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Keith Sanborn (Fr)

Revue&corrigée n° 70 décembre 2006

Keith Sanborn est un cinéaste qui interroge les représentations que produisent le cinéma, la télévision. Il interroge les films afin de créer des espaces de réflexion autour de ces représentations. Il ausculte la société américaine à travers ses médias de film en film. C’est à la fin des années 70 qu’il commence à travailler dans le champ du cinéma expérimental en suivant d’une part les cours de Hollis Frampton à Buffalo [1], mais en se plongeant dans une tradition cinématographique, fortement renouvelée par les situationnistes, qui consistent, à travailler à partir de séquences trouvées afin de les remettre en circulation selon d’autres modalités. Ce travail oscille entre pillage et détournement et s’inspire d’un ensemble de pratiques que l’on trouve aussi bien chez Bruce Conner que chez les Lettristes, tout autant que dans les films plus politiques des situationnistes. Chacun des films de Keith Sanborn offre simultanément au moins deux discours parallèles, l’un qui affirme par le choix des séquences un amour du cinéma alors que l’autre déconstruit les mécanismes à partir desquels fonctionnent les films.

Si la sensibilité du travail de Keith Sanborn relève du cinéma expérimental, il le contourne en recourrant depuis plusieurs années au numérique. Il a œuvré pendant de nombreuses années avec le support argentique, mais, depuis plusieurs années il recourt aux outils qui lui confèrent une plus grande autonomie et qui de plus n’est pas trop onéreuse. La vidéo, le dvd ont facilité l’accessibilité à un nombre d’œuvres qui avaient souvent disparues du répertoire. Ces outils contribuent à la découverte d’images méconnues ainsi qu’à la redécouverte et à l’appropriation (devrait-on dire la réappropriation ?)d’images qui nous ont été familières à un moment ou à autre. Dans cet article, nous nous intéresserons avant tout aux dernières productions de Keith Sanborn.

Le film, The Artwork in the Age of its Mechanical Reproductibility by Walter Benjamin as told to Keith Sanborn (1999) est emblématique du travail contemporain du cinéaste. En effet, dans ce film, Keith Sanborn s’approprie ces avertissements qui ouvrent toutes les cassettes vidéos ou dvd et dans lesquels la loi s’inscrit en tant qu’impératif catégorique sous l’égide du FBI. Tout le film est composé d’une multitude de panneaux d’avertissement en regard de la notion de droits d’auteur tels que la compréhension de la loi américaine l’impose. Ces panneaux se succèdent au son d’une mélodie ressassée et qui fut une musique populaire des années 50, un réarrangement d’une musique dont l’original est Mac the Knife (Die Moritat von Macheath) from Dreigroschen Oper de Brecht [2]. Le film pose la question du droit d’auteur par le biais du copyright et de la protection de ces droits au moyen des administrateurs qui patentent où représentent les auteurs.
De plus, cette bande (comme plusieurs autres de KS) a la particularité d’être attribuée à Jayne Austen, laquelle n ‘est plus alors l’auteur que l’on croyait mais une fiction [3] . Comme le dit Keith Sanborn : « J’ai pris comme alter Ego Jane Austen car cela a à voir avec la question de la réception du travail. Étant anti- essentialiste, le fait de s’attribuer une œuvre nous enferme dans un genre, et cela est une fausse production d’autorité. Je comprends cela dans deux sens, à la fois l’autorité sociale mais aussi dans le sens d’auteur. Et par conséquent l’attribution de Jane peut subvertir ce genre de construction. » [4]
Par cette attribution à un alter ego, autant que, par son titre, le film de Keith Sanborn se différentie de Warnings (1988) de Muntadas qui travaillait à partir des mêmes cartons d’avertissements. Dans les deux cas, cependant, ces énoncés sont copyrightés alors qu’ils édictent la loi. Sont-ils par conséquent hors la loi ? Peut-on s’approprier la loi comme le font les administrations qui gèrent et protègent les droits d’auteurs ? Mais comme le dit si bien Sanborn si l’œuvre avait été réalisée en 1936, comme son titre l’indique, alors elle serait de fait l’œuvre numérique la plus vielle du monde… une œuvre qui interroge le sens politique de la propriété intellectuelle qui ici « s’approprie les imprécations de contre l’appropriation de la propriété intellectuelle » [5]. d’une œuvre d’un auteur vivant et celui qui représente (a produit) l’œuvre.
Un autre travail de la même année déplace la question de l’autorité en examinant une séquence de film qui a bouleversé l’Amérique autant par son invisibilité que par ce qu’elle contenait. Il s’agit de la séquence de Zapruder.
En 1999, Keith Sanborn s’est approprié la séquence à partir de laquelle il a réalisé un film à partir de variations, permutations, altérations de la séquence initiale de 26 secondes. Ces permutations sont accompagnées de la musique Jajuka, qui est au dire de Brion Gysin la plus vielle musique du monde. Pour Keith Sanborn, le choix de cette musique est fondamental dans la mesure ou elle est à la fois une musique de célébration des rites funéraires, elle est de plus, pré-islamique. [6] La juxtaposition de cette musique avec cette séquence retravaillée, accélérée, ralentie, inversée, masquée, procure un sentiment d’inquiétante étrangeté. On ne peut s’empêcher aujourd’hui, d’inscrire cette musique dans un cadre de penser magique, comme si elle illustrait déjà les conflits à venir.
Une fois de plus Keith Sanborn recourt à une séquence qui est devenu comme il le dit si bien l’événement même. Cette séquence s’est substituée à l’assassinat du président Kennedy, elle est devenu l’Histoire, même. En travaillant avec cette séquence, Keith Sanborn s’approprie l’événement pour le dépasser, pour enfin en faire son deuil. Ce sont ces images, qui ont été l’objet de tant d’analyses, et qui sont devenues les agents du mythe, de cette tragédie américaine, puis détournées par le cinéaste qui, s’appropriant cet enregistrement vise à construire d’autres discours.
« Je voulais à la fois reconnaître ce moment comme une tragédie mais peut-être comme une tragédie grecque, reconnaître ce moment pas seulement comme un deuil mais aussi comme une célébration, il y a des traditions et les funérailles sont l’occasion d’une célébration, c’est ça que je voulais faire de ce moment une célébration et pas seulement de l’accepter comme une partie de l’histoire, car on aimerait très bien comme effet idéologique …/… Ce que je voyais c’est que cet événement historique avait été transformé en un mythe religieux, pas seulement l’évènement, son enregistrement même et ça je trouvais bizarre. Parce que ce film de Zapruder est sans aucun doute le film le plus analysé dans l’histoire du monde, il avait été analysé mais, cependant même pas vu. » [7The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination, constitue par son traîtement , un remarquable hommage au cinéma structurel, en tout cas celui qui travaille les permutations et les variations sans pour autant épuiser son sujet. Les différentes variations que nous propose Keith Sanborn semblent faire des clins d’œil à différentes procédures et à quelques films célèbres dans ce corpus. On pense bien évidemment à tous ces films qui travaillent les boucles courtes, mais aussi à des films distincts comme Artificial Light de Hollis Frampton (1969), ou même du plus tardif Keaton Cops (1991) de Ken Jacobs. Dans ce film de Keith Sanborn, la juxtaposition de l’élément visuel avec ce son induit une séduisante désacralisation des deux éléments au profit d’un mirage synesthésique. L’instabilité relative occasionnée par ce rapport est dynamisée à chaque variation qui renouvelle l’étrangeté et magnifie le métrage retraité. S’élabore au fil des transformations une étonnante pyrotechnie qui ne semble pas suivre quelconque paradigme narratif mais plutôt un algorithme complexe. The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination travaille ainsi la programmation d’un traitement visuel qui est dynamité par un son qui le désarticule. L’appropriation de cette séquence mythique remet ainsi cause le respect que nous avons pour la chose filmée quand il s’agit d’un enregistrement d’un moment historique. Un compteur d’image est placé dans le cadre supérieur droit de l’image, il inscrit un moteur de comparaison que nous exerçons ainsi à chaque passage de la voiture ou de la séquence du film et ce indépendamment des variations. Nous tentons d’ordonner la perception de l’événement, d’y repérer une stabilité que les procédures retardent, enjolivent et transforment.

Avec Operation Double Trouble (2003) ce n’est plus l’enregistrement d’un drame national qui est ausculté mais un autre outil de propagande : un film du corps des Marines américains. Ce film démontre comment il « démonte, fragmente, morcelle des œuvres préexistantes afin d’accéder à d’autres réflexions. Réflexion sur la consciente médiatisée dans lequel un espace de réflexion est possible. » [8] Ce film amplifie la déconstruction d’une des machines de vision que manifeste si bien le cinéma hollywoodien et sa forme condensée qu’est ce film de propagande de l’armée américaine. Renouant avec le style héroïque des années 40, qu’illustrait parfaitement John Ford, le film original que détourne et subvertit subtilement Keith Sanborn est une anthologie de bon sentiment distribué sous une forme épique. Le détournement s’effectue au moyen d’un doublement des scènes qui dévoilent tout ce que le film voulait cacher à savoir : ce qui permet sa construction. Les coupes sont occultées au moyen de la musique qui se poursuit au-delà de la coupe afin de créer un climat, mais surtout une continuité par-delà l’hétérogénéité des plans. Si pour Eisenstein le montage participait de la collision des plans afin de produire du sens par la dynamique du rapport, pour Hollywood et dans le cas qui nous concerne pour l’armée américaine, le montage vise avant tout à annihiler toutes ruptures, toutes réflexions qui n’iraient pas dans la production d’un sens unique. L’irruption des plans dupliqués dans Operation Double Trouble, manifeste alors le partis pris idéologique du film d’origine autant que ses intentions manichéennes. En appliquant à ce film une procédure simple, le cinéaste met à jour la qualité du mensonge à l’œuvre dans ce film original. « La qualité du mensonge ici est bien moins sincère. Mais c’est pour cette raison qu’elle est très habile, c’est bien plus roué que les mensonges que pratique le président des Etats-Unis même si cela participe du même style. C’est le style John Wayne, un style pseudo populaire, mais, logé très profondément dans ce style qui a l’air d’être populaire et transparent, il y a une sorte de labyrinthe idéologique. » Avec Operation Double Trouble, Keith Sanborn s’attaque frontalement la production idéologique au cinéma et rend hommage au travail autour de la notion de spectacle tel que l’a formulé Guy Debord à différentes époques. Le spectacle de la société se donne bien à travers le cinématographique, mais il ne s’y limite pas. Le spectacle a ceci de remarquable, qu’il procède de strates et réseaux annexant progressivement tous les champs de circulation et de distribution de toutes formes de marchandises. Subtilement Operation Double Trouble démonte les mécanismes de mystification à l’œuvre dans le film d’origine, qui lui-même fonctionne comme catalogue d’idées / clichés reçus .
En utilisant ce doublement des plans on assiste comme à l’élaboration d’un bégaiement peu développé mais constant. Ce bégaiement cinématographique [9] en convoque indirectement un autre : Critical Mass (1969) de Hollis Frampton. Dans ce film, deux jeunes gens se disputent, le garçon n’est pas rentré depuis plusieurs jours. La voix des protagonistes se substitue progressivement l’une à l’autre, au moyen du bégaiement, l’homme finissant par parler avec une voix de femme se désaccordant littéralement de l’image [10] . Si comme nous le dit K.Sanborn : « Hollis Frampton a monté , le film selon un système formel que l’on peut décrire comme algorithmique. Ce qu’il y a de remarquable avec Critical Mass, c’est que les deux personnes ne se connaissaient pas avant de faire le film, le scénario posait les questions quant à la fidélité. De mon côté, je n’ai pas appliqué d’algorithme aussi complexe que ceux-ci, mais il y avait quelque chose qui m’attirait et j’ai ainsi renforcé l’original du film par la duplication . [11] »
Les deux films travaillent la véracité des régimes de discours en les démontant au moyen d’une désynchronisation progressive, l’un exploite les conflits conjugaux par un bégaiement intensif, alors que l’autre explore les conflits internationaux par la duplication.
Cette duplication semble illustrer magnifiquement les théories du complot qu’ont su explorer Guy Debord, Gianfranco Sanguinetti, William Burroughs, Craig Baldwin, David Wojnarowicz… Le film Operation Double Trouble ne répète en rien ces théories, il nous permet de le lire à travers les énoncés du film, et fait du film original le vecteur qui sous-tend l’engagement impérialiste de l’armée américaine. La duplication brise la narration et démontre clairement les liens qui unissent films de propagandes et productions hollywoodiennes en dévoilant quelques-uns des mécanismes (la continuation de la bande sonore : musique ou voix-off, sur deux plans, annihilant ainsi le raccord, la coupe) et qu’ils exploitent avec maestria.

La reprise par Keith Sanborn, (il l’a téléchargé avant de le retravailler) de ce film de propagande commanditée à la fois par Navy et le corps des Marines [12], distribué pendant quelques semaines dans un circuit de salle se cinéma en Californie. Il avait beaucoup de femmes qui venaient avec leurs enfants au cinéma, elles se sont plaintes d’exposer de telles images à leurs enfants. Face à cette objection morale, le film n’a plus été montré en salle.
« Ironiquement il n’y a pas de copyright sur le film, donc si le gouvernement n’apprécie pas ce que j’ai fait il ne peut rien faire de légal. On sait très bien qu’il peut faire des choses, mais des choses légales non. » [13]

yann beauvais


[1] À partir de 1976, Keith Sanborn suit les cours de Frampton à Houston puis à Buffalo en 78 , auquel il adjoindra ceux de Tony Conrad. Il travaille pour Paul Sharits. Au début des années 80 il devient programmateur de Hallwalls à Buffalo.

[2] Keith Sanborn pensait qu’il s’agissait d’une version cubaine, quand il réalisa qu’il s’agissait en fait de le version d’un arrangement de 56, dans le style cubain de cette musique de Brecht par l’américain Dick Hyman et son orchestre

[3] Il s’agit de Jane Austen. Mais écrit avec un Y, nous invite à penser à Jayne Mansfield.

[4] Interviewé par Peggy Nelson pour Otherzine : X Marks the Spot : Hunting for Buried Treasure with Keith Sanborn

[5] L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, racontée par Walter Benjamin à Keith Sanborn, in Monter Sampler , l’échantillonnage généralisé, de yann beauvais & Jean Michel Bouhours, Scratch /centre Georges Pompidou Paris 2000

[6] Renseignement donné par Keith Sanborn lors d’une présentation et discussions à l’Ensba de Paris le 13 mars 2006.

[7] idem

[8] voir la séquence dans laquelle des familles attendent l’arrivées des Marines dans une base américaine. Scène de pleurs et de liesses qui, de fait, emprunte son style à Frank Capra, au cinéma de reportage autant que celui du grand spectacle qu’à l’histoire de la photographie.

[9] On retrouvera quelques années plus tard deux autres bégaiements célèbres l’un dans un film d’Andrei Tarkovsky : Le miroir (1974) dans un film de Jean Luc Godard : Passion (1981)

[10] idem, après présentation de Operation Double Trouble, plus récemment dans un film de Martin Arnold le bégaiement permet de questionner les relations œdipiennes et le désir sexuel dans Alone, Life is Andy Hardy (1999).

[11] idem après présentation de Operation Double Trouble.

[12] Pour mémoire le corps des Marines est une armée de volontaires, qui sont envoyés dans tous les champs d’opérations de l’armée américaine. Leur devise est « Semper Fi(delis).

[13] KS présentation de ses films à l’école des Beaux Arts Le quai Mulhouse le 17 mars 06.

Figment (Eng)

ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Paul Sharits : Figment, ouvrage sous la direction de yann beauvais, édition française / English edition
Espace multimédia Gantner/ Les presses du réel, collection art contemporain, n°13, Dijon 2008

 

Figment by yann beauvais

Paul Sharits was born July 8, 1943 and died July 8, 1993.

Although Paul Sharits is primarily known as a filmmaker, his artistic practice was not limited to the realm of filmmaking. Painting, drawing, sculpture and performance all held a large place. They are not broadly known and yet are essential if we wish to understand the scope and singularity of his artistic work and achievements. His film and pictorial works revolved around two central themes: one, formal, closely related to music, fit within the world of abstraction, while the other unfolded within the psychological and emotional arena of the figurative. This exhibition proposes to show the connections between these different practices by demonstrating that they are but moments of a whole. Film can be projected, but it may also be approached as an object, in the way that Fluxus drawings, scores and objects are.

 

Sharits was familiar with painting and film in his childhood; his uncle’s paintings fascinated him. Film was present through the family chronicle that his godfather shot on 16mm. It was he who offered Paul Sharits his first camera, along with the many reels of expired film that the artist used to make his first film: a psychodrama shot when he was fifteen[1]. After studying painting at Denver University[2], Sharits dedicated himself to cinema. His films questioned the ability of the medium to produce works, employing the very mechanisms and elements of the medium itself – the film strip and its still frames, along with the streaming of the film strip through the projector, and hence projection as material, too, within his multi-screen films or in his installations – that are anti-illusionist.

In the sixties Sharits moved from painting to film: “I stopped painting in the middle 1960s but became more and more engaged with film, attempting to isolate and essentialize aspects of its representationalism[3].” Three events encouraged this change, one related to art – the discovery of Christo’s motorcycle[4]: “Then I saw Christo’s motorcycle and thought I would never get that level of ‘concise thoughness’[5]”; the other two were of a psychological nature: his mother’s suicide and his becoming a father, which made him decide to give up painting and to take up industrial design. The latter experience was not convincing, however. All these events led him to abandon the Illumination, Accident[6] project and to focus on a radical approach to cinema. Henceforth, he would be a filmmaker. As he said himself: “‘Cinematic’ meant ‘cinematic treatment’ of a non-filmic ‘subject.’ So I began to look to the actual materials-processes of my medium, in the most basic-obvious modalities, for ‘subject’ matter and for appropriate overall structural principles[7].” He then launched into a film that would become Ray Gun Virus and would take three years to make. It was also at this time that he found an original way of writing and drawing “scores” for his films and creating modular drawings on squared paper. This notation system would later free itself from this original purpose and allow him to return to abstract painting, in the first instance, followed by a renewed interest in the figurative at the end of the seventies.

 

During his studies, he founded the Denver Experimental Film Society in 1962, which enabled him to see films he had been unfamiliar with up until then. It was after a screening of Stan Brakhage’s Dog Star Man that he initiated a correspondence with the filmmaker in which he often talked about his work[8].

Sharits’s first film works participated in a psychodramatic movement that made use of actors and thematically explored the subjects of sexuality, solitude, anxiety and fear. In this sense, these films picked up on, and drew from, the reservoir of themes and subjects explored by earlier generations of American filmmakers such as Maya Deren, Kenneth Anger and Stan Brakhage[9]. Some of these themes would be found in part of his later film work alongside films that, based on the still frame, film strip and projection, analyzed the processes and specifics of the cinematic mechanism. This approach took part in the modernist project that placed great importance on a cinematographic ontology; a project clearly synthesized in “Word per Page[10],” a study that served as an introduction to a class Sharits gave at Antioch College in 1970. In this text, he defined cinema, acknowledging the importance of the still frame and the film stock/strip as integral elements of film’s ‘being’. This approach was not dissimilar to that of Hollis Framption, a few years earlier, during a conference/performance[11]. This reduction of film to its integral elements occurred more or less alongside plus ou à l’ombre Clement Greenburg’s theories[12] as to the pertinence of the reflexivity of artistic practice, which then triggered artists’ explorations of their chosen medium’s specific potentialities.

Although painting fell within the scope of this dualism between abstraction and the figurative, Sharits’s film work attempted to escape this kind of mutual exclusion. In a letter to Brakhage[13], he mentioned the difficulty of making films that would be classed in the abstract film category, which he considered reductionistic and too bound up with the history of painting rather than that of cinema. As he acknowledged with regard to his first works (which he would later destroy in an anti-narrative rage), his films operated at the edges of these categories; he used a term that he could have just as easily applied to his later work. In a text written in 1963[14], referring to his filmic experiments, he described them as “ ‘images[15]’ in order to distinguish them from more traditional films based on literary or verbal symbolism.” In these early works, of which Wintercourse is the only remaining example, the narrative continuity typical of traditional film is fragmented and representational imagery thereby obstructed. He nevertheless returned to this type of exploded narration in his later works: Figment I: Fluxglam Voyage in Search of the Real Maciunas and Rapture. In this sense, Sharits adopted, for his own purposes and in his own terms, reprend à son compte avec ces spécificités the approach often found in works by many other filmmakers of the New American Cinema, which consisted of shattering a dominant cinematic narrative continuity in favor of the affirmation of brief temporal units elaborated through effects. Sharits radicalized narrative deconstruction because his works didn’t attempt to shape any narrative structure whatsoever, unlike that explored in the New Novel, Jean-Luc Godard’s films[16], or even in works by Gregory Markopoulos[17]. To consider the experience of film as a whole, which is to say as an image, is to imagine cinema according to criteria that escape classical visual art considerations to favor work that gives priority to form, and yet is not formalist. We realize how music, its notation system, as much as its composition structure (for example sonatas and their four movements), provided a model for Paul Sharits.

This understanding of film in its entirety, as an image, anticipated the spatial vision of film presented by Frozen Film Frames (film strip ‘paintings’). Film draws upon/evokes/calls up memory, whereas painting offers itself up through all its elements. Le film fait appel à la mémoire, alors que la peinture s’offre d’un coup à travers tous ses éléments. The Frozen Film Frames and the scores on squared paper allow us to grasp film as a whole; temporal experience is, in a certain manner, discredited in favor of the analytical experience that unfolds/opens up se déploie au travers through the “scores.” The Frozen Film Frames allow us to distinguish the structuring and dividing up of the elements at work that the experience of duration while watching the projected film masks because of the fusion of these same elements in an audiovisual flow. A similar, though distinct, experience occurs with Sharits’s multi-screen installations. Once again, everything is immediately apparent to us. Right from the beginning, we perceive the various elements whose variations and combinations will nourish and become the actual experience of the work. It is pointless to expect narrative development that would modify our perception of the installation, such as that achieved, in its own fashion, by Anthony McCall’s film/installation Line Describing a Cone. It is not a question of works “which raise the possibilities of oscillatory composition, they don’t end, are not dramatic and don’t develop[18].” The experience of duration modifies the perception we have of a work by adding a temporal dimension to it, enhanced by a soundtrack that the Frozen Film Frames notations do not  summon or convene demand/possess/invite. ne convoquent pas.

Razor Blades marked both a break (we can talk about a tabula rasa compared with his writings at the time in which he was not always kind with the current cinematographic avant-garde) as much as a true beginning[19]. The film radically distinguished itself from much else that was being made at the time, although certain filmmakers – Peter Kubelka, Tony Conrad and Victor Grauer[20] – had worked with the flicker film[21]. The films by the first two filmmakers were in black and white, while Archangel by Grauer, who was also a musician[22], was in color. In Arnulf Rainer, Peter Kubelka’s approach was dominated by music, whereas mathematics and the fact of performing with the Theater of Eternal Music[23] and of carrying out tests with stroboscopic lighting served as the basis of/a background to ont servi de support Tony Conrad’s The Flicker[24].

In Ray Gun Virus, Sharits was no longer dealing with abstract film, even though this work consists of a stroboscopic succession of still pure color frames, accompanied by the recorded sound made by the sprocket holes as they pass over the projector head. He would go so far as to say that it was “a color narrative[25].” It is a concrete film, in that it uses the medium’s very materiality. He plays with the medium’s basic components, the perforated film strip and dust specks in Apparent Motion. The film operates according to the rhythms and sequence of colors that make the experience of the film a visual  exploration ordeal/test as much as a realization as to the specificity of the experience proposed[26]. Does the film resist? Or does it stand in the way of its perception? The film offers us a peculiar experience, which consists of an exchange between what is being projected – what we perceive of it and what appears on the screen. The film resists the analysis of its experience during the screening. The flicker makes us pass from public space (the theater), to a private experience (the analysis of the phenomena of our perception of the film[27]), before brutally slamming us back against the screen. We go from the flicker to the physical perception of the screen (volume effect) and from the screen to the flicker, but this return modifies the perception we have of both the screen and the flicker[28].

