Films d’archives (Fr)

Archives sous la direction de Valérie Vignaux, in 1895, n°41, oct 2003

http://1895.revues.org/264

em Português : Filmes de arquivos in Revista do Festival Internacional de Cinema de Arquivo– Recine, nº1. Rio de Janeiro: Arquivo Nacional, setembro de 2004

 

Films d’archives 

Depuis de nombreuses années, le cinéma expérimental fait un usage intense du found footage. Ce terme de found footage désigne autant l’objet – une séquence trouvée -, qu’une pratique qui consiste à réaliser un film en s’appropriant des éléments trouvés, dérobés, prélevés, détournés, non tournés par le cinéaste, mais que ce dernier recycle.

0Cette pratique englobe les films de compilation comme les films plus personnels qui incorporent un extrait ou une séquence d’un ou plusieurs films. À la différence des films de compilation, les films personnels ne sont ni des catalogues, ni des collections, ils ne font qu’occasionnellement appel à des extraits de bandes d’actualité ou de films de familles.

Protéiforme, l’utilisation du found footage ne peut en aucun définir un genre : elle recouvre une trop grande variété d’interventions de la part des cinéastes. Interventions qui se sont multipliées depuis que l’accès aux magnétoscopes puis aux ordinateurs grand public s’est élargi, faisant de chaque usager un programmateur potentiel. Le recours à la numérisation permet de manipuler à volonté les informations stockées en système binaire. De ce fait, un déplacement s’est opéré, qui consacre l’empire de la variation : ce sont les données qui sont manipulables et non plus la pellicule. C’est à l’ombre de cet abandon du Celluloïd au profit du numérique que se comprennent les derniers films de Peter Tscherkassky, son insistance radicale à travailler le support argentique.

L’usage de found footage n’est pas réservé aux documentaristes et cinéastes expérimentaux. Les chaînes de télévision, grandes consommatrices d’images, font de plus en plus fréquemment appel à des archives lorsqu’elles élaborent une émission ou des programmes. Par ailleurs, les journaux télévisés ou les programmes d’actualités des chaînes thématiques ressassent les mêmes séquences, prélevées des archives auxquelles elles s’abreuvent goulûment. Quelques archives en viennent à dominer le marché ; elles tentent alors de faire évoluer le domaine du cinéma sur le modèle de la photographie, à savoir constituer des monopoles.

Si pendant longtemps les archives cinématographiques ont privilégié l’acquisition de films narratifs, depuis les années 90 elles ont pris en compte d’autres pans du cinéma, qui étaient jusqu’alors le domaine réservé d’archives spécialisées. Paradoxalement, l’intérêt récent des archives pour des films jusqu’alors ignorés rend leur accès de plus en plus difficile. Les films restaurés, étant prêtés en priorité – et presque seulement – aux établissements reconnus par les instances officielles, voient leur circulation très limitée. La notion de préservation entraîne paradoxalement une diffusion restreinte : l’objet film devient précieux puisque restauré.

Ne reste, pour les cinéastes d’aujourd’hui qui souhaitent travailler le film de found footage, que la possibilité de s’approprier plus ou moins légalement les éléments convoités.

Dans les années 50, il était aisé de se procurer des films éducatifs, à partir desquels on pouvait faire une œuvre. A Movie, le premier film de Bruce Conner est un bon exemple de l’usage qui peut être fait de films éducatifs et de bandes d’actualité. Il critique la société de consommation et sa fascination pour le spectacle de la destruction à travers un assemblage de séquences jusque-là réservées à un usage domestique. Le détournement prend le contre-pied des intentions originelles des films ; reflets de la société qui les produit, ils en représentent les rites, les tragédies humaines ou naturelles, quotidiennes ou exceptionnelles, les catastrophes. Au moyen de la collision, de la juxtaposition et de l’enchaînement, Bruce Conner suscite d’autres interprétations. Les certitudes que sont censés transmettre ces films vacillent ; d’autres perspectives surgissent grâce à l’humour des raccords, des contresens viennent entamer les idées reçues.

Bruce Conner travaille les clichés cinématographiques d’un passé récent et déjà périmé, qui sont avant tout une mémoire commune à un groupe, une classe, une société. Sa démarche s’apparente à l’appropriation des objets domestiques prônée par le pop art en Angleterre et aux Etats-unis à la fin des années 50. Bien que singulier, A Movie, comme les films de Raphael Montanez Ortiz, Maurice Lemaître et quelques autres, détourne des séquences de films, se les appropriant et les recyclant de manière à créer de nouvelles relations qui pervertissent le sens premier.

Les utilisateurs de found footage, en sortant des images de leur contexte, révèlent leur sens caché, souvent aux antipodes du sens originel, de la même façon que les Nouveaux Réalistes remettaient en cause la signification première des images qu’ils prélevaient par lacération d’affiches. Ce déplacement est essentiel dans la mesure où il marque l’appropriation, mais aussi l’irruption de l’intempestif, constitutif de nouveauté signifiante. Pour désigner ce décalage, les lettristes parlent de ciselure à propos de l’image et de “ discrépance ” à propos du son[1]. A la différence d’autres cinéastes, les lettristes n’utilisent pas seulement du found footage, ils tournent parfois des séquences qu’ils altèrent de nombreuses manières : rayures, peintures, appositions de lettres…

Remarquons qu’en ces années-là, les questions relatives à la propriété et aux droits d’auteurs ne se posaient pas de la même manière qu’aujourd’hui, le juridique n’étant pas encore devenu l’étalon à partir duquel se définit le statut économique de l’auteur, tel que l’envisagent le plus souvent les sociétés (corporates) qui les représentent.

L’appropriation de séquences modifie la manière dont les objets cinématographiques sont appréhendés : ce n’est pas l’entièreté du film[2] qui est objet du détournement mais une ou plusieurs parties. Son intégrité est remise en question lorsqu’il est considéré comme un catalogue de plans et non comme un tout indivisible. On pioche, on cite, on prélève, afin de constituer un nouvel objet. On travaille non plus à constituer une vision originale au travers de plans que l’on tourne soi-même, mais en montant des scènes tournées par d’autres. Le travail du cinéaste consiste surtout en la recherche de documents, d’où la nécessité d’avoir accès à des bibliothèques, à des archives publiques ou privées et  à divers magasins vendant des copies de films et des bobines en tout genre.

Faire des films de found footage c’est, dans les années 50 et 60, avant tout travailler à partir de documents d’actualité ; on verra beaucoup plus rarement des images prélevées de films commerciaux. Le format est souvent un obstacle majeur pour les cinéastes expérimentaux qui n’ont pas les moyens de faire des réductions à partir du format standard, le 35mm. Plus tard, principalement à partir des années 80, le recours au found footage prendra d’autres significations, qui dépasseront la critique des représentations. C’est l’importance de l’image animée, son impact sur le quotidien, qui sera à l’origine du travail de certains cinéastes : ils utilisent des images qu’ils vénèrent ou haïssent, renversant du même coup la manière d’envisager le rapport au cinéma et à sa spectacularisation du monde au XXe siècle.

Le matériel facilement accessible dans ces années est le 16mm : des bandes d’actualité dont l’actualité se limite à la pérennité du support et des films éducatifs. Le recours à ces images manifeste avant tout la perpétuation d’une tradition critique de l’art moderne, qui a toujours pris en compte la dimension ludique du détournement, au même titre que sa dimension politique : le dadaïsme, le surréalisme, le situationnisme et aussi le pop art, dans une moindre mesure…

Le travail du détournement au cinéma, à partir de found footage, implique l’appropriation d’un document que l’on utilise tel quel ou que l’on transforme ; on le recycle[3]. On s’éloigne de la citation au profit de la critique et de l’analyse, selon le projet artistique du cinéaste. Si, pour les lettristes, l’incorporation de séquences de films célèbres permet de rendre hommage à un moment de l’histoire du cinéma, la plupart du temps pour d’autres cinéastes, il s’agit de s’attaquer à la nature de la représentation telle que la propose le cinéma commercial. C’est l’attitude qu’adopte Raphaël Montanez Ortiz dans ses deux premiers films, Cow-boy and Indian Film (1958) et News Reel (1958), dans lesquels il tronque, remonte, transforme et modifie un western afin de dénoncer le parti pris idéologique et racial des productions hollywoodiennes autant que des bandes d’actualités des années 40 et 50. News Reel dénonce la guerre d’une façon ouverte, ainsi que certains de ses promoteurs, tel Pie XII. Une même démarche se retrouve chez des cinéastes et vidéastes contemporains lorsqu’ils interrogent les questions d’identité, d’appartenance à une race, une culture, un genre. Richard Fung, Nguyen-tan Hoang, Charles Lofton, Wayne Yung et Shawn Durr… incluent dans leurs vidéos des éléments de found footage pour mettre l’accent sur l’appartenance à une double minorité, gay , asiatique ou black en Amérique du Nord. Leurs travaux font preuve d’un d’humour corrosif, différent de celui des années 50 ou 60[4]. L’appropriation de séquences de films de genre chez Nguyen-tan Hoang, ou Charles Lofton favorise une lecture camp de ces mêmes films, qui les dynamisent autant qu’elle les dynamitent. Attitude que l’on retrouve dans 1000 Cumshots (2003) de Wayne Yung, qui dénonce l’empire du mâle blanc de la pornographie gay.

Un tel mode d’appropriation artistique n’est pas nouveau : de tout temps, les musiciens, les écrivains, les peintres se sont inspirés d’œuvres plus anciennes, empruntant un motif, une mélodie, un thème, une idée, jusqu’à recopier allègrement tout ou partie d’ouvrage. Il n’y a pas d’œuvre sui generis qui ne fasse appel ou qui n’emprunte à des réalisations antérieures. Aujourd’hui la différence notoire est que le droit s’est transféré de l’auteur à ses représentants légaux qui, au nom du pouvoir économique, en viennent à confisquer le droit de l’auteur au profit des intérêts qu’ils défendent.

Ce qui explique que l’usage des found footage dans le cinéma et la vidéo contemporaines se heurte souvent à la question de la diffusion en dehors de leurs propres circuits, dans la mesure où ces derniers échappent au contrôle des représentants légaux.

Le recyclage d’images peut s’exercer sur toutes sortes de films, à partir du moment où les moyens de reproduction, de capture, sont disponibles. Envisageons sous l’angle du recyclage deux films importants pour des raisons distinctes, qui tous deux s’intéressent à des pans du cinéma moins fréquemment utilisés dans les années 60 et qui vont irriguer la plupart des travaux de la fin des années 80 à nos jours, La Verifica incerta (1964) de Gianfranco Baruchello et Alberto Grifi, et Au début (1967) d’Artavazd Pelechian.

Le film de Pelechian met en place une alternative au montage “ des attractions ” comme l’a défini Eisenstein, en recourant à un montage qui privilégie les formes circulaires et la constitution de blocs au sein desquels s’effectuent des variations. Il s’agit d’un montage qui, par la répétition de séquences au sein d’un même bloc ou d’un bloc à l’autre, fait éclater le sens unique au profit de la résonance. A côté de bandes d’actualités de toutes provenances célébrant les révoltes, figurent des extraits de films d’Eisenstein et de Vertov. Cette irruption de classiques marque une reconnaissance de dette vis-à-vis des œuvres autant que leur dépassement au profit d’un nouvel art d’envisager le film. Afin de leur redonner un impact qu’elles auraient perdu, Pelechian duplique les séquences connues sur des émulsions à haut contraste.

Pour faire leur film, Grifi et Baruchello ont racheté 47 copies de films 35mm des années 50 et 60 en cinémascope, avant leur destruction[5]. Ces films commerciaux, en majorité américains, sont déconstruits puis remontés pour élaborer un film qui, bien que respectant le canevas des films classiques, désacralise les clichés hollywoodiens. La Verifica reconnaît à Hollywood son importance de pourvoyeur de stéréotypes et de clichés fascinants autant que révulsants, tout en révélant les limites de cette entreprise du divertissement qui recourt aux mêmes codes indépendamment du sujet du film. Il propose une critique ludique des clichés, des codes hollywoodiens, qui opère par excès, surenchère et accumulation. L’efficacité de la démonstration tient à l’utilisation d’un grand nombre de séquences tirées de différents films ; elle ouvre une voie possible d’investigation aux cinéastes à venir, que ceux-ci aient vu ou non La Verifica. Ce qui met encore une fois l’accent sur l’importance de l’accessibilité aux films.  L’accessibilité, la démocratisation favorisent l’appropriation. Cette “vérification incertaine ” préfigure les gestes iconoclastes des cinéastes des années 90 qui, à partir de leurs magnétoscopes, privilégient un art du spectateur, ou plus exactement un art du programmateur, et constituent des collections de morceaux choisis au détriment de l’intégrité d’une œuvre. Le regard s’est déplacé, grâce aux outils qui permettent la consommation privée d’un divertissement qui était jusqu’alors un spectacle de masse[6].

Par leur mode d’appropriation et de recyclage des images, La Verifica et Au début annoncent la pratique de l’échantillonnage telle qu’elle s’est développée dans le domaine musical puis dans celui de l’image en mouvement, depuis la fin des années 80. Cet art de l’œil qui privilégie le choix de celui qui regarde permet de transformer la manière d’aborder les notions d’auteur et d’œuvre.

Les films et vidéos contemporains interrogent le cinéma, fournisseur et diffuseur d’images du réel, mais aussi artisan, manipulateur de ce même réel et du même coup de notre imaginaire. L’envahissement progressif du cinéma au fil du siècle a fait que beaucoup de séquences de films sont devenues des icônes contemporaines, des images publiques, qui hantent la mémoire de chacun. D’autres images, à caractère privé, provenant de films de famille, nous permettent de nous revoir tels que nous étions en d’autres temps, et nous montrent aussi la manière dont nous appréhendions le monde, retransmise par le regard de témoins proches ou lointains. On peut ainsi revisiter l’histoire familiale à travers quelques-unes de ses représentations (comme le rituel du repas familial dans Stories de Cécile Fontaine), ou à travers une véritable célébration du temps définitivement révolu dans Nikita Kino (2001) de Vivian Ostrovsky. Ce film renouvelle l’approche du voyage en URSS tel que nous l’avions cofilmé, Vivian et moi-même, dans Work & Progress (1999). Ici ce n’est plus le voyage, la découverte, qui déclenche le recyclage d’actualités, mais la visitation du passé à travers les séquences glanées par la cinéaste au fil des ans.

C’est dans cet esprit de reconsidération du passé que les cinéastes travaillent des films de famille trouvés ici ou là, qui permettent de montrer d’autres usages du monde sous couvert d’anonymat : Peter Tscherkassky présente dans Happy-End (1996) une collection de films de Nouvel An tournés par un couple, des années 60 aux années 80. Cette investigation s’apparente à une analyse qui nous permet de saisir l’évolution du regard porté par ce couple sur sa propre image ; elle interroge également la position de tiers invisible que nous occupons lorsque nous regardons le film : à qui s’adresse cette famille bourgeoise lorsqu’elle mime le bonheur d’une nouvelle année? Happy-End appartient à la même veine que les films qui profitent de l’altération du support pour investir le passé. Il ne s’agit pas de revoir des événements filmés dans le passé mais de profiter de la matérialité du passage du temps, de la transformation du grain de l’émulsion. Il n’est pas question de sentimentalité nostalgique mais d’esthétique.

