronisme musical d’Antheil, des tentatives de synchronisme virent le jour à Paris, mais sans succès.
La pièce musicale d’Antheil ne fut jouée à Fernand Léger que plus tard, et ce bien après sa présentation au Carnegie Hall en 1927. Les avis cependant divergent sur les présentations publiques à Paris des 25.
Le ballet mécanique faisait appel à 16 pianos mécaniques, il fut récrit pour un piano mécanique et huit pianos avec un accompagnement de percussion important d’un moteur d’avion, de klaxons et d’une hélice. Il existe de nombreuses versions de cette pièce.
Il y a plusieurs domaines particulièrement intéressant dans cette partition partie lesquels on peut retenir à la fois celle qui consiste à recourir pour une pièce de concert à la bande perforée du pianola, qui permet d’envisager une musique quasiment robotique, écho musical de ce mécanique ballet, proche en cela du machinisme des futuristes. L’usage de cette bande permet d’obtenir une composition complexe inspirée d’un ragtime.
Le film et la musique partage l’usage de la répétition d’un même élément, d’une même note, d’une même figure, mises en boucle. On anticipe un usage qui sera généralisé plus tard par les musiciens et les cinéastes dans les années 60.
Voir la scène de la lavandière qui remonte un grand nombre de fois un escalier.
Cet usage de la boucle, qui sera radicalisé dans certains films de Charles Dekeukelaire dont Impatience de 1928, est appliqué avec la musique dans Limite (1930-31) de Mario Peixoto qui utilise de brefs morceaux de Ravel, Debussy, Satie, Stravinsky, Prokofiev, qui viennent donner un climat au film selon des récurrences qui les font passer du leitmotiv à la boucle.
L’irruption du silence comme moment musical, trouve son équivalent dans le film lors des pauses au noir.
Comme le dit Antheil : « Le ballet mécanique, ici je m’arrêtais. Ici était le point mort, le bord du précipice. À ce moment à la fin de cette composition ou pendant de longs moments aucun son ne surgissait et le temps devenait moment musical , là s’accomplissait ma poésie, là j’avais enfin le temps qui se déplaçait sans y toucher. »

On remarquera que la musique d’Antheil comme nombre de propositions musicales contemporaines est influencée par le jazz, tel Stravinsky. On retrouve aussi chez ceux-ci la prépondérance de l’élément percussif. Tempo soutenu, scansion rapide qui n’est pas sans rappeler l’importance de la notion de rythme pour les cinéastes qui interrogent l’essence du cinéma. Ici je pense plus particulièrement à Hans Richter qui s’inspira largement des théories musicales et de l’analyse du contrepoint qui par la suite sera appliquée au cinéma.

Weekend 1930 Walter Ruttmann
Production Reichsrundfunkgellschaft et Berliner funkstunde
Composition musicale de Walter Ruttmann11 min 10
Rien n’était visible à l’écran, mais les images sortent des enceintes. Les spectateurs ne pouvaient plus croire leurs yeux, et les auditeurs mirent leurs mains sur leurs oreilles dans un état d’ahurissement. S’agissait-il d’un canular, de magie ou d’une erreur. En 1930 Walter Ruttmann réalisa un film sans images, un travail original dans l’histoire du cinéma. Le film invisible Weekend a été diffusé à la radio berlinoise le 13juin 1930, après une première présentation le 15 mai 30 puis ensuite, au cinéma et notamment au 2 congrès international du film indépendant de Bruxelles qui s’est tenu du 27 novembre au 1er décembre. 1930). Comme pièce radiophonique, Weekend est une curiosité. Il a été enregistré sur le ruban avec caméra et micro, selon les procédés nouvellement développés du système sonore appelé Triergon Massole à Mariendorff. Le son photographié était monté, coupé retravaillé sur la table de montage, Walter Ruttmann monta les sons comme il l’avait fait des images de son film Berlin, Symphonie d’une grande ville de 1927.
Pas d’enregistrement optique mais seulement un enregistrement acoustique.

« La pièce radiophonique se décompose en six parties
Jazz du travail Machines à écrire, sonnerie de téléphone, caisse enregistreuse, machines diverses, machine à dicter, scies, limes, forges, ordres
Jazz des bruits du travail, enjoué et presque purement musical ;
Contrepoint fortement travaillé rythmiquement
Contrepoint plus simple : chaque son est plus intensément caractérisé dans son aspect envahissant la machinerie gémissante du travail : dégoût, supplice du travail, fatigue, machine ritardando