In Sharits’s flicker films, the question of immersion developed in his installations is constituent with the experience of watching the projected film. The Ray Gun Virus experience also possesses a peculiar cruelty, in that it is accompanied by the constant roar of the sprocket holes, whose regular scansion clashes with the flicker’s chromatic flash, which obeys whole other logic of sequences. d’autres logiques d’enchaînements.This regular repetition of sprocket hole noise anticipates the soundtracks of various films in which a/some words are indefinitely repeated, such as T,O,U,C,H,I,N,G, Inferential Current and Episodic Generation, and for the installation Sound Strip/Film Strip. But it is Color Sound Frames that will directly prolong this roar by the re-filming, at varying speeds and with synchronous sound, scrolling film strips complete with their sprocket holes. Inferential Current deploys sound processes similar to those used for the image. In this film, two strips of flicker film stream in opposite directions. Depending on one of the strip’s running speeds, the word repeated in each of the soundtracks produces blocks of swirling meaning, such as can be experienced, for example, with Steve Reich’s Come Out and It’s Gonna Rain. The overlaying of sound loops, staggered or not according to their speeding up or slowing down, produces these effects, which move away /distance themselves from/ create a distance with what is perceived visually despite the similarity of process employed/a processual similarity qui s’éloignent du perçu visuel malgré une similarité processuelle.

 

In Fluxfilm #26 Sears Catalogue 1-3, Fluxfilm #27 Dots Sears 1& 2, Fluxfilm #28 Wrist Trick, Fluxfilm Rolling Event, Fluxfilm #29 Word Movie, Ray Gun Virus, Piece Mandala/End War, Razor Blades, T,O,U,C,H,I,N,G  and N:O:T:H:I:N:G, Sharits combined photos and illustrations with pure color frames. The confrontational dynamic between these elements is emphasized by the fragmentary aspect of the first films, which function according to an accumulation of short, distinct loops[29]. These loops enabled Sharits to establish sets of tonalities, chromatic sequences that produce effects of volume, and depths of contractions and expansions of the color field modified by the flicker speed as much as by the prominent dominant (what dominant? One speak of dominant within a notes which predominates the tones, or a color which overshade others)) that divides/ distributes them up. autant que par la dominante qui les distribue. With these early films, he recorded the creation of emerging forms, their movements and speeds that depend, for a major part, on tonalities; some of the tonalties led to large forms, while the sense of movement seemed to stem from the recurrence of colors used over a duration. Razor Blades opens and closes[30] this first series of films, which don’t develop according to symmetrical forms or mandalas, as was the case with Piece Mandala/End War, T,O,U,C,H,I,N,G and N:O:T:H:I:N:G. The recourse to a form that established a linearity running through the film allowed a loosening up in the arrangement of rhythms, according to pre-established geometrical expansions (which are also found in various sketches and preliminary diagrams for these films). It is this augmentation and retraction of the pulsation – may we speak of the variable of the interstice? – that allows the fusing of units in T,O,U,C,H,I,N,G, while in N:O:T:H:I:N:G the accentuated chromatic variations separate themselves from the figurative elements. These chromatic interludes, these irradiations[31], suddenly appear – just like the flashes that cause our perception of the mandala to vacillate, thereby favoring the immediacy of the chromatic assault. In N:O:T:H:I:N:G, the soundtrack shapes the perception of the flicker in a new way. With Ray Gun Virus, the roar of the sprocket holes brings about acoustic phenomena similar to those unfurled by the music of LaMonte Young or Terry Riley: drone. The word “destroy” repeated incessantly, except during T,O,U,C,H,I,N,G’s central section, shapes, for its part, causal relationships between the sound and image that are not found in N:O:T:H:I:N:G, which instead favors acoustic drift, if not to say unpredictability.

N:O:T:H:I:N:G. opens up the possibilities of juxtapositions between sound and image that are not causal or even processual. T,O,U,C,H,I,N,G’s soundtrack has been constructed from five versions of “destroy” being said aloud and joined together without any pauses. As Sharits himself notes, the word “destroy” breaks down into two parts, “de” and “stroy,” which suspend our comprehension of the word itself, and give rise to parasitical words – or so we believe we hear – like those shapes/images produced by the flicker. This sound repeated throughout the film matches the visual pulsation, although it slips away in the middle of the film, where silence reigns. With Fluxfilm #29 Word Movie (illustration), the sound of declaimed words seems to respond, precede and follow the streaming of certain words appearing in the image, whereas N:O:T:H:I:N:G juxtaposes distinct temporalities. We don’t see the immediate connection between a telephone’s ringing and the falling backwards off a chair. On the other hand, what we feel is an affirmation of the inherent potentialities of a system/mechanism that allows us to activate the sound outside the image, and vice versa. The sound of this film is episodic, most of the film is silent; we could say that, when sound suddenly arrives, it infringes on the image. At the beginning of the film, we can hear a glass breaking, then the sound of liquid being poured into a container, and, at the end of the film, when we hear cows moo, we deduce that the liquid in question is milk. There is no causal logic between the sound events and neither are these linked to the visual. Sound and image have a confrontational, contradictory, almost surreal relationship[32].

 

We should also question the relationship between the texts[33] – be they humorous (“A-R-E-Y-O-U-D-E-A-D-H-U-E?” in Razor Blades) or trashy – and the figurative images, and how the verbal warnings (text on screen) and violent images (surgical operations, attacks, and sexuality) function. The slit eye reappears several times in Razor Blades (the two half-circles that do not form one of the film’s two screens), and in T,O,U,C,H,I,N,G (the eye operation), and echoes the recurrent image in Un Chien Andalou, and, later, 3rd Degree features an attack on a woman’s face, her eye, by the use of a lighted match. We can see this face more easily in Bad Burns because the film clip is projected normally, whereas the 3rd Degree installation has the projection pivot by 90 degrees. In Razor Blades, a sequence alternates the faces of a man and woman with very brief shots of a piece of meat sliced in two by a razor, which is then coated with shaving cream[34].

In Sound Strip /Film Strip[35], the scratch on the sprocket holes is part of this same humor that plays with film’s capacity to produce visual illusions. “That can’t happen since the sprocket hole is just empty: there can’t be a scratch inside it[36].”

The trace of facial scratches in T,O,U,C,H,I,N,G is visible as a trickle of sequins, which is inappropriate to say the least. We are in the presence of a representation heightened by alteration.” The scene’s violence is minimized and mocked by this blood that isn’t, because it consists of sequins. We are in the realm of “bad taste,” which is part of a “camp” aesthetic that would have taken up off other areas. References to comic books and cartoons abound (the light bulb that hollows out its black light in N:O:T:H:I:N:G). Comedy is also present: in Analytical Study II: Unframed Lines, a specimen of worn out film strip vainly tries to pass through an analytical projector; the pseudo-educational film on how to wipe your ass in Razor Blades (illustration). This humor that makes light of bad taste is also found in the bones spiked with colored paint, as it is in most of the fluxus objets: Pair of Silver Shoes Covered in Plastic Spiders, Keys… (illustration)

The mat aspect of the painted bones’ colors, the juxaposition of textures in the fluxus objets and the abstract paintings, and then in the “expressionist” works of the eighties, the chromatic juxtapositions, all combine to explore the limits of taste. Scenes of violence either represented or suggested are also found in the treatment of the film strip itself, be it by scratches or burns, or even both together in certain cases, as in Anlaytical Studies, Episodic Generation and 3rd Degree (illustration).

 

This violence, whose traces can also be found in many of Sharits’s painting from the eighties, is visible as much in the contents as in the treatment, but sometimes the use of the flicker by Sharits pertains more to diary, documenting anxiety. In several interviews, Sharits shares the project of a long, pure color film that would allow him “to express things than happen almost in a chronological manner; for instance the feeling of loneliness.[37].” Does he not say, in his interview with Jean-Claude Lebensztejn, “I think that the flicker films are partly about anxiety, about my own anxiety. Aside from being interested in perceptual realities, perceptual thresholds and the possibility of creating temporal chords of color, a lot of it has to do with the projection of internal feelings[38].” Acknowleding this aspect allows a reframing of Sharits’s work by adding an emotional dimension often overlooked by many critics more focused on a formal approach to his work. It became more difficult to keep up with Sharits once the films became reflections or diaries of his anxieties (Brancusi’s Sculpture at Tirgu Jiu, Figment, Rapture). The analytical and theoretical dimension was, of course, present in his work and in most of his films from the seventies, but it was not their sole impetus. The autobiographical dimension was never far, be it in his films or his paintings, the series Positano and Posalo (illustration), which, though deeply abstract, reflected his life at that moment. At the beginning of the eighties, this dimension came to the fore in his pictorial works where the subjects related to the events of his life, such as the accident when he was shot at point blank range in a bar in Buffalo. The question of epilepsy is recurrent; it became the subject of an installation and a film, Epileptic Seizure Comparison, whose traces can be found in several of Paul’s paintings of faces deformed by color, and in the cry of Portrait Series (illustration).

If we consider that a film is the flow of a modulated line, made up of elements coordinated by the flickering/shutter (clignotement), we then better comprehend the relationship connecting music and film from a compositional point of view. Sharits studied music for several years and his knowledge of it enabled him to compose his films around musical patterns that were genuine triggers: Beethoven and Mahler for Declarative Mode[39], Mozart for T,O,U,C,H,I,N,G, Bach for N:O:T:H:I:N:G. It was not so much the transcription of the melody that interested him, as the possibility that working with such tools offers musicians. The flicker arranges the sets of still pure color frames into color chords. In this respect, Shutter Interface is exemplary. Depending on the version employed, this installation juxtaposes 2 or 4 projected films that partially overlap each other. In those zones where strips of flicker are superimposed, we visualize chromatic harmonics and resonances, which are not on the film strips, but result from the periodicity and the temporal juxtaposition of the flickering still pure color frames[40]. Depending on their modulation, these chords give rise to melodic lines, for which the modular drawings, along with the work scores, are essential links. Although acting as notes for a project’s evolution, the latter also exist in themselves. In an interview[41], Sharits spoke of the importance of these works, which accompanied the production of a film, and of the need to show them in the same way as the projected work: the film and the film strip paintings, the drawings. This was even more important for all the locational pieces, as they do not have a defined running time, are loops, without beginning or end. The score, drawing and Frozen Film Frames hence appear as distinct, and yet inseparable, moments of a work. They are moments of experimentation in a proposition as much as they extend the way film is used. The drawings are a preparatory study (see Score 3A for Declarative Mode, Analytical Studies IV – illustration) as much as they are a faithful transcription of the film, the score. On one hand, Frame Studies are scores that can generate films and drawings, on the other, Studies for Frozen Film Frames are the exact rendering of a film resulting from Frame Studies[42].

The question of music is important because around it both the conditions of a formal approach, as much as the abandoning of it in the later works, can be understood. The project[43] concerning Chopin’s final mazurka confirms this importance. We recall that for Clement Greenberg, music was the model of pure art and as such, an abstract art[44]. Several painters and filmmakers found their inspiration therein so as to establish an abstract practice of their art. There are numerous texts by, and interviews with Sharits in which the question of sound and music motivated a reflection on what film is and also what film should be. For him, it was not a matter of establishing some synaesthesia or another, but of making use of musical models, and more precisely, of the way music functions by finding “operational analogues… between ways of seeing and ways of hearing,” and asking “can there exist a visual analogy of that quality found in a complex aural tone, the mixture of a fundamental tone with its overtones[45]?” Understanding how a chord’s notes are arranged, how they follow on from each other so as to create a melodic fabric, enabled Paul Sharits to offer solutions with a view to film that operated according to elementary units of the film strip. The flickering clusters of still pure color frames created melodic lines depending on the intensity of hues, their duration, and their juxtaposition with the colors that preceded and followed them[46]. A screening does not allow us to capture one color more than another in the way that the frozen film frames (which therefore serve as a notation system) do, but it does allow us to understand the melodies, passages, shifts, colored contractions and expansions worked on in this or that film. Sharits declared that a particular section of Declarative Mode resulted from the finale of Beethoven’s 7th Symphony. Such a declaration does not however mean that the film’s aim was related to synaethesia. It happens that for brief moments in the film, musical rhythmics served as a model for a section’s arrangement, even if it meant using the rhythmical structure of a movement or part of an allegro, etc. It is in this sense that we speak of partial synaesthesia. When a film or an installation put two screens in direct relationship (one in the other when it comes to Declarative Mode and Tirgu Jiu, or contiguous with Razor Blades – illustration), it is even easier to grasp the musicality between the two screens (instrument), which may be in or out of phase, before joining together again to produce an image or passages, and the dissolving of one image into another.

The melodic dimension of the flicker films is even more palpable in Sharits’s work because it followed a development that was often programmed: the mandala. Watching N:O:T:H:I:N:G does not enable us to grasp the development’s symmetrical structure, even though we feel, in the second half of the film, a familiarity with the rhythmical and chromatic lines being explored. Is this because the eye has grown used to, and pinpoints more easily, in the experience of the duration, the chromatic relationships that have already been presented? In this case, identifying the arrangement of a chromatic grouping and repetition are what give rise to a musical dimension. Is this musical apprehension reinforced because, for the main part, N:O:T:H:I:N:G is silent, just as Declarative Mode is entirely silent? If we compare these two films with Ray Gun Virus, which juxtaposes the sound of sprocket holes with the colored, projected flicker, the purely musical dimension fades in favor of a visual experience that emphasizes the mechanism’s functioning: the flow of film strip in front of a shutter that brings about the flickering and the projector head that reads the optical information offered to it. This musical dimension can be perceived more clearly in the flicker films than in those where the film strip is re-filmed.

S :TREAM :S :S :ECTION :S :ECTION :S :ECTION :S :S :ECTIONED escapes this ban. It is not actually a flicker film, and yet the musical paradigm is forcefully affirmed by it. With this film, Sharits said he had finally come “to use superimposition, as a way of attaining both ‘chordal depth’and the possibility of ‘counterpoint’.” Later on, he would ask that his reader “not jump to the conclusion that ‘musicality’ is the primary intention behind the film[47].” The film’s organization is important because it mixes at least four distinct sources of information: the superimposed shots of the river (which pass from six to none, looped 3 times), scratches (8 sets of three scratches every four minutes from the fourth), repeated words (numbering six, layered one on the other), and beeps and splices (the relationship between the beeps and the splices is modular[48]– illustrations). The film compares the film strip’s streaming with the water’s flow, it questions the interval existing between the photographic recording, which creates the illusion of three-dimensional space, with the film strip’s two-dimensional physical space. The six shots of the river interweave in an effervescence of information flows that rarely let us single out any particular one. When only one flow remains, we have the impression of seeing others. We have entered a realm to do with the imagination: a construction (a figment). The first word repeated in a loop, like in T,O,U,C,H,I,N,G, upon which, one by one, the others are spliced, irrigates this figment. The repetition induces another sound effervescence, another flow about which we perceive the differences without, however, halting to note them; they are part of the information flow and the experience. An interval’s arrival on the scene is part of the proposition and reinforces it. Each set of scratches makes us look at the frame in another way, along with the water currents, and the relationship connecting these two kinds of photographic and graphic information. The scratch affirms the medium’s fragility as much as its materiality; it is for this reason it has often been cast aside by entertainment movies and rarely claimed by avant-garde filmmakers. An entire archeaology about the incorporation of the scratch as a visual element merits being established, which would include, among others, Len Lye, Adrian Brunel, Stan Brakhage, Isidore Isou, Maurice Lemaitre, and Carolee Schneeman, to mention just a few. These scratches, which are the very subject of the film and affirm, for the first time, the importance of flow/streaming in Sharits’s work, are also important plastic objects that link this film to the field of plastic arts (think of Barnett Newman’s zip, or Lucio Fontana’s slashes), as much as they show the connection existing between the modular designs and the scores. The latter two are created by the means of colored dots that represent a still frame, or more or less trembling, zigzagging lines (we could almost be talking about doodles[49]). In one, we see the score, still frame by still frame, in the other we see in the dissolves from one color into another, the simultaneous criss-crossings (croisements) of distinct information. One thing that is glaringly/blindingly obvious in S :TREAM :S :S :ECTION :S :ECTION :S :ECTION :S :S :ECTIONED, as is the case with Wintercourse, 3rd Degree[50], and even Rapture[51], is that photographic quality matters little to the filmmaker. By photography quality, we mean what is technically envisaged as the norm: good exposure, sharpness, lighting…  In these films what is worked upon is not the beautiful image but the production of a cinematographic image, which is to say, an image that is only by and in the projection, an image by which we will induce thinking about the apparatus (dispositif) as much as about the mechanisms (mechanisms) that allow us to grasp what is at play during the reception of these propositions. Herein we find what Duchamp[52] advocated as to the participation of the spectator with regard to the composition of a work.

These are the procedures that Sharits employed in S :S :S :S :S :S and which describes the relation to the musical; the predictability of the arrival of the scratches, without however knowing exactly their positioning, matches the increasing layers of declaimed words as much as, by symmetrical inversion, it recalls the diminishing and recommencement of the river sequences. Ce sont les processus que déploie Sharits dans S :S :S :S :S :S qui inscrivent la relation au musical; la prédictabilité de l’apparition des rayures, sans pour autant en connaître exactement l’emplacement, répond à l’augmentation des mots proférés autant que par inversion symétrique, évoque la diminution et la reprise des séquences de la rivière. The sound of the splices, which is not synchronized but staggered according to diminishing intervals, emphasizes both the implacability of the system Sharits’s employs as much as the possibility of lingering at all kinds of intervals within a system. The scratches of varying thicknesses and changing colors sometimes set off leaks in the image, the flows partially becoming scratches or vice-versa, produce an overlap in the image’s thickness, between the back- and foreground. A fusion by retraction of the cinematographic illusion is produced in the course of a scratch, while others, like a Lye doodle, buckle and twist in order to keep the separation between the nature of the two filmed objects present in the image.  « explorer ces moments de tensions particulières dans lesquels l’illusion du flot des images projetées se joue du flux des images : le ruban projeté, le film actuel que l’on est entrain de voir ». THIS QUOTE IS NOT CLOSED – WHERE DOES IT END AND WHAT IS ITS SOURCE, its is a refenece to rosalynd krauss, but not actually a quote? At each splice, all the scratches disappear from a still frame; all we see is a black mark centered in the image, the beginning of a flicker is induced by the interplay of the splices in the river shots. The scratches and flows fit into one another in an amazing counterpoint from which emerge beeps and the scratches’ static, like a fleeting ritornello. Because the logic of this film’s development is predictable, we can “explore these moments of particular tension in which the illusion of a stream of projected images plays with the flux of images: the projected film strip, the one we are  actually busy watching – my translation, need original.

S :TREAM :S :S :ECTION :S :ECTION :S :ECTION :S :S :ECTIONED informs us of the future development that Sharits would undertake with films and installations whose subject is the motion of the film through the projector (défilement). The superimposed layering of the river shots anticipated the film strip slidings (glissements) of Soundstrip/Filmstrip, Color Sound Frames, the Analytical Studies series, and Episodic Generation. These works arranged space and questioned other optical illusions, thereby separating themselves from the op art arena in which some of Sharits’s films were often presumed to belong. Color Sound Frames and Episodic Generation show how the sliding of film strips produces spaces/gaps/intervals (espaces) that seem to distort the screen (illustrations). We are in the presence of optical illusions that induce blisters on the vertical edges of the screen in the single-screen version of Episodic Generation. These effects become horizontal in the installation because the projectors (projection) are tipped 90 degrees to the right. Projected in its installation form, this film seems to modifiy the solid appearance of the screen on which it is projected. Suddenly, affected by the speeds at which the layers were shot, the screen deforms and the wall, this screen, becomes a bent space, or more precisely, an ondulating space; nothing is still, nothing is less certain than this fiction that we see at work, of which we are the actors.

 

The installations demand the participation of the spectators; they represent an important phase in the literally immersive development of Sharits’s cinematographic work. In the films, the immersion was often counterbalanced by the emotional impact of certain images – for example, the eye operation, to mention but one. Gil Wolman delved into the question of the violence of strobe effects in his film L’Anticoncept, which questioned the classic mechanism of projection because a  probe (ballon sonde : ce sont ces ballons à l’hélium qui s’élève dans l’espace avec lesquels on mesure les vents …) is required for the film to be screened[53]. Paul Sharits envisaged his works for the museum and art gallery as an extension and an overtaking of the formatted framework of screenings in a theater.

“‘Film’ can occupy spaces other than that of the theater; it can become ‘Locational’ (rather than suggesting‑representing other locations) by existing in spaces whose shapes and scales of possible sound and image ‘sizes’ are part of the wholistic piece.

I have found this form of filmmaking and display, using “more than one projector, » more and more meaningful (and imperative if I wish to truly actualize my intent of developing a clear ontological analysis of film’s many mechanisms and dualisms)[54]

 

 

We mentioned earlier that Paul Sharits’s installations require spectator participation because they are above all analytical. They explore the notion of projection streaming, (defilement) along with the conditions of how the work is received. Spectators question how the piece was produced, thereby enabling it to be a means of what it puts into place (d’être ce quelle est au moyen de ce qu’elle met en œuvre). The work’s contents are not concealed, “they are its specimen.” It is because these works are open, can be entered or left at any time, don’t have a predetermined running time, their compositional structure does not respond to plot development criteria, and their contents are immediate, that they require a commitment from the spectators. As a spectator of the Dream Displacement[55] installation noted, the sound layout in relation to the image induces a break in the projection space which encourages viewers to constantly move about. What’s more, it is spatially distributed which reinforces the movement in the space. One must pace around the projection space to activate it. Although everything is there from the beginning, it is the moving about that enables one to grasp what is unfolding in the projected work. ( no i am refreing to that letter but am describing the piece from it as much as any installation?) Each work configures the space it occupies in a specific way[56]. The images’ format, the way in which they fit exactly together, often reproducing a horizontal rather than vertical unspooling film strip, their relationship with the sound which may be environmental (a sound landscape) or localized, renews and demonstrates the variety of locational interventions created by Paul Sharits. Although the first installations favored the streaming of film strips, two of these did not fit that mold: 3rd Degree in part, and Epileptic Seizure Comparison entirely. The latter is the only vertical installation, in which we are both in the interior and at the exterior of an epileptic seizure. We notice that the various drawings accompanying 3rd Degree’s production show the work from two directions, either the three films flow to the right, or to the left in an encasting emboîtement escalier (illustration).

In Epileptic Seizure Comparison, we share the seizure in two ways, on the one hand we see and hear patients’ cries, on the other we hear and see a sound transcription of the alpha brainwaves of these same patients, along with a chromatic conversion of this same seizure, from the interior. Both screens flicker alternately, dispersing the seizures in a triangular environment that only adds to their intensity (illustration).

Epileptic Seizure Comparison revived the use of double screens, which were one of the permanent features of Paul Sharits’s cinematographic work – from Razor Blades, through Vertical Contiguity, Declarative Mode, Brancusi’s Scuplture Ensemble at Tirgu Jiu and Tirgu Jui. The double screen’s multiplicity of spatial configurations enabled him to contemplate connections that could activate the virtualities of film. Symmetry may have been what was explored, or the complementarity between images, or the relation may also, as was the case with Declarative Mode and Tirgu Jiu (illustration), examine mise en abyme, and thereby question the frame and its edges, as well as the overlappings of the frame, as in Tigu Jui which shares similarities with Shutter Interface. Some films became, like the many experimentations of which they were comprised, specimens for new films.

La destruction, la violence, la menace font de 3rd Degree  une étude sur la fragilité et la vulnérabilité de la femme menacée autant que du film qui avait déjà été abordée mais de manière plus formelle dans Analytical Studies 2 et 4.

Epileptic Seizure, and also 3rd Degree, exposed Sharits’s personal history. Epilepsy was always something Sharits dreaded, and above all the fear of the being/being epileptic, or the fear of the Being? Destruction, violence and threat make 3rd Degree[57] a study of the fragility and the vulnerability of the threatened woman as much as of film; the theme had already been broached, but in a more formal manner, in Analytical Studies 2 and 4.