Si La Verifica incerta préfigure les travaux de compilation que génèrent le cinéma expérimental et l’art vidéo depuis les années 80, c’est parce qu’il travaille à partir du cinéma commercial, qui reste la pratique dominante du cinéma.

Depuis les années 80, les salles de cinéma n’ont plus le monopole du cinéma de fiction : on peut le voir dans les galeries ou chez soi, grâce au magnétoscope. Cet outil permet aussi bien l’accéléré, le retour en arrière que la duplication et la compilation. Le consommateur peut alors fabriquer des bandes personnalisées, à son goût, ce qui signifie que le pillage de séquences s’accroît en même temps qu’il favorise la production de nouvelles œuvres à partir du séquençage, de l’échantillonnage de films en tous genres. Le résultat en est un certain nombre de travaux qui proposent des sommes particulières de situations (Home Stories, 1991, de Matthias Müller ; Scratch, 2002, de Christoph Girardet) ou de gestes (Téléphones, 1995, de Christian Marclay).

Des cinéastes tirent de nouveaux signifiants de films classiques ou connus. C’est le cas de Martin Arnold qui utilise le bégaiement de l’image en tant qu’instance de dévoilement et d’effacement dans Pièce touchée (1989) comme dans ses films plus tardifs, et c’est aussi le cas de Chun-hui Wu qui, dans Psycho Shower (2001), travaille les différents plans de la célèbre scène de douche du film de Hitchcock. À partir d’une scène archi-connue, le cinéaste crée une chorégraphie qui met en scène le corps extatique d’une femme avant son meurtre. Dans ce film comme dans ceux d’Arnold ou d’Ortiz, c’est le jeu du différé et de l’avance saccadée avec ses détours, ses reprises, ses délais, qui constitue le moteur de l’action cinématographique. Travail ludique qui met en crise le défilement normé d’une projection au profit de la saccade, ce paradigme du cinéma, aboli depuis l’apparition de l’image électronique.

Mais le cinéma hollywoodien peut aussi être l’objet de manipulations et de transformations qui permettent d’écrire d’autres histoires, des histoires que Hollywood n’a pas su ou pas voulu conter. Dans Meeting of Two Queens (1991), Cecilia Barriga propose une histoire d’amour entre Greta Garbo et Marlene Dietrich, à partir d’un montage de séquences qui, par-delà les histoires, fonctionnent comme d’habiles champs contre-champs fictifs. De son côté, Barbara Hammer incorpore dans Nitrate Kisses (1992) un film célèbre de Watson et Webber, Lot in Sodom (1933), ainsi que des séquences de rayons x de films scientifiques tournés dans les années 40 par le même Watson. Dans Matinee Idol (1999), Ho Tam dresse le catalogue du roi du cinéma de la Chine du Sud, des années 30 à 60, en prélevant de courts extraits dans sa filmographie. A la différence de Home Stories ou Phantom (2001) de Matthias Müller, Matinee Idol ne donne pas à voir une nouvelle fiction, c’est avant tout la transformation d’un visage.

Ces quelques films réutilisent des films de divertissement. Ils évoquent une époque, un moment dans l’histoire du cinéma, une fascination pour un genre de cinéma, celui des stars…, ils ne créent pas des mondes, mais commentent à la fois le monde et le cinéma. Ils proposent de nouvelles lectures, de nouveaux assemblages, des arrangements différents, en piochant dans un catalogue de séquences plus ou moins connues, qui sont souvent des archétypes. Chez Matthias Mueller  nombreux sont ses dernières œuvres qui, constituées de représentations hollywoodiennes, baignent dans un climat de pure nostalgie[7].

Matthias Müller, comme de nombreux cinéastes apparus dans les années 80, mêle aux images qu’il a tournées une grande quantité de séquences trouvées et empruntées à l’histoire du cinéma – principalement aux mélodrames et aux comédies musicales hollywoodiennes. Son film Aus der Ferne est symptomatique de ce phagocytage progressif de Hollywood par les cinéastes expérimentaux dans les années 80. De leur côté, Mike Hoolboom et Caspar Strake annexent tout le cinéma et pas seulement les films hollywoodiens. Tom (2001) de Mike Hoolboom convoque l’histoire des représentations de New York au cinéma, pour faire la biographie du cinéaste Tom Chomont. Des couches d’images tissent une histoire composite de la ville. Ces épaisseurs d’images renvoient à la constante transformation architecturale de Manhattan. Elles évoquent des paysages imaginaires d’une cité qui associe à notre vision des résidus d’un autre temps, ainsi que nombre de clichés. La ville n’est plus vue directement, mais éprouvée selon un brouillage visuel qui la rend cependant plus tangible, plus palpable. La sensation devient beaucoup plus physique, matérielle : on a envie d’y mettre les mains[8]. C’est un peu comme si la vidéo permettait de sentir la peau de la ville grâce à des surimpressions, des superpositions d’images qui sont comme des vitraux.

La texture particulière de ces images rapproche le style de ce film de celui des travaux utilisant le found footage, qui mettent l’accent sur la décomposition, l’altération, donc sur la fragilité du support cinématographique. La fascination pour la décomposition du support peut s’envisager comme une nostalgie de l’émulsion, de ses qualités particulières, de son grain et de sa texture. Cela conduit les cinéastes à travailler des séquences repiquées de bandes-vidéo, les développant de manière artisanale afin de leur redonner la qualité si caractéristique du support argentique. Le travail de Jürgen Reble se situe exactement dans cette ligne, qui vise à transformer le support, faisant exploser littéralement sa matérialité dans Instabile Malerei (1995), ou dans ses performances filmées d’Alchemy (2000). La manipulation radicale du support au développement ou lors du tirage, par virage, et les attaques chimiques en direct s’effectuent sur des éléments dérobés pour la plus grande part à des films scientifiques ou à des documentaires animaliers.

On est en présence d’une procédure qui révèle le support des images au détriment des figures qui s’y manifestent, afin de nous conduire vers d’autres horizons par l’abolition progressive des éléments figuratifs, sans lesquels le cheminement vers cet au-delà ne pourrait avoir lieu. Dans cette démarche s’inscrit une dimension mystique qui n’est pas si éloignée de l’esprit dans lequel travaille Mike Hoolboom, même si les objets cinématographiques et les intentions diffèrent et même si le cinéaste travaille depuis quelques années la vidéo plutôt que le film. Mike Hoolboom radicalise encore son approche dans certaines parties d’Imitations of Life (2002), en étendant le champ de ses emprunts aux clips vidéo, aux publicités et aux films sportifs qu’il entremêle, avec les films hollywoodiens, à certains de ses films. Abigail Child et Craig Baldwin avaient, à la fin des années 80, travaillé dans la même direction, en mêlant divers genres de films. Mais parfois la narration classique reprend le dessus : lorsque la cinéaste refilme des home movies anonymes pour en faire Covert Action (1984), elle s’aperçoit que ce matériau est source de fiction. Ignorant la provenance de ces films de famille, n’en n’ayant que des fragments, elle complète les manques pour reconstituer une histoire à partir du found footage[9]. Alors que dans les Mercy (1989), elle multiplie les sources d’emprunt en incorporant des films éducatifs et des films scientifiques, sans se référer à un quelconque récit.

Si une importante partie des films de found footage réalisés dans les années 90 sont des vidéos, No Damage (2002) de Caspar Strake annexe des pans entiers du cinéma afin de rendre à la ville sa pluralité, à travers la multiplicité de ses représentations. C’est ce qu’avait réussi de manière étourdissante Craig Baldwin dans Tribulations 99, Alien Anomalies under America, en créant à partir d’une mosaïque de documents cinématographiques une fable paranoïaque dont le fil conducteur est constitué par les voix de la bande-son. Ces discours lient les représentations issues d’origines si diverses, dans un récit qui se déroule comme une suite de complots, dont le film serait l’une des manifestations virtuelles.[10].

Dans leurs derniers travaux, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi continuent le travail amorcé au début des années 80 et dont Dal Polo all Equatore (1986) est l’une des plus grandes réussites : le recours à des films d’archives ou à des collections privées. Dans ce film et dans les suivants, ils sélectionnent, teintent, recadrent les séquences choisies en s’effaçant devant le matériau qu’ils remettent en circulation. Pas ou peu d’intertitres sont ajoutés, qui situeraient le matériau. Cette plongée nostalgique dans un passé à jamais révolu oscille entre fascination pour un temps de la représentation au cinéma et plasticité d’un matériau abusé par les ans et stocké dans de mauvaises conditions. Dans Dal Polo all Equatore, les deux cinéastes ont assemblé des films de la collection de Luca Comerio, opérateur qui, à la fin des années 20, a réuni sous le même titre différentes séquences tournées par lui – notamment celle du pôle Nord et celles de la première guerre mondiale – ainsi que des films scientifiques tournés par d’autres cameramen. Le pillage du film initial se limite à sa réorganisation en quatre chapitres[11].

Dal Polo all Equatore illustre l’intérêt croissant des cinéastes, à partir des années 80 et 90, pour l’éphémérité du support, sa vulnérabilité, sa dégénérescence. Cet objet fascinant – le film – qui veut que le support succombe se dissolve, s’effrite, se torde, en un mot se décompose.

Dans No Damage comme dans Dal Polo, les cinéastes s’approprient des films pour en recréer un autre : ils respectent totalement le support, ne se permettant aucun glissement vers un autre matériau ou à partir d’un autre matériau. Le film ne peut être généré que par du film. A cette logique appartiennent le travail de  Peter Delpeut dans Lyrisch Nitrat (1990) ou les deux films de Gustav Deutsch, Film ist 1-6 (1998) et sa suite Film ist 7-12 (2002), qui recourent tous à des emprunts autorisés de films d’archives.

Par contre, Mike Hoolboom, Marc Plas et d’autres ne s’encombrent pas de telles contraintes lorsqu’ils pillent allègrement le cinéma : ils font œuvre de cinéma à partir d’images tirées de cassettes ou de dvd, sources les plus accessibles aujourd’hui pour qui veut travailler à partir de représentations existantes. En Chine, par exemple, un collectif d’artistes détourne et pervertit des films publicitaires, à l’image de ce que fait Negativland[12] dans ses émissions de radio et dans quelques CD. De nombreux vidéastes agissent de même actuellement, lorsqu’ils ont besoin de contrer l’information officielle en cas de conflit armé, par exemple. Lors de la seconde guerre du golfe, cinéastes et vidéastes ont produit des films véhiculés par l’internet, qui se présentaient comme une alternative à la propagande officielle.

Autre domaine d’appropriation, considéré comme un genre mineur et réservé la plupart du temps à un usage privé : le cinéma pornographique. Voilà le terrain d’appropriation de Lary Brose (De Pofondis, 1996), Steve Reinke (quelques bandes de sa série The Hundred Videos), Michael Bryntrupp (All you can eat,1993) , Yves Mahé (Fuck, 1999 et Va te faire enculer, 1999). Les cinéastes reprennent parfois les mêmes images : All You Can Eat utilise des séquences que l’on retrouve aussi dans Barely Human[13]. Dans les deux cas, il s’agit d’une accumulation de plans de visages d’hommes en train de jouir, dérobés à des vidéos hard gay. Pour Steve Reinke, cette accumulation de visages extatiques rend les protagonistes presque inhumains : pas tout à fait des fantômes, plutôt des anges. De son côté, De Profundis privilégie des images pornographiques moins familières (elles datent en majeure partie de la fin des années 20), qui sont refilmées et traitées de sorte que leur ancienneté et leur altération, à travers les agressions que leur fait subir le cinéaste, soient palpables. La manipulation des images, qui crée une texture, les rend plus tactiles. Elles sont pour ainsi dire (visuellement) caressées. L’insistance à dévoiler le caractère palpable de la matière argentique se retrouve chez les vidéastes, lorsque, aux moyens de surimpressions et de ralentis, ils redonnent une épaisseur à l’image, qui n’est plus une fine pellicule, mais devient peau.

Qu’ils utilisent la vidéo ou le dvd, les cinéastes en reviennent toujours à privilégier l’aspect matériel du film ; ils cherchent à le rendre tangible pour les spectateurs. Même lorsqu’ils prélèvent des images virtuelles, ils cherchent à faire passer une sensation de texture, ils ne se satisfont pas de l’aspect lisse des nouvelles images. Ils apprécient avant tout la matérialité de la pellicule, les effets esthétiques que produit seule le vieillissement du support. Il semble donc bien nécessaire aujourd’hui de préserver les images animées, autant qu’il est nécessaire de favoriser leur accessibilité. Les archives, les banques de données appartiennent souvent à des institutions dont la gestion se révèle très lourde, mais elles sont un mal nécessaire : elles permettent la sauvegarde et la conservation dans les conditions optimales et agissent comme une mémoire qui devient vive à condition qu’elle fasse partager ses trésors.



[1] Voir Isidore Isou, “ Esthétique du cinéma ” et Maurice Lemaître “ Le film est déjà commencé ”, ION numéro spécial sur le cinéma, 1er avril 1952, Paris, éditions André Bonne, 1952.

[2] Parfois le détournement s’effectue sur l’intégralité du film. Joseph Cornell réduit un long-métrage à une vingtaine de minutes dans Rose Hobart (1939) en utilisant des sous-titres. René Vienet reprend les films entiers dans La dialectique peut-elle casser des briques (1974) et Les filles de Kamaré (1974). Ou bien encore Ken Jacobs appose sa signature à un film anonyme (Perfect Film). Pierre Huyghe ainsi que de nombreux artistes contemporains s’emparent intégralement de films qu’ils montrent côte à côte dans leurs différentes versions (Titanic) ou qu’ils étirent jusqu’à 24 heures : 24 Hour Psycho (Douglas Gordon, 1993).

[3] Pour une analyse historique plus détaillée des techniques employées par les cinéastes de found footage voir Jay Leyda, Films beget film, A study of compilation film, Londres, Georges Allen & Unwin Ltd, 1964 ; “ Found Footage Filme aus gefundenem Material ”, Blimp n° 16, Vienne, 1991 ; William Wees, Recycle Images, New York, Anthology Film Archives, 1993 ; Eugeni Bonnet (directeur d’ouvrage), Desmontage : Film, video/apropiacon, reciclaje, Valence, Ivam 1993 ; yann beauvais, “ Plus dure sera la chute ” (1995), reprint in yann beauvais, Poussière d’images, Paris, Paris expérimental, 1998.

[4] À cet égard les films The Situationist Life (1958-67) de Jens Jorgen Thorsen sont des exceptions, qui s’inscrivent dans une tradition provocatrice héritée du lettrisme et du surréalisme.

[5] Pour une présentation de ce film, voir Germano Celant (directeur d’ouvrage), Identité italienne, Paris, Centre Pompidou, 1981

[6] Peter Szendy a magnifiquement décrit cet art du spectateur, dans le domaine musical, dans Un art de l’écoute, Paris, Minuit, 2000.

[7] Comme nous le faisait justement remarquer Isabelle Ribadeau-Dumas, cela s’applique aussi à de nombreux épisodes du cycle Phoenix Tapes (1999) coréalisé avec Christoph Girardet autour des films de Hitchcock.

[8] Sur cette qualité haptique de la vidéo contemporaine, voir Laura U Marks, Touch, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002.

[9] Voir Abigail Child dans William Wees, Recycled Images, op. cit.

[10] L’introduction d’une version livresque du film maintient cette interprétation, à travers la signature “ Jane Austen ”, qui plus tard se manifestera à nouveau dans une vidéo de Keith Sanborn, à propos des notions d’appropriation et de copyright, ce dont le film de Baldwin ne s’était guère soucié. Tribulation 99 Craig Baldwin, New York, ediciones La Calavera, 1991.