L’arrêt du travail
Une horloge sonne, d’autres horloges sonnent en canon, des sirènes d’usines, éloignées, plus près, près.
Cadence de fermeture des machines, libératrice. On rabat les pupitres, on ferme les tiroirs, les stores, les grillages, un trousseau de clefs qui s’entrechoquent, on verrouille les portes, une clef qui grince en tournant dans le verrou.
Des voix humaines interviennent : des jeunes filles qui gloussent, des hommes qui rigolent, des cris « au revoir », murmurant, des pas pressés dans la cage d’escalier
La sortie à l’air libre
Parmi les éléments sonores du départ : mise en marche des motos et des voitures, sifflet de locomotive, sifflet et démarrage du tramway, des cris comme en voiture dépêchez-vous s’il vous plait, coup de sifflet du conducteur de train,, coup de klaxons et départ des voitures, signal du cor du postillon, claquement de fouets, départ de la locomotive. Tous ces sons vont recréer par le biais du montage une synthèse de départ, qui se décompose en un rythme mouvementé au sein duquel se superposent en contrepoint les bruits du train, des voitures du trot du cheval et des brodequins. Ce rythme est intégré à un chant de scout (la marche est le plaisir du meunier)
La pastorale
Au chant des scouts qui se perd au loin se mêle le chant d’un coq et d’oiseaux. Une chorale d’églises de village entame une série de complexes musicaux campagnards, qui vont se fondre spatialement les uns les autres, pendant que l’un s’évanouit dans le lointain, un autre va déjà croissant. L’orgue de l’église devient orgue de barbarie, auquel succède une ronde d’enfants, une ronde de paysans, avec cithare, fanfare de sapeurs-pompiers. Ces complexes vont s’articuler autour de sons de voitures qui passent, d’aboiements de chien, de caquetage d’oies etc. qui les couvrent en partie. Les cloches des vaches se fondent dans la sonnerie des cloches du village.
Reprise du travail
Le son des cloches est soudain interrompu par des sirènes d’usines. Réveils et sonnerie de téléphone hurlent. À cela succède dans un tempo accéléré la 2 partie inversée (l’arrêt du travail)
Jazz du travail
1e partie inversée. Reprise maladroite et sans enthousiasme du rythme de travail, marquée sentimentalement par des réminiscences sonores de la pastorale. »
Un crescendo permet de rejoindre le jazz du travail enjoué de la première partie. [3]

Au travers du montage et des fondus, Ruttmann transforma les sons originaux en mouvement et composa un rythme musical d’un week-end à partir de bouts de sons prélevés dans une ville contemporaine. Comme dans une séquence accélérée, le week-end est raccourci à une durée de quelques minutes et a quelques situations. On entend de bribes de conversation, des chansons et le bruit de machine à écrire. Au milieu de tout ça, un homme essaye de placer un coup de téléphone (on entend la voix de Ruttmann) et un enfant essaye de réciter le roi des aulnes. Les deux sont interrompus par le vrombissement d’une voiture de course, un sifflet,ou une sirène. Les sons et des éclats de bruits ne durant pas plus d’une fraction de seconde sont arrangés selon des associations de motifs. Un enfant dit « quatre fois quatre font : et la scène se transforme en une autre au quatrième étage d’un magasin d’alimentation. Le film acoustique de Ruttmann ne peut être vu sur le ruban. Tout n’est visible que comme signal optique. Les images sont produites dans l’imagination du spectateur.
[4]

« Il faut absolument distinguer l’esthétique du film muet de celle du film sonore, l’un devant subsister à côté de l’autre et le son ne pouvant jamais être considéré comme un complément de l’image. Il s’agit d’établir un contrepoint sono visuel indépendant, le son intervenant non pas pour exprimer plus complètement un geste, un événement, mais pour créer une impression globale originale. On peut ainsi imaginer, même dans un film romancé, des sonorités intervenant à contre rythme, l’image exprimant la cause et le son l’effet. » [5]
Ce film est important à plus d’un titre car il retrouve en dehors de ces innovations formelles la possibilité de créer une musique à programme. On n’est pas loin de la forme narrative qui décrit au travers le prélèvement de son un milieu, une atmosphère, un climat. Musique à programme. En ce sens nous ne sommes pas si, loin de la pastorale de Beethoven, ou de la Fantastique de Berlioz avec toutefois une différence de taille et tient au fait qu’ici se la partition n’a pas été écrite pour des instruments elle a été recueilli et à partir de l’ensemble des sons collectés un objet a été crées qui suit un canevas prédéterminé. Nous sommes au seuil d’un déplacement fondamental qui privilégie la récolte, la collection et qui du même coup évoque à la fois les techniques de montage quant à la structuration du divers des éléments. La synesthésie s’abolit par la surenchère que manifeste cette pièce radiophonique qui est aussi un film. Nous ne sommes plus en présence d’une relation arbitraire entre le son et les images, c’est nous au moment ou nous voyons qui fabriquons les images que nous donnent à entendre ces sons.

Colour Box 1935 Len Lye
Musique la belle créole interprétée par Don Baretto et son orchestre cubain
Montage son Jack Ellitt
Première projection 6 septembre 1935

Dans A Colour Box, la couleur est en surface sous forme d’arabesque de motifs colorés (apparemment justifié par la légère arabesque du petit air de danse qu’elle accompagne). Tout mouvement était un pur mouvement de couleur. [6]
Pour Len Lye, la beauté du film réside dans sa kinesthésie, c’est-à-dire la capacité qu’a le film à produire une sensation interne du mouvement.

La musique de ce film est La belle créole, une béguine (danse native de la Martinique qui était devenue populaire à Paris) composée par Don Baretto et son orchestre cubain. Ellitt en fit un organigramme (analyse) , puis la musique fut transféré sur le film et Lye reporta plusieurs indications le long de la bande-son. Puis il peignit les images directement sur le film transparent le long de la bande-son. Grâce à une année d’expérimentations, il ne lui était pas difficile de sélectionner et de peindre des idées visuelles pour une durée donnée. Lye peignit la plupart de Colour Box en cinq jours, n’y eu à faire que quelques collures, bien que la séquence de la fin avec les mots le ralenti considérablement. Le film ne prit au total que deux mois entre le moment de sa planification et sa réalisation.