 

From 1982, Sharits’s film output began to diminish after an assault in which he wa shot in a bar. He returned more ferociously to painting and exhibited more often. His paintings’ subjects became more openly autobiographical and revived certain motifs found in his films: the firearm in Ray Gun Virus is found in several paintings, of which Infected Pistol (illustration) is an example. His working of pictorial matter was more affirmed, paint was directly emptied from a tube onto the canvas, or by means of a pastry bag, the themes refer back to moments of destruction, infection, etc., (illustration). Networks of lines creating superimposed figures (illustration) call to mind certain cinematographic effects in which a delay, a lapse between seeing and perceiving is created. At this point, painting represented a new terrain for experimentation that film could no longer provide. Nonetheless, new directions were explored in film, among which the diary film dimension was fully assumed in Brancusi’s Sculpture Ensemble at Tirgu Jiu. This dimension would be extended further in Figment, whose form closely resembles a chronical in episodes (serial), which enabled Sharits to discover new sound designs. Cette question de nouveaux rapport sonore trouve son illustration dans le projet sur la mazurka de Chopin. This question of new sound relationships is illustrated by the project about Chopin’s mazurka. During a trip to Poland, Sharits discovered this composition and decided to launch into a new project, doing tests by filming to the music’s rhythms[58]. A few weeks later he sent the score (to Robakowsky in Poland, where?), highlighted with color (illustrations), which would serve as the guiding line for the film’s production. Exhibiting installations required maintenance that Sharits would often have to oversee, making exhibition a draining task, a supplementary constraint that became onerous. The precariousness of his living situation led Paul Sharits to explore less costly mediums: video and performances, thereby reconnecting with the Fluxus spirit.

 

The moment has now come to consider his work in its entirety, of which this exhibition and this catalog mark the necessary beginnings.



[1] “During 1958, when I began making 8mm film studies of a psychodramatic nature.” See I Feel Free” in this catalog.

[2] Stan Brakage also studied at the same university a few years earlier.

[3] “Hearing: Seeing,” 1975, published in Film Culture #65-66 (Winter, 1978).

[4] Wrapped Vespa, 1963-64.

[5] See “My Painting & Film” outline for a text for Galerie A (Amsterdam, 1989) in this catalog.

[6] Concerns a feature film that proved impossible to edit and finish. With regard to Illumination, Accident, see the interview (unpublished) between Hollis Frampton and Paul Sharits within the framework of Media Studies at Buffalo (No this was not within that exhibition might be publish by them in December (is this included in the Mindframes ZKM exhi(b?)University, 1973, and “My Painting & Film” op. cit.

[7] Paul Sharits: “UR(I)N(ul)LS:S:TREAM:S:SECTION:S:SECTION:S:S:ECTIONED(A)(LYSIS)JO:“1968-1970,” Film Culture #65-66, op cit., p. 13.

[8]Unpublished correspondence included in the Mind Frames: Media Study at Buffalo exhibition at ZKM (Karlsruhe: Zentrum für Kunst und Medientechnologie, 2007)

[9] For a study of these films see P. Adams Sitney, Visionary Film: The American Avant-Garde (New York Oxford University Press, 1974), and David E. James, Allegories of Cinema: American Film in the Sixties (Princeton: Princeton University Press, 1989).

[10] “Word per Page,” Afterimage No.4 (London, Fall 1972).

[11] “A Lecture 1968,” published in The Avant-Garde Film: A Reader of Theory and Criticism, ed. P. Adams Sitney (New York: New York University Press, 1978).

[12] Let us recall that “Modernist Painting” was published in Art and Literature #4 (New York, Spring 1965).

[13] “I’ve always & still do resist the idea of abstract cinema for several reasons: because my work in painting/sculpture was never figurative (it was ‘abstract’/’non-objective’)… I am wary of categorization (‘abstract cinema’) and the idea that someone can ‘understand’ something by labeling it (labeling has, for me, always led to ‘putting aside,’ ‘feeling comfortable with,’ etc.”

[14] Published in Catalogue 3 of the Film-Makers’ Cooperative, New York, Film Culture N°37 Summer 1965

[15] With regard to the ambiguity of this term, see the interview with Hollis Frampton, op. cit.

[16] We recall that one of Paul Sharits’s first articles concerning the use of color in film focused on Godard: “Red, Blue, Godard,” Film Quarterly #19 (Summer 1966)

[17] “Towards a New Narrative Film Form,” Film Culture #31 (Winter 1963-64).

[18] Program notes dated January 8, 1975 for the Whitney Museum of American Art’s New American Film Series.

[19] “I made a few things for this final form. I really don’t have any defendable aesthetic for doing something like this, just a deeply felt impulse… I guess this is why I am worried I can hardly wait to get it all together. I am beginning to feel a logic that ‘justifies’ what I call ‘fragmented’ … maybe the beginning of something.” Letter of May 20, 1967 to Stan Brakhage.

[20] See the interview with Jean-Claude Lebensztejn in this catalogue, initially published in Ecrits sur l’art récent : Brice Marden, Malcolm Morley, Paul Sharits (Paris: Éditions Aldines, 1995)

[21] An earlier film exists, with which these filmmakers were unfamiliar because it was rarely shown before being rediscovered in the eighties, namely: L’Anticoncept (1951) by Gil Wolman

[22] In “A Theory of Pure Film” in Field of Vision #1 (Pittsburgh Fall 1976) and #3 (Winter 1977-78), Victor Grauer wanted to establish a theory that would isolate film’s basic elements with regard to/compared with his own films and those of Kubelka, Conrad and Sharits.

[23] Theater of the Eternal Music or Dream Syndicate, an American music group that explored experimental music and drone. LaMonte Young, John Cale, Angus MacLise, Marian Zazeela, Tony Conrad, and sometimes Terry Riley, were members.

[24] I am grateful to Keith Sanborn for pointing out these details.

[25] “It was a color narrative,” interview with Frampton, March 1, 1973.

[26] See the texts by Rosalind Krauss, “Paul Sharits: Dream Displacement and Other Projects,” published in conjunction with the exhibition of the same name, Albright-Knox Art Gallery (Buffalo 1976), and Annette Michelson, “Paul Sharits and the Critique of Illusionism: An Introduction” in the “Projected Exhibition” exhibition catalog, Walker Art Center (Minneapolis Fall 1974) in this catalog.

[27] This experience felt while watching a Sharits’s film is analyzed by Keith Sanborn in “Information Theory and Aesthetic Perception” included in this catalog.

[28] In a mid-November 1966 letter to Sharits about Ray Gun Virus, Stan Brakhage spoke of the similarities between their work with regard to the use of light flashes: “My enthusiasm after seeing your film Ray Gun Virus was such that I would have sent you a telegram if I could have afforded it! I think I do really have a union with your own film in that we are working along the same Westward Ho! cultural line of development wiz: the un-masked flash! I showed Gregg the 1st tension of my work in progress called Scenes from Under Childhood and he/we all were amazed at certain specific similarities and then also the 23rd Psalm Branch of mine is integrally in valued with the physiological rhythms of memory re-calls (as the optic nerve flashes in the act of memory).”

[29] Razor Blades is composed of 14 loops made over a period of years for various projects.

[30] The film was made over a period of three years.

[31] With regard to this phenomenon of irradiation, see Edwin Carels: “Shadow is the Queen of Colour,” in which he analyzes the relationship between Joseph Plateau’s experiences and those of Paul Sharits, included in this catalog.

[32] See the interview with yann beauvais, July 1980, Scratch Book (Paris, 1998).

[33] The relationship Paul Sharits’s films develop between the text as image or the image of the text as scansion (Razor Blades, Fluxfilm #29 Word Movie) is worthy of a whole separate study.

[34] See the diagram of Razor Blades visual development (illustration).

[35] A precise description of this installation, along with the problems inherent to it, can be found in the text by Bill Brand, “The Artist as Archivist,” in this catalog. Originally published in In Results You Can’t Refuse: Celebrating 30 Years of BB Optics, ed. Andrew Lampert (New York: Anthology Film Archives, 2006).

[36] Paul Sharits interviewed by Gary Garrels, originally published in the Mediums of Language: Vernon Fisher, Myrel Chernick, Paul Sharits exhibition catalogue, Hayden Galleries, MIT (Massachusetts 1982).

[37] Ibid, along with the interview with Jean-Claude Lebensztejn.

[38] Interview with Lebensztejn op. cit.

[39] See Paul Sharits, yann beauvais interview, Scratch Book, op. cit., along with work notes (unpublished) for Declarative Mode.

[40] In Horror Film 1, a performance with three projectors, Malcolm LeGrice becomes a living shutter who partially masks projected light rays, creating colored shadow play. A prolongation of this work can be found in a few of Anita Tacher’s installations.

[41] Interview with Steina Vasulka filmed in 1977, and edited in 2005, for the MindFrames: Media Study at Buffalo 1973-1990 exhibition, ZKM, 2007.

[42] Exhibition/Frozen Frames, in “Regarding the “Frozen Film Frames Series”: A statement, for the 5th International Knooke de Zoute Festival, December 1974, republished in this catalog.

[43] See the two texts by Josef Robakowski and Wieslaw Michalak on the creation of Attention: Light, Paul Sharits’s initial project.

[44] Edson Barrus alerted me to this text by Clement Greenberg: “Toward a New Laocoon,” Partisan Review # 7  (Boston 1940

[45] “Hearing : Seeing,” op. cit.

[46] In a 1968 letter to Stan Brakhage about a project, Sharits wrote: “Referential images would be largely eliminated from such works, as the concern for a musical (I have apprehension using that word since film is film and music is music… you understand what I mean though) color structure will be dominant.”

[47] “Hearing : Seeing,” op.cit.

[48] Regina Cornell offers an excellent analysis of this film in “Paul Sharits: Illusion and Object,” Artforum (New York, Sept 1971)

[49] With regard to doodling, or automatic drawing, Len Lye demonstrated balletic flair at this, directly scratching the film strip. See Len Lye, eds. Jean-Michel Bouhours, Roger Horrocks (Paris: Pompidou Center, 2000).

[50] In his interview with Gary Garrels, Sharits speaks about the bad quality of the image film clip used in 3rd Degree.

[51] In a letter to me in February, 1988, Paul wrote that he’d moved from film to video, and that he hoped to make flicker films in video, or more precisely “color field pieces.”

[52] “The Creative Act,” Marcel Duchamp. A paper read at the Session on the Creative Act, Convention of the American Federation of Arts, Houston, Texas, April 1957.

[53] Jean-Michel Bouhours took an interest in Wolman’s films and explored their relation to works by Kubelka and Conrad in a great text, “De l’anticoncept à l’anticoncept, 1950 – 1990,” initially published in a catalogue about Wolman (Paris 1990), and included in the upcoming publication Quel cinema (Paris: Presses du reel).

[54] “Statement regarding multiple screen/sound ‘Location’ film environments-installations” (1976).

 

[55] An anonymous, unpublished letter to Paul Sharits in his work journal for Dream Displacement.

[56] See the descriptions by Annette Michelson of Synchronoussoundtracks, or that by Rosalind Krauss of Filmstrip/Soundstrip, in this catalog.

[57] I’m grateful to Keith Sanborn for alerting me to this title’s other connotations: “to give someone the third degree.” A phrase heard in American film noir films in the thirties, and in thrillers since. Paul Sharits watched all kinds of films; for his classes, he borrowed examples from throughout the history and from all genres of film. A study of the relationship between Paul Sharits’s films and B-movies would be worthy of attention.

[58] This experience is detailed in “Art Friend (a memoir)” by Josef Robakowski, initially published by Hallwalls 2004, for the first edition/the opening of Attention: Light, ref à vérifier.

Trois films de Paul Sharits (Fr)

Trois films de Paul Sharits Cinéma le Bel Air Mulhouse le 13 novembre 2007

Cinéastes américains né en 1943 et mort en 1993.

Les trois films composant cette séance sont représentatifs du travail cinématographique de Paul Sharits.  Lorsqu’en 1966 Paul Sharits se lance dans la réalisation de Ray Gun Virus, il a déjà à son actif plusieurs films importants qui l’ont établi comme l’une des figures majeures du cinéma expérimental américain qui ont œuvré au renouvellement de cette pratique. Il s’intéresse en effet à un cinéma qui interroge les conditions mêmes de ses possibilités.  En 1965, lorsque Paul Sharits rejette tous ses travaux antérieurs qu’ils s’agissent de peintures, graphismes ou films, il se lance dans la production d’un cinéma débarrassé de toutes boursouflures narratives au profit d’un cinéma qui met en scène et travaille à partir de ses constituants. Pendant une dizaine d’années, de film en films Paul Sharits  façonne une véritable ontologie du cinéma aux côtés de cinéastes tel Hollis Frampton, Tony Conrad, Michael Snow…

Son cinéma sera alors un cinéma du photogramme, un cinéma du ruban, un cinéma du défilement mais aussi un cinéma qui sortira du cinéma pour habiter les cimaises avec les Frozen Film Frames (tableaux de pellicules) autant que l’espace d’exposition avec ses Locational Pieces (film in situ, ou installations).

RAY GUN VIRUS 1966 couleur sonore 14 minutes

Ce film est dédié à Regina Cornwell

Ce film est essentiel à plus d’un titre car il est le premier film qui a été pensé à la fois comme « un temps lumineux projeté et un objet spatial. » Ce film provient des travaux entrepris par Paul Sharits avec les partitions et des dessins modulaires qui lui permettent d’envisager le cinéma sous d’autres formes que celles de la seule projection.

Comment concevoir, articuler des formes dans le temps sans recourir à une trame narrative. Comment organiser et produire un développement temporel sans aucun artifice extra cinématographique. On voit dans cette interrogation quelques similarités avec celles de Dziga Vertov quant au cinéma (le ciné-œil) autant qu’avec celles de Kasimir Malevitch quant à la peinture non objective.

Ce qui permettra à la fois à Paul Sharits de sortir de cette difficulté mais aussi de produire le cinéma qu’il veut. Dans ce dessein, le recours au flicker, c’est-à-dire au clignotement, est privilégié dans un premier temps autant que la structuration du film comme une projection lumineuse temporelle autant qu’un diagramme qui permet d’appréhender le film dans son intégralité à la manière d’une partition d’un dessin qui vous donne les moyens de voir les symétries et le développement des séries de couleurs. La perception du film Ray Gun Virus s’effectue selon deux axes, le premier privilégie la projection et la perception des variations chromatiques que le flicker induit, tandis que le second axe permet de voir ce que l’on ne pouvait percevoir lors de la projection c’est-à-dire les éléments à partir desquels nous avons perçu ce que nous avons vu.

On peut dire que c’est à partir de ce film que se radicalise le cinéma de Paul Sharits, et que ce film nourrira le développement de Razor Blades (réalisé entre les années 65 et 68) aussi bien que de T,O,U,C,H,I,N,G.

Quelques mots sur RAY GUN VIRUS sont encore nécessaires, le film parle du rayon du pistolet et de son virus. Le rayon se réfère à la projection elle-même, le virus à ce que le flicker produit tandis que le pistolet est le projecteur. Cette explication du titre peut-être satisfaisante, mais elle risque de manquer certaines caractéristiques du film à savoir qu’il s’agit d’un film fait avec des photogrammes de couleurs pures qui accompagné d’un vrombissement sonore consistant en la lecture des perforations par la tête de lecture optique. Ce son agressif dans un sens va induire une tension particulière en maintenant un déphasage entre ce qui vu, perçu et entendu, mais dans les deux cas la répétition, l’insistance  du son autant que la persistance des images va modifier, pour ne pas dire transformer notre perception, et le film va nous mettre comme le fera T,O,U,C,H,I,N,G dans une situation qui instaure un dialogue entre différents plans de perception rarement actualiser de cette manière au cinéma. En effet il y a à la fois l’écran qui frémit, pulse aux rythmes des couleurs et qui induits la perception de couleurs qui ne sont pas à l’écran, ni sur le ruban.  Nous avons donc l’écran de la projection, l’écran de notre perception, la conscience que l’on en a et le renvoi : dialogue de l’un à l’autre. Voir un film devient ainsi une négociation entre ces différentes instances qui font que pour comprendre ce que l’on voit, on doit suspendre le défilement du film. L’objet qui est perçu nécessite ainsi sa mise à l’écart pour être saisi, analyser. Ne peut-on dire que nous sommes en présence d’un objet de penser, ou plus précisément que le film travaille la production de pensée.

T,O,U,C,H,I,N,G 1968 couleur sonore 12 minutes

Ce film est dédié à David Franks

« L’ambiguïté est inhérente au flicker film. On la voit à l’œuvre dans Ray Gun Virus (1966) ou N :O :T :H :I :N :G (1968) à travers la perception de couleurs et d’illusions optiques ou bien encore dans la perception des images figuratives de Piece Mandala /End War (1966). Avec T,O,U,C,H,I,N,G, l’ambiguïté s’effectue aussi bien visuellement ou auditivement. Visuellement le titre, T,O,U,C,H,I,N,G, écrit lettre à lettre  entrecoupée de virgules, signale  un ordonnancement du film en six parties égales séparées au centre par une partie distincte. Les couleurs dominantes  du flicker dans ce film  sont les lavandes, oranges et jaunes, le recours aux paillettes crée un aspect BD voyant renforcé par une pulsation frénétique.

Dans toutes les sections, le poète David Franks apparaît en plans moyens, et dans cinq partie sur six il est aux prises avec deux actions, dans l’une il tire sa langue entre une paire de ciseaux recouvertes de paillettes vertes, dans l’autre sa joue apparaît griffée de paillettes rouges par la main d’une femme aux ongles vernis de paillettes vertes traversant l’écran. Au fil du développement du film, les actions se déploient dans un sens et puis l’autre à l’écran….

Dans la section finale du film, les yeux de Franks sont ouverts et ne sont plus recouverts de paillettes. » Catalogue de distribution Leo Castelli.

Ce film conjugue plusieurs stratégies visuelles en associant aux flicker de couleur pures des éléments figuratifs comme c’étaient le cas dans Razor Blades ou Piece Mandala / End War. De plus le son tient un rôle prépondérant dans ce travail puisqu’il est avec Word Movie l’un des premiers films dans lequel le mot s’entend et va servir de motif sonore. Cependant le traitement du mot est particulier dans la mesure où il ne s’agit pas d’une énonciation d’une suite de mots comme dans Word Movie, mais de la répétition d’un mot pendant toute la durée du film. Ce mot a été enregistré plusieurs fois afin d’avoir à de marquer, d’affirmer des différences de prononciations et de souligner à travers la répétition, les écarts et induire ainsi des manifestations auditives similaires à celles que met le flicker coloré.

On remarquera aussi, ce qui me paraît essentiel, que dans la dernière partie du film, aux photographies de David Franks et aux photogrammes de couleurs pures viennent s’ajouter des photogrammes dans lesquels un rectangle coloré  occupe la majeure partie du cadre, préfigurant un travail postérieur  avec deux projecteurs : Declarative Mode. Dans ce dernier film que vous pouvez voir à L’espace Gantner dans l’exposition Sharits, un même film est projeté sur lui-même, une image dans l’image, cette projection en déphasant les deux projecteurs d’un écart d’une seconde.

Cependant dans Declarative Mode, le rectangle plus petit ne change pas de taille comme c’est le cas  avec  T,O,U,C,H,I,N,G.  Cette section du film fait écho à celui d’Hans Richter Rythme 21 qui a été longtemps  considéré comme l’un des films fondateurs de l’avant-garde  cinématographique. Dans ce film Richter filmait un carré qui s’agrandissait et rétrécissait de manière similaire induisant des volumes et des aplats, une dynamique particulière que radicalisera Paul Sharits avec T,O,U,C,H,I,N,G.

COLOR SOUND FRAMES 1974 couleur sonore 26’30

C’est à partir de la fin des années 60 que Paul Sharits  s’est ouvert à d’autres objets que le photogramme, l’a plat de l’écran, le cadre, en interrogeant la notion du ruban avec S:TREAM:S:SECTION :S :ECTION :S :S :ECTIONED (1970), Sound Strip / Film Strip (1972), mais aussi avec la notion du film comme ligne une ligne dans le temps, tel que le déploie par exemple l’installation Film Strip / Sound Strip (1971).

À partir de 1973 avec la série des Analytical Studies, il joint les deux approches, celle qui interroge le photogramme et celles qui investissent le défilement, le ruban lui-même.

Color Sound Frames est issue de la première section d’Analytical Studies III, intitulé “Spécimen”, utilisant trois cycles de gammes de couleurs entrelacées et produisant un film à clignotement.  Dans Color Sound Frames ce n’est pas le clignotement qui est l’enjeu mais  plutôt la relation entre le ruban et le photogramme. Les images sont des rubans refilmés avec leurs perforations et la ligne de séparation photogrammique apparentes.  Le champ directionnel et la force peut-être soit ascendant soit descendant. Pour un segment, le ruban a été refilmé à l’envers (de la fin au début du ruban) et deux sections ont des images de rubans superposés l’un sur l’autre. Alors qu’il était refilmé, le ruban se déplaçait à des vitesses variables. Le synchronisme sonore des perforations est entendu lorsqu’elles sont lues par la tête de lecture.

Au début du film, les sections sont décrites ainsi :

Section 1 : Vecteur A : Ascendant (en avant)

Section 2 : Vecteur B : Descendant   (en avant)

Section 3 : Superpositions convergentes

Vecteur A (avant) + Vecteur A (rétrograde)

Section 4 : Superpositions divergentes

Vecteur A (avant) + Vecteur B (avant)

Color Sound Frames est un film sur le film et sur les illusions qui peuvent résulter des propriétés matérielles du film créant des abstractions.  Les directions actuelles du mouvement peuvent sembler ambiguës à cause des variations de vitesses. À grande vitesse, la ligne de séparation photogrammique disparaît. Dans les sections superposées, les couleurs se fondent et en forment d’autres alors qu’à d’autres vitesses, les couleurs et les perforations semblent onduler.

Color sound Frames préfigurent les installations comme Synchronoussoudtracks,  Episodic Generation et 3rd Degree mettent en scène le ruban de pellicule selon le déploiement d’une fausse continuité spatiale d’un écran à l’autre dans lequel le ruban semble glisser d’un écran à l’autre, et dont la perception se transforme au fur et à mesure que  les vitesses de défilement de chaque écran se modifient, se désynchronisent ou semblent se mettre en phase.

yann beauvais le 9 novembre 2007

Paul Sharits (Fr)

in note programme Adicinex des 27 et 28 novembre 1980

« On a l’art pour ne pas périr de la vérité ». Nietzsche

« Je me suis transfiguré en zéro des formes et me suis repêché du trou d’eau des détritus de l’Art Académique. Malevitch

Si l’essence de l’art est la manifestation de l’indicible, de l’imperceptible, c’est par le cinéma que Paul Sharits vise cette essentialité. Son œuvre n’est pas seulement une critique de la perception et de l’esthétique, elle atteint dans son implacable épuration des contenus et des formes, ce paradigme, ce mirage du rien que l’art moderne, et pas seulement lui, a repoussé dans ses limites extrêmes. Sharits parle volontiers de l’influence de Malevitch sur son œuvre, il évoque aussi ce fantasme de Flaubert ; une nouvelle sur le rien : la forme du rien ! C’est aussi à Debussy que l’on pensera devant le très beau travail de Sharits sur le son : la musique comme souffle de la vie : ultime manifestation de l’art par le musical.
Considérons deux grands axes de recherche dans l’œuvre de Sharits. T.O.U.C.H.I.N.G,N:O:T:H:I:N:GRay Gun Virus, le film est appréhendé ici, comme une succession de photogrammes pulsés dans l’espace et dans le temps par la lumière. Cet axe met en évidence l’intermittence comme constituant majeur du film. Avec les films « flicker » de Sharits est dévoilé le dispositif cinéma. C’est une suite de : on/off/on/off continus, régulable à volonté. Regardant T.O.U.C.H.I.N.G, le spectateur est amené à se poser un ensemble de questions sur les processus de conscientisation. La conscience du spectateur est ancrée dans le temps. S’en apercevoir c’est geler le temps. C’est arrêter le défilement. C’est briser la narration au profit de ses constituants. C’est opérer un ralentissement, un retard du défilement des pensées dans notre conscience. Point nodal du travail qu’effectue Paul Sharits dans et par le film photogrammique.