[11] Pour une description détaillée de la pratique des deux cinéastes, voir Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi, catalogue du Museo Nazionale del Cinema, Florence, Hopefulmonster editore, 1992.

[12] Negativland est un collectif de musiciens qui a questionné la notion de l’usage respectueux du recyclage. Leur combat s’est illustré lors de leur emprunt d’une chanson de U2. Voir site :www.negativland.com

[13] Cette bande est la dixième de la série The Hundred Videos de Steve Reinke, voir le catalogue du même nom édité par Philip Monk Power Plant, Toronto, 1997.

Des constructions (Fr)

Film Appreciation Journal n° 123, April June, Taipei, 2005

Le cinéma ne se cantonne pas au seul enregistrement de la réalité. Y parvient-il jamais d’ailleurs ? Il manifeste toujours une prise position quant à la réalité filmée autant par ses cadrages, que par la dynamique de son enregistrement et du montage et donc lors de sa restitution à la projection. Avec le cinéma, il est toujours question de prélèvements et de manipulations et de traitement. Bien souvent, les choix de prises de vues, le montage et les outils à partir desquels ils sont effectués et dont la maîtrise confirme la discrète mainmise en façonnant l’usage sont totalement évincés. Écartés, ces choix pour les moins cadrés, sont quasiment invisibles lors de la projection du film. Le spectacle cinématographique se plait à manifester les effets spéciaux à des fins de réalistes et ce quand bien même il ne soit pas toujours question de (science)-fiction.

Il existe à côté de ce cinéma, d’autres pratiques qui métamorphosent l’objet filmé. J’aimerais en indiquer quelques-unes et voir en quoi ces manières d’envisager et de faire du cinéma nous font penser. Ces films sont exemplaires de pratiques très répandues dans le cinéma expérimental et que les outils digitaux ont rendu plus facilement accessible, mais du même coup en change la nature, et il ne s’agit pas que d’un déplacement de support. D’autres pratiques sont spécifiques au médium argentique et manifeste sa matérialité, son al-chimie. Le film projeté semble être la trace figée d’un processus nécessité par les besoins d’une copie. C’est ce que reconnaît Jurgen Reble : « Lorsqu’un film est fixé sur un contretype, il ne m’intéresse plus guère. Il me fait alors l’impression de quelque chose de vide et de mort. »
Font partie de cet ensemble deux types de films, les premiers travaillent la matérialité du support en dissolvant, attaquant le support de la pellicule, les seconds travaillent la transformation de l’image au moyen d’effets optiques, et jouent avec les juxtapositions des plans afin de constituer des images composées.

Quelques éclats de lumières déposés au bord de notre regard.
C’est l’aspect matériel de la pellicule qui prédomine. Le grain, les mouvements qui l’agitent, les traces et les matières qui estompent brouillent ou recouvrent la chose filmée font surgir d’autres matières : des textures inouïes qui assimilent la pellicule à la peau. On trouve cette équivalence depuis longtemps chez les cinéastes, mais c’est avec Fuses (1965) de Carolee Schneemann que le rapport entre les deux c’est le plus clairement révélé. En effet, ce film nous propose la vision de rapports sexuels entre un homme et une femme et qui travaille visuellement la sensualité des rapports. Le grain de la peau, la couleur se superpose en un collage si dense qu’il cache et révèle des fragments de corps se désirant et baisant. Les couleurs, les textures, les plans participent de cette volonté de faire du film un équivalent des sensations de dissolutions produit par le plaisir sexuel. Les rayures, les collures abruptes, les éclats d’images, les taches de peintures les surimpressions, tout est en place pour célébrer le désir d’une femme qui affirme ses désirs et ses plaisirs.Les éclats visuels, les recouvrements avec des encres colorées évoquent Stan Brakhage ainsi que les dominantes rosées rouges, mais ici, le désir suinte à chaque image. L’isolation d’éléments du corps préfigurent le travail des années 80 de Caroline Avery. Ce film comme certains de Stan Brakhage de la même époque se situe à l’intersection des champs examinés dans cet article. C’est le caractère de transformation secondaire qui permet au sens de se réaliser pleinement, dans la mesure ou les ajouts et les retraits de matière sur la pellicule modifient l’aspect photographique des scènes, caresses, sourire, pipe, et font surgir d’autres éléments visuels qui créer ainsi une autre dynamique visuelle dans la perception des scènes initiales.
Ce film se dégage progressivement du point de vue masculin quant au désir sexuel, puisqu’il propose la vision d’une femme, réalisée par une femme, mais aussi des travaux d’animation directe dans la mesure où il mêle plusieurs techniques simultanément, renouvelant ainsi notre perception du cinématographique. Avec Carolee Schneemann, la question de la sexualité surgit non seulement comme revendication féministe avant l’heure, mais, elle souligne une particularité de l’usage du film qui est avant tout, pour elle, un support matériel. Un support manuel ; on la manie, on la triture, défigure, transforme, charcute…Le support devient alors objet d’expressivité, la violence ou la tendresse du geste se retrouvent dans les zébrures, coulages qui tatouent l’émulsion. En ce sens on peut parler d’une manifestation corporelle appliquée au film comme c’est le cas chez Lee Kramer et Jackson Pollock en peinture mais aussi chez les actionnistes viennois dont Carolee Schneemann s’écarte par la nature de son propos pré féministe.

Dans cette approche du film comme support vivant on constate que les représentations de la sexualité dominent. Cette approche privilégie souvent le développement artisanal, c’est-à-dire un développement qui évince le polissage industriel au profit de la patte de l’artisan. C’est une fois de plus l’inscription à même le ruban de la main. C’est l’irruption du corps dans un processus duquel il est bien souvent évincé. Dans la pratique industrielle, la mécanisation des tâches instaure la mise à distance des corps en fonction de critères uniquement productifs. Dès lors prendre en charge le développement et le tirage de ses copies c’est affirmer une autre esthétique, mais aussi envisager une autre économie dans laquelle les cinéastes retrouvent, s’ils le souhaitent, la polyvalence des tâches des cinéastes des premiers temps, un temps où la division du travail cinématographique n’avait pas encore inscrit ses diktats comme principe esthétique.
Cette main qui touche ce qui ne devrait l’être selon les arguties du beau et du bien techniques fantasmés, revient d’autant plus dans ces films qui travaillent la sexualité. Partage de l’intimité qui se retrouve dans cette appropriation manuelle qu’est le développement artisanal et que les années 80 quelques cinéastes tel Roger Jacoby dans How to Be a Homosexual Part I, and II (1980-82). Ces travaux font côtoyer l’aspect intime du journal filmé avec la sensualité du développement manuel lequel est proche de toutes les activités quotidiennes lorsqu’il est fait chez soi. On en voit les traces à la projection dans ces craquelures, zébrures pelliculaires dans certains films de Matthias Müller, Jurgen Reble, Nicolas Rey, pour n’en citer que quelques-uns. Ce lien qui unit journaux filmés et films développés à la main est prépondérant à partir du moment ou est privilégié un aspect non professionnel, dans le sens industriel de la pratique cinématographique. C’est le film fait chez soi, mai aussi développé chez soi, en dehors de tout circuit commercial ou alternatif qui est ici privilégié, comme le revendique Paolo Gioli en Italie, ou Juni’chi Okuyama au Japon…

Cet artisanat n’empêche aucunement la maîtrise de ces outils. C’est ce que l’on peut voir de manière éblouissante dans tous les films de Jurgen Reble, qu’il s’agisse de Passion (1989-90), Das Goldene Tor (1992). Les travaux de Jurgen Reble font appel à une étude approfondie des particularismes de l’émulsion et principalement aux phénomènes d’altérations qu’ils soient mécaniques, naturels ou chimiques, et à la manipulation du développement et des virages. Travail sur la couleur, travail de la forme, donner au temps le temps d’accomplir à même l’émulsion son travail de transformation en ne rinçant pas les produits chimiques des pellicules traitées afin d’accélérer les processus de leurs dissolutions dans l’émulsion même. Ces couches chimiques colorées sont à leur tour transformées en de puissantes explosions chromatiques. Le film, son expérience devient alors le journal des transformations successives du projet initial. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre les performances que Jurgen Reble réalise avec Thomas Köner et principalement Alchemy (1992). Dans cette performance, un film de près d’une minute de long, mis en boucle dans l’espace est développé en directe ; en fait révélé. Cette bande est transformée mécaniquement et chimiquement selon des actions du cinéaste pendant la durée de la performance. On passe d’images latentes à des images dévoilées qui et qui vont ensuite s’abîmer dans un foisonnement de particules élémentaires qui s’autonomise et devient l’objet de la performance. La destruction chimique s’accélère jusqu’à ce que la dissolution soit telle, que la pellicule s’enflamme et du même coup clôt la performance par sa consomption. C’est la fragilité du matériau qui est mis en relief, comme le démontre Paul Sharits dans ses films avec brûlures dont 3rd Degree (1982), mais aussi la fugacité des effets, sa transformation constante qui intéresse le cinéaste. Le film inscrit un passage c’est en cela que le cinéaste préfère ne pas le fixer, il est en devenir constant jusqu’à son annihilation. Le geste inscrit sur l’émulsion vient parasiter l’enregistrer tout en donnant vie à la matière même. L’inanimé cinématographique, quand bien même on le désigne comme art du mouvement, prend un nouveau souffle. On passe de l’image fantôme au fantôme de l’image. L’image est à nouveau habitée à chaque performance de Jurgen Reble.
Dans ses derniers travaux, la couleur s’impose, une véritable pyrotechnie se met en place et permet de relier ces travaux sur la chimie aux travaux de coloristes de nombreux cinéastes qui œuvrent à partir de la richesse et l’intensité des tons des films en décomposition.

Ainsi quelques travaux de Cécile Fontaine, Peggy Ahwesh ou Frédéric Charpentier évoquent la puissance de ces polychromies qui viennent manger la figuration des films de « found footage » qu’ils utilisent. C’est le journal intime, les films de famille qui sont travaillés par Cécile Fontaine dans Home Movie (1988), et secondairement dans Stories (1989) et Histoires parallèles (1990). Chacun de ces films recourt à des techniques de décollages de l’émulsion ou à des dissolutions de sa matière au moyen de produits domestiques que la cinéaste applique sur le film en le brossant par exemple. Cécile Fontaine privilégie les produits de consommation courante, mettant ainsi en cause l’un dogme techniciste qu’on retrouve chez certains cinéastes. Elle partage en ceci, avec Tony Conrad dans ses expériences de Pickel Films (1972), cette capacité à désacraliser la maîtrise de technique qui parfois se substitue au projet cinématographique. Elle remet en cause, au nom du quotidien et d’un rapport direct avec le faire cette séparation, cette spécialisation et cette hiérarchisation à l’œuvre dans le monde du travail et qui se retrouve aussi dans le monde de l’art.
De leur côté Mahine Rouhi et Olivier Fouchard avec Tahouse (2002) mettent au service d’une errance dans les montagnes du Vercors une méditation sur le quotidien qui s’échappe dans la fulgurance des textures et des brumes de couleur qui se mêlent en couches successives au brouillard envahissant le paysage montagnard. On est ici comme c’était déjà le cas avec Didam (1999-2000) dans une iconographie proche du cinéma expressionniste qui aurait pour motif la montagne et comme catalyseur, la rêverie et l’égarement. Les grains et les textures façonnent la montagne, comme si le tourbillonnement du vent s’engouffrait dans l’émulsion.

Lorsque Peggy Ahwesh dans The Color of Love (1994), où Frédéric Charpentier avec The Dog Star Man has a Too Big Flaming Cock for The Sheba Queen (1991) travaillent avec des films en décompositions sur lesquels ils appliquent des encres de couleur qui occultent partiellement des pans d’images, ils ne le font pas sur des films de familles mais sur des films pornographiques. L’un et l’autre recourent à ces films en regard de l’époque qui ostracisent la pornographie. Pour les deux cinéastes comme pour Luther Price , recourir à des images pornographiques en tout en les désagençant de leurs fonctionnements habituels, en épinglant le voyeurisme des projets, en organisant une attente tout en la frustrant : la grande queue dans le film de Charpentier, le sadisme du film trouvé dans le cas de Peggy Ahwesh, etc. toutes ses stratégies visent à résister dans les années 90 au retour d’un moraliste triomphant à l’époque du sida. Les détériorations chimiques rivalisent avec les scènes filmées, ce qui n’est pas le cas avec Reble. Nous sommes en présence de deux attitudes distinctes. Chez Charpentier, Ahwesh, le recours à ces transformations est ponctuel, il ne relève pas d’une alchimie mais plutôt d’une catégorie d’impression sensorielle qui permet d’articuler dans ces films deux strates du sensibles. On n’est pas comme chez Stan Brakhage ou Jurgen Reble dans l’affirmation d’une vision intérieure. On est en présence d’effets optiques particuliers qui rivalisent avec l’enregistré et dans ce cas des images de sexe explicite, retour d’une technique qui vampirise des champs cinématographiques dont l’usage est avant conscrit à l’espace privé. Cette extériorisation de l’intimité au grand jour est simultanément trafiquée afin de déjouer les principes mêmes de la consommation pornographique .

D’autres cinéastes encore travaillent la décomposition, mais, à la différence des précédents, ils ne la provoquent pas, ils la recueillent. Sont exemplaires de ce traitement Lyrisch Nitraat (1990) de Peter Delpeut, Decasia (2002) de Bill Morrison, ou même certains travaux de Ichiro Sueoka. Ces films sont des films de compilations d’archives et partagent avec le travail photographique d’Eric Rondepierre une fascination pour l’image dévorée par ce qui la compose. Comme si les éléments chimiques prennent enfin possession de la matière non plus en la qualifiant selon tels ou tels objets, figures reconnaissables mais comme matière organique en constante évolution et dont la disparition est l’aboutissement. Ces cinéastes autant que Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi travaillent des corpus d’archives qu’ils transforment plus ou moins selon leur parti pris esthétiques. Une constante se retrouve dans ces films ; ce qui les distingue d’autres c’est la fascination exercée par les documents trouvés, récupérés, retravaillés, remis en circulation. Le travail du film consiste alors à organiser un vaste ensemble de documents selon des catégories qui tiennent autant à la nature des documents filmiques qu’au désir d’établir un catalogue et des collections. Les films de Peter Delpeut et Bill Morrison partent de prémices similaires, mais s’orientent dans des directions différentes. La fascination pour le matériau découvert et projeté au plus proche de l’état dans lequel il a été trouvé est essentielle pour les deux cinéastes. L’un est l’autre privilégie les moments de dissolutions progressives de l’image référent au profit des traces, champignons, boursouflures, éclatements, décollages, accidents qui viennent la tronquer. Cet envahissement progressif de la matière pelliculaire est l’objet du film et s’exerce avant tout sur des films anciens ce qui renforce un aspect nostalgique important de ces films. Ces deux films sont des méditations sur la nature du film comme support transitoire. Avec Lyrisch Nitraat des extraits de films restaurés de la collection Jean Desmet qui irriguent son projet, alors qu’avec Decasia, les films utilisés ne seront sans doute pas préservés ; il s’agit quasiment de rebuts qui par leur état, leur texture ont attiré le cinéaste . Les films dont ils se nourrissent, sont des films nitrates c’est-à-dire des films dont la matière organique est sensible à la lumière. Ces supports très fragiles peu stable au bout d’un temps donnent jour à des motifs splendides de décomposition. Pour reprendre les termes d’André Habid « les histoires sont ruinées par la gangrène du film ». Cette gangrène, ce cancer de la pellicule est à la fois ce qui l’abolit mais au même moment précipite l’éclosion d’une mortelle beauté.