La joyeuse musique de Colour Box le distingue de la gravité, du sérieux de la majeure partie des films d’avant-garde de l’époque. Lye ne souhaitait pas tant traduire la musique en image, mais de développer des idées visuelles en contrepoint. Il souhaitait avoir suffisamment de synchronismes afin de maintenir les images avec la musique mais pas suffisamment pour que leur danse soit prévisible. Il se sentait totalement libre vis-à-vis de ce qui dans la musique pouvait donner naissance à des idées, ainsi cela pouvait venir autant du rythme que du timbre, du style d’un joueur, l’atmosphère générale de la pièce, ou même,le rendu visuel de la piste sonore. Il avait l’habitude d’associer aux percussions des cercles et des points, alors que le piano se traduisait par des jets de courts traits colorés, les cordes avec les lignes tremblantes et frémissantes, mais il n’était pas à proprement parler rigoureux dans ces usages. Les lignes verticales (dessinées sur plusieurs photogrammes) étaient un motif favori qu’il utilisait pour une variété d’instrument.
Roger Horrocks
Il avait rencontré Jack Ellitt à Sidney et avait prévu de travailler ensemble sur Tusalava, pour lequel jack Ellitt avait réalisé une musique pour deux pianos, la difficulté d’avoir deux pianos pour la première du film s’ajoutait aux coûts de tirage d’une copie sonore entraîna l’annulation de l’accompagnement musical prévu.
Lye avait prévu de faire appel à Ellitt ou si cela n’était pas possible alors Eugène Goossen Rythme danse pour deux pianos.

Lot in Sodom 1931 James Watson & Melville Webber
Musique de Louis Siegel
Il avait été l’un des caméraman de The Fall of The House of Usher des mêmes cinéastes qui avaient alors fait appels à un autre musicien pour sonoriser ce film. Alex Wilder

Avec ce film et le suivant, les cinéastes qui nous concernent, sont à la fois des musiques savantes, mais cependant éloignés du métissage des genres et des cultures que préconisait la musique européenne des années 30. On ne sent aucune influence du jazz ou du cabaret. Nous ne sommes pas chez Kurt Weil, ni même Arthur Honneger, et pas plus chez Alban Berg, ou Ernst Krenek. Si l’instrumentation est similaire à celle de Weill qui privilégiant les vents, les projets ne relèvent pas de la même dynamique.

Musicien né en 1907 et mort en 1980, Alex Wilder est plus connu pour ces ballades et ses chansons populaires, ses travaux illustratifs qui mêlent référence au jazz et à la musique classique un peu à la manière de ce qu’il fera pour le film de Watson et Webber.
C’est en 1930 qu’il se fait connaître du grand public avec la chanson All the king’s Horses, qui a été inclus dans la revue d’Arthur Schwartz et Howard Dietz Three’s A Crowd.
Il a cependant écrit à côté de plusieurs centaines de chansons des pièces de musique plus sérieuse telle qu’une sonate pour flûte, tuba et basson, un concerto pour saxophone, des quintettes pour divers instruments , des pièces pour piano, quatre opéras, le ballet Juke Box et un grand non de pièces peu orthodoxes comme as « A Debutante’s Diary« , « Sea Fugue Mama« , « She’ll Be Seven In May« , « Neurotic Goldfish« , « Dance Man Buys A Farm« , « Concerning Etchings« , « Walking Home In The Spring« , « Amorous Poltergeist » and « The Children Met The Train« .
L’une des caractéristiques de la musique de Alex Wilder est qu’elle a souvent été considérée comme pas assez jazzistique pour les jazzmen, pas assez intellectuels ou classiques pour appartenir vraiment à l’avant-garde ; sa musique est hybride, pas assez ci, pas assez ça. Elle est proche en cela des films de Watson et Webber qui sont considérés comme des travaux hybrides. L’une des caractéristiques de son travail comme celui de Watson et Webber et de situer entre les genres, de n’appartenir à aucune catégorie mais d’en façonner de nouvelles par la juxtaposition, l’annexion de courants divers. Ces artistes ne sont pas de ceux qui établissent de nouveaux systèmes, ils sont ailleurs, ils produisent des conglomérats, ils sont en dehors de l’officialité et des clichés modernistes. Ils travaillent à la lisière néo-classique, recyclant indifféremment mais pas sans talent des matériaux de provenances éparses.
Non sans certain humour Whitney Balliet qualifie Alex Wilder d’artiste de l’arrière-garde alors que pour la plupart des critiques classiques il appartient à ces artistes conservateurs qui puisent leur génie dans leur faculté à produire une musique en dehors du temps.
Son travail musical est un amalgame des archétypes de trois compositeurs : Gershwin, Poulenc et Villa-Lobos. De Gershwin , il a cette faculté étonnante d’écrire des chansons, de Poulenc il reprendrait l’usage d’élément populaire de jazz et de Villa-Lobos il a cette facilité d’écritures .