Dans son deuxième axe de recherche le film est appréhendé cette fois comme se déroulant dans le temps. Ça défile, ça se développe dans le temps. Les films de cette conception (S/S/S/S/S/SInferential CurrentAnalytical Study…) interrogent les possibilités de la temporalité et ses divers modes d’actualisation dans le film. Les différents temps et épaisseurs dans le film se combinent et s’affrontent avec l’éprouvé temporel du spectateur. Seule l’œuvre de Sharits nous offre avec ses complexités temporelles simultanées ce temps unique dont notre émotion est tissée.
Le premier axe de recherche envisage le film comme une suite interrompue de photogrammes. Le deuxième comme un défilement d’une bande de plastique dans le temps ; d’où il résulte une synthèse possible que seront les derniers travaux de Sharits, tels que Epileptic Seizure ComparisonDream DisplacementDeclarative Mode,Episodic Generation. Dans cette synthèse, son travail ne s’épuise pas. Ces films ouvrent un nouveau champ d’investigation qui est encore loin d’être défriché. La simplicité extrême du matériau utilisé induit une complexité des enjeux et des relations qu’entretient le cinéma avec son spectateur, l’art, la métaphysique, le social. Voir à ce propos Epileptic Seizure Comparison où de l’intérieur on est à l’extérieur de la crise épileptique et inversement. Ou dans Declarative Mode, où l’on s’aperçoit que le bord de (de l’écran, de la connaissance, du temps ou de la raison…) est le seul recours possible si l’on veut appréhender quoique ce soit de l’existant. Connaissance par les bords, par les gouffres, par les fuites ; telles seraient quelques-unes des voies possibles d’accès au travail de Sharits. Il va sans dire que l’on ne peut que mutiler son travail en l’appréhendant aussi succinctement par le texte. Il s’agit d’un travail dont on ne peut faire l’économie, et dont l’éprouvé du spectateur est fondamental.
yb

Adicinex Paris

étaient présentés le 27 novembre
Declarative Mode 1976-77 40’ double écran
Episodic Generation 1976 30’

et le 28 novembre
T.O.U.C.H.I.N.G, 1968 12’
Inferential Current 1971 8’
Tails 1976 3’
Epileptic Seizure Comparizson 1976 35’

El Soporte Inestable (Fr)

Instabile materie de Jürgen Reble

in Cosmos En busca de los orígenes. De Kupka a Kubrick, catalogue d’exposition du même nom, ed par Arnauld Pierre, TEA Tennerife Espacio de Las Artes, Tenerife 2008

publié en espagnol et en français, sous le titre Le support instable.

Le support instable

L’œuvre cinématographique de Jürgen Reble se caractérise par sa dimension cosmique. Parmi les cinéastes contemporains, il explore avec ténacité ce champ du cinéma dans lequel la méditation et la recherche spirituelle sont fortement ancrées. Son travail entretient des fortes relations avec ceux d’Oskar Fischinger, Stan Brakhage et James Whitney (1) et Jordan Belson, qui à travers une investigation sur les particules interrogent autant le cosmos que l’atome selon des harmonies plus ou moins distantes et ce, en fonction du rapport entre abstraction et champ musical ; ou bien ils le font à partir d’expérience de la perception.

Dans les années 80, au sein du collectif Schmelzdahin (2) ,  puis seul, Jürgen Reble s’est fait connaître en tant que cinéaste. Dans ces années-là, le cinéma expérimental allemand connaissait un renouveau et une effervescence inouïs (3). Dans ce contexte particulier, le super 8 dominait. Il s’agissait pour la plupart des groupes, et ce pas seulement en Allemagne, de proposer de nouvelles approches cinématographiques. Pour la nouvelle génération, il était important de se démarquer du cinéma qui avait dominé l’époque précédente et qui se prolongeait comme si le modernisme était atemporel. Il s’agissait de revitaliser la pratique du cinéma à tous les échelons : fabrication, diffusion et monstration des travaux en s’affranchissant par exemple, du traitement formaté des laboratoires de développement et de tirage, privilégiant du même coup le savoir faire de l’artisan. C’est ainsi que le son, souvent mal-aimé (4) prenait une place prépondérante lors de la projection grâce à la stéréo des projecteurs super 8. L’utilisation de ce format soulignait les potentialités immersives de chaque projection et en faisait un outil très performant alors qu’il était initialement destiné à la sphère du privé. Ces qualités immersives seront explorées par Jürgen Reble dans ses films mais plus encore dans les performances de Live cinéma (5) qu’il réalise au sein de Schmelzdahin à partir de 1987, puis en son nom propre ou avec le musicien Thomas Köner.

Par son nom, Schmelzdahin (dissous-toi) désigne les processus que les artistes explorent. Le groupe privilégie le montage en récupérant des films (found-footage) de toutes provenances en travaillant quelques éléments narratifs. Simultanément Schmelzdahin procède à une série d’investigations concernant la décomposition, la dissolution, la transformation des différentes émulsions utilisées en cinéma. Les films sont plongés dans un étang, enfouis dans la terre, ou accrochés aux arbres. Les pellicules subissent de plein fouet les aléas climatiques et font apparaître de nouvelles réalités se substituant aux représentations initiales et qui sont celles de la corrosion. L’étude des résultats de ces lentes décompositions conduit le groupe à explorer d’autres types de transformations bactériologiques, manuelles ou chimiques.

Le film laissé aux vents subit un « acte de purification » ; il engendre simultanément l’apparition de masses colorées qui se séparent de leurs formes liminaires, en produisant des mosaïques ou des conglomérats bariolés rappelant les moirages de vitraux. Ces premières expériences prouvent qu’il est possible de travailler par-delà la séparation des couches émulsives constituant support. Ces expériences mettent en jeu l’instabilité en devenir du support, qui est voué à disparaître à plus ou moins brèves échéances.

Les transformations, les décompositions déclenchées par les cinéastes accélèrent les processus d’effacement spécifiques du support. Et ce sont ces processus de dégradation, de son effacement de l’image qui sont le sujet du film. Chaque film travaille l’imagerie de sa dissolution, ou montre la prolifération de ce qui le dévore (6). L’objet dont Jürgen Reble exploite les transformations est le signe de son ensevelissement à venir. Si la trame narrative est présente dans les films du groupe elle s’estompe chez Jürgen Reble avec Instabile Materie (1995).

Jürgen Reble travaille la plupart du temps avec des found footage super 8 ou 16mm. Le film Rumpelstilzchen (1989) qu’il réalise en solo est le recyclage d’un film des années 30, l’adaptation du conte de Grimm dans lequel un nain transforme la paille en or. Le traitement réalisé sur le ruban est la mise en acte au moyen du film de cette opération alchimique. Le film noir et blanc original est saturé par la couleur, il a subi une mutation alchimique au travers d’une flamboyante polychromie. Ce film inaugure une pratique qui confère aux émulsions une nouvelle vie, en ce sens on peut la qualifier d’alchimique.

Rumpelstilzchen

Le travail de Jürgen Reble partage avec de nombreux cinéastes des années 80, un intérêt pour la transformation de la matière même du cinéma par les manipulations s’effectuant à même les différents supports, pendant les phases de développement et de tirages.

Cette transformation que subit la matière cinématographique modifie aussi bien l’aspect physique du ruban qui est projeté ou qui sert d’original, que les objets qui sont distribués et qui surnage à ces défigurations de la représentation. Il s’agit d’un déplacement de la représentation ; comme si la figure s’effaçait au profit des éléments qui la constituaient et des particules qui la rendaient possible. Au moment où cette figuration s’évanouit dans la matière, cette dernière induit de nouveaux conglomérats, des mosaïques cristallines, des éclats granuleux. Des traînées de poussières, proliférantes viennent maquiller plus que hanter les images initialement enregistrées. On ne sait plus, si on est avant ou après le cinéma. Si on est avant ou après la création. S’agit-il d’un cinéma qui travaille les constituants en rendant visibles, par leur accélération, ce qui dévore les émulsions au fil du temps ou s’agit-il d’une esthétique post-cinématographique, qui se repaît des ultimes sursauts d’un support face au numérique qui le submerge de son intense prolifération. L’approche bien que matérialiste s’écarte de celles, théorisées par les cinéastes Britanniques dans le cinéma structuraliste matérialiste (7) qui interrogeait les conditions de la représentation en privilégiant la matière cinématographique même, remettant en cause la figure de l’auteur autant que la position du sujet bourgeois quant à la production et à la consommation de la représentation. En Allemagne, cette démarche est explorée par Birgit & Willem Hein. L’approche de Jürgen Reble se distingue de ces dernières, elle partage une dimension expressive distincte qu’ont manifestée de manière singulière et à différentes époques aussi bien Oskar Fischinger, que Stan Brakhage et James Whitney, ou même Len Lye “ car ce sont tous des artistes qui ont crée une sorte de musique optique qui a su ne plus être musique, mais film (8)”. Tous ces cinéastes font du film un instrument de connaissance, l’expérience du film devient alors le chemin d’une quête qui nous transportera vers d’autres rivages. Chez Oskar Fischinger, cette démarche se situe dans la continuité de l’esthétique romantique assignant à la création artistique la production d’un art total, qui puisse élever l’âme: “Ceci constitue le fondement de notre pensée : l’esprit créateur ne devra jamais être entravé par quelque réalité ou quoi que ce soit qui puisse nuire à sa création pure et absolue” (9). On en trouvera encore une illustration magistrale dans les films de James Whitney. Pour ce cinéaste, chaque film est un moyen d’accéder à la médiation à travers des motifs complexes de points et des rythmes dont les pulsations, rotations et combinaisons sont rigoureusement planifiées selon stases flux (voir Lapis, 1963-67 ou Wu-Ming 1977) (10). Lorsque Stan Brakhage entreprend Dog Star Man (1961-64), se pose la question de la complétude de l’homme et sa quête incessante pour la réaliser, le film poursuit à la fois le cheminement d’un homme montant une montagne autant qu’il façonne une autre vision dont le médium est à la fois la mémoire et l’agent. Brakhage propose une écriture à la première personne qui explore une vision subjective certes, mais qui est partageable par d’aucuns” (11). Schématiquement, on pourrait dire que le cinéma de Jürgen Reble se situe à la croisée de ces pratiques. Il partage en effet avec Oskar Fischinger cette aspiration à une élévation de l’âme à travers la poursuite d’une recherche cinématographique absolue, sous des formes qui s’apparente plus à la conduite d’une médiation en recourant à des boucles à partir desquelles des singularités pourront être isolées, au fur et à mesure des répétions. Sa démarche est singulière, véritablement spécifique, pour ne pas dire unique quand bien même de nombreux cinéastes explorent des processus similaires de traitement d’image, ils ne le font pas selon les mêmes visées. Aujourd’hui ces traitements qui signent une indépendance vis-à-vis de l’industrie du cinéma à travers cette esthétique de la matière pelliculaire sont communs.

Jürgen Reble a créé un type de traitement de l’image cinématographique. Il a exploré une tension entre les différents éléments de chaque proposition en passant du film à la performance ou à l’installation selon des temporalités inhérentes à chaque situation. Il existe une étroite relation entre les mécanismes de dissolution, les virages et les images premières que déploie le travail en direct lors des performances et qui font de l’image un vivant. La confrontation entre les qualités spécifiques des dégénérescences du support avec les résidus et les poussières crée de subtiles mise en abîmes qu’il explore rigoureusement et qui évoque les minutieuses investigations des performances du Nervous System(12) de Ken Jacobs. Chaque film peut faire surgir, au seuil de son évanouissement des mondes engloutis et convoque des espaces et des temps révolus. Il nous suffit de penser à ces trajets sur la Circle Line dans le film Chicago (1996), qui convoquent autant le premier cinéma (par la nature du plan : un travelling à l’avant du métro) qu’il évoque ces villes après l’apocalypse dont est friand le cinéma de science fiction. La traversée de la ville est à la merci du mirage de la production de l’image, comme le subit le long travelling sur Market Street à San Francisco dans les tremblements et décollements pelliculaires d’Eureka (1974) d’Ernie Gehr. Dans Chicago, la poussière de l’émulsion s’écaille littéralement sous nos yeux, pour devenir son. Les craquements ne sont pas tant ceux du parcours du métro aérien que l’écho d’un effondrement probable de la ville, son engloutissement dans la masse sonore sourde et lente de Thomas Köner. DansChicago, les effets sont produits dans une gamme de noirs et blancs, qui en regard de la manipulation chimique sont souvent plus intéressants que ceux, résultants des films couleur (13). Le blanchiment et la dissolution vaporeuse des images se conjuguent au déplacement du métro qui est ralenti lors du refilmage. Ces techniques de refilmage avaient déjà été utilisées par Jürgen Reble Instabile Materie, et rappelle parfois Secret Garden(1988) de Phil Solomon (14) ou certains des films peints de Stan Brakhage, ceux de sa dernière période Black Ice (1994) ou Chartres Series (1994)…. Cependant, dans Instabile Materie, les vitesses de refilmage changent fréquemment. Ce sont elles qui impulsent et caractérisent des plans déjà vus selon de nouvelles variations chromatiques. Ce film ne répond pas à une trame narrative, comme le fait Passion (1990) à la manière d’un journal filmé, ou bien Das Goldene Tor (1992) qui se déploie de manière similaire sous la forme rite lors du passage de l’hiver, de l’obscurité à la lumière (15). Chicago inscrit le déplacement d’un lieu à l’autre comme trame du film. Le transport de l’image et du son (recyclage sonore du prélèvement de la poussière de l’émulsion récoltée par Thomas Köner) sert de trame linéaire au film ; alors qu’avec Instabile Materie on est en dans le registre de la méditation. Le film propose une investigation sur des images de paysages inconnus, qui donnent cours à la production d’images mentales. Il met en place des techniques d’exposition, de fluctuations et de permutations de plans afin de les explorer le plus intensément selon les plans ou selon leurs chromatismes, comme le fait à sa manière Stan Brakhage avec le cendrier en verre de The Text of Light (1974)(16) ou bien comme le fera Fred Worden dans One (1998)(17). Ces deux derniers films travaillent l’énergie et les paysages que produit la lumière selon une imagerie dite abstraite. Instabile Materie manifeste l’Alchimie dont parle le cinéaste Nathaniel Dorsky, lorsqu’il évoque sa production dans le champ cinématographique: « pour que l’alchimie s’accomplisse dans un film, il faut que la forme induise l’expression de sa propre matérialité, et cette matérialité doit être en accord avec son sujet » (18).

 instabile-materei_02

Instabile Materie est un film qui répond à une bourse de la ville de Hambourg. L’obtention de la bourse entraînait que le travail ait un lien d’une manière ou d’une autre avec le centre de recherche DESY (19). Ce laboratoire est spécialisé dans l’étude de la matière et plus particulièrement dans l’étude des particules élémentaires, il est doté d’un accélérateur de particules. La première version (1995) du film de Jürgen Reble comprenait des intertitres qui ouvraient chacune des huit partie du film. Ces intertitres se référaient à des particules élémentaires qui sont l’objet des recherches du DESY (20). Quelques années plus tard Jürgen Reble a retiré ces intertitres, dans la mesure ou la manière dont le film s’intéresse à la matière et à la lumière n’a rien à voir avec celle que pourrait avoir un physicien de la matière.

Une part du film orignal montrait le site du laboratoire à Hambourg ainsi que les chercheurs expliquant leur démarche à partir de modèles et de théories mathématiques. L’accélérateur permet de faire entrer en collision les particules en sorte que l’on peut tenter de voir à la fois l’événement qui se produit et ce qu’il déclenche. Le rapport entre la matière et l’antimatière est source d’énergie à travers les déflagrations ; c’est à partir de l’analyse du comportement de ces particules que s’élabore la théorie du big-bang qui préside à l’apparition de l’univers.

Instabile Materie est la réponse du cinéaste à ces préoccupations relatives à la matière vivante. Comme dans beaucoup des films précédents de Jürgen Reble, il utilise de nombreux documents : films documentaires sur les peuples d’Afrique, films scientifiques, extraits de long-métrages… Tous ces métrages de films sont littéralement ensevelis sous des couches de produit chimiques. C’est ce matériau filmé, transformé par des couches de produits chimiques, qui devient la source visuelle du film. À ce stade, les rubans sélectionnés subissent une mutation radicale, et vont donner naissance à des conglomérats, des particules d’images qui sont retravaillées par le cinéaste selon différentes stratégies qui vont du virage, à l’abrasion de couches chimiques et émulsives, à la rephotographie et manipulation chimique secondaire. La palette du cinéaste est vaste, la connaissance qu’il a du matériau et des réactions potentielles des émulsions en relation aux traitements chimiques est essentielle. Elle confère à ses projets une grande intensité, pour ne pas parler d’efficacité, que l’on retrouve dans les grattages et rayures (21) qui viennent parfois strier les sédiments chimiques, créant une chorégraphie de lumière auréolant une forme organique, ce sont des incisions incandescentes dans la profondeur des couleurs dominantes de l’émulsion.

Ce film propose, met en évidence les processus de matérialisation et de désintégration ou de dissolution de la matière, à partir de la matière même du support. L’ambition du film n’est donc pas de traiter tant des particules élémentaires que de produire un équivalent visuel à cet événement qu’est l’apparition de l’univers ou d’un univers. C’est ici que la démarche de Jürgen Reble rejoint celle de Stan Brakhage lorsqu’il tente à travers ces films autant que dans ces textes, de donner à voir à l’écran une vision qui serait celle d’avant les réglages et les codages. Une vision qui ne s’articule pas sur la reconnaissance mais une vision qui accepterait tous les événements visuelles comme faisant partie de son champ d’application et de traitement. Jürgen Reble partage cet intérêt pour la déstabilisation de la perception visuelle, lorsqu’il devient difficile de gérer, d’ordonner les champs perceptifs visuels (22). Lorsqu’on atteint des seuils perceptifs dans lesquels il est impossible de déterminer la provenance ou la nature des formes et mouvements que l’on perçoit à l’écran, on entre dans un espace d’instabilité qui est exactement l’objet investit par le film. C’est à partir du moment où l’on ne peut plus assigner aux mouvements, à l’image un lieu spécifique que cette dernière se donne à voir comme inédite, dès lors seront privilégiés des mouvements suspendus, les flous ainsi que l’impossibilité d’assigner aux éléments de figurations qui surgissent une quelconque relation de cause à effet quant à leur irruption, en dehors de la puissance de l’énergie. Nous naviguons dans d’autres espaces, nous les parcourons visuellement, mais ils sont avant tout des espaces mentaux.

Les huit parties qui composent le film ne proposent pas de réel développement. Elles ont toutes une durée similaire et sont séparées les unes des autres par un fondu au noir et pause silencieuse. Dans Instabile Materie, il n’y a ni évolution ni transformation qui répondrait à une forme de composition pré-établie. Chaque partie correspond à un traitement chimique spécifique (oxydation, virage…) qui induit des motifs, des cristallisations particulières. On remarque cependant que l’apparition de certaines formes reconnaissables : véritables mirages qui se mirant à travers les couches de sel, tel Saturne et ses anneaux, une meule tournoyant dans un décor de pierre, un enfant devant un feu de cheminée, nous invitent penser que nous parcourons le cycle d’un système de complexité biologique. De la proto-forme en tant que masse d’énergie non formatée (23), aux multiples cristallisations, puis à des organisations de plus en plus complexes jusqu’à l’espèce humaine. Mais on ne saurait réduire le film à une interprétation de la théorie de l’évolution, dans la mesure ou le film travaille les matières des surfaces émulsives, qui autorisent parfois le surgissement de traces des empreintes antérieures. Ce que nous identifions résulte d’un processus de décomposition qui ne nous en fait appréhender que des restes. Entre ces restes par forcément identifiables nous établissons des connexions avec des images plus anciennes que nous avons en mémoire et par là même nous les interprétons.

La plupart des bandes originales ont été blanchies au moyen d’acide chlorhydrique, ou par une quelconque solution de blanchiment. Les objets reconnaissables sont avant tout, comme des points de focalisation qui distribuent le regard, qui ramassent ou dissolvent la matière selon des formes évanescentes. Ainsi par exemples deux formes allongées selon une double rotation concentrent une masse granulaire en leurs pourtours et façonnent d’une spirale (24) un ouroboros. Cette figure récurrente dans la seconde partie du film se mêle parfois à une forme circulaire qui selon l’accumulation de grains, selon les irisations peut-être tour à tour une planète, ou le signe chinois de la complémentarité, ou bien encore un œil. Les masses colorées en mouvement ne sont pas limitées à une attribution, elles fluctuent, elles sont toujours en devenir. Le film joue de et avec cette instabilité, laquelle renvoie à la nature même du support utilisé : le support argentique. Le film travaille avec les détériorations (25), (ici voulu) avec l’ablation du substrat photographique, avec les retraits et les dissolutions souvent augmentées par la réticulation des émulsions et qui font de celles-ci des éléments non projetables. Jürgen Reble accélère les processus d’évolutions naturels du film, en ce sens il maîtrise les éléments autant que le temps de cette mutation.

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Nous sommes confrontés à des paysages qui sont soit invisibles, inaccessibles ou incommensurables. Ils sont ancrés dans un sol minéral porté par la musique. Cette dernière fait appel en totalité à des sons issus de matière minérale : pierre roulant sur un sol dur, sable s’écoulant et terre. Par le son, l’immersion est accentuée et ce d’autant plus que les sons recourent en la juxtaposition et le croisement d’objets en rotation ou en expansion. L’instabilité de la bande-son répond à cette instabilité visuelle. Afin de renforcer ce climat, comme le dit Thomas Köner : « I did not write in the sometimes noise-elegiac style that I do when working for the classic narrative silent film, but I kept the balance instable, like between major and minor. And I developed rather long themes to distract from the possible impression of seeing the images as a series of slide, to give it a larger space.(26) »

Le film déploie de fait une quête, non pas tant pour trouver la signification de l’existence, mais il représente une tentative afin de comprendre et d’exposer, ce qui désigne à la fois la monstration et l’enregistrement. Le visionnement du film requiert à la fois une attention et un détachement afin d’être dans disponibilité totale proche de l’immersion. La bande-son est un élément essentiel dans cette perception immersive, car c’est elle qui agissant comme un contrepoint juxtapose des tensions aux variations rythmiques des images,  dans les accélérations ou dans les ralentissements de l’enchaînement de blocs de photogrammes. Les différentes couches sonores constituant la bande-son se superposant les unes aux autres en laissent apparaître au premier plan comme le fait l’image, des éléments qui attirent notre attention alors que le reste du son se meut plus lentement. La juxtaposition de ces rythmes et de ces éléments fait constamment osciller notre écoute qui passe du général au particulier comme le font les masses cristallines ou les enveloppes organiques de l’image. Cette ambivalence détermine notre expérience du film. Les formes ovales dominent parfois et s’opposent aux surfaces cristallines, qui peuvent a leurs tours se transformer en comètes granulaires. Les surfaces cristallines sont des surfaces qui n’ont pas de profondeur ; pures surfaces réfléchissantes elles annihilent tous effets de volumes et par conséquent tout mimétisme photographique. Elles sont le big-bang cinématographique.

Dans Instabile Materie, la difficulté ne réside pas tant dans les déplacements, le transport que dans la clôture du film. Comment revenir à une expérience qui refermerait ce moment en dehors du temps. À la différence de James Whitney qui recourt à des motifs de mandala afin d’organiser la structure de ses films, ou Jordan Belson qui propose une expérience visuelle souvent induite par la structure musicale, Reble ne propose pas de suivre un chemin aussi défini, dans la mesure ou les films, et Instabile Materie plus qu’aucun autre, dépendent des effets des solutions appliquées au matériau. Dès lors l’expérience du film dépend grandement de notre investissement et des rapports que nous produisons à la réception de ce flux d’images et de sons. Instabile Materie met en crise l’expérience narrative du film au profit d’une immersion qui s’apparente à celle qui se manifeste dans les films flickers sans les effets stroboscopiques. Nous sommes en présence de bourdonnements visuels qui nous plongent dans un autre univers, nous ne sommes pas assaillis mais portés par le film. Le film explore un transport particulier, dans lequel la représentation des séquences tient un rôle particulier puisqu’elle manifestent écarts aiguisant du même coup notre regard afin de capter les moindres variations de matières…

Dès lors, on comprend comment ce film, ouvre de nouveaux espaces pour le cinéaste. Si le moteur du film relève d’une forme de contemplation, la question du support de cette contemplation resurgit. Une telle expérience dans sa fragilité même ne nécessite peut-être plus l’écran comme interface? Ne peut-on alors imaginer, quelque chose de moins défini, proche en cela de ce que nous propose le cinéaste à travers ces paysages de matières? Quelque chose de moins stable, en suspension, vaporeux, auquel il recourt dans ses dernières performances de Quasar (2007), à partir de fumigène créant un espace flou propice à quelques éphémères apparitions lumineuses, de molécule ou galaxie en formation.

yann beauvais

1) Voir Jürgen Reble, Les champs de perception in Scratch Book 1983-1998, p 336, sous la direction de yann beauvais & Jean Damien Collin, Light Cone, Paris 1998

2) Il s’agissait d’un collectif composé de Jochen Limpet, Jürgen Reble et Jochen Mueller, actif entre 1978 et 89, et basé à Bonn, mais c’est à partir de 1983 que le groupe a travaillé avec les effets de décomposition bactériologique et les transformations chimiques.