J’aimerais parlé d’une autre manière d’envisager cette alchimie à partir de la transformation de la matière et qui insiste sur les traitements et retraitement de l’émulsion afin de modifier totalement l’objet filmé, qu’il a été filmé par le cinéaste ou qu’il soit détourné. Je ne prendrais que deux exemples parmi beaucoup d’autres ; il s’agit de De Profundis (1997) de Lawrence Brose, et de L’invitation au voyage (2003) de Rose Lowder et Carl Brown.
Ces deux films s’opposent par leurs sujets, l’un travaillant sur la représentation d’un paysage dans le port de Sète, les séquences qui le constituent ayant été tourné par Rose Lowder dans un endroit au bord de la Méditerranée qu’elle affectionne et qu’elle a filmé plusieurs fois, et le traitement chimique est le fait du cinéaste canadien Carl Brown. Le film de Larry Brose propose une investigation sur la masculinité, le « queer », l’histoire et la sexualité à partir de home movies des années 20, et des séquences de quelques premiers films porno homo ainsi que des séquences autour d’une réunion des Radical Fairies. Les deux films explorent une palette d’effets visuels étonnants à partir d’un traitement artisanal du développement et du virage.
Si L’invitation au voyage se réfère au film due Germaine Dulac , il n’en emprunte que le titre dans la mesure ou le poème qui avait servi de prétexte à la cinéaste est ici remplacé par un autre voyage, qui est un voyage dans des paysages chromatiques desquels émergent sporadiquement des plans de chalutiers, et de pêcheurs déchargeant des navires. Le travail de brouillage chromatique de Carl Brown confère aux plans initiaux une instabilité qui les libère parfois de leur apesanteur et induit parfois des décollages et des glissements de matière qui flotte et recouvre partiellement les bateaux. Le son envahit l’espace au point qu’il brouille parfois la perception du visuel.
En revanche dans le De Profundis de Larry Brose, le son et l’image sont articulés selon une fragmentation et un éclatement polyphoniques semble plus fréquemment dialoguer. Le travail visuel, la richesse des textures, les transparences confèrent au film une dimension de vitraux que l’on ne retrouvait jusqu’alors que dans les films peint directement sur la pellicule qu’ils s’agissent de ceux de Stan Brakhage, Marcelle Thirache ou Emmanuel Lefrant. Cette qualité, ce ressac de la couleur caresse les corps autant que nous arrivons à les percevoir. À la différence des décompositions que nous évoquions plus haut, le travail d’abrasion des particularités des documents filmé produit une élégie à ces corps masculins. Lawrence Brose orchestre la couleur comme le fait un musicien des sons. Le travail des tirages, des refilmages et des virages métamorphoses l’objet initial et lui attribue une dimension qu’il n’avait pas à l’origine. Retrouvant la maîtrise des cinéastes directs il rend à la lumière la densité et la force le texte du De Profundis d’Oscar Wilde.

J’aimerais souligné que ces quelques films bien qu’exemplaires ne sont qu’une infime partie des travaux qui métamorphosent chimiquement les documents filmés ou trouvés. Il faudrait pouvoir envisager le rapport que ces films entretiennent avec les films directs, mais aussi avec les films réalisés à la tireuse optique et qui propose d’autre façonnage et métamorphose de l’image selon des relations plus graphiques que chimiques. On constate cependant que l’inflation de cette alchimie cinématographique est une réponse militante, en tout cas une position de résistance au tout numérique. Mais au moment où elle s’effectue elle reproduit à sa manière le déplacement que le traitement numérique et les jeux vidéos ont apporté à la manière dont nous envisageons le montage, est qui privilégie, le flux à la coupe.

CUT

Introdução, Mão dupla (Fr)

Mão Dupla escola de artes visuais do Parque Lage, Rio de Janeiro, 2005

L’utilisation de la photo et de la vidéo s’est répandue à tel point qu’il est quasiment impossible pour un artiste aujourd’hui d’envisager un quelconque travail sans recourir à ces outils, qu’il s’agisse de produire des pièces originales, ce qui est rare, ou de documenter une œuvre, une performance, un évènement. La photo et la vidéo se substituent alors à l’œuvre et témoignent ainsi d’une activité éphémère passée dont elles manifestent chacune à sa manière une trace.
L’apparente démocratisation dans l’accessibilité des outils informatiques, la simplicité de leurs usages laisse présager des possibilités inouïes ; tout ceci semble promettre à chaque usager un devenir artistique en puissance.
Le recours à la photo, à la vidéo, ne procède pas des mêmes motivations, mais leurs usages relèvent souvent de démarches similaires qui abolissent l’idée du professionnalisme que véhicule l’industrie (dont la marque se retrouvait dans la division du travail) et la pratique académique de l’art (qui revendiquait un savoir faire unique et le culte du beau) autant qu’elle manifeste une appropriation démocratique des moyens de communication. Si tout est possible alors tout serait permis et rien ne s’oppose à cette fringale dévorante de tout enregistrer, de tout photographier d’une manière ou d’une autre. La photo devient un moment du film et non l’inverse.
Mais la nature des documents diffère en fonction de l’objet filmé. D’aucuns interrogent les postures, les attitudes, les comportements par prélèvement dans une réalité plus ou moins proche de l’artiste. Ainsi : le travail sur les activités quotidiennes. Pour d’autres c’est avant tout l’enregistrement spontané d’une action qui justifie la désinvolture du montage. Dans les deux cas , l’acte prépondérant est la capture, comme le font nombre de cinéastes expérimentaux des années 60 et 70, le montage devenant secondaire sauf si pour renforcer l’idée de l’accumulation proche qui elle est proche de la collection. Rares sont les artistes pour lesquels l’immédiateté de la prise entraîne une mise à disposition sur le champ de l’enregistré faisant du visionnement public un moment constitutif de l’enregistré. Faire de la diffusion instantanée un moment du partage, un catalyseur de l’échange comme le sont les films de famille en d’autres occasions. L’expérience de l’art de dissolvant dans la vie.
Les travaux sélectionnés pour cette exposition indépendamment de leur qualité intrinsèque participent de ce champ réflexif. Par leur annexion dans une exposition, ils ne peuvent échapper aux questions relevant de la mise en espace d’une image, de la nécessité d’une telle monstration dans des lieux quasi public (école, galerie, musée), de la pertinence de l’accrochage … Quel type de partage est en jeu dans l’exposition ? Que nous donne à vivre telles photos et vidéos ? Comment s’articule la nécessité du faire avec celle du montrer ?

yann beauvais

C’est toujours du cinéma (Fr)

in Catalogue, Taipei Golden Horse Film Festival, 2005

C’est toujours du cinéma

Écrire sur le cinéma expérimental aujourd’hui, c’est reconnaître, que cette pratique cinématographique est souvent séparée de son médium d’origine  à savoir : le support argentique. La production de films ne se cantonne plus à ce support, elle s’actualise selon une combinaison de médium qui va de la vidéo à la pellicule, en passant par le numérique sous quelques formes que ce soit.

Faire du cinéma aujourd’hui c’est, comme le remarque Gene Youngblood1, le distinguer de son médium, comme nous distinguons la musique d’un instrument particulier. Il y a cinéma à partir du moment ou est organisé dans le temps un flot d’évènements audiovisuels. Entendue ainsi la pratique cinématographique expérimentale entretient des rapports complexes avec le numérique.

J’aimerais indiquer dans ce texte quelques-unes de ces relations. En quoi les usages du cinéma expérimental tendent à dépasser le cadre de la linéarité du dispositif afin d’instaurer des alternatives au régime narratif dominant, et travaillent selon des modalités plus ou moins proches de celles de l’art numérique. En quoi l’apparition des nouveaux instruments a modifié la manière dont on fait et pense aujourd’hui le cinéma et ce, à partir, de quelques propositions contemporaines.

Le cinéma expérimental interroge en priorité la séquentialité de la forme narrative en privilégiant d’autres modes de composition et d’informations des images et des sons dans le temps. Cet intérêt pour le façonnage d’autres formes de visions l’a souvent conduit à s’inscrire en porte-à-faux avec le cinéma de divertissement qui privilégie le développement de formes narratives stables. Les cinéastes expérimentaux ont investi de leur côté, un vaste champ de possibles qui travaillent à élaborer d’autres visions, on parlera souvent à son sujet de cinéma visionnaire2, autant qu’ils renouvellent tout en la déplaçant l’expérience du cinéma dans sa réception ce que l’on appréhende dans le cinéma élargi3.

Le cinéma expérimental contemporain n’a pas le privilège de la nouveauté, il est une forme cinématographique plus valorisée qu’auparavant. On l’étudie, on l’expose. Il est devenu une catégorie du cinéma comme d’autres. Il n’est plus un cinéma de résistance, une alternative aux images dominantes, il est devenu un genre. En ce sens le désigner comme différent et du même coup le marginaliser était de mise antérieurement, aujourd’hui c’est un critère électif. L’expérimental est devenu un attribut fortement valorisé, il est le garant d’une distinction. Distinction à la fois des formes, mais aussi des outils qui le manifeste. Nombreux sont les cinéastes expérimentaux qui travaillant toutes les étapes de fabrication du film en explorent les possibilités et transforment ainsi la perception que l’on a du film.

Dès lors on comprend combien l’attribut expérimental est valeur recherchée au cinéma. Il signe le film en désignant son appartenance au champ de l’art.

Cette signature se comprend différemment pour les cinéastes eux-mêmes qui élaborent de nouveaux outils de films en films et qui recourent à certains processus en fonction des outils qu’ils utilisent. C’est ici que l’on trouve des ponts entre le cinéma et les pratiques numériques. En effet, si l’on s’en tient à une approche matérialiste, on reconnaîtra que les outils de production conditionnent en grande partie l’esthétique de la production. On doit à Malcolm LeGrice et à Peter Gidal4 la réactualisation de ces pensées dans le champ du cinéma expérimental de la fin des années 60. On voit ainsi l’importance de la tireuse optique pour le cinéma matérialiste britannique de ces années, qui interroge les conditions de représentation par l’examen et le traitement des séquences au moyen de cet outil. Quelques films5 préfigurent, dans leur usage de found footage, des esthétiques du recyclage contemporain, mais ils s’en distinguent autant dans l’analyse que dans l’usage qu’ils font des documents appropriés ou détournés. On repère de même manière, les transformations qu’a apportées le montage Avid. Une efficacité dans la coupe et une efficience dans la pulsation audiovisuelle dont les « clips » ont été les premiers bénéficiaires avant que les cinéastes expérimentaux s’en emparent (Henri Hills, John Smith). Ainsi le cinéma expérimental privilégie d’une part une étude de ses outils autant qu’il peut répudier toute incursion dans le domaine de la technologie afin de revendiquer une approche « low tech » qui sied parfaitement à ce médium presque désuet qu’est devenu l’émulsion argentique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre cette résistance à la technique comme on le voit dans d’autres domaines des arts plastiques. Cette attitude est prisée par des cinéastes travaillant le journal filmé ou des projets autobiographiques ainsi que des portraits filmés.

Si la tireuse optique a été prépondérante dans le façonnage d’une cinématographie analytique défendue par les cinéastes britanniques ou allemands des années 70 ; elle a trouvé pour les cinéastes des générations suivantes, une nouvelle pertinence, dans la mesure ou son usage permet d’éviter une partie des coûts des effets optiques et diminue les frais de tirage des copies. La tireuse optique facilite le contrôle et la manipulation des images du film comme d’autres artistes le font avec leur médium, comme on peut le voir aussi dans les films de Takashi Ito. À partir des années 80; ce n’est pas tant la question du détournement et de l’analyse des séquences qui importent que leurs recyclages en fonction d’un travail sur les textures et les matières comme on le constate chez Jurgen Reble, Mathias Müller, Mike Hoolboom, Olivier Fouchard ou Mahine Roudi. Les cinéastes privilégient les spécificités et les traitements qui s’appliquent aux émulsions et qui font toute la spécificité du film : ce qui le différentie d’autres supports et principalement des palettes d’effets disponibles des logiciels tel Adobe Photoshop, After Effect, ou Final-Cut…6 L’aléatoires des effets sur la pellicule comme l’abrasion des images, les rayures ou les convulsions granulaires sont ici induites sans pour autant en contrôler totalement les résultats. Ces processus de transformations de la matière sont partis intégrants du travail du film, elles ont été pendant longtemps écarter au profit d’autres composants du support, mais elles sont redevenues7, à partir des années 80, un territoire fortement investit par des générations successives de cinéastes super 8 et 16mm, qui ont su arpenter de nouveaux chemins. Ainsi Mathias Müller dans plusieurs de ses films dissout les éléments qu’il s’approprie afin de les fondre dans une nouvelle œuvre8 (Sleepy Haven, The Memo Book, ou les plus récents films réalisés avec Christoph Girardet tel Mirror ou Beacon participent chacun à leur manière de cette même stratégie. Mirror travaille le format, le scope en recourrant à un subterfuge, deux images dv côte à côte la constitue). Peu de cinéastes ont continué leur recherche, de manière innovante en changeant de support. Deux figurent dominent Jurgen Reble et Mike Hoolboom qui chacun à leur manière ont réussi à transférer une approche de la matière image du pelliculaire au numérique. Si dans le cas de Mike Hoolboom le passage au numérique attise la vivacité et la précision du montage en introduisant des effets de glissements d’une séquence à l’autre, dans le cas de Jurgen Reble c’est le développement de processus qui mixe les effets numériques avec les effets des émulsions après leur mélange qui prolongent l’usage du cinéma en le renouvelant. À cet égard Yamonote Light Blast est un magnifique prolongement de Chicago qu’il avait réalisé dix ans auparavant.