Le travail de Lois Siegel, souligne son appartenance à une musique des années 30, qui mêlent les genres et ne fait pas ici non plus preuve d’une grande innovation compositionnelle. On remarque cependant un grand nombre de techniques similaires à un montage cinématographique, comme si le montage est tout ce que cela inclus comme mode de pensée et d’acte se retrouvait au sein du discours musical. Il s’agit somme toute d’une musique écrite pour le film, après que le film fut réalisé et qui utilise à la fois les changements de thèmes d’orchestration selon ce qui se passe à l’écran mais aussi coupure dans le morceau afin de passer à une autre idée, similarité dans l’idée d’une polyphonie instrumentale qui évoque les différents éclats, les surimpressions.
La musique composée par Lois Siegel mêle des vents et des percussions, le group instrumental est peu usuel. La musique est parfois disharmoniques, mais de manière légère.
Le son qui accompagne le film fait se succéder des étirements, des groupements d’instruments desquels émergent une voix dominante vaguement disharmonique. L’usage ponctuel de la voix comme instrument préfigure un peu ce que font Harry Parch et Virgil Thomsom.
On est en présence d’un son qui utilise des techniques d’assemblage et de compositions cinématographiques. Souvent les thèmes se succèdent selon des coupes franches. Comme si le motif avait été arrêté et ne pouvait continuer, laissant la place à un autre thème distinct.
On est en présence de conflagration, de juxtaposition, d’ éclat. La musique fait plus preuve d’un montage, quasiment un assemblage d’éléments qui partagent des tonalités similaires, et en ce sens elle partage avec les compositions de Francis Poulenc cette multiplicité de thèmes, s’additionnant les uns les autres pour parfois ressurgirent selon des alternances qui évoquent des techniques de montage alterné voir la scène du cauchemar.
Il n’y a pas de continuité thématique, mais des ressemblances tonales, des rencontres instrumentales qui se détachent comme le ferait l’alto, le violon occupant brièvement la position de soliste, ou plus exactement pour filer la métaphore cinématographique, occupant le premier plan telle une surimpression dominant les autres avant de se fondre dans la masse instrumentale, et visuel.
La musique cède la place lorsque se font entendre les psalmodies de Lot.
L’une des figures dominantes dans la composition est la superposition des thèmes, cascades de thèmes percussif, alors que l’autre soulignerait l’amplification de l’instrumentation.
On peut remarquer de plus qu’entre Lot in Sodom et Fireworks il existe sur une séquence (celle qui voit les entrailles d’un corps fouillé par une main) dans laquelle la musique est proche. Dans les deux films, la musique accentue le lyrisme de la scène, mais chez Kenneth Anger, ces sont les pins de Rome Respighi qui font le lien, alors que chez Watson et Webber c’est la même musique de Lois Siegel.
Les influences sont nombreuses, certes, on pensera parfois à Igor Stravinsky, mais aussi à Claude Debussy brièvement pour les scènes rapides qui nous montrent l’eau.

Magyar Triangulum 1937 Sandor Laszlo
Musique de Franz LisztetSandorLaszlo

Le pianiste, compositeur hongrois Sandor Laszlo né en 1905 a poursuivi une recherche similaire à celles d’Harwig et Hirschfeld Mack dans la production de compositions lumineuses en couleurs. D’après Laszlo Moholy-Nagy, les travaux d’Alexander Laszlo sont quelques peu obscurcis par les théories historiques qui les accompagnent, en effet elles sont trop basées sur des déclarations subjectives descriptives quant aux relations entretenues par le son et la couleur.
« L’une des idées de Laszlo est que la couleur n’a pas d’équivalent dans un seul son, une note mais dans ensemble complexe de sons. Son piano de couleurs est opéré par un assistant qui projette les couleurs sur l’écran alors que lui-même joue. Le piano de couleurs ressemble à un harmonium, avec ces touches et registres auquel aurait été ajouté quatre projecteurs. Les figures des diapositives montrées proviennent des procédés Uvachrome et sont projetées au travers de 8 prismes de couleurs dans chaque couleur (dans chaque projecteur il y a 8 prismes de couleur) selon l’addition ou la soustraction des couleurs. Les projecteurs équipés de condensateurs fonctionnent de la manière suivante
1 un système de changement de diapos vertical et horizontal
2 un cylindre entre le soufflet et l’optique afin de pouvoir les 8 clefs de couleurs
3 un iris, diaphragme dynamique qui puisse réguler l’intensité de la lumière et les effets lumineux
4 un diaphragme pour délimiter la lumière
Les motifs obtenus par les quatre projecteurs, reprennent les procédures pour montrer des diapositives et changement et sont mises en marche ou éteints.
« .
[7]

Alexander Laszlo n’a réalisé qu’un film en 1937. Il avait auparavant conçut ce projecteur de son et lumière avec l’assistance d’Oskar Fischinger. Il a publié en 1924 un ouvrage intitulé Farbkichmusik (couleur- lumière -musique) dans lequel il donnait les plans pour la construction d’un orgue de couleur qui pourrait projeter des couleurs tandis qu’il jouerait ses compositions au piano. Après un premier essai jugé peu concluant par les critiques, il fit appel à Oskar Fischinger qui imagina un film qui pourrait accompagner les projections lumineuses d’Alexandre Laszlo. Les propositions de Fischinger furent bien accueillies au point qu’elle semble avoir éclipser les compositions musicales post romantiques de Laszlo. On leur préférait les effets cinématographiques de Oskar Fischinger qu’il continua de développer indépendamment. Il réalisa différentes compositions au moyen de plusieurs projecteurs 35mm et seul nous reste d’après Bill Moritz R-1 ein Formspiel (un jeu de formes).