3) Voir le numéro spécial de The Independent Eye 11, #2/3 coordonné par Mike Hoolboom, Toronto, Spring 1990 et Der Deutsche Experimentalfilm der 80er Jahre, Goethe Institut München 1990

‘) La piste optique des films 16mm n’est pas d’une grande qualité en monophonie, à moins d’utiliser du 16mm magnétique, qui était moins usité en dehors de l’Europe.

5) Pour Jan Schalcher dans Live Audiovisual Performance as a Cinema Practice: « Le concept de live cinéma à ses origines en musique autant que dans le film et s’est développé ou a transférer des techniques de composition à un autre niveau que celui du montage. » in The Cinematic Experience ed by Boris Debackere & Arie Altena, Sonic Acts Press, Amsterdam 2008. Fred Worden décrivant une performance de cinéma de Ken Jacobs a recouru à ce terme en 1993, dansKen Jacobs’ Chronometer, in Cinematograph Sentience, A Journal of Film and Media Art, San Francisco 1993

6) Stadt in Flammen (1984) en est l’archétype. Un film de série B réduit en super 8 subit des décompositions bactériennes qui ont attaqué les trois couches d’émulsion les mélangeant selon d’autres configurations.

7) Voir Malcolm LeGrice : Abstract Film and Beyond, Studio Vista, MIT Press 1977, et Experimental Cinema in the DigitaAge, bfi, publishing, Londres 2003. Peter Gidal : Structural Film Anthology, bfi, publishing, Londres 1978,Materialist Film, Routledge, Londres 1989

8) Jürgen Reble : Dans les champs de perception, in Scratch Book, opt cité

9) Oskar Fischinger : Ce que j’ai à dire est inscrit dans mon travail in Musique Film p 48-50 ed yann beauvais & Deke Dusinberre, Scratch Cinémathèque Française Paris 1986, originalement publié in Art in Cinema catalogue, San Francisco Museum of Art, 1947.

10) Pour une analyse de la démarche de James Whitney, voir Enlightenment de William Moritz in First Light p 63-69 ed Robert Haller, Anthology Film Archives, New York, 1998

11) “Imaginons un œil qui ne sait rien des lois de la perspectives inventées par l’homme, un œil qui ignore la recomposition logique, un œil qui ne correspond à rien de bien défini, mais qui doit découvrir chaque objet rencontré dans la vie à travers une aventure perceptive”, Stan Brakhage, Métaphores et vision, centre Georges Pompidou, Paris 1998, ed originale Metaphors on vision, Film Culture, New York 1963

12) Le Nervous System de Ken Jacobs est un mode de projection qui fait appel à deux projecteurs d’analyse modifiés par des obturateurs externes et montrant le même film. Le cinéaste joue avec les retards et avancés ce qui modifie progressivement notre perception de la représentation. Le travail explore les potentialités 3D inhérentes à de brèves séquences de films d’archives, faisant surgir des paysages, des volumes dont on ne pouvait pas imaginer l’existence.

13) Voir Jürgen Reble : Chemistry and the Alchemy of Colour, in Millennium Film Journal n° 30/31, p13-19, Deutschland / Interviews, New York, Fall 1997

14) Pour une discussion de ce film voir Scott MacDonald A Critical Cinema 5, Interviews with Independent Filmmakers, University of California Press, Berkeley 2006

15) Steven Ball dans Spinning Straw Into Gold: Four Works by Jürgen Reble in the New Medium of Film, qualifie la forme de Goldene Tor comme “myopic mythopoeia.” 2004

16) Pour une discussion de ce film voir The Seen, in Stan Brakhage : Scrapbook, Collected Writings, p 203-216 Documentex, New York 1982

17) Ce film consiste en l’exploration d’une seule image : « Lumière et non-lumière ; presque la même chose que le noir et blanc, mais plus archaïque et fondamentale (dès qu’il cela devient du « noir et blanc » cela devient symbolique) » Fred Worden Notes for the film One, 1998

18) Devotional Cinema, Tuumba Press, Berkeley 2003

19) www.desy.de

20) Je dois ces informations à Jürgen Reble lors d’un échange mail en avril 2008

21) Le grattage de l’émulsion permet de réaliser des films sans caméra, Len Lye et Norman MacLaren furent parmi les pionniers de ces techniques. Les cinéastes qui font eux-mêmes le développement et le tirage de leur copie les ont incorporés comme un élément parmi d’autres. De nombreuses performances, comme celles de Schmelzdahin, puis de Jürgen Reble recourent à ces inscriptions en direct sur le ruban : Alchemy est exemplaire à cet égard.

22) Voir Zwischen Resten von Bildern de Jürgen Reble, in Reste Umgang mit einem Randphänomen de Andreas Becker, Saskia Reither, Christian Spies, Transcript Verlag 2005

23) Cette question de l’énergie a été centrale pour deux cinéastes Stan Brakhage, voir Metafors on Vision, trad. française, opt citée, et Len Lye: From the Art That Moves,(1964) in Figures of Motion, Len Lye Selected Writings, Auckland University Press 1984, trad française in Len Lye, L’art en mouvement, ed Centre Georges Pompidou, Paris 2000.

24) Cette forme de spirale en rotation avait déjà été utilisée dans Passion

25) On se souvient que Peter Delpeut et Bill Morrison ont tous deux travaillé à partir d’un corpus de films d’archives en décomposition. Peter Delpeut Lyrisch Nitraat (1990) et Bill Morrison avec Decasia (2002).

26) Le 26 avril 2008 Thomas Köner en réponse à une question que je lui avais posée : « je ne composais pas dans le style élégiaque à partir de bruits que j’utilise pour les films narratifs du cinéma silencieux, mais je tenais instable la balance, par exemple entre le majeur et le mineur. Je développais des thèmes relativement longs afin de nous écarter de l’impression de voir des images d’un diaporama, afin de créer un espace plus large. »


 

La vidéo selon Edson Barrus (Fr)

in Revue&Corrigée n° 77 septembre 2008 et Revue&Corrigée n° 78, décembre 2008

La vidéo selon Edson Barrus

C’est en conversant avec Edson Barrus que je réalisais qu’il avait commencé à faire des vidéos à la suite de la présentation de l’exposition  Arte Cinema, dont j’avais été un des commissaires. Cette exposition proposait un panorama du cinéma expérimental et des films d’artistes américains et européens des années 60 et 70 en les mettant en rapport avec la pratique des plasticiens brésiliens qui au début des années 70 ont fait des films qui interrogeaient le cinéma en en faisant une pratique qui privilégiait plus l’action réalisée pour le film qu’ils ne s’intéressaient à travailler le matériau-cinéma comme le faisait alors les cinéastes américains et européens.

La possibilité de voir quelques-uns de ces films a facilité la commutation du travail d’Edson Barrus. En effet peu ou pas satisfait des usages et définitions que les pratiques académiques d’une avant-garde artistique qui perpétue la hiérarchie des beaux-arts -quand bien même elles reconnaissent l’existence de nouvelles pratiques-  pour laquelle il n’est d’art en dehors de la peinture et de la sculpture, le cinéma et la vidéo offraient alors une alternative vraiment efficace pour s’en distinguer, même si cela peut sembler au premier abord paradoxale. Cette émancipation du territoire de l’art consacré, qui s’accompagne d’une sanctification du travail d’Hélio Oiticica et de Lygia Clark selon des grilles d’interprétation  qui ont tendances à les « parquer dans certaines catégories »  et  à les cantonner à certaines pratiques permet ainsi, d’esquiver une radicalité et des lectures du contemporain (où devrait-on parler de territoire sacré de l’art ? ). Elle ouvre alors un champ de possibles dont Edson Barrus se saisit en travaillant avec cet outil qui est à portée de main, et dont les coûts  sont relativement modestes.

 

Si les premières bandes et installations apparaissent simples, c’est que sont privilégiés l’enregistrement d’une action. Il s’agit souvent du même geste, répété encore et encore. Les répétitions montrent que ce qui est au cœur du travail n’est pas tant le geste lui-même que le processus, qu’un tel geste déclenche. La répétition façonne notre perception autant qu’elle transforme l’objet sur lequel elle s’exerce. Nous sommes en présence d’une proposition, une performance qui met en scène un processus se déployant dans le temps et dont le filmage rend compte plus ou moins intégralement dans la durée. Le film n’est cependant pas un document de l’action, il informe de l’action en cours. Cela relève du constat. Et c’est parce que cela relève du constat que la conclusion de l’action filmée nous est rarement proposée. Les quelques exceptions sont importantes dans la mesure où elles s’inscrivent alors dans un espace narratif qui sera déjoué en fonction de la mise en espace de la bande.

Au moment où Edson Barrus se lance dans la vidéo, vers 1997-98, rares sont, au Brésil, les œuvres qui privilégient le low tech [1]autant en ce qui concerne l’enregistrement que le montage. La vidéo de création domine le formalisme de quelques propositions ou la sophistication des productions est telle, qu’elles inscrivent la pratique de la vidéo comme art : art vidéo, mais surtout elles s’inscrivent dans une économie qui participe à la fois du cinéma autant que de la télévision[2]. Ces travaux s’écartent ainsi de la singularité de cet outil, par leurs coûts et leur révérence à la division du travail qu’impose le professionnalisme. En effet, le recours à des équipements de masse autorise une réactivité, une immédiateté patente, qui permet à chacun de faire ses propres programmes au moyen de ses images. On entre ici dans un nouvel espace (inhérent à la quotidienneté) qui fait de celui qui montre (play, re-play) un exécutant tout aussi important que celui qui enregistre. L’écart entre l’enregistrement et sa diffusion à l’écran est minimisé. Cet usage bouscule ainsi les habitudes des réflexes professionnels à travers une réintroduction des bandes dans le circuit dont elles émergent. Cette habitude de montrer quasiment dans l’instant l’enregistrer est une des caractéristiques de la structure Rés do Chão, espace de vie expérimental  établi et supervisé par Edson Barrus de 2002 à 2006.[3] Cet usage, cette diffusion quasi immédiate de l’enregistré dans son lieu d’émergence constitue véritablement une expansion du feedback[4], appliqué au lieu comme médium.

L’année 1998 est importante, dans la mesure où elle inscrit la vidéo comme nouvel outil dont s’empare Edson Barrus. Jusqu’alors sa pratique se déployait dans le champ des arts visuels et principalement de la sculpture qui par-delà les objets convoquait autant la performance que l’installation. Une certaine théâtralité s’affirme en regard de la performance (qu’elle soit filmée ou non). De la même manière, la spatialisation  de pièces comme Boca Livre, ou dans les installations du Projet Cão Mulato est essentielle car, elle interroge la place accordée à l’image en mouvement en confrontant les temporalités de l’exposition et de la projection. Cette confrontation sape la domination de l’image en mouvement selon des stratégies d’exposition qui soient, les brouillent par l’adjonction d’objets[5] parasitant l’écran, en un mot les noient, soit les disqualifient en tant que tel. Elles deviennent parties d’un dispositif plus large qui les incorpore. Elles sont alors moments, et éléments de l’installation et non pas l’instrument de celle-ci.

On constate déjà, chez Edson Barrus une distance vis-à-vis de l’image en mouvement, qui s’amplifiera au fil des ans et qui le conduira à privilégier une apparente nonchalance quant à l’image vidéo. Cette inattention souligne que ce qui importe Edson Barrus ; ce n’est pas tant l’image en elle-même que les processus que ces images en mouvements déploient. Ici il n’est guère question de fétichisation de l’image, elle a peu d’importance en tant que telle, ce qui importe c’est ce qu’elle permet de travailler, ce que l’enregistrement met en jeu, autant que le dispositif que la monstration déploie et qui duplique fréquemment l’enregistrement tout en le décalant. Avec le Rosário, la fabrication et l’exécution minutieuses de ces pliages sont masquées par le chapelet déposé sur l’écran de télévision. La régularité de la tâche se comprend au moment où on s’approche de l’écran afin de voir autant l’image que l’objet. La perception de l’objet dévoile du même coup le processus de fabrication de ce Rosario. Le processus qui est quasiment sans fin détermine par conséquent la durée de la présentation qui peut-être variable à l’image du processus de fabrication qui peut se perpétuer.

Toutes les premières vidéos privilégient le plan fixe, parfois : le plan séquence. L’action est cadrée, la reproduction suggère en apparence une adhérence entre la restitution et l’enregistrement. Cependant, les écarts temporels se manifestent dans le son de chaque bande. La continuité est construite par la répétition du même geste, ou de la même action et ce indépendamment de la conformité linéaire de ce même geste ou action. C’est le son de la radio, qui marque les interruptions. Il ouvre un ailleurs.

Cet ailleurs, est essentiel pour la vidéo, qui à la différence du cinéma est d’emblée sonore et synchrone. Ce synchronisme est travaillé par Edson Barrus comme a-synchrone puisqu’il incorpore souvent dans ces premières vidéos un son extérieur à l’image (la radio diffusant un programme musical ou d’information quelconque) qui nous transpose de ce fait dans un autre espace renforcé au fil du temps.  Le montage s’effectue alors dans le mixage du son de l’action (Lavo as mãos, Quem et même Boca Livre ; tous de 1998) avec celui de la radio autant que par les coupes dont on prend conscience selon les conditions spécifiques de présentation des bandes.

Ces premières bandes sont travaillées avec une caméra vhs grand public, par la suite, Edson Barrus utilisera une hi-8 et puis un appareil photo numérique et une mini-dv. Les outils dont l’artiste se sert sont communs, un équipement de masse qui revendique l’importance  du faire sur les privilèges du professionnalisme qu’ils s’agissent de celui de l’industrie audio-visuel ou celui du marché de l’art. Cet usage convoque les pratiques du cinéma expérimental qui se sont appropriées les outils du marché afin d’explorer et  de définir un autre usage du cinéma, un cinéma à la première personne[6]. Un cinéma qui a façonné de nouveaux territoires d’expressions et, qui en s’emparant des outils les moins nobles de l’industrie cinématographique, ceux, destinés au grand public, a su développer un cinéma pour lequel l’expression d’une subjectivité n’a pas à être médiatiser par un personnage, une fiction…  De la même manière dans les années 90 plusieurs artistes américains[7] utiliseront les caméras jouets Fischer Price qui étaient avant tout destinés aux enfants. Ce recyclage des instruments accompagne souvent un recyclage des images. Cette tendance s’est fortement réactualisé dans le cinéma et la vidéo des années 80 et 90. Nous verrons en quoi l’usage qu’en fait Edson Barrus est singulier.

La disponibilité des outils de filmage permet à Edson Barrus de s’éloigner plus encore de la production d’objet d’art. Au moyen du film autant que dans ces dernières, Edson Barrus remet en cause la pérennité de l’œuvre. L’objet qui est souvent le but ultime de la production, est annihilé, une fois l’exposition faite, il n’en reste rien ou quasiment. À cet égard le parangolata (que l’on pourrait qualifier d’instrument musical sous la forme d’un vêtement) et les performances qui en découle,sont importants, car d’une part ils se différencient du parangolé de Hélio Oiticica qui incorpore la samba dans le champ de l’art à travers un  vêtement fait pour danser. Il accompagne la samba, il est plastique, mais n’est pas sonore lui-même. Ce vêtement est d’apparat, on en conserve sa trace, il est aujourd’hui une relique ; de son côté, le parangolata est un instrument sonore qui implique dans son usage, autant une dispersion sonore que physique ; son épuisement. Il relève de la combustion, il se réalise dans l’auto combustion on voit alors le parallèle entre le parangolata et l’ampoule qui s’enflamme, autre objet-performance d’Edson Barrus. Les traces en sont quelques vidéos qui témoignent d’une mise en espace d’un lieu investi par l’artiste autant que par les spectateurs pendant la durée de l’exposition. Chaque présentation est non seulement inhérente au lieu, mais elle est aussi un chantier, où mieux un laboratoire ou s’expérimente le travail à travers une re-élaboration de la proposition. C’est en ce sens qu’il faut alors distinguer ce qui se fait entre Boca Livre et Cão Mulato[8].

L’usage du film, de la vidéo permet d’interroger d’autres zones et lieux des pratiques d’art. En se saisissant de la caméra, Edson Barrus ne cherche pas à se confronter à l’histoire du cinéma (expérimental ou non), ni non plus aux usages qu’en font les plasticiens, il recourt à des outils qui sont devenus communs et qui permettent à chacun de faire des images. Son appropriation est critique. Cette critique ne procède pas d’une analyse marxiste et matérialiste telle que produite par Malcolm LeGrice[9] et Peter Gidal en Angleterre qui ont su très bien démontré en quoi les outils façonnent la représentation et un type de spectacle cinématographique privilégiant la narration la plus éculée. Des approches similaires se retrouveront en Allemagne avec les Hein, ainsi qu’en Pologne à la même époque.  C’est parce qu’ils sont disponibles que ces outils sont essentiels pour Edson Barrus. Mais cela ne leur confère aucune primauté. L’outil à portée de main sera toujours privilégié. La caméra (quelle qu’elle soit) est tenue à la main, jamais de trépied. Elle est prolongement du corps comme elle l’est pour nombres de cinéastes super 8. À la fin 2006, Edson Barrus utilise fréquemment un téléphone portable pour filmer des séquences très courtes, qui sont mises bout à bout avec très peu de montage. Les films comme La choukrane (2007) ou  Surportable II (2007) jouent des écarts entre le pixel et les motifs en mouvement induit par leur transfert sur l’ordinateur.  Il est important de souligner qu’Edson Barrus ne filme pas avec le viseur de la caméra mais en recourrant à l’écran de contrôle. Le contrôle du cadrage est différent, ce n’est plus l’œil qui dirige et façonne l’image mais la main. L’image devient tactile, l’image devient respiration. Lorsqu’il recourt à l’appareil photo numérique qui lui permet de filmer des séquences de trois minutes, alors l’appareil est tenu en avant avec les deux mains afin d’assurer une meilleure stabilité et un plus grand contrôle du cadrage. Cette durée, autonomie de trois minutes (et plus selon l’appareil), s’apparente à  la durée des cartouches de super 8. Un autre trait relie ces deux medium, c’est la définition de l’image, le grain dans un cas les pixels dans l’autre, et qui est encore accentuée avec les portables.  La pauvreté apparente de l’image du super 8, de l’appareil photo numérique (3M de pixels) et du mobile signe les films qui sont pour la plupart fait dans l’instant. Capter sur le vif, dans l’urgence. This is My Heart (2004) n’aurait pu être réalisé autrement qu’au moyen d’un appareil photo numérique, dans le métro de Berlin. Il s’agit d’un film capté à la dérobée, ou le son joue un rôle prépondérant. C’est le son qui nous fait comprendre le cadrage, qui le justifie. Avec ce film que ce n’est pas tant la reproduction d’un événement qui importe pour l’artiste que la capture de ce moment unique qui à chaque projection nous interroge. L’actualité du questionnement de cette femme afro américaine, qui hurle dans le métro face à l’indifférence et au racisme se répète d’une projection à l’autre. Au cri de la femme, exhibant un cœur de verre rouge répond le silence embarrassé des passagers de la rame, tout autant que le nôtre, qui, assistons à la projection. Ce film évoque par sa facture un autre film d’Edson Barrus : Palestine Libre (2004). Dans les deux cas l’absence de montage participe de l’affirmation du tourné monté. Il s’agit de film constitué d’une prise unique comme on le voit dès Rede (2002) puis dans  Avenida Paulista, V,- 2,  (tous de 2004) Volta Completa,(2005) ou même Deus me Louvre (2006). Mais ces films à la différence de This my Heart, Palestine libre, ou Páginavirada (2006) mettent en scène des parcours urbains ou bien encore la quête de la Joconde à travers les méandres du Louvre. Le tourné monté est une pratique à la fois très simple, il suffit d’enregistrer et cet enregistrement est ce qui est projeté. Pas de travail secondaire. Le tourné monté présuppose à la fois une grande maîtrise de la caméra (bien que ce ne soit pas tout le temps nécessaire) autant qu’une modestie par rapport aux conditions de capture inhérente à cette manière d’envisager la pratique cinématographique. Ce n’est pas par hasard que cette manière de filmer a été validée à la fois par les cinéastes structurels (d’un point de vue conceptuel) autant que par les cinéastes qui font des journaux filmés et plus particulièrement ceux qui travaillent avec le super 8 (garant d’authenticité). Le tourné monté impose un cadre de tournage dans lequel le cinéaste va gérer ce qui est filmé. Il peut s’agir de filmer une performance, ou une action conçue pour la caméra (dans le cas de films de plasticiens des années 70) ou bien encore profiter des limites temporelles imposer par le cadre de la cartouche de super 8, ou bien de la durée  de capture de l’appareil photo numérique. Se servir de ces limites afin d’en tirer le meilleur parti ? Profiter de cette limite temporelle (défini par avance ou que l’action captée impose) pour  travailler au plus près de la chose filmée. À cet égard Páginavirada, autant que This is my Heart sont d’une efficacité redoutable. L’action montrée est l’objet du film.

Toute longueur serait superflue et casserait le projet. Ces films créent ainsi une temporalité, une linéarité qui ne dépend que de leurs seuls constituants. Ils permettent ainsi une ouverture vers un ailleurs réflexif, sans aucun souci pédagogique. Leur efficacité réside dans l’économie et la réduction des moyens qui sont à l’œuvre.  C’est ce même principe que l’on retrouve à l’œuvre lors de la déambulation dans le Louvre, à la recherche du nouvel emplacement de La Joconde dans Deus me Louvre.

Indo Pro Bras (2006) nous en propose une version nouvelle puisque c’est à partir d’un ensemble de courtes séquences à l’occasion d’une promenade en voiture dans différents quartiers et zones industrielles de Sao Paulo. De la sortie de chez soi, jusqu’à un restaurant qui marque la fin de cette après-midi d’hiver. Dans ce film, on est à la merci de l’aléa dans la mesure ou rien ne semble déterminer la succession des plans, comme c’était déjà le cas avec Promenade (2006), ou Imersidao (2006) et Mode d’Emploi (2006) qui montre la confection d’un plat dans la cuisine de Keith Sanborn et Peggy Awesh en novembre de cette année 2006.

Nous reviendrons sur l’aspect politique de ces films ainsi que celui de Redes en les rapprochant de la série Documento, sur laquelle Edson Barrus travaille depuis trois ans. On peut d’ailleurs penser que c’est cette série qui a donné naissance à la série : Manifestons!, consultable sur You-tube[10].