Dans ce film, le travail sur les textures se combine au mouvement du métro, ainsi les lignes de fuite pixellisées autant que les rails du train à Tokyo tissent une trame visuelle à laquelle on ne peut assigner de source, à partir de quels moments en effets les textures émulsives se dissolvent dans les pixels. La cristallisation de l’émulsion, son écaillement syncope le flux constant du déplacement et du même coup, inscrit à la manière des glissements et des rotations une fluidité par-delà les accidents. Bien que s’inscrivant dans une économie chromatique (puisqu’en noir et blanc) on retrouve cette fluidité du parcours qui s’oppose au montage cinématographique traditionnel, que l’on pressentait dans le film de Nicolas Rey Terminus for you et que l’on retrouve dans l’Arbre Tahouse ou Didam d’Olivier Fouchard et Mahine Roudi. La plupart des films «alchimiques»9 participent tous d’une esthétique de la dissolution, comme si la représentation cinématographique ne pouvait se donner qu’à partir du moment où elle s’abîme dans la matière. On peut regrouper nombre de films expérimentaux des années 80 et 90 dans cette catégorie. Ce travail se caractérise par une approche qui investit des longueurs de photogrammes et non plus des photogrammes. Cependant ces bandes ne correspondent pas aux plans ou aux séquences du cinéma narratif, mais à des blocs que la-la cinéaste transforme, manipule comme le font chacune à leur manière Cécile Fontaine, Frédérique Devaux et d’autres cinéastes10 qui combinent l’appropriation des found footages avec un traitement abrasif du support, qu’ils s’agissent d’interventions graphiques, picturales ou chimiques. Le spectacle cinématographique, ou ce qui en demeure est celui de sa disparition, de son devenir fantomatique, presque le mirage d’une image, la dissolution de l’image mimétique au profit de sa matière même. On peut alors se demander s’il s’agit d’une destitution de l’image représentative : figurative, au profit de constituants abstraits dans le surgissement de motifs dus à la chimie du support? En ce sens ces «alchimistes» partagent, selon des stratégies alternatives, l’une des préoccupations des cinéastes pour lesquels il n’est plus nécessaire de fabriquer de nouvelles images, mais plutôt, de travailler avec celles qui nous entourent, qui nous habitent, qui nous tiraillent, qui nous fascinent. Cette compréhension du film aujourd’hui, dépasse le clivage des supports en se manifestant dans tous les champs du cinéma tel que nous l’avons défini plus haut. Le travail du cinéaste privilégie alors la recherche des matériaux en recourant à des archives, véritables bases de données11 à partir desquelles une fois les sélections effectuées un travail de réappropriation s’opère selon des agencements et des combinaisons, des recombinaisons, des variations (dont on peut voir la trace chez Wayne Yung par exemple), qui ravivent la dimension musicale autant qu’ils affirment l’existence d’un méta cinéma pour lequel l’appropriation, le plagiat, la copie, le détournement jouent un rôle essentiel12. Le film de found footage est devenu depuis deux décennies, un genre à part entière. Pour l’un des champions de la cinématographie métrique, la cueillette de matériau est devenue aujourd’hui un enjeu important. Le found footage ne s’est pas limité au seul support analogique, mais trouve de nombreux emplois et prolongements avec la vidéo numérique, ainsi que dans le net art et chez les vj, pour lesquels les samplers et autres effets applicables en direct sont monnaie courante lors des performances. Le traitement n’est plus différé, c’est le mixage en directe qui devient l’objet de la performance. Cette opération occultée dans le cinéma traditionnel est devenu le contenu de performances qui travaillent l’improvisation. On en trouve la marque dans les performances des groupes de cinéaste expérimentaux13, : Métamkine, Schmelzdahin, Noemino, Silt…, pour lesquels les émulsions ou les dispositifs de projection sont manipulés. Dans ces performances ce sont les variations, les recombinaisons des séquences, leurs transformations graduelles ou rapides qui sont au cœur de l’action proposée. Les interventions des VJ représentant une extension et une radicalisation de quelques-uns des principes de ces performances.

Dans ce contexte, le recours aux boucles est prépondérant dans la mesure où il permet de créer des modifications à partir d’un corpus défini et dont maîtrise facilement les transformations. L’accès aux instruments numériques facilitera ces possibilités tout en modifiant profondément le rendu. L’usage des boucles avaient été une stratégie utilisée par le cinéma structurel14 afin de questionner la nature du support même, comme on le voit à l’œuvre chez Paul Sharits, Tony Conrad ou Andy Warhol. À la même époque, la musique répétitive faisait grand usage des boucles. En effet comme on le fait en musique, on pourra déterminer s’il s’agit d’une animation Flash, d’un traitement Photoshop etc. Le polissage via les logiciels s’effectue en fonction des modes graphiques successives qui habitent, ou plus précisément habille le champ visuel d’une époque. Pourquoi le cinéma expérimental échapperait-il aux modes graphiques de son époque ?

Le travail avec les boucles s’est remarquablement illustré dans les travaux de Martin Arnold et Peter Tscherkassky qui, tous deux ont travaillé à partir de séquences de films hollywoodiens recyclés. L’usage de la répétition est une stratégie qui a fréquemment usité au cinéma. Que l’on songe à la lavandière de Ballet Mécanique, ou bien au dormeur de Sleep, mais l’un des usages contemporains de ces boucles répétitives, induit un effet comique comme on le voit parfois à l’œuvre chez Raphaël Ortiz, Martin Arnold, ou Keith Sanborn.

C’est l’ordinateur qui a permis à Martin Arnold de travailler autant la bande son que l’image dans son dernier film, ce qui n’était pas le cas avec Pièce Touchée. En effet avec Alone, Life Andy Hardy le montage a été réalisé sur l’ordinateur. Le recours à l’ordinateur facilite le travail du cinéaste puisqu’il lui permet de faire de nombreux essais et de voir les résultats des permutations choisies15. De son côté Peter, Tscherkassky expose les possibilités du support analogique même. Ainsi dans Dreamwork, le recours à un faisceau laser sur des photogrammes afin d’impressionner la pellicule vierge. Ce qui intéresse le cinéaste c’est de manipuler et de produire un cinéma qui ne pourrait pas être réalisé au moyen d’autres supports car, avec l’ordinateur, on peut seulement imiter l’imprécision16, alors que dans ce film, c’est le balayage manuel imprécis du faisceau qui révèle des parties d’images et se conjugue aléatoirement avec l’action du film. Le cinéaste renouvelle le rayogramme17, en l’appliquant à la fois au ruban ainsi qu’à la technique d’impression des parties de celui-ci qui englobe les performations et la bande son.

Cette revendication, à faire des films, qui ne pourrait s’effectuer au moyen d’un autre instrument est importante car elle démontre la vitalité de la pratique tout en affirmant l’appartenance à une communauté. Les films de Rose Lowder, Nathaniel Dorsky, Bernard Shreirner sont effectivement des travaux qui utilisent la plastique et les qualités intrinsèques du médium cinématographique, quant à ses possibilités de capter et restituer la lumière sur les photogrammes, qu’ils soient sérialisés ou non. Ce traitement, cette qualification de la lumière, les densités des couleurs, le rendu projectif sont des conditions essentielles du support. C’est ici que le choix des émulsions est prépondérant dans la mesure ou ces dernières vont conditionner la chose filmée. C’est en ce même sens qu’il faut comprendre l’importance et la qualité des formats utilisés. Pour les cinéastes, le recours à un support vers un autre, entraîne parfois des modifications importantes autant qu’il permet de juxtaposer les formats. Le super 8, aux couleurs acidulées de Yannick Koller avant d’être numérisé, n’est pas le même que celui plus fané du film de Lisl Ponger qui est gonflé en 35mm faisant surgir une rugosité due aux grains des souvenirs. Si pour certains, le passage d’un support à l’autre ne se limite pas seulement à des considérations d’accessibilité et de facilité d’emploi ; il peut être un choix esthétique comme cela l’était pour les films de Derek Jarman. Pour d’autres, c’est la maniabilité d’un support et ses bancs de montage qui conditionnent le traitement d’un support vers un autre, comme on peut le voir par exemple chez Richard Fung, Leslie Thornton, Zhao Liang…

Si d’un côté de nombreux cinéastes ne voient pas l’utilité d’investir d’autres supports, pour d’autres c’est la crainte de la disparition du support analogique qui font qu’il développe les instruments d’une autonomisation de toute la chaîne de production cinématographique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’existence d’un grand nombre de laboratoires alternatifs, qui se sont développés dans le monde. Ce micro milieux est le territoire à partir duquel le cinéma se fabrique et se pense collectivement. Leurs visibilités et utilisations plus fréquentes en font des espaces dans lesquels une esthétisation des procédés chimiques est patente. Ils sont une véritable alternative dans l’économie d’un film et pour lequel le tirage des copies de distribution est un luxe. Tous les films directs, c’est-à-dire ceux qui sont obtenus à partir d’un travail de peinture, de grattage ou de manipulations diverses directement sur le ruban, font face à un tel dilemme vis-à-vis des copies de distribution. Le dernier travail de Stan Brakhage a été fait de cette manière en interrogeant le filtrage de la lumière par la couleur comme le font les vitraux. Mais dans le cas du film, les rythmes et le calibrage de la lumière et de la couleur participent avant tout d’une double temporalité, celle de l’application sur des longueurs de ruban et celle de la diffusion saccadée lors de la projection. Il s’agit de créer ainsi des visions inouïes, produire un monde qui ne peut exister en dehors du cinéma. Nous parlons de cinéma car nous pensons que cette démarche est partagée par de nombreux artistes lorsqu’ils travaillent à partir de la synesthésie, qui fût comme l’un des grands moteurs de l’abstraction picturale mais aussi cinématographique. 18 Faire entendre ce que l’on voit, ou voir ce qu’on entend est une source, un principe de la musique de Ryoji Ikeda, autant qu’elle motive les travaux cinématographiques de Joost Rekveld ou Remi. Remarquons que ces derniers génèrent leurs images au moyen de l’ordinateur avant de les kinescoper sur du 35mm afin d’obtenir un meilleur rendu de l’image projetée. L’usage de l’ordinateur pour générer des images est une pratique répandue au cinéma, dans la mesure ou l’outil permet de contrôler plus facilement les déplacements d’objets. Ainsi la multiplication des propositions textuelles se déploie dans les films et installations réalisés avec ordinateur dont le travail de yann beauvais participe. Les traitements et l’évolution de textes dans l’espace (de l’écran) se réalisent au travers d’algorithmes qui transforment le rapport à la linéarité. Ainsi, un film devient la combinaison figée que détermine le cinéaste. Dès lors, les versions se multiplient19. Cette prolifération interroge ce que nous attendons et ce que nous recevons des images. Pour beaucoup de cinéastes, l’image est toujours cet espace privilégié dont la durée est déterminée par l’auteur. Ainsi le cinéma expérimental est le prolongement déplacé d’un type de contemplation que l’on trouvait dans les beaux-arts. Elle nécessite une attention accrue. Hors cette attention vis-à-vis de l’image s’inscrit en porte-à-faux avec les rapports que nous entretenons avec les images, en effet notre attention est plus distraite. L’image est devenue ambiante. Elle meuble et nous accompagne partout. Dès lors, les cinéastes s’inscrivent contre ces usages et exigent une plus grande attention, en travaillant soit à partir de l’immersion soit à partir d’une interactivité que l’on trouve dans de plusieurs installations et travaux pour ordinateur. Cette interactivité présuppose à la fois une compréhension des enjeux de l’œuvre ou bien une nonchalance qui invite au parcours léger d’un travail. On assiste à un renversement des priorités dans la mesure ou les cinéastes et la plupart des vidéastes travaillent avant tout, les images, ont certaines difficultés à envisager leur dissolution dans l’espace d’une galerie, d’une fenêtre, d’un site…

Edson Barrus envisage le film comme une expérience d’un moment pour lequel la durée du travail est modifiable en fonction des demandes. Il déplace ainsi comme le font de nombreux artistes aujourd’hui la question de l’unité d’une œuvre au profit d’un processus qui questionne notre rapport aux images ainsi que le rapport que la représentation entretient avec la réalité. La nature du document filmé change autant qu’elle est modifiée par Keith Sanborn lorsqu’il détourne un film de propagande de la marine américaine en doublant les plans qui le composent. C’est parce que le rapport aux images et à leurs usages s’est transformé que la projection en salle est devenue une des possibilités pour les cinéastes, qui ne s’y limitent plus20. La plus grande accessibilité des outils numériques, le déplacement d’intérêt pour l’usage des images entraîne des modifications de comportements des cinéastes qui joue avec ces nouveaux supports selon la nature du projet.

On constate que si le cinéma est appelé à disparaître dans sa forme analogique il continuera de réaliser à travers d’autres supports. La qualification des flux d’informations selon des considérations temporelles a trouvé, à travers des médiums successifs, à se manifester de multiples façons. Si le cinéma expérimental a joué un rôle fondamental dans cette histoire c’est qu’il a été l’un des premiers supports a interrogé au sein de sa pratique, les formes de récit qui remettent en cause la linéarité même de ceux-ci, en travaillant d’autres champs et aspects de l’image il a préfiguré bon nombre de traitements dont se nourrit le numérique.

yann beauvais

1 In Cinema and the Code , in Future Cinema, The Cinematic Imagery Film, sous la direction de Jeffrey Shaw et Peter Weibel, Mit Press, 2003

2 C’est P.Adam Sitney dans Visionary Film qui a caractérisé le cinéma expérimental américain des années 40 et 60 de visionnaire dans son ouvrage publié à en 1979

3 Ce concept de cinéma élargi a été étudié par Gene Youngblood, Expanded Cinema. New York, E. P. Dutton, 1970

4 Voir Malcolm LeGrice : Abstract Film and Beyond, Studio Vista NY 1978 et Peter Gidal ; Structural Film Anthology, BFI, Londres 1978, Materialist Films, ed Routledge, NY 1989

5 On pense à Castle I, Yes, No, Maybe, Maybenot, Berlin Horse, Threshold de Malcolm LeGrice, ou même Rohfilm de Birgit et Wilhem Hein.

6 Sur l’esthétique de la sélection dans les médias, voir Lev Manovich : The Language of New Media, Mit Press, 2000

7 Nous parlons de réactualisation, car dans les années 60 chez Stan Brakhage (Dog Star Man en étant la quintessence) ou Carolee Schneemann (Fuses) l’attaque des émulsions était courante, moins graphiques que celles que l’on trouve dans les films lettristes des années 50 tel Le film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître.

8 Voir Matthias Müller : Mes films s’écartent de cette vision des choses, in Monter Sampler, L’échantillonnage généralisé, de yann beauvais et Jean Michel Bouhours, Scratch & Centre Georges Pompidou, Paris 2000

9 Sur le cinéma alchimique voir yann beauvais ; Des constructions, Film Appreciation Journal n° 123, April June, Taipei, 2005

10 On pense entre autres à Phil Solomon, Métamkine, Peter Delpeut, Carl Brown, ou le groupe Stilt, Maria Coburn, Ichiro Sueka.

11 Dans ce sens Creative Commons, ou UBUWED, thing.net sont des sources facilement accessibles.

12 Sur ces questions voir Critical Art Ensemble : Libres enfants du savoir numérique, http://www.critical-art.net

13 Dans la tradition du cinéma élargi, des cinéastes tel Valie Export, William Raban ou yann beauvais, ont joué avec les dispositifs de projections.

14 P.A.Sitney, op citée et David James : Allegories of Cinema: American Film in the Sixties, Princeton: Princeton UP,1989.

15 Interview de Martin Arnold :Le cinéma et le corps : un art du luxe. In Scratch Book ed yann beauvais & Jean-Damien Collin, Paris 1999

16 Voir interview de Peter Tscherkassky par Xavier, paris novembre 2001, www.brdf.net

17 Le rayogramme est une photo produite sans caméra. Des objets sont posés directement sur de la pellicule vierge et éclairée brièvement. Man Ray a recouru à ce procédé au cinéma dans les années 20, après l’avoir découvert.

18 À ce sujet voir les catalogues Son&Lumière centre Georges Pompidou Paris 2004, et Visual Music, Moca, Los Angeles 2005

19 Dans le cas de Tu, sempre de yann beauvais, il existe déjà 5 versions du film pour l’installation.

20 Si l’on s’en tient à la liste des cinéastes montrés, on constate que Edson Barrus, Jurgen Reble, Joost Rekveld, Mathias Muller, Christoph Girardet, Richard Fung, Keith Sanborn, yann beauvais, Leslie Thornton travaillent autant les projections que les installations.