Ce court film, en noir et blanc, appartient à cette esthétique hybride des années 30 qui voit se côtoyer un nombre d’esthétique diverses. Ici la comédie musicale à la Busdy Berkeley se mêle au clip musical, et préfigure une expérimentation visuelle intense. L’utilisation de »found footage » autant que les effets visuels sont caractéristiques du projet. Le film se divise en trois parties.
La première nous propose une polonaise de Liszt ou les sœurs Kotanyi jouent côte à côte cette polonaise.
La seconde Alman Kiralya Budapest nous propose une musique dansante selon un rythme de valse, les pianistes sont placés afin de former une étoile, il s’agit d’une première composition de Laszlo.
Dans cette partie, il est intéressant de constater le travail effectuer par Laszlo avec les textes de la chanson qui barrent les plans de nuits des rives du Danube selon des dynamiques graphiques qui se répondent d’un intertitre à l’autre…
Textes groupés, parfois sur deux lignes et qui inscrivent une autre dynamique dans l’image, un aplat, faisant de l’image un fond comme l’est l’image pour la musique dans ce film.
Dans la troisième partie, (Huzdra cigany) les pianos des trois sœurs est soudé en un piano géant qui évoque les décors délirants de Berkeley, mais sans l’exubérance camp de ce dernier. Leurs jeux s’effectuent sur une autre composition de Laszlo qui fait appel à un « csardas », une musique hongroises très rythmée.
Il s’agit presque d’un vidéo-clip et évoque à la fois le travail de Germaine Dulac : celles qui s’en font et ceux qui ne s’en font pas tous deux de 1930. mais à la différence de Germaine Dulac, ici nous sommes en présence de kitsch, nous sommes dans l’excès, une certaine mesure d’effets.
C’est la première partie qui est visuellement la plus riche. Les effets sont nombreux, qu’ils s’agissent des ouvertures aux moyens de miroir, d’iris sur le visage d’un tromboniste, des balayages latéraux…
On retrouve un hommage à Duchamp lorsqu’un disque rotatif sur lequel un clavier en spirale tourne en surimpression avec la chef d’orchestre.
Dès cette première partie sont annexés des films de « found footage », documentaires de guerre, dont certains plans proviennent d’un film d’Eisenstein, ces mêmes plans se retrouvaient d’ailleurs annexés dans une version d’Anemic Cinema de Marcel Duchamp qui circulait aux Etats-Unis chez un distributeur californien.
Dans les deux autres parties du film d’autres types de « found footage » seront annexés, plus proches du documentaire sur la Hongrie et ses clichés, sauf pour la fin de la première partie dans laquelle un ensemble de séquences tirés d’un film à costumes.


[1] Peindre avec le temps de Walther Ruttmann, in Musique Film ed Deke Dusinberre & yann beauvais paris Scratch / Cinémathèque Française 1986

[2] Germaine Dulac : L’essence du cinéma in Musique Film op citée p 36 » initialement publié en 1925

[3] Source Film-kurier Berlin n° 41, 15 février 1930

[4] Michael Cornelius, Süddeutsche Zeitung. May 8, 1987

[5] Walter Ruttmann in cinéa , ciné pour tous.

[6] Len Lye Experiment in Colour in Figures of Motion, Len Lye Selected Writings, ed Wystan Curnow & Roger Horrocks, Auckland University Press e Oxford University Press, p48, Len Lye Foundation 1984, traduction française Expérimentations sur la couleur in Len Lye ed Jean Michel Bouhours & Roger Horrocks Centre George Pompidou Paris 2000 p147.

[7] publié dans dans Sandor Laszlo de Miklos Peternak in Musique Film, op citée p 22 une nouvelle traduction de ce texte tiré de Peinture photographie film Lazlo Moholy-Nagy, est proposée aux éditions Jaqueline Chambon, Paris 1993

Autour du cinéma expérimental et de la jeune vidéo brésilienne (Fr)

à l’occasion d’un été brésilien, Faux Mouvement, Université Paul Verlaine, Metz, 25-10-2005

La pratique du cinéma expérimental au Brésil si l’on s’en tient au support argentique est aujourd’hui quasiment inexistante. Rares sont en effet les cinéastes qui travaillent ce champ avec de la pellicule. Des cinéastes, tel Arthur Omar ont privilégié la vidéo et, en ce qui le concerne, le travail photographique et les installations, d’autres tel Jomard Muniz de Britto, qui est l’un des poètes majeurs du Brésil, a réalisé plusieurs films super 8 dans les années 70, il s’est tourné récemment vers la vidéo comme avecAquarellas do Brasil (2005).
Karim Ainouz a de son côté réalisé au moins deux films expérimentaux dont Paixo Nacional (1994) un film sur un jeune Brésilien qui fuient les persécutions homophobes de son pays entrecoupé avec des vues touristiques du Brésil comme pays de liberté sexuelle, O preso (1991, une fiction expérimentale) avant de se consacrer à d’autres projets plus classiquement queer tel Madame Sata. Ses travaux antérieurs comme ceux de Vivian Ostrosvky, qu’ils s’agissent de Copacabana Beach (1981) ou des plus récentsIce Sea (2004), sont généralement tourné en super 8 avant d’être gonflé en 16 ou 35mm.
Carlos Adriano serait alors l’une des rares exceptions dans ce paysage, il travaille principalement le 16 et le 35mm et ses films oscillent entre la forme documentaire et l’étude expérimentale comme dans son film Remanescensias (1994-97), qui est une étude à partir des 11 premiers photogrammes jamais enregistrés au Brésil, l’onde de la mer sur les pontons d’une jetée. Ce travail est de facture expérimentale, il oscille entre le caractère graphique du traitement de l’image, apposée sur l’image, un habillage de l’image et un travail plus directement cinématographique de tirage optique qui alterne des couleurs et des « flickers » ainsi que les rythmes de pulsation de la très brève séquence. Ce film participe d’une esthétique néo-structurale.
Arthur Omar est l’autre cinéaste qui a continué à œuvrer dans le cinéma au moment pour sa production vidéo prenait une plus grande ampleur. Il incarne parfaitement ce qui est aujourd’hui devenu une pratique courante chez les cinéastes expérimentaux du monde entier à savoir le recours à différents supports qui sont utilisés en fonction du sujet et de son traitement. Certains des travaux qu’Arthur Omar effectué sur la pellicule se sont reportées dans le domaine de la vidéo. Si la matérialité du film était prépondérante dans Vocês (vous 1979) par le recours au clignotement et plus exactement aux effets stroboscopiques sur la figure d’un jeune guérilléro armé. C’est la granularité des textures et des pellicules qui sont privilégiés dans Tesouro da Juventude (trésor de la jeunesse1977). Ce film rend hommage à Alberto Calvacanti en utilisant seulement des extraits de films ethnographiques montrés à la télévision, ou trouvé dans les poubelles des salles de montage. Le refilmage de ces éléments produits par le recadrage une transformation de la granularité et des textures qui deviennent flux de matière lumineuse [1]. Ces textures, ces matières moirages et transformations dans le retraitement de l’image trouvent leur prolongement dans les vidéos plus récentes telA Ultima Sereia (la dernière sirène) 1997, ou bien dans Panico Sutil (panique subtile1998) et surtout dans A Logica do Êxtase (la logique de l’extase 1998)