Arrêtons nous un moment sur ces travaux qui à la manière de Avenida Paulista, -2, ou V, nous propose des traversées d’espaces. Qu’ils s’agissent de São Paulo, de Paris ou bien même de New York, à chaque fois nous sommes dans une situation qui n’a ni début ni fin, quand bien même nous atteignions le sous-sol de l’institut du monde arabe, ou nous sortions du Holland Tunnel. L’action a déjà commencé, la caméra enregistre un moment de celle-ci sous la forme d’un parcours dans l’avenue da Paulista etc. On est d’emblée dans l’événement, c’est donc le flux du déplacement et les transformations occasionnées qui attirent notre attention et font du film un objet de médiation. Nous repérons les différences, les singularités des toiles de fond auquel nous ne prêtons habituellement qu’une attention distraite. C’est parce que ces fonds : l’avenue d’une ville, un tunnel sont parcourus, que nous commençons à les regarder. Pris comme décor, ils ne seraient qu’un fond sur lequel des personnages évolueraient, alors qu’ici, ils sont à la fois : fond et premier plan. Ils occupent ainsi toute l’épaisseur de la représentation. Ce sont les modifications progressives du paysage de l’avenue, ou la monotonie des clignotements et des réverbérations lumineuses sur les parois du tunnel qui deviennent les motifs sur lesquels nous nous attardons. Ils réalisent par une accumulation virtuelle ce que nous proposent plus directement les films tels que Formigas Urbanas (2002-04), Making Off (2005), ou bien même Rue de Lappe (2005). Ces films invoquent l’idée de la collection à partir d’une sélection de plans de « homeless » portant, tirant, poussant leurs fardeaux  dans Formigas urbanas et ceux des travailleurs qui, quotidiennement, font ou défont dans Making off. Dans ces deux deniers films, les gens qui assurent leur survie d’une manière ou d’une autre en sont les protagonistes. Les deux films ont en commun le lieu de tournage, le balcon de l’appartement qu’occupait Edson Barrus à Rio de Janeiro. Formigas Urbanas renvoie au recyclage des matériaux comme mode de survie. Le film confronte des personnes qui collectent des montagnes de rébus, de ferraille, de papier qui sont revendus au poids. Ces travailleurs, fourmis urbaines ont investi la rue Lavradio dans le centre de Rio où ils y survivent. Leurs territoires est la rue, leurs familles viennent les rejoindre le dimanche. À côté de ces sans abris, d’autres travailleurs, employés de la mairie, éboueurs, balayeurs transportent, tirent et poussent aussi leur outil de travail. Le film est ainsi un concentré d’activité incessante, en majorité d’hommes qui portent leur fardeau, et dont l’outil de travail est à la fois l’instrument de survie tout autant que leur seule possession. Dans ce film, comme dans Making off, et comme c’est le cas avec Rue de Lappe, Edson Barrus nous montre des réalités, souvent occultées..  Loin des clichés souriant qui montrent un Rio de plaisir, ou de violence spectaculaire, on est ici en présence d’une économie de la survie. De même Rue de Lappe, montre la vitrine d’une boutique en travaux, et  qui  au fil des semaines, subit d’importantes transformations afin d’être loué. Les ouvriers font et défont incessamment, entre et sortent constamment de la boutique. Leurs activités évoquent celles à l’œuvre dans Making off, et dont on ne peut savoir à quel point si, l’efficacité importe.  Ces deux films offrent des moments narratifs  Dans un autre film : À travers (2005) le bout de trottoir  en face des fenêtres de l’appartement qu’habitait à ce moment-là, Edson Barrus à Paris[11]. Un sans-abri dort à même le trottoir, il se réveille alors qu’il fait froid et que les passants passent sans presque le remarquer. Il s’est approprié ce bout de trottoir, près de la porte d’entrée rouge d’un immeuble.  Le dernier plan du film (le troisième) nous montre un bout de moquette qui pourrait servir de couverture à cet homme, dont on ne sait s’il est dessous se protégeant du froid ou non. Son irruption bouscule et vient salir le bel ordonnancement policé de la ville quotidiennement nettoyée.

Il ne s’agit pas  d’une apologie de la représentation misérabilisme pas plus d’ailleurs qu’avec Formigas Urbanas, Making off, This is my Heart, mais plutôt une attention particulière du au sentiment d’exclusion, ou plus exactement de non appartenance. Cette disqualification : ne pas faire partie de votre monde, par exemple celui des blancs brésiliens ou de l’Europe occidentale n’explique pas les films, mais elle signale une attitude, une disposition à voir certaines choses. Montrer comment la survie se déploie par et dans le recyclage à Rio, c’est prêter attention à d’autres formes d’existence et de faire.

Making off, enregistre les signes fébriles d’activités. Chacun tout à sa tâche démontre que ce n’est pas tant le résultat qui importe que le faire et défaire. On s’active, un mur s’élève, des fûts de bière sont alignés devant un bar, des porteurs tirent et poussent leurs fardeaux, des hommes refont un toit, tant disque, d’autres s’activent autour d’une bouche d’égout, et que d’autres encore déroulent et enroulent des bâches le long d’immeubles en rénovation, ou sur un toit. Un autre s’essaye à entasser les rebus de ferraille sur une carriole. Son activité n’est pas à proprement parler couronnée de succès, mais elle est constante et s’oppose ainsi à l’apparente efficacité d’autres activités, au demeurant plus performantes.

Les murs sont terminés avant d’avoir commencer à s’élever inversant ainsi la temporalité et malmenant ainsi cette productivité affichée. Ainsi le vieil homme entassant les bouts de métaux incarne-t-il a son insu le mythe de Sisyphe. Certains semblent défaire de jour, ce que, Pénélope faisait la nuit.

Toute cette économie, toute cette efficacité du travail est balayée par l’accumulation même des plans constituant la bande, qui pourrait à l’image de cette productivité magnifiée pourrait être sans fin. Ces corps au travail sont tous masculins, quelques-uns portent l’uniforme de leurs fonctions et inscrivent plus officiellement leur appartenance à la société hiérarchisée, alors que d’autres sont ostensiblement des rouages d’une économie parallèle.

Le film fonctionne à partir d’une série de séquences montées en alternance. Ce montage  n’est pas systématique, l’agencement et la reprise des plans est souple, et répond à une logique qui découle plus de la qualité  des séquences. C’est l’activité dépeinte qui déclenche le montage plus qu’une structure pré-existante. Le film prône ainsi une désorganisation subtile du travail, qui affirme dans son déroulement même ce qu’elle dépeint c’est-à-dire faire et défaire c’est toujours travailler. Le film amplifie ainsi ce que mettait en évidence Formigas Urbanas pour lequel le montage jouait aussi un rôle prépondérant, qu’il ait été fait dans la caméra ou secondairement.

Ces films du travail font appel à un autre caractéristique d’Edson Barrus  qui consiste à privilégier l’observation. Ces films nous plongent dans des univers singuliers. Nous  regardons attentivement ce qui se déroule et ce, quand bien même les légers tremblements d’une caméra tenue à la main. Les films dépeignent les gestes de la quotidienneté ou explorent des aspects de la vie urbaine contemporaine dans ses interstices. Un détail et c’est tout un monde qui se déploie, comme le montre par exemple Produto. On retrouve ces mêmes prédilections thématiques dans Baianagem (2007) qui se déroule à São Paulo sur un segment de l’avenida Paulista. Le film prend littéralement son vol avec la descente de deux travailleurs le long d’une façade d’immeuble, puis se poursuit avec d’autres qui font un exercice en traversant l’avenida Paulista, suspendus dans les airs, avant de suivre une corde descendant pour nous montrer des travailleurs cassant littéralement des pierres.

Cette tenue, qui est aussi une retenue, car il n‘est pas question ici de voyeurisme, met en jeu une attention dont la marque se traduit par la tension de la prise : on pourra parler d’éclaboussures de l’image que sont ces oscillations, fluctuations du cadrage. Parfois la tension s’entend à travers le souffle de la respiration d’Edson  filmant. Ainsi : À travers, Deus me Louvre, FilmeX et Pour Homme (2005). L’irruption de ce souffle signe la présence d’un corps filmant, d’un corps travaillant, jouissant…

La présence du filmeur, sa signature ont dans le cinéma expérimental été affirmé par de nombreux cinéastes et vidéastes. Chez les cinéastes, c’est par les bougés, par les flous ou dans toutes ruptures de l’enregistrement (trope de l’image) que cette présence se dévoile comme on la ressent à la vision des films de Jonas Mekas ou Anne Charlotte Robertson, tandis que chez d’autre c’est la maîtrise de l’outil qui s’énonce par une maestria dans le maniement de la caméra comme le donne à voir Téo Hernandez. Chez les vidéastes[12] c’est avant tout le son qui signale la présence du capteur d’images : l’auteur. Qu’il s’agisse d’un commentaire direct ou bien de la présence d’une respiration.  Ce sont, ce corps, cette voix-off qui inscrivent la présence du filmeur autant qu’elle préfigure celle du spectateur.

Dans FilmeX et Pour Homme, ou dans 69, des films pornographiques homo sont refilmés au moyen d’un appareil photo numérique. L’écran du téléviseur est cadré au plus près afin que les pixels se voient et rivalisent avec les textures de la peau des protagonistes. Ce cadrage permet un balayage de la surface de l’écran et par conséquent de caresser des parties de l’image initiale.  Ce recyclage des images  pornos  est une pratique fréquente chez les cinéastes et ou vidéastes contemporains (Mike Hoolboom, Nguyen Tan Hoang, Steve Reinke, Jerry Tartaglia, Tony Wu, pour n’en citer que quelques uns). Mais chaque vidéaste, cinéaste retravaille les images pornos selon des projets particuliers qui  prédéterminent autant la nature du prélèvement que son retraitement et sa réincorporation dans le corpus d’un film. Rares sont les films qui se limitent au seul usage de found footage porno gay en dehors du Sodom (1989) de Luther Price, d’une ou deux bandes de la série The Hundred videos (1992-96) de Steve Reinke[13], All You Can Eat (1993) de Michael Brynntrup et les trois films de Edson Barrus. Ici on écarte une production importante qui est réalisée par les amateurs à partir du piratage de sites internet. À la manière de ce qui ce fait avec les compilations de type «  best of », les amateurs effectuent des assemblages, organisent des collections de segments de films réservés à un usage privé.

Le recyclage dans ces trois films ne participe pas de la même économie dont procède les travailleurs de Formigas Urbanas. Le  registre diffère, il inscrit l’appropriation d’images pornos gay dans une circulation qui s’affranchie de la stricte consommation privée. Par son recyclage et sa diffusion différenciées Edson Barrus déplacent le lieu de l’image porno en y introduisant un élément absent bien que constamment, sous-entendu, celui du spectateur voyeur qui joue avec son magnétoscope, ou lecteur de dvd. Avec FilmeX et  Pour Homme, le corps du spectateur / cinéaste est présent par le son (respiration)  autant que par le survol de la surface de l’écran lors du filmage. Le recadrage que subissent les images fonctionne comme un démontage. L’usage du gros plan qui est la valeur d’échange de la pornographie et qui doit se conclure par l’éjaculation (« the money shoot »)[14] est ici détourné. L’artiste, re-filme des séquences présélectionnées, en les recadrant au moyen de gros plans qui font se mêler, ou parfois se dissoudre, les textures des jeans, les grains de la peau avec les pixels de l’écran de télévision ou d’ordinateur. Le refilmage permet de monter les séquences dans l’ordre qui convient au spectateur/cinéaste tout en se débarrassant de la linéarité initiale de ces mêmes scènes, en juxtaposant les films et les séquences créant de nouveaux « tricks [15]». Ce travail fait du spectateur un auteur à part entière, à tel point que c’est à partir de telle rencontre potentielle que fonctionnent les dispositifs de consommation du porno sur le web. Faire du spectateur acheteur l’auteur des rencontres. D’une certaine manière Edson Barrus illustre assez bien ce précepte en retravaillant ces images. Ce faisant il participe de ce mouvement plus large qui interroge la notion d’auteur en travaillant à la production de travaux au moyen du recyclage.  L’anonymat présupposé dans la consommation de la pornographie se trouve contourné, puisque c’est dans l’affirmation du plaisir de faire quelque chose avec ces images, qu’Edson Barrus revendique leur détournement ou plus simplement leur usage différencié et leur remise en circulation dans un autre espace, celui du cinéma autant que celui de l’exposition. C’est pour cela qu’on ne peut inclure les Videopunhetas dans ce même registre car elles semblent plus participer de la performance filmée que du détournement. Elles sont plus proches en effet des performances de Vito Acconci : et principalement celles ou il se masturbe[16].

Par son accessibilité via le web, la pornographie est devenue une banque de données en constant renouvellement, dont le développement qui privilégie autant l’idée de la collection telle qu’on la voit à l’œuvre chez Andy Warhol à travers ses photomatons, que chez Christian Marclay dans Telephone ou bien même chez Matthias Mueller avec Home Stories(1990) , que la production de réassort, d’arrangements qui remettent ainsi en question l’idée de l’auteur.  C’est à partir de la fin des années 80  que l’on trouve chez les cinéastes et les vidéastes un usage massif d’images pornographiques, qui semble faire écho au développement de l’épidémie de sida. Travail à partir de représentations qui sont sans risques puisque du domaine des images. Mais ce travail permet surtout de signifier l’importance et la nécessité d’une sexualité gay qui ne serait pas à la merci des codes répressifs et réactionnaire du moralisme hétéro religieux de l’époque.[17]  Ainsi nombreux sont les vidéastes qui s’emparent d’une iconographie minorée pour nombres de raisons[18]. Les activistes ne sont pas les seuls à travailler à partir de ses images, leurs usages se généralisent  augmentant leur circulation dans de plus vastes cercles.

Ces réassorts, ces collections sans fins travaillent elles aussi le recyclage[19]. Il s’agit d’un recyclage de représentations et non plus de matériaux de survie en ce sens ce recyclage suit la logique des mouvements de libération de minorités qui affirment leurs identités, leurs appartenances au travers d’une réappropriation, d’un détournement des images de ces mêmes groupes qu’elle qu’en soit l’idéologie. Cet usage est affirmatif, il n’est plus subi, imposé, mais activé.

On retrouve la collection dans de nombreuses bandes d’Edson Barrus, que l’on pense à cette accumulation de masturbation filmées d’une main dans Videopuhetas ainsi que le déroulement d’écrans de Bate Papo 22cm[20] (2001) dans lequel des hommes entre en contact avec d’autres au moyen de photos, textes et voix[21]. Les propositions et les photos défilent tandis qu’au second plan se fait entendre la rumeur de la ville de Rio.  Ces deux dernières bandes semblent affirmer le narcissisme que Rosalyn Krauss voyaient à l’œuvre dans de nombreuses vidéos des années 70[22] et que le recours à des outils comme l’appareil photo numérique et le cellulaire ont renforcés. Le « replay »  comme instance de divertissement avec les protagonistes devient la règle et, signe l’usage de ces outils. Mais ici nous ne sommes pas dans cet usage-là. La bande enregistre des actions d’une part et de l’autre un défilement. Si l’action renvoie à une pratique narcissique et se joue ainsi de la pratique de l’art comme masturbation, clin d’œil malicieux à Duchamp, et la déplace au moment de sa diffusion imposant l’exposition d’une intimité qui n’est à priori pas là pour être partagé. On est en présence d’une situation qui rappelle quelques-unes des propositions d’actionistes viennois, sans la violence, mais plus encore, de tous ces travaux qui interrogent autant l’identité que le rapport que l’on entretient à la représentation du plaisir. Que ce plaisir soit solitaire déclenche un grand nombre de question qui interroge avant tout le spectateur quant à la position qu’il doit prendre face à cette monstration. Ces questions de réception sont souvent liquidées par l’apposition de jugement moraux qui évacuent du même coup la dimension politique autant que les questions sociales et esthétiques contenue dans la proposition.

Les questions de politique sont au premier plan d’un grand nombre de travaux d’Edson Barrus et montre combien l’artiste est attentif au spectacle du monde contemporain, c’est-à-dire à la spectacularisation de ses représentations. La série des Documento[23] mais aussi les films Mudando de assunto (2007) : autour de la représentation de la vie de Saddam Hussein à partir de quelques clichés d’une revue, Frustrated (2006) qui s’interroge sur l’engagement américain en Irak à partir de manchette du New York Time d’Octobre, A francesa (2006) qui suit une manifestation contre le CPE, à Paris

Paginavirada : la page Arafat tournée sont immédiatement politique par leur sujet. Mais il existe d’autre manière d’inscrire le politique dans l’image. Parfois le continu de l’image n’est pas directement politique, mais par sa capture il est comme un révélateur des conditions sociales de quelques personnes : on pense à cette femme dans le métro de Berlin de This is My Heart, ou bien à ce sans abri qui dort sur un trottoir de jour à la Bastille dans Rue de Lappe. (2005). Cette dimension sociale se trouvait déjà dans Formigas Urbanas ou dans Making Off ainsi que dans Baianagem. Elle interroge à la fois la place du filmeur autant que la nature du document filmé, qui peut appartenir au champ exploré par le documentaire dans son versant cinéma personnel. Ces travaux participent à la fois de l’affirmation d’une vision singulière, à cet égard Isto (2006)  est exemplaire par le minimalisme de son cadrage qui nous fait découvrir un éclat d’une scène dans Chinatown à new York à partir de la vue de la fenêtre d’un bus, et un amoncellement de cageots. Mais dans tous les cas de figures jusqu’alors explorées par Edson Barrus à travers ses films qui sont ouvertement politiques et sociaux, jamais il n’est question d’activisme. Ses films ne sont pas là pour illustrer, démontrer, prouver, ils sont plutôt des prélèvements de situations, de moments, des captures ; c’est dans ce sens qu’il s’apparente au documentaire, sur le vif. On pourrait ainsi les rapprocher ainsi de cette pratique photographique qui s’est fait une spécialité de l’impromptu, qui privilégie par conséquent l’instantané. Si Edson Barrus, comme certains vidéastes et cinéastes expérimentaux explorent ce chemin qui affirme la suprématie de la capture non programmée, c’est afin d’affirmer la plus grande réactivité par rapport aux situations, événements qui surgissent, qui passent ou transitent devant ses yeux. On retrouve là cette manière, pour ne pas dire cette aventure de l’œil et de la main travaillant la matière visuelle d’un seul jet. On pourrait certes y voir une filiation avec Stan Brakhage, ou Jonas Mekas, auquel il faudrait ajouter certainement tous les artistes qui, depuis les années 60, ont mis en avant l’improvisation comme phénomène constitutif de la pratique de l’art[24]. Son mode d’improvisation est plus radicale que d’autres dans la mesure, ou il se manifeste à tous les niveaux ; ce qui signifie, travailler avec ce que l’on trouve dans un lieu à tel moment donné. On ne peut s’empêcher de penser que l’improvisation et la production qui en découle déclinent différentes modalités du recyclage, qui comprendront alors aussi bien les images en mouvement. La capture d’images (photos  ou en mouvement) devient un mode de recyclage particulier qui s’effectue en vertu d’un déplacement ultérieur qui est souvent saisi, au moment de la capture même. C’est ce qui se laisse si bien voir dans les errances visuelles  de Tédio 1 (1997) et dans la manière d’occuper le temps de l’enregistrement par la production d’actions diverses. Il ne s’agit pas pour Edson d’affirmer l’ennui d’une manière systématique comme a pu le faire Bruce Nauman[25] dans quelques bandes dans son atelier à partir de répétitions incessantes.

Les errances visuelles de Tédio 1 se distinguent de celles de Peter Gidal dans ses différents films, bien qu’elle travaille l’épreuve du voir même, de la nécessité ou non d’assister à l’intégralité de la bande. On retrouve ce qu’interrogeait de film en film, Peter Gidal : à savoir la question de « l’anti- illusionisme » de la représentation et les finalités d’une  telle représentation quant à sa destination  publique[26]. Dans les deux cas, mais ils ne sont pas les seuls, c’est la rétribution, le plaisir du spectateur qui semble différé, ou plus simplement mis de côté. Cependant Chez Edson Barrus, les capacités d’improvisation, les interventions camp (bien que restreintes) mettent constamment à mal le systématisme potentiel de la proposition. En ce sens cela rejoint un des termes de la définition de Peter Gidal quant à la production du film Structural/matérialiste : Chaque film est l’enregistrement ( pas une représentation , ni une reproduction) de sa fabrication. La production des relations (plan à plan, plan à l’image, grain à l’image, dissolution de l’image au grain, etc) est une fonction de base qui est en opposition directe à la reproduction des relations.[27] Dans Tédio 1, on voit en quoi la prise en main de la caméra, génère un questionnement de l’outil, mais surtout un déclenche un que faire avec ça, face à ça, en présence de ça.

Dans ce même texte, Peter Gidal poursuit : « le contenu réel est la forme, la forme devient le contenu. La forme signifie les opérations processuelles, pas la composition. » Ce n’est pas en effet la composition qui préoccupe Edson Barrus dans cette bande, mais bien plutôt les agencements entre son et image qu’il explore autant que les rapports entre quotidienneté et événement public (la mort et les funérailles de Diana sont des motifs récurrents de la seconde partie de la bande). La télévision et le re-filmage partiel des images de différentes émissions diffusées sont déjà prévalent. Le filmage, sa nonchalance tend à instaurer un rapport à l’image distinct de celui, voulut par Gidal, puisqu’il favorise une « écoute  inattentive » de l’image. Voir un film de Peter Gidal c’est faire avant tout l’expérience de la durée, syncopée par quelques étincelles figurales ; pour  autant voir ce travail d’Edson Barrus c’est privilégier l’inattention mais c’est surtout voir des images comme on écoute la radio, avec plus ou moins d’attention. C’est entrer et sortir de l’image, pour n’en prendre que les sons : opéras, musique brésilienne, bruits de tissus…, incroyable interview, télé protestante, commentaires d’actualité qui accompagnent la bande sur toute sa durée. Le monde chez soi, à porter de main, et d’oreille.

Le politique surgit au détour des images, par la juxtaposition de ces sons avec des images du lieu d’habitation ou des pièces, objets d’art sont déposés, parfois utilisés.

De nouveau, le son tient un rôle particulier dans ce film ; il nous plonge dans un temps narratif particulier, lorsqu’il s’agit de chansons, d’airs d’opéra (italien), ou d’émissions de télévision qui ne fournissent pas d’indications particulières quant aux dates. Ce n’est plus la même chose lorsqu’il s’agit d’actualité, (radio/télé) qui confère un temps donné à la capture. Glissement progressif d’une actualité à une remémoration et une confrontation au temps présent du visionnement. On retrouvera un éclat similaire dans le film ,d’ailleurs (2006)[28] qui sculpte la montagne Sainte Victoire aux moyens de surimpressions multiples, lorsque se fait entendre la voix d’un homme politique français parlant de l’affaire Clearstream. Ces jeux avec le synchronisme interrogent une notion du hors-champ élargi au son qui inscrit le retard comme moment constituant de la réception ; c’est pour cela que le « replay » est essentiel dans la pratique d’Edson Barrus, parce qu’il favorise une interaction immédiate et déclenche des possibilités de réinterventions, de réinterprétations différées d’un événement. Ce différé se retrouve travaillé dans les séries des Documentos qui proposent l’enregistrement brut de l’écran (a tela : la toile[29]) d’un téléviseur et dans lequel on voit parfois le reflet du vidéaste. Cet enregistrement recadre l’image, et nous permet de revoir. Le monde vient à nous au travers de cette toile animée, son actualité est événementielle, ponctuelle. Le revoir, c’est affirmer toute son inactualité, c’est mettre à jour quelques mécanismes d’assujettissements auxquels nous nous plions quand nous regardons l’événement diffusé par nos écrans cathodiques. Cependant il ne s’agit pas pour Edson Barrus de travailler en procédant à une investigation d’un thème, en l’occurrence pour Johan Grimonprez le détournement d’avions et d’images dans Dial H.I.S.T.O.R.Y (1997). Pour l’un, c’est la réponse par rapport au direct qui constitue et motive l’appropriation et par conséquent le détournement, tandis que pour l’autre, c’est la réappropriation de l’histoire et de quelques-unes de ses représentations qui façonnent le projet.

Une autre particularité c’est l’inclusion du corps du filmeur, par son reflet et ou sa respiration. Ainsi l’acte d’appropriation s’inscrit physiquement à l’image, il n’est pas une opération de montage ou simple copier coller, qui neutraliserait  celui qui en prend possession. Ces différences se répercutent vis-à-vis de la question de l’auteur. En effet, on a pas l’impression d’être en présence de la même catégorie d’auteur comme si celle qui nécessitait  de se référer au banques de données utilisées[30], prônait la notion industrielle de l’auteur (validée par le marché de l’art)  alors qu’elle semble travaillée la notion de piratage. De son côté, Edson Barrus ne fait aucun cas de ses sources ; on peut parfois les reconnaître, elles sont à disposition puisque diffusées. Le geste est signé physiquement, s’affirme par le point de vue, dans le cadrage, les bougés etc… Il ne s’agit sans doute pas de la même spectacularisation, nous ne sommes pas dans un néo-situationnisme, mais dans une autre démarche qui vise à mettre à disposition des éléments audio-visuels afin de penser. Il n’y a pas d’habillage, de retouche à la post production. Ce que l’on voit est tel qu’il a été filmé.  De toute évidence nous ne sommes pas dans le même registre de domination et donc la notion de partage n’est pas la même.

L’improvisation fait retour d’une autre manière encore. J’aimerais ainsi aborder, c’est-à-dire revenir à ces bandes qui recourent à une performance spontanée, ou bien, à celles enregistrant une action, une performance antérieure. Dans tous les cas c’est la notion de document qui resurgit. Mais ici le document n’a pas la même valeur que celui qui le confère aux photos des performances[31], et du Land Art. Ces documents filmés lorsqu’il s’agit de l’enregistrement d’une action, ou d’une performance ne sont pas encore validées par le marché de l’art comme l’ont été les documents photographiques. Mais si certaines performances ne sont réalisées que pour être filmées, d’autres n’ont d’existence que parce qu’elles ont été filmées[32]. Quel est donc leur statut, sont-elles simplement des moments dans le déroulement du film ? ou sont-elles l’objet du film ?  On peut penser que par ce transfert médiatique la plupart de ces performances deviennent objets de sculptures, mais lorsque c’est le corps d’Edson Barrus qui les performe elles deviennent, pour reprendre la terminologie d’Erik Alliez  et Giovanna Zapperi à propos de Birgit Jürgenssen , des « sculptures de soi ».