Comme un air, ou le cinéma d’Anna Thew (Fr)

Comme un air, ou le cinéma d’Anna Thew

Envisager la pratique cinématographique d’Anna Thew c’est faire état d’une pratique plurielle. C’est à la fin des années 70 qu’elle investit ce médium à partir d’installations et de performances. A cette époque, le cinéma expérimental britannique est dominé par l’école structurelle matérialiste qui interroge la spécificité du médium et surtout de sa matérialité, que le travail du film en tant que film découle. Cette appréhension du fait que le sens du film dépend de la matérialité plus que des formes de représentations illusionnistes. Ce cinéma pour de nouvelles générations de cinéastes se comprenait comme ascète, formel mais surtout il proposait une approche qui se situait dans la lignée moderniste et était avant tout une affaire d’homme. Ce qui ne veut pas dire que des femmes en étaient exclues loin s’en faut. Mais le réductionnisme des propositions, autant que, l’esthétique déployée affiliait cet usage du cinéma à ce groupe dominant.

Le travail sur, autour de la narration, le travail sur des formes plus linéaires, qui recourraient à l’expressivité, était relativement banni de ce champ. Cependant, c’est des le milieu des années 70, que le féminisme[1] remet en théoriquement en question ce regard et cet usage du cinéma, et favorise en contrepoint  un retour à des formes plus éclatées, propices à d’autres sensibilités et différences.

C’est à cette même époque, que la dame de fer prend le pouvoir en Angleterre et transforme de manière radicale le champ social et politique, qui déclenchent dans le champ des arts et de la culture des contre-feux, des activismes. C’est à partir de contexte qu’il faut appréhender le travail d’Anna Thew.

Plusieurs fils nous permettent d’entrer dans l’univers de la cinéaste, parmi ceux ci on retrouve une affirmation partagée par plusieurs cinéastes de sa génération à savoir l’usage du super 8, c’est à dire un petit format, sans qualité, commun et partagé. Un format qui s’écarte des formats plus installés dans l’industrie autant que dans le cinéma expérimental des années 70. Elle ne se limite pas à ce format, mais celui–ci, est l’outil qui favorise les captures journalières autant que pour la préparation d’étude singulière, qui se déploieront sous la forme de multi-écrans. Le super 8 permet de « collecter des images pour les journaux mais seulement, il peut servir avant tout à la collecte, il permet de regarder de la même manière que le permet le dessin et la peinture, mais à la différence que cela se meut»

« Super 8 lends itself to collecting, diary images, but sometimes it is not diary but gathering, looking, in the same way as though you drew or painted things only this is moving ».

Utiliser ce format c’est affirmer incidemment un aspect pictural du format, les couleurs du kodachrome, le grain mais aussi la maniabilité. Le recours à ce format entraîne chez la cinéaste comme chez bien d’autres (Téo Hernandez, Derek Jarman, Cordelia Swann, pour n’en citer que quelques uns) une affirmation du corps par ses gestes. La capture rapide, les changements de rythme, la pulsation des syncopes se retrouvent dans plusieurs films Shadow Film (1983), Ramblas Idiomas (1987), Tivoli Films (1988), Train Desden Berlin (1994). Remarquons que ces super 8, seront recycler pour devenir d’autres films, mais à la différence de nombres de cinéastes on ne découvrira ces films sources que plus tard, alors que les travaux secondaires dont ils procèdent ont été vue antérieurement.

Cette manière de filmer qui n’en privilégie pas une plus qu’une autre qui affirme les filés, les passages images par images comme les pauses démontrent une grande liberté vis-à-vis de l’outil et inscrit pour la cinéaste la nécessité de saisir de l’instrument à des fins expressives. Étrangement, dans ces films, la cinéaste partage avec Marie Menken cette manière de saisir en guirlandes de photogrammes la beauté évanescente d’un jardin au fil du jour et des saisons (Morning Garden Blackbird 1984), tout comme elle se ressaisit de l’univers du jardin de Tivoli, en un hommage à Kenneth Anger, mais ici ce sont les plans qu’elle fait des fontaines et jardins qui évoquent le film. Ce n’est pas le paysage même, mais sa représentation qui est l’objet privilégié.  Ainsi dans Morning Garden Blackbird, le double écran oppose fréquemment les saisons l’une au-dessus de l’autre autant que les plans d’arbres en fleurs de l’écran supérieur alors que l’écran inférieur nous montre le même jardin selon d’autres angles l’hiver ou à une autre saison. La juxtaposition verticale de deux écrans renvoie non seulement à une fenêtre donnant sur un jardin, mais aussi au format d’une peinture. Elle se distingue des multiples horizontaux que la cinéaste utilise pour Broken Pieces for the co-op (2001), ou Train Pieces, et qui travaillent plus sur les déphasages, la séparation et la jonction afin de constituer ponctuellement une apparente image unique.  Dans Morning Garden Blackbird la représentation doublée qui ne produit jamais une seule image,  l’image défie sans cesse l’unicité, au profit d’une instabilité construite par emboîtements successifs, que le son des oiseaux et du trafic et les cris lointains empêchent de s’effondrer. Le son pose alors l’image dépassant la seule illustration par son intensité.

Cette capacité à faire surgir de nouvelles associations, d’autres scènes à partir de quelques plans ou de quelques voix, semble relever d’un art du collage, qui ne privilégierait pas le rapport matériel entre les choses selon des critères de ressemblance ou d’analogies mais leurs juxtapositions selon des principes qui relèvent plus de la collision et de la collusion, proche en ce sens du cadavre exquis. Ces associations fonctionnent à la manière de ponts entre des rives distinctes du cinéma.

C’est dans ce sens que l’on doit comprendre le jeu avec les langues qui hantent le cinéma d’Anna Thew. Le langage habite le film comme le fait la peinture, mais si la peinture se retrouve dans des effets visuels qui sont en relation avec la surimpression de couches d’éléments divers ( voir LFMC Demolition 2000 ou Broken Pieces) on la retrouve aussi dans des mises en scènes de séquences dans les films plus narratifs , dans leur théâtralisation quand bien même celle ci fonctionne selon des principes brechtiens comme avec Hilda was a Goodlooker 1986,  Eros Erosion 1990, Cling Film 1993).

Le langage sous toutes ces formes est envisagé comme un élément essentiel du cinéma d’Anna Thew qu’il se présente sous la forme de son ou comme signe graphique. Le mot et la langue – mais on devrait parler de langues- contaminent tous les éléments du film. Mais si la langue envahit l’espace du film, elle le fait de manière singulière. Nous ne sommes jamais en présence d’une voix qui emplirait et donnerait à l’image son sens. Rares sont les moments ou une voix domine, hormis avec les interviews de Steve ou la voix de la mère dans Hilda. La voix est toujours plurielle et fonctionne selon une polyphonie classique telle celles des fugues de Jean Sébastien Bach. La voix-off désincarnée, n’est pas le son synchrone du corps que l’on voit, elle est là pour se donner à entendre. Avec Hilda, l’expérience du film, privilégie l’écoute, comme le fait à sa manière Su Friedrich, dans Sink or Swim à travers les récits d’une enfance.   La délivrance fragmentée des récits favorise l’écoute, les images du film sont alors des fragments supplémentaires qui viennent souligner, infirmer ou abonder dans le sens de la voix. Le recours à la théâtralisation des scènes pour illustrant des souvenirs ne souligne pas seulement la distance dans la reconstitution proposée,de plus  elles sont souvent à contretemps. La vision d’un jeune homme en marin n’est pas synchrone avec l’évocation du souvenir lui correspondant. Ce jeu avec les écarts nourrit le film. Ces écarts de la voix et du texte, entre l’énoncé et son référent permettent de faire surgir une sensualité, parfois une volupté que le simple souvenir oral ne faisait qu’indiquer.  Cette distance entre les différents textes, ou entre le mot et sa graphie ou la tonalité de sa profération nous fait goûter aux dissonances et indique un rapport possible avec le multi écran.

Le travail du son se distingue chez Anna Thew par la multiplicité des langues parlées, chantées, écrites. Cette multiplicité met en évidence la singularité de chacune de ces langues, leur scansion, leur dynamique et poétique. Cette rencontre des langues, dans le corps du film, qu’ils s’agissent de l’italien, de l’allemand ou du français interroge du même coup l’insularité de la langue dominante : l’anglais devient une langue parmi d’autres. La cinéaste se dit à travers cette polyphonie, la version originale est par conséquent plurielle, à la manière des musiques et les films à partir desquels elle composent ses œuvres. Chaque film se nourrit des lieux, des villes que la cinéaste parcourt, des souvenirs, des hommes, de ses désirs qu’elle enregistre de manière distincte et qu’elle assemble en des mosaïques qui n’abolissent pas les raccords, rajouts, ou éraflures. Il faut comprendre le film comme un corps, et par conséquent l’entendre comme malléable, se transformant incessamment. Ce renouvellement constant se dévoile dans les films d’Anna Thew dans le recyclage de séquence d’un film à l’autre. Cet usage travaille la notion de motifs autant qu’elle est un élément rythmique qui permet d’envisager ses films comme des poèmes cinématographiques qui à partir d’une expérience individuelle et s’échappent pour s’ouvrir à d’autres chants. En ce sens son travail partage avec celui d’Anne Rees-Mogg, pour lequel elle a une grande admiration[2], cette puissance d’évocation à partir de trois fois rien : une photo de famille, un accord de musique, concrétisant l’expérience du passé par le biais de l’expérience d’une conscience. Ainsi Berlin se voit dans plusieurs films super 8 et multi écrans, mais ce retrouve dans Hilda lors d’une scène de cabaret…

Cette conscience se met en scène comme chez bon nombre de cinéastes du « personnal cinéma ». Mais cette inclusion  renvoie plus certainement aux façonnages identitaires, et par conséquent fait signe par-delà les styles à Maya Deren. Jouer un rôle, mais aussi filmer et exprimer son corps au travers du filmage, sont deux attitudes que privilégie la cinéaste. La nuit, les identités sont moins définies, elles évoluent au fil des expériences, les rôles permettent de déjouer les codes, de s’en amuser, ainsi les scènes de cabaret et d’habillage avec des combinaisons de latex… Avec ces jeux de rôles Anna Thew s’engage au côté des cinéastes qui ont travaillé la question des minorités puis des genres. Ce surgissement de l’expressivité, du désir permet de travailler les inhibitions qui encombrent souvent les représentations sexuelles, surtout lorsqu’on les inscrit dans la contemporanéité du sida. Ainsi Cling Film (1993) travaille sur les inhibitions liées à la transmission hétérosexuelle qui fait qu’il est n’est pas jugé utile de promouvoir une campagne sensuelle du sexe sans risque (safe sex). Ce film s’inscrit dans une lignée de travaux d’activisme pour lesquels l’affirmation et la dénonciation n’écartent jamais la nécessité du plaisir, en coupant cours à tout le fatras moraliste et puritain pour lequel le sexe est chose bannie à la stricte nécessité reproductrice. Ce film  partage avec le « new queer cinéma [3]» cette mise en scène des corps, ce plaisir de filmer des corps désirants. On pense ici autant à certains films de Derek Jarman, Isaac Julian, pour lesquels la scénographie des corps, les références à la peinture manièriste ou à la peinture de genre tient lieu de stratégie afin de contaminer le cinéma avec d’autres propos.  Cling Film propose ainsi une série de vignettes qui tour à tour sont provocantes ou hilarantes (un night clubber qui bande mou à la vue d’une capote)… Des textes viennent se greffer et parasiter parfois les images à la manière de directives détournées. Ainsi au cœur du plaisir, la langue revient par la bande. Mais le plaisir n’est jamais loin, les corps se parent, se mettent en scène pour le plaisir, comme dans Cling Film, Steve Tattoo in the Spring, et Terra  Vernin (1998), mais aussi dans une autre mesure Mario Footage (1999) à partir de séquences refilmées de Mario Montez. Ces films travaillent la question des genres mais surtout la question du désir et de sa mise en scène, la caméra super 8 devient caresse, elle s’attarde sur les corps, tatouage, grain de la peau, pilosité légère…

Le travail du son, autant que le travail de l’image participe avant tout de la notion de collage. Mais on ne pourra parler à proprement parler d’une esthétique de found footage, tout d’abord parce que la majeur partie des films n’en sont pas issues mais aussi parce qu’à la manière de certains diaristes[4]e, Anna Thew recyclent ses propres images, les reconfigurant selon les projets mais aussi selon les présentations. Cette volonté de proposer à chaque fois un nouvel accrochage n’est pas sans rappeler le travail de l’interprète pour lequel chaque concert, performance ne peut se réduire à une stricte répétition. En ce sens une fois encore Anna Thew tente d’introduire et d’inscrire une expressivité du moment, quand bien les objets dont elle se sert se soient évaporés. Le travail du film alors s’inscrit comme un retour nostalgique.



[1] Voir le texte fondateur quant au cinéma narratif de Laura Mulvey : Visual Pleasure and Narrative Cinema paraît dans la revue Screen en 1974

[2] On se souvient de l’article qu’elle écrivit pour le directory of British Film & Video Artists  edited by David Curtis pour l’Arts Council of England, ICA londres 1988

[3] voir le New Queer Cinema confrence at the ICA london 1992,  voir How do I look ed by Bad Object-Choices 1991, et Queer Looks ed by Martha Gever, John Greyson Pratibha Parmar Routledge, NY 1993

[4] Je pense avant tout à Vivian Ostrovsky et à Derek Jarman.

Une interview de Robert Breer (Eng)

1983 et 2004, bilingue in Robert Breer Films, Floats & Panoramas, catalogue de l’exposition du Musée d’Annecy éditions de l’œil, Montreuil 2006

INTERVIEW WITH ROBERT BREER

New York, November 15th, 1983

yann beauvais : How did you come to film? I’ve read what you’ve said about it. You seem to have gone from painting to film and then from film to sculpture and I would like to explore that movement and to understand it, in some ways.

Robert Breer : Well, the first film I made was in 1952 and it’s a brief animated film (called “Form Phases”). Very strange. I did’nt make it in France, I made it in America on a visit back there because my father had a camera which I could use. I had been living in Paris since 1949 and I was a painter at Gallery Denise René, practising neo-plastic orthodoxy that was considered avant-garde at that  time. My interest in film then was marginal. In that neo-plastic period, one made “absolute” paintings. It was “art concret”. So I made about one “absolute” painting every week, and it occurred to me that there was a contradiction in being able to make so many absolutes. So I thought that maybe the interest was, for me, in arriving at the absolute rather than being there. So I thought maybe the process was more interesting than the product.

yb: Is it from the idea of process that you went to films?

RB : Process is a word that become used later and differently and I, of course, didn’t use that word then thinking about it but that was the idea. So I made a Flipbook of small paintings to try to understand how I arrived at making this final painting. I was working in very simple geometric forms, hard edge, conventional, you know more or less conventional neo-plasticism. So, this first Flipbook  then became the basis for a film on my next visit to America, which was that year 52 and yet I didn’t really use those original images. I had to invent my own system because I had no training in  filmmaking at all and certainly none in animation. I only knew that I had to do one frame at a time. I Had to invent the method. I rented a slide projector that would project big slides (3”x4”) that you could draw on and I bought packages of transparencies – I could have made my own actually. Anyhow I cut out forms very carefully in transparent self-adhering cellophane and made images which I then projected onto a screen. With a 16mm camera next to the projector, I then  filmed them one frame at a time. It was an awkward process. Then, I tried some other totally different frame by frame and some continuous shooting with ink in the water and so on. I was then just playing with film for the little while that I had a camera. So those were my first experiments. I, of course, very quickly got interested in film itself as opposed to film as an analytical tool. I got interested in film’s potential for synthesis and continued to make films, borrowing the camera from my father.  He was making three dimensional movies by that time. In the ‘40s he was making home-movies in 3D, with a twin camera which he had invented. As an inventor it was easy for him… and quite natural then for me to try to make films, even without any formal training. I was very suspicious of the books on animation which were too infantile for me to be interested in, except for some of the techniques I guess. Usually I didn’t like to look at them. I wanted to invent my own system anyway.