Il faut se poser la question de cette absence de production contemporaine expérimentale argentique, en la mettant en perspective selon deux axes, l’un politique, l’autre économique. D’un côté les évènements politiques qui ont marqué le Brésil depuis les années 64 jusqu’à la démocratisation du pays quelque vingt ans plus tard, qui ont pesé de tout leur poids sur la liberté d’expression des cinéastes ; de l’autre, les coûts de production d’un film 16mm sont exorbitants pour une économie pauvre et quand bien même le film soit expérimental. Cette pratique est luxueuse car onéreuse si on la compare à celle du super 8 ou de la vidéo. S’explique alors le recours au super 8 comme une alternative radicale, une forme de réaction et de résistance vis-à-vis d’une société réprimée. Ce format par la légèreté de la caméra, la facilité de son utilisation, permet, au Brésil l’épanouissement de toutes les formes cinématographiques qui vont de la revendication libertaire, à la déclamation poétique en passant par le film formel [2]
On se souvient que Lygia Pape déclarait en 1973 que « le super 8 est réellement un nouveau langage, et ce principalement quand on est en dehors d’un engagement commercial dans le système. C’est la seule forme de recherche, c’e [3] » A cet égard,Wanpirou (1974) de la cinéaste pourrait facilement s’inscrire dans cette cinématographie du corps que l’on verra en France dans la seconde moitié dues années 70, qui s’approprie certains thèmes du cinéma fantastique à partir desquels, les rites, la sexualité sont montrés plus ouvertement que dans le cinéma de divertissement. Le super 8 favorise à la fois cette réappropriation et sa disqualification par l’amateurisme de ses protagonistes.

La déclaration de Lygia Pape est proche, dans ses choix, de celles des partisans de ce format qu’ils soient européens ou américains des années 60 et 70 et qui, tous, louent sa maniabilité, sa légèreté, sa disponibilité. En France, le super 8 expérimental a été désigné comme cinéma du corps par Dominique Noguez en 1977 et cinéma corporel par Maria Klonaris et Katerina Thomadaki. Rappelons que ce cinéma du corps a été fortement influencé par Werner Schroeter et Kenneth Anger qui mettent en scène des rituels. Ces rites, sont à côtés de la quête identitaires des traits distinctifs de l’art corporel. On retrouve certaines relations entre les premiers travaux de Iole de Freitas :Elements (1972) et Glass Pieces / Life Slices (1974) et ceux de Maria Klonaris et Katherina Thomadaki qu’il s’agissent de l’Enfant qui a pissé des paillettes (1974) ouDouble Labyrinthe (1975).

D’autre part, il ne faut sous-estimer l’intérêt que les plasticiens brésiliens ont ainsi que leurs pairs occidentaux pour le cinéma dans les années 60 et 70, avant qu’ils ne s’intéressent plus à la vidéo. Au brésil, comme le remarque justement Arlindo Machado, [4] l’usage de la vidéo s’est rapidement déployé pour les artistes et principalement en regard de l’enregistrement d’actions ou de performances ce qui les distingue ainsi de la plupart des travaux cinématographiques qui ne le faisaient pas nécessairement.
C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender le travail d’Hélio Oiticica.
L’un des traits distinctifs de la production cinématographique envisagée par Hélio Oticica fait voler en éclats la notion de cinéma (quand bien même il a tourné plusieurs films super 8, (Brasil-Jorge (1971), Agripina é Roma-Manhattan (1972) qui sont plus ou moins achevé, pour Bruce Jenkins Hélio désactive le cinéma pour renouer avec une sorte de pré cinéma [5] ). Il propose une nouvelle forme de cinéma élargi : le quase-cinema. Ses propositions cinématographiques agencent des modes du cinématographique qui est entendu comme un dispositif, un équipement qui outrepasse le seul ruban, c’est-à-dire : la salle. Dans ces installations de quasi-cinéma tel Neyrotika(1973 slide show) et l’ensemble des Cosmococas, et Helena inventa Angela Maria(1975) il produit un environnement où des évènements audio-visuels se déroulent dans une mise en scène dans laquelle les interventions et la participation des spectateurs n’est pas conditionné par une narration stabilisée, car plus éclatée, fragmentaire, mais par une ambiance audio-visuelle composée de chansons pop, et de projection dans laquelle l’expérience corporelle, la sensation physique de l’espace est prépondérante. On retrouve ici une influence décisive dans la compréhension d’un événement cinématographique qui transcendent le support même, au profit d’une mise en scène, d’une mise en espace d’un évènement proche de la performance, en la personne de Jack Smith [6]
. Les projections sont réalisées au moyen de diapositives, la temporalité, et la mécanique de ces projections multiples est constitutive du dispositif. En ce sens Hélio Oiticica partage avec de nombreux cinéastes expérimentaux et les artistes de l’époque, cette nécessité d’incorporer les outils qui façonnent l’expérience. Mais il partage avec d’autres la valorisation d’un art d’ambiance, un art d’immersion. Préfiguration et revitalisation d’un art total qui se manifeste différemment selon les époques.