J’insisterais ici plus sur les quelques films qui enregistrent une action, une performance et la montre intégralement ou synthétiquement.

Il s’agit de Uma coisa bem simples (1998-2004) et de Lavo as Mãos (1998-2004) ainsi que dans une certaine mesure de Quem (1998-2004) et de Banda Phodre (2004).

Lavo aos Mãos nous montre l’artiste se lavant les mains en utilisant un / des savons. Au bout d’un moment on comprend qu’il ne se lave pas les mains mais fait fondre le savon entre ses mains à force de l’astiquer. Le parallélisme avec Video punhetas est patent. L’action est accompagnée par une suite d’air d’opéras et autres musiques entendues à différents moments. Cet hors champ sonore est un élément essentiel qui nous permet d’appréhender en partie la durée de l’action, mais nous renseigne sur la non linéarité de l’enregistrement que l’on peut aussi ressentir à l’image. On   se trouve être dans une situation similaire à celle des spectateurs de Wavelength (1966-67) de Michael Snow qui décrivent le film comme étant un zoom traversant un espace pour déboucher sur la photo noir et blanc d’une vague, faisant ainsi, l’impasse sur la multiplicité des raccords et montage dans le film. Le processus survole alors les spécificités matérielles du film. C’est exactement ce qui se passe avec cette bande d’Edson Barrus, l’amenuisent progressif du savon annihile toutes les modifications apportées lors du tournage.

Avec Uma coisa bem simples, c’est une autre chose qui est en jeu, mais c’est surtout une dimension poétique particulière qu’inscrit le film.  Ce film est l’enregistrement d’une action, performance réalisée quelque temps auparavant par Edson Barrus et dans laquelle une ampoule brûle de tous ses feux pour s’abîmer dans l’obscurité[33]. La forme de l’ampoule électrique, c’est-à-dire la représentation de l’idée s’enflamme et éclaire un espace (de pensée) avant de s’éteindre. J’y vois une référence[34] à cette ampoule négative sur laquelle Paul, Sharits avait travaillé (en tout cas sa représentation) dans N :O :T :H :I :N :G (1968), qui nous montrait l’écoulement de la lumière hors d’une ampoule. Dans la proposition d’Edson ce n’est pas la lumière qui est négative, c’est tout simplement la lumière qui est feu, l’idée qui prend feu[35].  Dans les deux cas, les œuvres sont contemplatives.

Mais le son nous appelle à nouveau et principalement celui de Banda Phodre. Le titre désigne la police corrompue à Rio de Janeiro. Le matériau du film est l’enregistrement d’un vécu (vivência)[36] d’une nuit dans laquelle un ensemble d’événements se sont déroulés. La continuité de l’enregistrement est pulvérisée par le re-filmage au moyen d’un appareil numérique autant que par la désynchronisation de la bande son avec l’image. Mais de nombreux synchronismes surgissent, la force, la dynamique de l’événement se retrouve au travers de cet acte qui brise les liens de causalité entre le son et l’image. On est dans une pratique qui pourrait évoquer l’usage de la discrépance[37] si cette dernière participait moins d’un projet esthétique. Dans ce travail Edson Barrus restitue l’énergie de la soirée, de la nuit en se jouant du synchronisme. On est ainsi proche d’une proposition musicale qui se superposerait à l’arrangement des images en créant une dynamique que souligne les effets de neige autant que les distorsions qui viennent trouer, dérégler parfois l’image. On retrouve là, les effets que travaillaient, chacun à leur manière : Nam June Paik et Wolf Vostell dans leurs premières bandes vidéos.   Ces écarts entre le son et l’image sont moteurs dans de nombreuses bandes d’Edson, mais leur disjonction est rarement autant poussée que dans Banda Phodre. Le plus souvent il travaille la séparation entre le son direct (dont on voit la source à l’image) et le son off (musique, voix…). Cette dichotomie produit alors des espaces virtuels à partir desquels nous pouvons dériver.Dans Banda Phodre ainsi que dans les Documentos et les trois films porno, le re-filmage confère à la surface de l’écran une autonomie qui travaille l’interstice, l’entre. L’appropriation par les écarts permet-elle au  sujet (qui fait, qui voit) de constituer un lieu qui lui soit propre aussi éphémère soit-il (par exemple le temps de la bande)? Les écarts entre enregistrement et diffusion pointent avant tout l’étape de la fabrication. La question de la réception de ces écarts, sautes, hiatus induit une perception de ce qui a été enlevé, gommé, effacé. Signalons cependant que le processus déployait par Edson Barrus ne travaille pas l’effacement comme le font à la fois Naomi Uman dans son film Removed (1999) ou bien encore Terre Thaemlitz (2000) dans son album Interstices chez lesquels la trace de ce qui a été gommé est manifeste[38]. Dans tous les travaux qui recourent au re-filmage partiel de l’image, on sait bien que l’on ne voit qu’une partie  de l’image mais le hors-cadre (est-ce un hors champ ?) n’a pas le même sens que le blanchiment des corps féminins dans Removed, ou les hommes ne baisent plus qu’avec une représentation pour le moins émoussée. Le hors du cadre des re-filmages d’Edson Barrus est porté par le son, l’image est doublement disqualifiée. L’aspect documentaire du reportage est mis à mal par le recadrage, qui s’accompagne de moirages qui viennent habiller l’image, lui conférant des textures et des irisations qui rappellent les feed-back. La mise en abîme se perçoit dans ces moirages qui marquent à la fois le recyclage autant qu’il désigne l’écart de toute appropriation.

Il y a chez Edson Barrus une plasticité de l’image qu’il faut souligner.

Le cadrage est souvent d’une grande précision, qui renforce des dynamiques de couleurs. Si l’on pense à Palestine Libre et à son cadrage partiel d’un drapeau palestinien géant qui joue du contraste chromatique de la bannière, ou bien à Aguagrande (2006) aux surimpressions tissant textures et matités de l’eau sous toutes ses formes, on retrouve ces préoccupations du cadre. C’est ainsi qu’il faut comprendre le choix du cadrage des cageots colorés dans Produto, qui évoquent celui de Formigas Urbanas où le foisonnement des personnes tirant, et poussant des charges, se réalise dans une polyphonie chromatique. L’usage de l’appareil photo numérique permet de jouer avec les zones d’éclairages. Ainsi les intérieurs évoquent parfois des clairs obscurs et des jaillissements d’irradiantes luminosités, et convoquent ainsi quelques moments d’histoire de la peinture. Les lieux, les habitats sont troués par des halos de lumières qui refont : défont les espaces filmés. La cuisine de Mode d’emploi, l’ascenseur de -2 en sont quelques exemples.

Les vidéos peuvent être présentées de différentes manières qui vont du simple moniteur, à la projection en passant par l’installation. Toutes les bandes n’ont pas pour fonction de se transformer en installation, certaines répondent à des critères temporels, à des impératifs narratifs que la projection satisfait pleinement. D’autres ont besoin d’être montrées sur moniteur, elles sont intégrées à l’événement qui se déroule alors, dans des formes plus ou moins issues ou élaborée de Rés do Chão, ou d’Açúcar Invertido. Parfois elles sont pensées comme installation.  La question de l’installation est abordée d’une manière singulière par Edson Barrus.

Si, pour de nombreux artistes, l’inscription dans le marché de l’art entraîne une banalisation de la pratique de l’installation comme projection d’une vidéo sur une paroi, un écran, elle s’accompagne rarement d’un questionnement de l’usage de l’image en mouvement dans le monde de l’art et de rapports que de telles projections ont avec le flux et l’exposition  des images dans l’espace public. Tous les films réalisés par Edson Barrus ne sont pas destinés à devenir des installations ; de même tous ne vont pas être bouclés. C’est autant l’objet filmé de Das dunas so sei dizer isto (2006) qui préside à son passage à la projection plutôt qu’à sa diffusion sur moniteur, qu’il induit le travail même. Pour Edson Barrus, le paysage de dunes de sables ne paraît pas se transformer, c’est un endroit calme, et pourtant au moment du filmage de ces dunes du Ceara, le vent, les bourrasques sculptaient le paysage. L’installation permet d’arrêter le temps, de le figer, et ce par-delà la reprise incessante de deux boucles, l’une sonore l’autre silencieuse pendant près d’une heure ; la répétition facilite l’appréhension de cet espace en transformation constante. C’est un objet particulier qui ne requiert pas toute notre attention. Les dunes changent à l’écran autant qu’elle ne changent pas ; elles sont là. Le film s’en fait l’écho. Tout est bouleversé, mais rien n’a vraiment changé. La vidéo est alors un bloc de temps que l’on investit ou pas, presque un papier peint, ou plus exactement une ambiance, qui se distingue des travaux « ambiant » par la crudité du son. Ici, ce n’est pas le se sentir mieux, ni l’être au monde serin qui s’expose, c’est la violence, l’inconfort de la nature qui s’impose au regard.

Dans d’autres travaux comme le Rosário, Boca Livre, la monstration sous forme d’installation nécessite le seul moniteur.

Le recours à l’installation entraîne fréquemment la mise en boucle d’une bande, afin que la pièce puisse être vue à tout moment, à n’importe quel moment de sa durée. L’installation présuppose fréquemment des bandes de durée relativement courte afin de pouvoir capter les spectateurs qui débarquent à n’importe quel moment dans l’espace de la projection. Ces conditions quant à la réception de l’œuvre installée ont été, dès les années soixante-dix, théorisées et déployées entre autres par Paul Sharits. Ces installations qu’il désigne comme locational piece[39] sont des projections multiples qui constituent une image composite. Ces locational pieces travaillent soit le défilement (dans son horizontalité)  du ruban soit les photogrammes qui composent ce même ruban et avec lequel Paul Sharits à interroger le dispositif cinématographique même à travers le flicker. Certaines installations conjuguent ces deux approches. Dans tous les cas, tout est donné immédiatement (en ce qui concerne Epileptic Seizure Comparison 1976 pour lequel les trois parties de l’œuvre s’apparentent à un développement plus ou moins linéaire). Cette immédiateté dans la perception des éléments se retrouvent dans quelques-unes des  installations d’Edson Barrus, Rio (2005) ou 69 (2006) qui toutes  simulent l’usage de la boucle en répétant une ou deux courtes séquences sur la longueur d’une bande (soit 60 minutes). Ces bandes deviennent installations par défaut, elles sont plus des bandes projetées dans un espace et ne nécessitent en rien l’attention que présuppose la projection en salle (de cinéma). Tout revient, il n’y a pas même de transformation, permutation, variation, comme c’est le cas avec Paul Sharits ou d’autres cinéastes qui recourt aux  boucles cinématographiques.  Ce qui distingue les travaux d’Edson Barrus  d’autres, c’est leur absence totale de développement, la séquence est courte, et se répète sur 60 minutes, il n’y a pas d’évolution, aucune narration ; une redite, un constant-déjà-vu, une banale répétition qui se nourrit de toutes les  expectatives, impatiences des spectateurs.

La vidéo pour Edson Barrus est devenu un outil lui permettant de travailler le quotidien  autant qu’elle inscrit et fait du quotidien un travail artistique pour autant que ce dernier soit compris comme dissolution et dissémination anonymes dans le champ social.

 

 



[1] Dans les années 70, pour de nombreux plasticiens brésiliens, le super 8 a tenu ce rôle de medium low tech. Cet usage se retrouve dans de nombreux pays qui ont fait du super 8, un outil de résistance et de contre pouvoir aux images dominantes et ce à partir de la fin des années 60.

[2] Sur l’histoire de la vidéo brésilienne voir Arlindo Machado : Video Art: The Brazilian Adventure, où Les pionniers de l’art électronique au Brésil/ Pioneers of Electronic Art in Brazil in festival@rt outsiders 2005: brasil anomalie digital arts HYX Orléans 2005…

[3] Rés do Chão est un espace d’expérimentation artistique autonome à Rio de Janeiro, impulsé par Edson Barrus.

[4] Rosalind Krauss pointait cette particularité de la vidéo dans son article Video The Aesthetics of Narcissism, in New Artist Video, ed Gregory Battcock A Dutton Paperback, NY 1978

[5] Dans Boca Livre, deux écrans de télévision sont déposés à même le sol pour l’un deux l’écran orienté vers le plafond et sur lequel est disposé le Rosario, celui là même dont on appréhende la fabrication à l’écran.

[6] Sur ce sujet voir Patricia Zimmermann : The Amateur, The Avant-garde, and Ideology of Art, in Journal of Film and Video n°3-4, Summer Fall 1986, ainsi que Roger Odin, sous la direction, Le film de famille usage privé, usage public, Editions Méridiens Klincksieck et Cie 1995, et le Je filmé, ed yann beauvais Jean-Michel Bouhours, ed scratch & Centre Georges Pompidou, Paris 1995

[7] On pense entre autres à Sadie Benning, Peggy Awesh, où Joe Gibbons

[8] Pour une description du fonctionnement particulier de l’installation Cão mulato, voir Ricardo Basbaum Mistura + Confronto / Mixture + Confrontation catalogue de l’exposition du même nom  Porto 2001

[9] Malcolm.  Le Grice Abstract Film and Beyond.  Cambridge, MA:  MIT Press, 1977, et Peter Gidal, ed. Structural Film Anthology.  London:  British Film Institute, 1978.

[11] Ce film diffère de From my Window (2001) de Cao Guimarães, dans lequel la dimension poétique du jeu des enfants dans une rue boueuse prend le pas sur une quelconque dimension sociale.

[12] Mais ceci n’est pas une règle générale, que l’on pense au travail de Jan Peters qui dans la plupart de ses films autobiographiques manifeste sa présence par le synchronisme de son image et de sa voix.

[13] Pour un descriptif des bandes voir The Hundred Vidéos Steve Reinke The Power Plant, Toronto 1997 et http://www.myrectumisnotagrave.com/100videos/100videosplash.html

[14] Voir à ce sujet le livre  Porn Studies, textes réunis par Linda Williams, Duke University Press 2004

[15] Tricks, est un roman de Renaud Camus qui conte de multiples rencontres sexuelles brèves. Préface de Roland Barthes. 1ère édition : Mazarine, Paris 1979

[16] Dans Seedbed (1972), Vito Acconci se masturbe pendant huit heures, trois fois par semaine dans la galerie Sonnabend. On ne le voit il est caché sous un faux sol, sa voix, ses râles sont amplifiés par un micro comme le fit au Guggenheim Museum, Marina Abramovic dans un remake en 2005. Dans les deux cas, on ne voit pas l’acte, on l’entend.

[17] Sur le travail effectué par les activistes et les rapports entre usage de la pornographie, le sida, la société voir : Douglas Crimp : Aids Cultural / Analysis Cultural Activism  October 43 Mit Press, Winter 1987,  sur l’usage de la pornographie gay Thomas Waugh The Fruit Machine, Duke University Press, Durham and London 2000, et son archéologie de l’érotisme et pornographie gay dans Hard to Imagine, Columbia University Press New York 1996, et How do I Look, edited by Bad Object-Choices, Bay Press, Seattle 1991

[18] Depuis la fin des années 70, Lionel Soukaz est en France l’un des cinéastes qui a le plus œuvré pour une reconnaissance de l’imagerie porno homo. Tous ses premiers films ont utilisé ces représentations, dans un premier temps à partir de photos puis avec des images en mouvement.

[19] Sur cet usage de la collection, du réassort, du recyclage et de l’archive voir : Desmontaje : film, Video/apropriacion, reciclaje, ed Eugenie Bonet, Ivam, Valencia, 1993 et The World in Pieces : A Study of Compilation Films, Patrick Sjöberg, Stokholm 2001

[20] Nom d’un site brésilien de rencontre gay qui signifie littéralement :brin de causette. Préfiguration du chat.

[21] Lionel Soukaz, cinéaste expérimental, gay activiste depuis les années 70 et qui a travaillé avec Guy Hocquenghem et René Scherer, a réalisé récemment une bande : www.webcam (2006) qui recours à ces pratiques sexuelles médiatisé par le numérique.

[22] Rosalind Krauss option citée

[23] A ce jour les documentos sont au nombre de 10 :

Documentos # 1 : Tortura met en rapport l’usage de la torture par les français pendant la guerre d’Algérie et ce que font les américains en Irak aujourd’hui

Documento # 2 : Arafat em revista nous propose une vie d’Arafat à travers le feuilletage du Monde 2

Documento # 3 : La flambée d’automne, sur l’irruption de la violence dans les banlieues française, suite à la mort de deux adolescent poursuivis par les policiers, et aux provocations de Sarkozy. C’est dans ce matériau que je puiserais, entre autres, pour réaliser d’un couvre-feu (2006)

Documento # 4 gripe aviaria, sur la propagation de cette épidémie

Documento # 5 sans choisi, sur les politiques de l’immigration aux Etats-Unis et en France

Documento # 6, sur la guerre au Liban et le Hezbollah, premier de la série en brésilien

Documento # 7 sur la retraite de Fidel Castro, en espagnol

Documento # 8

Documento # 9  pas choisi, sur les immigrants en France

Documento # 10 Les enfants soldats

[24] Pour une étude de l’improvisation tel que les performers l’ont pratiqués dans les années 60 voir  Greenwich Village 1963, Sally Banes, Duke University Press,1993 , L’Art au corps , ed Philippe Vergne, Musée de Marseille RNM 1996, et  Out of Actions Between Performance and the Objet 1949-1979, Paul Schimmel, Moca Los Angeles 1998

[25] Bruce Nauman : Image Texte 1966-1996, ed Christine van Assche, Centre Georges Pompidou 1997

[26] Voir Peter Gidal : Structural Film Anthology, son introduction, BFI, Londres 1976 et Materialist Film ed Routledge Londres 1989

[27] Peter Gidal, Introduction Structural Film Anthology, p.2, c’est nous qui traduisons.

[28] , dailleurs a été coréalisé avec yann beauvais, suite à une commande de K-Livre à Aix en Provence et Les 100 Talents à Tarabel.

[29] La toile de l’écran sera élargie par Edson Barrus à l’espace d’une église dans ce tissage de film 35mm qu’il fit à l’occasion d’une exposition à Metz à l’été 2005. Sur ce projet voir http://www.yannbeauvais.fr/article.php3?id_article=195

[30] Voir la liste des archives consultées au générique de fin. Cette attitude qui vise à valider théoriquement le piratage alors qu’on paye les droits manifeste de toute évidence une compréhension de la culture comme industrie à laquelle s’applique par conséquent les tarifs commerciaux en vigueur dans les pays occidentaux.

[31] L’une des discussions les plus intéressantes sur la notion de document en photographie est sans doute celle d’André Rouillé : La photographie, Folio essais n°450, Gallimard Paris 2005

[32] Il y aurait certainement toute une histoire des films de performances à produire, citons comme source : Into the Light, ed Chrissie Isle Whitney Museum of American Art,  New York 2001 auquel il faudrait ajouter

[33] Edson nous a précisé que cette vidéo fût présentée la première fois dans le sous sol d’une maison qui servait de niche pour une chienne et ses sept chiots. La vidéo placée au centre de l’espace se reflétait sur  6 grands miroirs et éclairant ainsi tout l’espace.

[34] Je ne pense pas qu’Edson connaisse ce film de Paul Sharits. Pour une discussion de ce film avec Paul Sharits voir Jean Claude Lebensztejn : Ecrits sur l’art récent : Brice Marden, Malcolm Morley, Paul Sharits, Editions Alines Paris 1995, repris in Paul Sharits sous la direction de yann beauvais, Les Presses du réel 2008

[35] voir le texte de présentation de ce film dans le catalogue de Light Cone, http://www.lightcone.org/ :  On a moulé l’idée selon la forme d’une ampoule au moyen d’embouts de phosphore d’allumettes et de paraffine qui s’enflamme dans une auto combustion progressive provoquée par un agent extérieur. Cette combustion augmente en illuminant tout l’espace alentour en atteignant son climax avant de s’engloutir dans l’obscurité. Guy Brett fait remarquer dans Brazil Experimental arte /vida ; proposições e paradoxos, Contracapa Rio de Janeiro 2005, dans l’étude sur Cildo Meireles que la métaphore du feu est essentiel pour la compréhension de l’art brésilien conceptuel et représente une voix d’accès à la pratique contemporaine.

[36] Cet événement de Vivencia avait pour titre « unicacena » (scène unique). Cet événement émergeait de Res do Chao. Il nous faut préciser que le titre joue sur la similarité potentielle entre phodre et foder con ph (a real fuck !)

[37] Le son discrépant a été théorisé et appliqué au cinéma par les lettristes. Les films d’Isidore Isou : Traité de bave et d’éternité (1950) ainsi que le film de Maurice Lemaîre : Le film est déjà commencé (1951) travaille ces processus, mais aussi le film/ performance  de Gil Wolman : L‘anticoncept (1952) ainsi que le film de Guy Debord : Hurlement en faveur de Sade (1952). Frédérique Devaux : Le cinéma lettriste, ed Paris Expérimental, Paris 1992.

[38] Sur les processus utilisés par Terre Thaemlitz pour ce cd voir : http://www.comatonse.com/writings/interstices_install.html

[39] Voir les textes de Paul Sharits sur ces travaux in Film Culture n° 65-66, New York 1978 et I Feel Free,, Je me sens libre in p135/139 in Paul Sharits, op citée, version anglaise et française.

Robert Nelson : Quelques films (Fr)

présentation au Musée d’art Moderne et Contemporain de Strasbourg, 04-04-2007

Ce qui caractérise le cinéma de Robert Nelson c’est avant tout la multiplicité des approches qui jouent des genres cinématographiques. Robert Nelson commence à faire des films en 1963, à San Francisco. L’année 63, est importante dans le champ cinématographique indépendant puisqu’elle marque l’irruption à New York des premiers travaux d’Andy Warhol qui remettent en question le spectacle cinématographique.

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Robert Nelson après des études d’art à l’Art Institut de San Francisco se lie d’amitiés avec différents peintres dont William T. Wiley avec qui il réalise des films. Il fréquente Robert Hudson (sculpteur), et Robert Anerson. Tous feront partie de ce que l’on a désigné comme le mouvement California Funk des années 60. On comprend par là une production d’objets que l’on fait pour soi ou pour des amis elle n’a rien à voir avec une production artistique pour la galerie et le musée. C’est ainsi que Bruce Conner l’une des figures essentielles du collage et de l’assemblage de la côte ouest définie cet art Funk. Il deviendra ensuite l’un des cinéastes les plus influents du cinéma expérimental à travers ses films de found footage. L’art funk de Californie, c’est un art qui fait de bouts de ficelles, qui est informel qui fait appel au hasard et qui travaille l’humour.

Lorsqu’il réalise, (ce que l’on considère comme) son premier film : Plastic Haircut(1963) il est reconnu comme peintre, il a déjà à son actif plusieurs expositions de ses peintures. Ce film est une collaboration entre la troupe de Mime de San Francisco, fondée par Ron Davis, Bill Wiley et Steve Reich. Robert Nelson avait déjà vu quelques films d’avant-garde aussi savait-ce qu’il voulait faire avec ce film. Comme il le dit : « Je tournais plus d’une heure de film, mais cela semblait sans intérêt, car c’était tellement répétitif et long. Pendant des semaines je me débattais avec les rushes, mais quoi que je faisais c’était toujours chiant. Désespéré je commençais à couper de plus en plus dans le matériau ; plus les plans étaient courts mieux c’était, et quand je compris que cela donnait au film toute son énergie, je pris vraiment conscience de ce le montage pouvait bien être. [1] »
A cette même époque Steve Reich avec la troupe de mime de San Francisco est fit des pièces de musique pour des light shows ainsi que pour la pièce Ubu roi, pour lequel William Wiley fit les décors. Il réalise sa première pièce pour bande avec ce film. Pour ce film, il crée un collage sonore à partir d’un 33 tour narrant les grands moments du sport, pour lequel il enregistrait une courte section, arrêtait la bande, mettait l’aiguille du bras à un autre endroit, réenregistrait et ainsi de suite. La progression graduelle qui va de l’intelligible à l’inintelligible anticipe It’s Gonna Rains autant que Come Out.
Ce qui désole encore à ce jour Robert Nelson c’est qu’il ne savait pas comment faire des mixages à cette époque, aussi plaqua-t-il, le son de Steve Reich, sur de l’amorce noire, et non pas sur les images [2].
En 1965 il réalise pour Robert Nelson un canon en cinq parties pour Oh dem Watermelons (1965) [3] qu’il tira du spectacle de rue sur les stéréotypes raciaux de la troupe de mime de Ron Davis dans A Minstrel Show (Civil Rights from the Cracker Barrel). Cette musique est une nouvelle pièce pour trois voix et piano. La musique de Steve Reich est basée sur la fin de la messe de Steven Foster.