Yb: From painting to film you were reaching stuff not obvious in painting which is time, which is not really within the painting : time an rhythm.

RB : Well, by 1955 I continued to paint and I began to introduce elements in the paintings which broke with the neo-plastic orthodoxy, because usually what we were working with then were forms which were locked to one another and it was some sort of religious heresy to have a form which floated free. It was considered a weakness in a painting if there was any suggestion of elastic space. Usually, the space had to be very concrete, very tied down to the frame, tied one to another and so forth. In my case, I introduced a floating line, quite deliberately. I don’t pretend that it was great aesthetic breakthrough because in a sense it was going backwards in terms of pure plastic …

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Yb : Was it a bit like some Kandinsky?

RB : It could be Kandinsky with cosmic space suggested and so forth. I, wasn’t interested in doing that. I, of course, didn’t want to repeat Kandinsky. The point was that my films did affect my paintings and finally by 1958 I quit painting altogether. The films went on from painting… from looking like my paintings to suddenly going in various directions and of course, the most radical one was, the little film I did before “recreation” which was very similar to “recreation”, it got destroyed because it was a loop and wore itself out. Anyhow, the principle was there. The earlier “Form Phase” owed something to earlier experimental cinema; Hans Richter and Eggeling in the formal use of space. I must have been influenced by Richter…

Yb: But had you seen those films at that time?

RB : Well, I can’t remember but it’s just too obvious in “Form Phases 4” that by that time I had. By 1954, I must have seen Hans Richter because there are some parts of that which are too similar to be coincidental, but you know that artists often repress their influences. Most real influences are absorbed subconsciously. But I have to acknowledge that and that’s fine because “Rhythmus 21” was an important film for me , it still is I think. Anyhow, there was that influence in those early films, at the time I played with colour mixing, I don’t know about any pre-existing experiments with colour changes from one frame to the next, it doesn’t matter, but I did it in “Form Phase 4” enough so it gave me the basis for speculating on what could happen if I changed form from one frame to the next, I could see that green and red did not make grey as it does on a palette but makes a kind of yellow. It’s common knowledge now that mixing projected light is different from mixing pigment, so I wanted to speculate on what would happen if I changed form radically in the same way since that was purely a rhetorical question. I shot a strip of film very quickly in which every frame was completely different in form and colour. I made this into a loop about ten feet long and projected it continuously.

Yb: That’s before you did “Eyewash”?

RB : Oh yes, “Eyewash” was later but “Recreation”… I don’t know what I called that first loop, somewhere it’s been described as “Image by Image”… All I know is that “Recreation” is very similar to this other film.

Yb:  The question of how you arrived at film, what is the connection exactly?

RB : In 1955, I had a show of paintings in Brussels. I was there for the opening and I showed “Form Phases 4” Jacques Ledoux was the director of the Cinémathèque, he showed the film during my opening. The public was really interested and then later it was shown at the Cinémathèque Royale de Belgique. A critic named Paul Davay, Wrote an introduction to my film and it was shown with Murnau’s “Sunrise”, which was one of my favorite films from way back. And suddenly I realized that my film was being taken rather seriously in the noble tradition of abstract films. It gave me a sense of belonging in a way. Also, having for the first time a public reaction was interesting, a collective reaction in a theatre. I’m sure that it helped stimulate me to make more films. It was encouraging. By that time, my painting was a mixture of American and French conventions and was mostly ignored. There was no reaction to my painting. So the contrast of response to these two different media probably helped push me into film, I also dropped painting because I could see I was going towards a kind of expressionism and yet another orthodoxy.

Yb: So, although without really knowing what was happening with painting in the States, you were doing similar work?

RB : No, I knew what was happening in the States but it was something that was not a first appreciated or acknowledged by my ‘confreres’ or even me. I had seen a Pollock show at Studio Facchetti in ’52 and I visited America that same year to make films, so I saw things. In 1956, at the Student Artist Centre, on Bd. Raspail, I showed paintings and films with the same results as in Brussels and I got hooked on making films.

Yb: Is it at this time that you worked with Fano?

RB :Yes, later it might have been around ’57. I spent time in Shaeffer’s Studio but I never did anything. I was tempted  but then also I felt that I wanted to do everything myself and it would be a more normal process, and it would be more integrated and unified if I did the sound also. By this time, I was beginning to get quite playful with film, I did a little collage film of Pope Pious XII, very sacrilegious film, 30 seconds long, then “Cats”, then after “ Recreation” I made “A man and his Dog Out For Air” which had naturalistic sound, birds…

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Yb: Yes, what is interesting in the film is that the naturalistic drawing appears just at the end of the film. So there is a contradiction between the sound that you hear, the title and what you see until the film ends. So there was a good response in the ‘50s towards those films in France, late ‘50s?

RB : Yes. I showed them, I was with Agnès Varda, together one night at the Palais de Chaillot in a Ciné Club de something and I was attacked, because my stuff was bad for the eyesight, “Recreation” was… I  showed my film at the Ciné Club des PTT, (laugh), very strange, an audience of 500 people. The President of the Post Office Club had seen my films, and he thought that they would be interesting for his audience which was otherwise too bourgeois and too normal, they needed something to provoke them, so he invited me to show my films.

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The audience got very hostile, especially toward “Jamestown Baloos” because Napoleon is made fun of ; a man got up in the audience and said : “donnez l’appareil à quelqu’un de Charenton, il peut faire la même chose”, that my films were a product of a sick person and someone else asked me : “dis donc Monsieur Breer, il parait que vous n’avez pas un grand amour pour Napoléon”, and I thought this is horrible, I never thought at this late date that Napoleon could be possibly so provocative. Anyhow there were some other places where to show films, not too often, but a few. Then someone sent me to see Langlois with my films and he was very enthusiastic. No doubt Langlois’ encouragement had some affect on me because, for one thing, this question I was hard to be oblivious to the difference of showing films in a theatre. I could be provocative, I got a reaction, I could be a political person as well as an anesthetician , so it was interesting, it was open; a field where aesthetic values were still being formed. I felt uninhibited. The tradition of avant-garde cinema was’un peu desséchée’ at that time, no one had been working in it much since the ‘30s.

Yb: Especially in Europe, especially in France.

RB : Especially in America, there were only a couple of people, there was Fischinger in California…

 Yb: And Maya Deren and those people….

RB  :  In the ‘50s there were quite a lot but I didn’t know them. I found out about them because they came to Brussels.

Yb: Had you met at this time the people who were called the Lettristes?

RB : I knew about them.

Yb : But had you seen their films?

RB :  Maybe, but from what I had heard I was not interested. My feeling was, and I might modify my feeling now, also I might have seen one, but what ever, I know I rejected the idea, I had the same reaction to Fluxism. I felt that it was too much a rehash of Dada. George Brecht was a special person and a good friend and I knew a lot of these people and we showed together sometimes, but I always felt that these were Americans re-living European art history too closely, and as a part-time European, I mean, some of their events were almost identical to previous events, why do this all over again? It seemed very academic to me.

Yb: Too concerned with art history?

RB : Yes, I think there were very good people doing those things but only changing the name; and of course it was Macciunas who maybe was responsible for it happening again. He was European, really an interesting case…

Yb: Because at the same time Isou, Lemaître were both working in film, one was called “Traité de Bave et d’Eternité” and the Lemaître one was “Le film est déjà commencé?”.

RB : Well, I was an anti-intellectual snob and I was also questioning the validity of Duchamp at that time. I was interested in Schwitters very much, I liked Léger very much and Richter, and so Duchamp seemed maybe a bit “trop précieux enfin n’est ce pas”. But I have changed quite a bit, I had arguments in 1960, very strong ones I also thought Rauschenberg was simply re-doing Schwitters, you know and didn’t think that much of his work. Then, I became very fond of Rauschenberg as a person, he was the first man to buy my work and also I collaborated with him on a performance  piece involving my sculpture. I had once to defend him on a European radio. I met Duchamp in Paris. I showed him my films around 1956. I put them in the projector upside down, unintentionally, and there was this confusion even though I knew he would appreciate that. He was a very sweet man, I loved him, after he saw my films he said : “We used to play around like that”. But he said, confidentially to me in a low voice : “Don’t you think they are a little bit too fast ?” And I love that. Then in New York I saw him when he was back here. I had Man Ray come over one time and we gave him dinner and I say : “you show me your films and I show you mine”. I was very naïve then, I didn’t know. A lot of the things that I thought were new were not new. They had already done all that stuff. I know it’s different but still it was a good experience for me to not be so arrogant.

Yb : So you were titally immersed in that world after a while? 

RB : Not really in France. 

Yb: No, later in the States.

RB: Oh back here, yes. When I came back here we showed our films together: Anger, I met Kenneth Anger in Europe and I met Brakhage, I think over there. But, we were shortly together after that. I got to know Kubelka quite well. Well, I came back to America in ’58 or ’59, I got to know Pop artists like Oldenburg, Lichenstein, Warhol and all those people and we used to hang out with them. I was involved more socially with them than with filmmakers, but our films were shown together through Jonas and Amos Vogel. We became ­identified as the so‑called Underground. So I knew those filmmakers, I spent more time with artists than with filmmakers. Brakhage and I have been trading films and corresponding, lately.

YB: I  can notice, in your films, a Jump around ’65,’66, there is something new which happens within the film itself. With « Recreation » you were playing a bit and then you seemed to become more involved in a formal and analytical process, of the film itself.

RB: When I came back in 1960 thew were no places to show my kind of film. Not many places and so I thought it had to be in a gallery because that would be the proper audience; they would understand my films. So, I found a gallery which would show films. Jack Mayer had a pretty good gallery and we showed several evenings of films; he rented chairs, I got films from the Modern Museum. The first night I made up a program of films, the usual preten­tious historical arrangement whereby I would be included with all the previous great filmmakers ‑ I didn’t know it was pretentious, but anyway… In those days most people had forgotten or hadn’t seen these films in a long time. There was the usual Richter, Eggeling, Léger probably, Man Ray and Duchamp. Jack had a good list of art people, we had 200 chairs, the place was filled up and there was another 200 people waiting outside and I had to introduce the films ; I didn’t want to, I was terrified, typically American, very shy about talking in public and untrained I guess. And Duchamp came, himself, sat in the sec­ond row, and here I was having to explain Duchamp to himself, I was terri­fied. Anyhow, we did three showings because people kept coming, it was suc­cessful. It was before Tinguely, so it must have been around ’59‑’60.

YB: Was it before the Film Theatre of Mekas?

RB: Jonas was writing for the Village Voice, and Amos Vogel had his Cinema 16. That already existed though it did­n’t show these films. Because it was in a gallery it brought people interested in art and because all the films were films made by artists that was impor­tant. So then I decided that I would also like to show some objects or things related to films in this gallery. You know I had been making Mutoscopes in Paris and I was going to show them at Iris Clert Gallery before we left, between Tinguely and Klein ‑ in fact Tinguely helped me make some Mutoscopes. He welded a stand for a great big one. I don’t have the ones of Paris because the images were in paper, I have pictures of them but they were destroyed. After that I made them in plastic, it lasts longer.

 Yb : Do you think there was a relation between those Mutoscopes and those objects of Tinguely?

RB : Tinguely’s sculptures ? About 1958 he helped me make some Mutoscopes which I showed in Antwerp in an exhibition with Yves Klein, Tinguely and Spoerri. There were about 10 of us. It was at the Hessenhuis in Antwerp, a big twelfth century warehouse. Tinguely had a fistfight with Von Hoydonck, a Belgian artist who tried to kill Tinguely with a chair because he resented this French artist organising a show in his country. Yves klein sold a piece of the Hessenhuis air that he had occupied for gold. And the artists in Belgium were very upset because this place belonged to them and Yves klein sold it, even though he just sold their air. Anyway, that was an early group show. I had my Mustoscopes on the walls, but as far as o showing of works with Tinguely, except films, that was the only time I guess.

« Eyewash » was made to be shown on the window of the Iris Clert Gallery and that’s why some of the images are reversed because I wanted the public to be able to see it both from inside and from outside, so you could see it from the street. My show didn’t happen, Yves Klein wanted more time for his show in June and he began to squeeze me and Tinguely was scheduled to precede me, so Iris asked me if I would accept a shorter show, instead of four weeks I’d have three weeks and then she said : « How would you like two weeks » and I said : « you know, now it’s too short » and she said:  « I’ll give you a show in the fall if you don’t want a short one now. » And she signed a piece of paper : « I will hereby give Robert Breer a show in September 1958 », I have a piece of paper, but I went back to America and didn’t come back to France. I never had that show. I didn’t show the Mutoscopes publicly there until Paris-new York at Beaubourg in 1977. There are other Things I made, contraptions, like a rear projection machine with a film that would wind itself back, it was like pretelevision, for the Grand palais Salon de Mai or something like that. When I got to New York – with the Mayer Gallery I throught – now I can show other things that I make, Mutoscopes and scrolls, I had drawings from films etc… So I began to think of objects that would relate to film but would relate to film but would nevertheless remain objects. I made many kinetic objects before I began to make the sculptures that glide along the floor. You know about those ?

yb : Yes, I have read about them in Downtown Review.

RB : oh well that’s a whole other career that I had. By’65 I started to have shows of sculptures that moved, I showed films in the Gallery at the same time as showing objects, and they were all related to me, as far as I am concerned.

Yb : is there some relation between your sculpture that move and Pol Bury’s sculpture?

RB : The difference is that parts of his sculptures move and in my case the whole piece moves, gliding along the floor. I knew Bury a Denise René, he showed in that same gallery with Tinguely and Vasarely and co. At that time, I was not making objects, I was making objects, I was making paintings and films, but no sculpture. In 1955, Pontus hulten and I made a little film about the Movement Show that includes a Bury wall relief  that could rotate. He started making his slow motion things a few years later I guess. How can I explain… we both used very slow motion ans when I first started making my pieces I said to him : « Look Pol, I’m sorry that I have to use slow motion, like you do but it is the only way for my pieces ». And he said : »oh sure, fine », it’s like he owned slow motion. Now really the point of my pieces is that they travel. They move around the space by themselves.

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Yb : Why don’t you speak about the relation between your sculpture and film, because I think there is a distance that’s interesting to talk about.