« Diapositives : diapositives non-audiovisuelles parce que, lorsqu’on les programme, on élargit les limites de la succession des images projetées… enrichies parce qu’elles deviennent relatives à l’intérieur d’une sorte d’environnement ridicule : à mon avis, Jack Smith en a été le précurseur : il a su tirer de son cinéma non pas une vision naturaliste cherchant à imiter l’apparence mais une sorte de narration fragmentaire… un miroir brisé, les diapositives déplacent l’environnement par une durée non spécifique et par le replacement continu du projecteur qui cadre et recadre les images sur murs-plafonds-sols, juxtaposition de la bande-son (disques) faite au hasard…ces blocks dont les cinq premiers ont été programmés par Neville et moi, replacent à mon avis les problèmes de l’image déjà épuisé par Tropicalia (qui réalise en 1967), (etc) dans une perspective de spectacle (spectacle performance) que l’expérience de Neville rend très intéressantes à mes yeux.. [7] »

On se souvient qu’Hélio Oticica été fortement impressionné par les performances et les films de Jack Smith en 1971 il écrit « J’ai vu un autre film de lui (Curse of Cretinism) et j’ai pensé : youpee, ce mec est égal à moi, non pas que je souhaite faire des trucs identiques, ou qui paraissent similaires, mais c’est que l’absurdité du langage allié au désintérêt pour le banal m’intrigue énormément, et l’esprit général des trucs me rend familier avec tout [8] . Il y a un paradoxe dans cet énoncé vis-à-vis du banal dans la mesure ou Jack Smith autant qu’Hélio Oiticica ont tous deux travaillé sur des manifestations et mise en lumière du banal, chacun à leur manière qui peut se lire par exemple dans la liberté que se laisse les deux artistes vis à vis de la production de la piste sonore de leur pièce. Je me souviens de Jack Smith jouant des disques, selon l’inspiration du moment sur un tourne disques lors des projections qu’il fit à Paris deFlaming Creatures (1963) et No Président (1967-70). L’expérience cinématographique se déplace alors dans le champ de la performance. Dans le cas de Smith, l’expérience est en suspens, virtuelle si l’on attend à un événement hors du commun. On est plongé dans une dilatation temporelle ; un espace-temps indéfini ; en effet on pouvait attendre plus d’une heure avant que Smith n’apparaisse sur « scène », si tant est que l’on puisse parler de scène, sans savoir exactement à quels moments la performance avait commencé. Les performances pouvaient présenter les manifestations d’un spectacle en devenir, qui sont marquées par la projection d’une diapositive, l’audition d’une musique, le réajustement d’un colifichet…
Cette faculté d’improvisation de Jack Smith se retrouve fortement dans le film d’Hélio :Agripina é Roma-Manhattan [9]
. Ce n’est pas un hasard si Hélio fait appel à Mario Montez qui est l’un des acteurs travestis de Jack Smith. Dans ce film, la part d’improvisation est proche de celles qu’on voit à l’œuvre de Smith comme cinéaste ou acteur. Pour mémoire rappelons aussi que Mario Montez est l’un/e des protagonistes phares de Flaming Creatures. Cette dilatation, ou compression du temps inscrivent dans la performance l’expérience de la drogue, autant qu’elle manifeste une esthétique « camp » dont la particularité chez Smith est de s’en tenir aux préparatifs. Les deux artistes partagent ces préoccupations par-delà les différences des œuvres.

Ce travail d’Hélio est singulier à plus d’un égard dans la mesure ou il met à la fois en crise le cinéma et les arts plastiques selon des formes participatives qui renouent en les renouvelant les expériences d’art total préconisé par Andy Warhol avec Exploding Plastic Inevitable de même avec les Cosmococas se peut se retrouvait un sentiment similaire à celui que devait ressentir les spectateurs du Movidrome de Stan Vanderbeck. Une plongée dans l’image et le son dont le spectateur n’avait aucune connaissance de la durée de l’expérience dans laquelle il s’est plongé.

Deux autres points me semblent important à souligner. L’un relève de cette parenté que l’on peut discerner chez Hélio Oiticica et Andy Warhol vis à vis du monde des célébrités, qu’il s’agisse de cinéma ou de rock. On retrouve chez l’un comme chez l’autre les portraits de Marylyn Monroe, ainsi que des portraits de chanteurs pop ; Jimmy Hendrix, Mick Jagger…cette fascination pour les stars roc

L’autre point concerne l’homosexualité d’Hélio Oiticica et sa mise en scène dans quelques travaux. On ne peut s’empêcher d’y penser à la projection d’Agripina, ou deNeyrotika. Ce sont les corps plus que la trame narrative qui compte, c’est la performance de Mario Montez en drag qui importe plus que tout [10]. De même, les corps de ces jeunes hommes dans Neyrotika exposent et exhibent une sexualité sont le sujet du travail. Ils inscrivent l’importance du rôle dans la constitution d’un personnage, et manifestent clairement des situations de désir. Il ne s’agit pas pour autant d’un travail militant, loin de là, cependant l’affirmation du désir pour ces corps est clairement prononcée par le nombre de clichés et par le type de cliché, l’enchaînement des photos créant une « quasi animation » pour reprendre les termes d’Ivana Benes [11]et donc une fois de plus se tient au seuil du cinéma.
Comme d’autres homos de sa génération et des précédentes, Hélio partage l’usage de la projection filmée pour montrer publiques des images plus ou moins proscrites par les médias dominants.