Oh Dem Watermelons

Oh dem Watermelons, semble partager l’esthétique des films de poursuites et des comédies du premier cinéma. Bien que Robert Nelson parle d’une influence inconsciente d’Un chien andalou pour ce film, c’est cependant le film à René Clair et Entr’acte autant qu’à certains comédies slapstick qu’on pensera plus qu’aux films de Sidney Peterson (The Cage). Oh dem Watermelons s’attache au stéréotype raciste. L’image du noir s’incarnait à travers la pastèque qui est le fruit qu’ils (les pauvres) dévoraient. Comme le reconnaissait dans les années 90, Robert Nelson lorsqu’il fit ce film dans les années 60, il travaillait sur des stéréotypes du passé, clichés réprimés qui surgissent bien souvent au détour d’une plaisanterie, ou par sous-entendus. « Je peux comprendre que des gens soient furieux avec ce film, mais il est à la limite. On ne peut tire une conclusion à partir de toutes ces images, le film devient ce que vous y projeter. Je n’ai jamais décidé de prendre la parole à mon compte et d’être un porte-parole quant au racisme. Mais il m’a été donner comme une opportunité que j’ai su saisir. » En effet Ron Davis m’a demandé si je pouvais réaliser une pièce d’entracte pour son show, sur les rapports entre les noirs et les blancs, je voulais choquer…
Signalons quelques moments important dans ce film qui est constitué selon un assemblage particulier qui mêle différents types de filmage, qui travaille de manière dynamique l’assemblage. On trouvera plusieurs séquences animées qui évoquent celles du StanVandebeck de Science Friction (1959) autant que celles de Robert Breer duMiracle (1954), dans lesquelles les collages de papiers et photographies sont animés de manière à accentuer l’humour à travers les saccades et à coups des mouvements L’ouverture du film est intéressante à plus d’un titre car après le générique, un plan d’une pastèque sur un terrain de sport est cadré pendant une longue durée, plus d’une minute, et semble retarder le déroulement du film.
La séquence dans laquelle on évide une pastèque de ses viscères partage un esprit surréaliste avec cette autre que l’on trouve dans Prune Flat (1965) de Robert Whitman et dans lequel des fruits et des légumes coupés font apparaître des plumes, des paillettes etc…
The Off-handed Jape (1967) est une autre co-réalisation avec William Wiley.
D’après Robert Nelson, « le film a été réalisé en quelques heures pour l’image autant que pour le son. Il présente une déclinaison d’expressions et de grimaces dans des mises en scènes et démonstrations du jeu d’acteur. » Cette même année il réalise un des grands films psychédéliques de l’époque ; The Grateful Dead (1967) qui est une manipulation des images du groupe, au son de titres de leur premier album. Cette même année il réalise une autre œuvre essentiel : The Great Blondino à partir de la figure de Blandin était un magicien et funambule au 19 siècle et qui traversa les chutes du Niagara en poussant une brouette ?

The Great Blondino

Ce film propose diverses déambulations dans San Francisco. Ce film évoque d’autres déambulation infantile ou presque comme celle que propose Ron Rice dans The Flower Thief (1960) ou même Ken Jacobs et Jack Smith dans leur film commun Star Spangled to Death 1958-60), et même Tarzan and Jane Regained sort of (1963) de Andy Warhol, qui tous mettent des protagonistes au polymorphisme infantile. S’agit-il d’une interprétation des années d’apprentissage d’un jeune Blondin qui à l’instar de Willem Meister voyage pour se découvrir.

Avec Bleu Shut (1970) ( Bull shit ?) Robert Nelson s’éloigne des films antérieurs, il s’inscrit dans un autre registre cinématographique, plus en phase avec le cinéma structurel et dans lequel le passage le temps est l’enjeu. A la différence de The Awful Backlash (1967) enregistrement continu du démêlage du fil d’une canne à pêche, et qui par sa facture : un plan fixe d’une dizaine de minutes, rappelle Fog Line (197 de Larry Gotheim ou Lemon d’Hollis Frampton, Blue Shut s’écarte d’une entreprise méditative au profit du jeu. En effet, ce film plein d’humour met en jeu un quiz pour une part, qui est une parodie à la fois des test à choix multiples que l’on retrouve aussi bien dans l’enseignement que dans les jeux télévisés.
Nous sommes immédiatement renseigné de la durée du film autant que du surgissement de différents évènements dans le cours du film. C’est ainsi qu’une horloge est placée dans le cadre. L’idée de cette horloge est venue à Nelson face à aux difficultés qu il éprouvait face à certains films expérimentaux. Comme il le dit « J’éprouve parfois l’impérieuse nécessité de regarder combien de temps il reste sur la bobine. Quand je succombe à la tentation de regarder en arrière, ce qui reste apparaît toujours énorme. J’ai mis l’horloge à l’écran afin que personne n’est besoin de se retourner. »

Blue shut
Le jeu qui consiste à deviner le nom des photos de bateaux de plaisance fonctionne à la fois comme une critique des jeux télévisés autant qu’il semble se moquer des dispositifs déployés par un nombre important de films du cinéma structurel, qui se prennent un peu trop au sérieux. Les séquences de devinettes sont entrecoupées avec une variété de séquences dans lesquelles le found footage domine. Elles proposent un panorama des styles, qui vont du film amateur porno en passant par des bandes d’actualités de toutes sortes dont le montage apparaît évoque A Movie (1959) de Bruce Conner. De même on remarquera le jeux de synchronisation et désynchronisation en boucle d’une des séquences qui nous montre un chien aboyant. La qualité du film réside dans la conjonction de l’horloge, des voix-off qui tentent de résoudre les énigmes du nom des bateaux, et la participation des spectateurs qui se prennent eux aussi au jeu, et qui appréhendent ainsi la temporalité du film de manière spécifique : la matérialité du film est éprouvée par le processus défini par le jeu.
Le film implique le spectateur selon différents niveaux : : la participation au moyen du jeu, l’anticipation par l’horloge et l’entrain des protagonistes.
Deep Wersturn (1974) semble être à la fois un clin d’œil à Off-Handed Jape , pour le côté accumulation d’actions similaires, mais aussi à Plastic Haircut par rapport à une stratégie de réductions des plans au moment du montage. Il s’agit à nouveau d’une collaboration avec William Wiley.
« Il y avait un collectionneur d’art de la région de San Francisco qui s’appelait Sam West. Il s’intéressait à de jeunes artistes inconnus achetait leurs peintures et sculptures ; il acheta ainsi des peintures de Wiley, Allan et Hendeson, des peintures de Geis et Hudson avant quiconque ne les connaisse ? Ils ont eut de belles carrières depuis, mais le truc de West c’était toujours d’être le premier. Il avait une maison pleine de bonnes pièces qu’il avait acquis pour rien, et il était amis de tous ces artistes. C’était un dentiste qui travaillait énormément, un personnage haut en couleurs. Il aimait les choses étranges, et aimait l’art de la côte Ouest. Parfois il faisait du troc : toute la famille de Wiley avait ainsi obtenu des soins dentaires gratuits pendant je ne sais pour combien d’année.
Et puis un beau jour, soudainement, il se suicida. Cela était dû à une suite de problèmes personnels et de santé. Une fête fut organisée en son honneur, dans l’atelier de Bob. Tout le monde a passé un bon moment, en son honneur.
Une autre chose, un mois plutôt, Henderson s’était procuré du contreplaqué qu’il avait scié en forme de pierres tombales. Il nous dit de réaliser nos propres tombeaux. Ce que nous fîmes tous, nous les utilisâmes dans ce film qui met en scène des chutes plus ou moins orchestrées.
 »
Pour Nelson,il est difficile d‘appréhender ce type de film car on ne soit pas à quelles catégories il appartient. Il s’agit de toute évidence d’un film réalisé entre ami, un film artisanal. Trouver quelques choses d’intéressant dans ces films à quatre-sous est un goût acquis. Vous avez besoin d’un public familier.

La question de la visibilité ou de l’invisibilité de ce cinéma de Robert Nelson qui pendant plusieurs années, choisit de ne pas les montrer ou les distribuer est intéressante à plus d’un égard, c’est vers la fin des années 90 qu’il prend cette décision.
Reconnaissons qu’il s’agit d’une attitude partagée par de nombreux cinéastes, parmi ceux ci on retiendra les expériences de Warhol et Markopoulos ou même Guy Debord pour n’en cîter que quel ques uns.
Mais à la différence de ces artistes, pour lesquels le retrait visé à augmenter la valeur des films, en tout cas leur aura, chez Nelson c’est à la fois la fragilité du support, les couleurs s’estompant qui motive ce choix. En effet comment préserver l’œuvre pour le futur si les éléments qui la constituent commencent à se détériorer au point que les films en deviennent méconnaissables.
De plus, ce retrait, lui permet de réévaluer l’œuvre même. Certains de ses films ne correspondant plus à ses préoccupations actuelles, il les revisitent, en les remontant, les altérant, les modifiant et proposent ainsi de nouvelles versions de ces œuvres comme le fit dans le passé de nombreuses fois Kenneth Anger, qui pour certains titres changeait la bande sonore de ces œuvres alors que pour d’autres il les raccourcit.
Certaines actions sont plus radicales et vont jusqu’à la destruction, le démontage, et la réutilisation de la pellicule afin de les incorporer dans de compositions picturales.

C’ est au début des années 2000 qu’il montrera à nouveaux ses travaux lorsque la Pacific Film Archives et l’Academy Film Archives commenceront à les préserver.


[1] Interview avec Scott MacDonald in A Critical Cinema University of California Press, Berkeley 1988 page 261

[2] idem

[3] Pour de plus amples détails sur les premiers travaux de Steve Reich, voir Minimalism : Origins de Edward Strickland

Remarques autour de quelques images de Téo Hernandez (Fr)

dans le cadre de Les images trafiquées Université Paris III, le 19-05-2001

in  revue d’esthétique 41, ed Jean Michel Place, Paris 2002 

Sur l’idée de trafic de l’image.
Ne peut-on envisager le trafic de l’image, comme son passage, c’est-à-dire à la fois son défilement, la succession des photogrammes mais aussi comme ce qui se métamorphose se transforme, l’un à la suite de l’autre, l’un par l’autre, l’un avec l’autre. Au moyen de ce passage duel puisqu’il agit aussi bien et de manière similaire à la prise de vue, c’est-à-dire lors de son enregistrement que pendant la restitution lors de la projection, les photogrammes poursuivent un destin fugitif, ils sont des êtres transitoires, lacunaires qui sait ? Ils ne font que passer, leur destin toujours au passé et dans un avenir perpétuel, en attente de la projection suivante jamais finalement présent, ou si peu. Et pourtant sans ce passage, sans ce trafic des images pas de films, un scintillement lumineux ou une grande obscurité.

Ainsi ce trafic de l’image, c’est-à-dire aussi bien son transit que sa manipulation est privilégiée de diverses manières par les cinéastes selon les outils autant que, selon les contextes, ils émergent.
Nous parlons de manipulation car les images, les photogrammes sont avant tout des objets transformés. La transformation peut s’effectuer lors de l’enregistrement selon plusieurs critères que nous pourrions évoqué ultérieurement lorsqu’il s’agit d’un cinéaste travaillant selon le photographique, lors du montage, ou plus simplement au moyen d’intervention faite à même le support, sur la pellicule vierge, ou déjà impressionnée, et qui peut subir plusieurs assauts faisant surgir des formes rayées, gribouillées, dansantes comme l’ont si bien fait Len Lye, ou Stan Brakhage dans certains de leurs films, ou en effaçant des parties d’images ou sa totalité selon des procédés similaires auxquels la chimie peut s’affirmer plus radicale à la manière de Jurgen Reble et de bien d’autres encore.

En ce qui concerne Téo, les manipulations s’exerceront le plus souvent avec le super 8, et déploieront une des caractéristiques de l’instrument, sa maniabilité due à la fois à la légèreté de l’instrument renforcée par la dextérité du cinéaste. La maîtrise de l’instrument se déploie dans ces combinaisons de filé, virevoltant, tournoyant et de zoom rapide qui avait été cependant proscrit chez lui, pendant de nombreuses années. Que l’on pense à Trois gouttes de Mezcal dans une coupe de champagne [1], Nuestra Senora de Paris (1981-82), Pas de Ciel(1987), Parvis Beaubourg(1981-82)…

De plus dans le cas de Téo nous devons prendre en compte une spécificité supplémentaire de son travail à savoir le fait que pour quelques raisons que ce soient, économiques ou non, il privilégiait, la production d’un nouveau film plutôt que de tirer des copies, considérant à juste titre et dans la continuité de Gregory Markopoulos, Robert Beavers et quelques autres, qu’il était plus important de faire un nouveau film que de se préoccuper de ceux que l’on a finis. Ce choix qui n’empêche pas la diffusion des films terminés déclenche à chaque projection l’apparition de marques, rayures, tâches. Le film se transmue selon la fréquence des projections, il s’use : « Le film change de couleur, change d’âge, d’identité. » 17/01/87 carnet 15 feuillet 32. Ces marques du temps métamorphosent le film, les couleurs passent, se fanent parfois selon des palettes réduites en des camaïeux rosés, ou bien les collures successives, les traces de scotchs viennent se greffer lors de la projection, proposant un contre film. Un commentaire historique du film se superpose à chaque projection qui n’est pas repéré par la plupart des spectateurs mais que le cinéaste repère et subit à chaque fois.

 » Je fais des films ou je mets mes pieds dans le paradis et la réalité. Je voyais une image, on y voyait mes pieds se poser (chacun) sur une parcelle d’images. Chaque empreinte se posait sur un carré un écran ou défilait une suite d’images. J’ai compris que ces parcelles, il fallait les mélanger, les faire cohabiter ensemble. Les rendre transparentes ou les effacer. J’ai conçu là, dans le métro, un nouvel espace cinématographique : où la réalité se transforme sans cesse sous nos yeux. On passe du grand au petit, de la lune à l’ordure. Du plan fixe au filé. Où tout s’incorpore dans un dense tissu visuel… » carnet 9 feuillet 42 20 01 84

Pour nous comme pour de nombreux cinéastes le pensent, le cinéma n’a rien à voir avec le réel. Le cinéma ne se préoccupe pas de dupliquer la réalité filmée, comme la plupart des cinéastes, Téo Hernandez crée une réalité. Le cinéma incarne avant tout une position, manifeste une attitude, on dirait aujourd’hui une posture, celle d’un cinéaste, d’une subjectivité qui s’ affirme au travers de caractéristiques techniques du mouvement. Ce mouvement que chaque cinéaste restitue, élabore, traque, démultiplie se déploie avec Téo Hernandez selon une mise à l’écart de la netteté au profit de l’écoulement (jeux sur les profondeurs et sur les mouvements de caméra), du passage des photogrammes et du filage (décrochement de la lisibilité de l’image en fonction de la vitesse du mouvement de la caméra, par exemple le survol rapide d’objets filmés en gros plans). Nous sommes toujours entre deux points, celui de la netteté et celui de la fluidité. En ce sens Téo Hernandez partage avec Michel Nedjar cette faculté de produire une réalité cinématographique singulière au moyen d’un étourdissement des plans qui semblent à la fois procédé de l’accumulation et du télescopage. Cependant par sa manière de filmer Téo travaille à rendre liquide les objets, il les rend à la lumière dans une expérience transcendantale qui rejoint celle de tout alchimiste. Chez Hernandez, cette alchimie s’effectue par la manipulation de la mise au point, l’accélération des rotations et des mouvements de caméra, qui confère à la vision son instabilité, ou plus exactement son écoulement. On pourrait qualifier ce cinéma de baroque, dans son extrême tension des parcours de lignes de force qui tissent la vision et façonne ainsi le regard. Il suffit d’évoquer alors ces lignes de lumières fuyantes, ces éclatements, ces boursouflures de rotation, ces torsades dans le filmage des bâtiments pour en saisir une manifestation distincte dans le cinéma de Téo. Cet entrelacement d’image pouvant parfois se déployer dans une relation tendu avec le son.

« Je me suis aperçu que le cinéma n’était pas une mise au point du réel ou une reproduction du tel, mais qu’il était plutôt une manne qu’on pouvait mettre en mouvement autrement. Sa mise au point se trouvant dans la concentration se son mouvement. La netteté se trouvait ailleurs : dans l’émotion (similaire à J. Mekas sur ce point). Jusqu’à arriver à cette conviction récente : l’image comme une manne en mouvement. Qu’entre le regard et la main s’ouvrait un espace inédit aux dimensions, aux perspectives illimitées. Le mouvement devenant un sujet important et l’image résultante aussi… Mon souci sur n’importe quoi, qui équivaut à assumer avec la caméra n’importe quelle situation. La caméra comme une arme tranchante, un objet de guerre, bouclier, qui est en même temps miroir. » 5 oct. 90 Carnet 22 feuillet 21

Une caméra qui va épouser les formes et investir le champ de la représentation jusqu’à en faire surgir ces nervures, son rythme, son squelette. L’expérience du film devient alors la réalisation d’un partage au moyen d’images qui sans cesse défient notre regard, par leurs accélérations, ruptures, éclats.C’est par la constitution de ses éclats, de ce temps effervescent que l’on trouvera les liens entre les différentes périodes de l’œuvre de Téo. Le mirage, la profusion des masques et des reflets dans les premiers films se retrouve dans la prolifération de point de vue et de lignes fuyantes dans les films ultérieurs.


[1] édité par le Centre George Pompidou, Paris 1997

A Sending Without Any Recipient on Frank Cole (Eng)

Frank Cole

 

A Sending Without Any Recipient by Yann Beauvais

Sometimes, we wait a long time, to discover a  filmmaker’s œuvre.  This learning delay moves it into a different temporal sphere, removing it from the context in which it first appeared, and the work becomes autonomous. I discovered the films of Frank Cole as a result of a letter-writing exchange with Mike Hoolboom.

Mike sent me a DVD of Frank’s films hoping to get my attention. He was right about that, the films intrigued, attracted or provoked me, but they always made me think.. Their vision led me to look beyond autobiography and tourist films.

Beyond the immediately intriguing interest of a first-person cinema that differentiates itself from models explored by the film journal in experimental cinema, the two films propose an investigation that starts from an obsession with death. Death as a life force, death past due.

A Life (1988) and Life Without Death (2000) create in the desert a mirage of death.   The desert is a fascinating space (for believers, for example, is it not the place   that, experiencing its essence, predisposes us to having our perception of the world transformed) as well as a space that transforms our worldly existence. In the desert, living conditions, perilous at best, have often been, and continue to be, represented by Westerners as a bottomless pit of tales that associate mystical experience and that of folly or loss of self, according to the stories and accounts that fluctuate between revelation and autobiography.

For the western man the desert is a mirage that engulfs him in delectation. It is a pristine space to conquer, or to take complete control of. It is the ultimate frontier.  It is the place where, faced with heterogeneity, an extreme otherness can prove to be an internal force, in which abandonment of all certainties can serve another truth, a transcendence… There, we find ourselves, reveal ourselves and lose ourselves.

Let us be frank

…the two films are problematic on more than one account.

And yet, the voice…

A voice that makes itself heard through the entire film.  A low voice that evokes so many others, from William Burroughs to David Wojnarowicz.  The deepness of the voice greatly moves me and irritates me too. It dramatizes images by moving them into the psychological realm, into a sphere that is too personal, that ends up sounding petty. In fact it works against the image, it breaks the fascination that these landscapes have the potential to contain. It serves to disrupt the beautiful desert images. The voice draws us back to the project. It signs and assigns images to a particular territory, that of a Westerner who has undertaken a distant voyage in order to test himself. What is foretold is a voyage toward a death.  We are far away from the Werther’s love pain, these sufferings belongs to other inventories. How not to think of Fernando Vallejo and his brief returns to Medellín: the kingdom of death that is so well described in at least two of his novels[1].  The approach is daring, to the extent that the enthusiasm of the Columbian writer dialectically matches the asceticism, the gravity and the bombast of Frank Cole. All evidence suggests that we are not in the same realm, death is on the prowl, but are we really talking about the same thing?

The filmmaker gets lost in the desert. He is looking for the well shown on his map, but he doesn’t find it. He passes other dry ones, that are not indicated, and a sense of unease sets in. The uneasiness increases, we are upset. In fact, we are furious against us as much as against the filmmaker to put us in this discomfort, because the sight of the diary film reflects the image of our meanness and pettiness back to us in whatever form they take. It is a painful experience, we would rather not have borne it, and yet…

Life without Death

The absence of these wells from the traveler’s maps reminds me of the difficulty we have to accept other ways of being in the world, this blindness to other ways of living, thinking and acting. Why should these wells be marked on his map? The demand is outrageous; it calls for the will of the white man to control and run the world, in other words to dominate it, rather than to be in the world or of it.   Such a demand cannot acknowledge the imponderable. Everything conforms to what is written.

But, in this place change makes all the difference. It illustrates the willful blindness that is motivating this voyage. The desert is only a test. What is significant are the extreme survival conditions that it affords to a sick-at-heart Westerner. We experience this irritation again when the filmmaker brings up the civil and tribal wars that took place in some of the lands that were crossed, to the borders of Chad and Darfur.  For the filmmaker, these wars are an obstacle. The overbearing quest sees only what deflects it, whatever delays its plan to cross the entire length of the Sahara. The life and death of others (as long as it is not the grandfather), is only collateral damage. The perseverance of the project plunges us into a web of contradictory sentiments, it is fascinating, but it is also unacceptable. We are almost in a double bind. But this double bind shows how the contemporary forms of colonialism—or should we say neo-colonialism?—show themselves today.  A reality is substituted onto the ones (not) encounter, masking one with a dominant one.

The project, the crossing, is stronger than everything. Anything that interferes with its completion, or even postpones it, is brushed aside, is evil. Everything has to make way for the project, even the filmmaker’s body. Has he not spent months preparing so that he can endure this isolation?  We are impressed by the irrepressible will that sets out to fulfill such an odyssey. We cannot help but admire the stubborn obstinacy of this blindness, while being unable to disregard its alienness.

This is not about filming the desert, let alone its inhabitants, whether they be villagers, nomads, or other travelers. It is about relating an interior adventure. The guides are almost foils, they are uneasy, frightened.  As usual the Orientalist speaks for the Arabs, as Edward W. Said noticed: « Orientalist generalizations about the Arabs are very detailed when it comes to itemizing Arab characteristics critically, far less so when it comes to analyses Arab strengths. »[2]

What matters, and filming it bears witness to this, is the struggle of an individual, facing extreme conditions. I cannot get it out of my head, however, that the experience had long been planned and decided. The film shows this in accordance with a production aesthetic and criteria that highlight its purpose, to know the solitude of a destiny. Therefore, the long away-shots along the sand-covered road when the adventure begins, or when he leaves one of these guides…

There is some complacency in how the trials are shown through the various sequences of body wounds. We are faced with an incredible exhibitionism that requires reactions that are contrasting, to say the least, and range from compassionate support to rejection.

We are within the effect. Distance no longer exists.

We have a complaint, a farewell song, that we need to belong. There is subtlety and outrage in the demand that makes me pass from irritation to rejection.

Although I am moved, I cannot bear to be used to this extent, as so many films do, each in their ways. In this regard, the music holds a special place. It conveys and recaptures the clichés of an exoticism shared by entertainment films that range from Lawrence of Arabia to The Sheltering Sky. We are in the kingdom of North African music stylings, revised and edited by Richard Horowitz.  The music highlights the psychic state of the traveler, and, finally, shows what separates us…

No, I will not take this road.

And yet, the film is questioning me.



[1] La virgen de los sicarios 1994, translated Our Lady of the Assassins, Serpent Tails, 2001, and Mi Hermano El Alcade, 2003

[2] Edward W. Said : Orientalism Penguin Books, London 2003