La vision des films qui constituent le corpus de Cinemarginalia 70 prend aujourd’hui, une nouvelle dimension. En effet, ces films ont vieilli. Ici il faut comprendre ce vieillissement comme la détérioration du support, sa décomposition partielle liés aux conditions de stockage autant qu’à l’usure occasionnée par les projections. On remarque ainsi deux types de traces, celles si caractéristiques du super 8 : les rayures ponctuelles qui s’inscrivent en gris et les poussières collées, traces noires virevoltantes, ainsi que les collures. Avec le temps, la trace des dépôts qu’ils s’agissent de scotche ou de salive, travaille l’émulsion. Parfois, autour d’une rayure plus profonde, la pellicule s’abîme dans la couleur, les couleurs changent, comme si filtrées, avant de se mouvoir parfois dans un bouillonnement de matières qui est proche des films alchimiques contemporains comme Jurgen Reble, Phil Solomon.


[1] C’est nous qui traduisons « Un jour, je décidai de rendre un hommage au cinquantième anniversaire de son film En rade (No porto). En réalisant un film expérimental dédié à ce maître. Je n’utilisais que des extraits de documentaires ethnographiques montrés à la télévision ou trouvés dans les poubelles d’une salle de montage. Par le refilmage, les effets visuels, les recadrages, la granularité augmente, l’altération des valeurs chromatiques, les gros plans extrêmes de petits détails, les répétitions et les surimpressions, je créais un flux rythmique de lumière constant et hypnotique qui déconstruisait le documentaire traditionnel, en entremêlant les images d’hommes, d’animaux, des volcans, de tribus, d’arbres, des arènes, des avalanches sans me préoccuper de l’information, mais juste de l’émotion d’un inconscient attentif. » in Arthur Omar : A Logica do Êxtase, Centro Cultural, Banco do Brasil, Rio 2001

[2] Sur le cinéma super 8 brésilien, voir les nombreux articles de Rubens Machado et principalementMarginalia 70, O Experimentalismo no Super-8 brasileiro itau cultural, Sao Paulo 2001.

[3] st aujourd’hui la pierre d’achoppement de l’invention. Lygia Pape in Expoprojeçao 73, de Aracy Amaral, Sao Paulo, ediçao do Centro de Artes Novo mundo, 1973

[4Made in Brazil tres decadas do video brasileiro, Itau Cultural, Sao Paulo 2003, il existe maintenant une traduction française

[5] Bruce Jenkins in Critical Voices series pour l’exposition d’Hélio Oiticica Quasi-Cinematranscription, New Museum of contemporary art New York, 10/03/2002

[6] c’est nous qui traduisons « jack est un génie et je l’aime, (..) j’ai appris avec lui en peu de jours tout ce que j’ai toujours désiré comme fut le déchifrement viscéral du monde américain, les rebuts de consommation, etc : sujet film : la production d’un monde d’images richissimes : en même temps l’isolement et la mythification qui font de lui, c’est aliénante et absurde : on le prends pour une génie fou artaudien, à qui tout est permis et interdit simultanément, et les gens paraissent se contenter avec ce rôle passif qui performe ce jugement compulsif absurde : une folie ! Le jour de cette projection de diapositives avec bande son, c’était cette ambiance : ça s’appelait “Travelogue of Atlantis” (…) en somme tout a commencé à 10h30, et trois heures plus tard, les trois premières diapositives, il s’arrête pour demie heure : il a changé l’écran de place, en sorte que les diapositives projetées subissent une coupe à la projection, puis il a changé le projecteur de place afin de donner la coupe d’évitement à chaque diapositive, le reste de la diapositive teinter l’ambiance : incroyable, l’attente et l’anxiété qui me dominaient valaient vraiment la peine : ce fut une espece de quase cinema, si le cinéma est tout ce qu’on peut imaginer ; la même simplicité complexe que l’on peut ressentir avec godard, mais plus grand que godard pour moi ; les images, la durée de chaque diapos sur l’écran, etc, c’était génial et importantissime : la bande son musique d’une radio ondes courtes (…) musiques latines de types espagnoles de malaga), choses incroyables, bruits : son téléphone, et voitures dans le trafic, etc ça c’est fini à une heure du matin, j’en sorti transformé. Jack Smith en couleurs : un must : vous voyez que chaque diapositives est une totalité et la séquence intégralle est une transformation au degré le plus fort : un travelogue (un journal de voyage), concept génial ! » lettre à Waly Salomao le 24 avril 71, in Hélio Oticica e a cena americana, curadoria Gloria Ferreira , Rio de
Janeiro 1997

[7] in Helio Oticica Galeria Nationale du jeu de Paume, RNM Paris 1992

[8] c’est nous qui traduisons « havia vistou outro filme dêle (curse of cretinism ) e havia pensado : pux, esse cara é igual a min ; nao que eu quisesse fazer algo idêntico, ou mesmo paraceido, mas é que o absurdo da languagem, aliado a um desinteresse pelo banal, me interessam demais e o espirito geral dai coisa me faz muito familiar con tudo » lettre à Edival Ramosa d’avril 1971.

[9] Le texte du film est : Agripina é Roma-Manhattan
em rum e em petroleo a inundar
herald-o-Nero aceso facho
e borracho
mae-patria ensinando a nadar !

[10] Sur Mario Montez, voir yann beauvais : hommage à Mario Montez in Poussières d’image, Paris Expérimental Paris, 1998

[11] Voir le texte H.O and Cinema world in Hélio Oiticica Quasi-Cinema, exposition organisée par Carlos Basualdo, Hatje Cantz publishers, 2001