RB : I have a little super 8 film that I made of my sculptures moving but I’ve never really combined sculpture and film. I mean the obvious connections such as showing films on the tops of my sculptures I’ve never done. When I’m working on sculpture I am not thinking of film and when I’m working on film I’m not thinking of sculpture. Now some of my films do have animated sequences depicting the sculptures in them, in two or three films there are some references. That’s because I don’t  want to be systemetically excluding sculpture. Obviously, there are a lot of theoretical connections. I’ve been asked this before as you can imagine and in one case, my answer, was that an explanation might be that in each case I’m dealing with thresholds of awareness, of perception if you like. In one case with the sculpture, their movement is almost imperceptible, their behavior is illogical ; they seem to be static in looking at them, it’s not excepted that they would move but they do, so they are defying expectations in this way, they also move slowly enough so that if you see one here and then you look away and then minutes later it’s over there, there’s a recognition of not only having passed but also there’s quite a change of space involved. So, this depends on, I suppose a sense of surprise , although I never wanted that to be the case. I wasn’t interested in anecdote, I didn’t want any interest in them by bumping into each other for instance : oh isn’t that interesting ? ». I never wanted to anthropomorphise them either. My first vision of a sculpture was a field that was literally a field, outdoors, not just an abstract notion of a field but a « champ dehors ». These objects in this field as I saw it, placed randomly…

 Yb : Like a playground?…

RB : If you like, or with grass growing in it : a park. In fact, I thought of grass and then these objects « semi-obscurs » that were alive but my thinking was not anthropomorphic or biomorphic in terms of shape or in terms of content. I  was thinking, Sculpture. Strangely enough. This was pretty corrupt I was coming from centuries or art consciousness to arrive at what amounts to a motorized mollusc. Although I could find on a superficial level confirmation in nature : there are plenty of shell creatures that move very slowly and imperceptibly, snails and so on… But apart from that I am not re-creating nature. But I was dealing with that field that I imagined used, that had life, the idea of motorizing them was a second thought. At first, I thought maybe they should change their appearance. The idea of them moving away from their positions and the idea of them becoming automobile excited me very much.

moving sculptures

Yb: Around which year did you start them? 

RB : The first one had to be around ’64 or ’65. I think that’s right, my first show of them was in ’66. Before these « floats » I made kinetic objects.

Yb : But these ones are not kinetic.

RB : Oh you say they’re not. That’s fine because I hate the word. The reason  you might say they’re not kinetic is because they activate the space around them more than they seem to be doing anything themselves. They isolate motion itself. I think that the way I approach film is the opposite but it gets the same results, for instance a film like « Recreation » created static images for all its activity. The activity emphasises its fixity, almost stopping motion by going so fast that it doesn’t exit anymore. It’s anti-kinetic too. In a sense it might be true about these things : they have to declare themselves by being kinetic and they deny it… I could agree with that. So maybe what they have in common is that they are both dealing with thresholds. It’s the thresholds of experiencing them ; in one case you’re looking at film which doesn’t move and yet it’s conspiciously active. You can do that, it could be a black film with occasional appearance, I mean one knows the film is continuing to go through the projector and so on. The difference between slides and film is a very powerful difference, that everyone experiences. But anyhow it has to do with thresholds of definition, in other words, challenging film and challenging sculpture is done by going to the limit of the definition and going past it. You have to call my films, films even though there are conventions, well I’m talking about original films. Of course I have come back within all kinds of bounds. They’re not very radical my films, many of them. But the original step anyhow was that way and the same with these sculptures. For one thing the sculpture has been taken off the stand and not only that but its connection between itself and the floor is a very active area and this has no precedent for sculptural concern, there is no way to deal with this, the bottom of this piece that is sliding along and its relationship to the floor. That’s a very intense area of unresolved aesthetic.

Yb : I don’t know anyone who has dealt with that subject.

RB : No, even I haven’t in a way. I mean I’ve tried to, I thought about it a lot but it’s very difficult so that poses an interesting problem. This corresponds to what I feel about film too. There was a dance group in Sweden which was going to ask Yvonne Rainer and some other avant-garde people to go there, this was in 1965, and I was invited to maybe take part and I conceived a project for it. It never got past the proposal because what happened is that the whole thing fell through and became « Nine Evenings » that took place in New york in ’66. « Experiments in Art and Technology » was responsible and was a group with whom I did the Pavilion at Osaka 70. Before that, a thing at the Old Armony, « Nine Evenings » of interaction between science and art. A kind of a critical disaster at the time but really an interesting set of events. Anyhow, that’s what finally became of the original Swedish thing. My project was to construct a building for meetings that would be self-propelled and mobile, that would like a building but would roam around in Stockholm, in the city, and when people had conferences in it they would never know where they were going to be when the meeting was over. They’d be some place else. And this of course, was anti-structure, anti-authority, it was anti-positive thinking really. That’s a very important ingredient : destruction of authority, destruction of logic, these are all typical anarchist thoughts. So there is a certain provocation in these sculptures for the same reason ; it exists and it defies categorizing. So, I’m hoist by my own « pétard » because art collectors seem threatened by such independance. Did you see my mural by the way ?

Yb : Yes, I’ve seen it. But I didn’t know that it was you who did it.

RB : You didn’t know it was me ? But I signed it on one end, so next time you will see it. I had to decide should I sign this or not, it’s fashionable not to sign things…

Yb : Is there any filmmaker, painter or any artist who has been very important and who has influenced you ?

RB : In another interview, we were talking about influences and as usual I had just digressed off into some other area and he said « Ah, now we were talking about influences before, what about Mondrian ? » And I say « Mondrian, I didn’t have any influence on Mondrian, forget it ». And he published it that way. Well, sure there are many people who influenced me and some I acknowledge and some I don’t, but I think I am very obviously indebted to Léger and « Ballet Mécanique » in a very direct way, I mean it shows in a film like « Jamestown Baloos » I think, but at the same time when I absorbed « ballet Mécanique » it was subconsciously and I did not realize how strongly it was in fact, until later because I throught I had developed Léger’s whole theory by myself. Too late. But I’m sure that wase the case, early filmaking, that Richter’s « Rythmus 21 » had a big impact. Otherwise spiritually, I feel very akin to Jean Vigo, I have a very strong affinity to Vigo, not so much plastically, although a film I made with Oldenburg, I like to think, honors Vigo in a sense. You don’t know that film « Pat’s Birthday » ? It would be very pretentious on my part to compare it to compare it to Vigo, I’m not doing that, but I’ve always admired Vigo. You askedma that question and that’s the answer. Otherwise as far as painter…

Yb : I don’t know, maybe there is no influence… 

RB : There was, but these are people I admire and think are wonderful. I had a very great admiration for Len Lye.

 Yb : Do you like, have you seen his sculptures?

RB : Yeah sure. I know his later sculptures. I was doing mine when he was doing his, I liked him as a person, I really admired his work and thought he was under-appreciated and still do. Anyhow, Len Lye was a very important filmaker to me and just by his existence, probably allowed me to do things that I wouldn’t have done otherwise.

YB: And you’ve been quoted as having said : John Cage also.

RB: Of course, Cage spiritually or philo­sophically I guess. Or wherever he is in between, yes, absolutely. And Charles Ives I admire very much and think of him also as an American artist of special interest and power presence. There are a lot of younger artists whose work I admire: Ken Kobland, Sandy Moore, Keith Sonnier and Jacob Burkhardt. That gets difficult ’cause you get blinder as you pass your contemporaries…

YB: For a while you were working mainly by yourself and then you became aware of experimental film, that all the people were working with experimental film. Were there any movements in experimental film that influenced you?

RB: Oh, the contemporaries of myself you mean?

YB: Yes. Because there was this jump in the ’60s when you went back to some formalism and geometry, even with film, you were much more formal.

RB: I’m not aware of much influence on my work coming from other filmmakers in those days, though it might have hap­pened, but what probably did have some impact was the « Minimalist » surge getting under way. I had always been unhappy with my very first attempts at filmmaking in the early 50’s. I guess I didn’t know film well enough to make the logical move from one medium to the next. But now, 15 years later, I was ready to tackle the problem again and ironically, in sync with art world fashion. As for the question of artists using new media, they tend to get conservative in a new medium because of the risk involved, because of the loss of security. Also another thing more superficial but as equally true is that there are some artists in search of novelty, newness, rather than trying to find personal expression within conventional means and who look for unconventional means to cover a lack of personal expression. It’s dishonesty of thoughts. A kind of fake avant‑gardism.

YB: They will try to be more fashion­able, to pick up on the newest thing.

RB: Film also allows for eclecticism because of it being a time medium. You can, at least mechanically, encompass heterogeneity better on film than on canvas. It’s the collage nature of film that permits this, and also because of its linear exposition.

YB: When you were painting you com­posed in some way the painting and when you compose film, each image, do you compose them one by one or in relation to each other?

RB: Well, I’ve done it both ways. Always in relation to each other because that’s the way I’m going to see it. If I don’t want to see one frame in relation to the next frame, then I have to isolate it, which one can do. You hold it on the screen for a certain amount of time and then follow it by something neutral so that it remains as a single impression. Otherwise, if I want it to relate directly to the next frame, I can minimize their differences so they blend one into the next or I can exaggerate their differ­ences and still throw them together, one right on top of the other. So the rapport can be very harmonious or it can be quite discordant.

YB: So it’s not systematic.

RB: There’s no system. I work over a light table so I’m seeing the latest image on the top of the previous one. I’m not always interested in gradual progression of motion. I often prefer contrast, opposites.

YB: I’ve noticed in « LMNO » and « TZ » a thing appears more obviously which has started in « 66 »; « 69 »; « 70 » and that is that you seem to take different sequences, for example, a door doing this or a column doing that but in the later films the sequences are much more delayed. There is a different combination like as if you had moved from an abstract pattern to some­thing else, to a « delire ». Is that true or is it a feeling that I get but which is not totally correct ?

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RB: No, no. I’m sure that I recycle, re­use images and that is of course the typical economy of animation. You know, but that is the least of the rea­sons, economy, it’s that, because I’m willing to work and work and work with different images but they’re reoc­cur in order to make a tapestry of sorts. Since I’m not using a narrative struc­ture, that would have a literary, would make literary connections between the things seen on the screen, that if they reappeared in a different incarna­tions, even if they reappear identically, this kind of serial imagery makes for an understanding of… Oh, how can I explain : it’s something like weaving I guess. It’s like making a tapestry in that it flattens out dramatic curves.

YB: The concept of tapestry is interest­ing because it’s totally opposite to another way of dealing with film which is a collage.

RB: Yes, well opposite maybe not so much, but in some sense. It’s maybe the size of the fragments; tapestry is a finer texture than collage but there are similarities of course. In a sense also, in that these images reappear, it depends on what the images are of course. If it’s in the case of « LMNO », there’s a little figure, person that reappears. I think that figurative, especially anthropo­morphic elements, suggest narration. The audience identifies with the per­son who is having different experiences, it concentrates on that individ­ual. That individual becomes the continuity and then it tends to relegate everything else that happens as hap­pening to him in this case and there­fore, makes an anecdotal sequence.

YB: You do that also with the sound because you have a sound which is doing tak, tak, tak… I don’t remember if it is in « TZ » or “LMNO”.

RB: Oh I see. Yes, I think what I’m trying to do in most of these films is trying to create of mass of energy that does repeat itself enough so that the only modification that takes place is in terms of subjective modification of looking at it. That the next time you see the same thing your experience of it is different because it’s the second time you’ve seen it. This is why I was asking you the other night about mod­ification, apropos, your own films.

YB: That is exactly the question you were asking me.

RB: I was trying to understand this myself and thinking that’s a very real part of the linear experience. You make it linear by your consciousness. It might be linear in physical time but it’s also that you set up action and response and that this is constantly going on in your brain. I think that in composing a film yourself in a certain way, unless you practice Cagian, if you’re trying to use techniques to avoid this kind of structuring, it is going to happen when you compose a film and you’re going to have to deal with it. How do you decide to connect this material? It’s linear, you’re going to compose it according to your …? You contrive yourself to be a fresh audi­ence when you edit films, I do and that’s why it takes me several weeks.

YB: Yes, but this type of question you would never ask it to a musician. For example a musician would take a motive, do variation of it then go back, and you would not ask him how he feels about the shape of the time that he has used to do that motive.

RB: No, maybe not, some musicians maybe. But, of course the correspon­dence is there in music, I mean the theme, counter‑theme and so forth and so on. I find it mostly depressing to make this comparison because then you’re invoking musical convention and it’s quite different.

YB: Yes, that’s on a conventional level. But if you speak about contemporary music you have again this problem which is the experience of special time.

RB: I’m not sure about musical memory. How it works for me, I don’t have a very good musical memory.

YB: Does this mean that  you shoot your films first and then edit them ?

RB: Yes, usually I shoot everything and then I decide that I have enough material although I have no sense of the overall appearance. I want to use structure, it’s a dangerous word, but I have no idea of how to put it together and it doesn’t worry me that I don’t. I don’t know what will be first, last, in the middle but I have enough material. In fact, I’m interested in avoiding the question of linearity. I just want enough material so that I will have enough variety to choose from. I am also aware that something that seems banal by itself will become interesting once it’s involved with something else. So I never throw away things that are apparently no good. There’s no definition of that yet. It will be a matter of relationships. So that’s the way I do it and then, in spite of efforts to the contrary, sound, I add last, and that’s just my conditioning as a painter to work in silence. Sound is kind of an admission that I’m working in theater and, therefore, sound is expected somehow. Brakhage does­n’t acknowledge that. And Brakhage actually came to filmmaking as a film­maker, he never worked as a painter but he chose silence …

YB: It depends on your feeling, how you feel about things, and maybe sound helps sometimes the audience as well.

RB: Oh, I know I’m trying deliberately to leave space for sound, at least, because I think ideally I’d like to be able to do it all at once. I think part of my problem is a practical one of not having an editing table for most of my films where you can play with sound and pictures simul­taneously. I’ve always been hampered that way and since I want to work pri­vately, it’s hard to use public equipment where I’ll be disturbed when I want to leave things for a long period of time. But also from the beginning I have the same objection that you have about the synchronicity of sound and image that was normal to the first abstract films. I mean, Fischinger is the most outra­geous practitioner of Mickey Mouse sound and there were many others where films were a kind of decorative addition. In fact, Fischinger escaped condemnation of being a decadent artist by Goebbels by not calling his films abstract but decorative. That’s an interesting irony. I don’t condemn his films, they’re really interesting, fascinat­ing, but there is this terribly big problem of his sound/picture relationship which is so interdependent. That’s true of Len Lye and of a lot of people. My pretence was to make a visual structure. I was interested in making a visual structure ‑ I mean it would be weak in terms of rhythm perhaps and in terms of con­ventional sound systems. That’s why I was interested in Richter’s comment of rhythm being an emotional ingredient, I am interested to know what that meant. Whether that just meant lower cortex vibrations to metabolic vibra­tions, heart beats and so forth. If that’s emotion, I mean it probably is, the sex­ual ingredients these are emotions. I think our emotions are on a sub‑mental level and so it could be the rhythm but I assume that one can arrive there visually. The intellect is a good conduit.

YB: I think the beat too is important to the emotion.

RB: The beat yes. In a consistency?

YB: Yes, I think.

RB: Okay. The way one transcends numerical repetitions or metric cutting is by considering the true impact of each image. The content of the image affects your consciousness of it, obviously, depending on your cultural make‑up you will respond to a particular image in a particular way. I saw that right away when I made this loop. The ­hand that appeared was the first thing that I picked out of this morass of twenty‑four different frames. I could recognize a hand before I saw anything else. The effect of recognition and ho long it takes will affect how you cut the film to achieve the effect of metric consistency or a beat ; the length of each shot will vary. But with music, as it’s defined in western society the harmonics and length of the waves are very precisely the same as the next ones. I think what I’m doing will allow for these other differences and therefore the beat is not systematic, it’s not predictable. I’m very concerned about that. It’s why Len Lye and his films, I felt that he always used popular music with a very conspicuous beat, very predictable, regular beat and that’s a weakness of sorts a concession of sorts.

YB: That’s why also this Richter film – from one of the versions I know – « Rythmus 21” with its boogie, boogie soundtrack…

RB: Did Richter do that himself?

YB: Apparently.

RB: He did some terrible things later to his films in putting sound on them. « Ghosts Before Breakfast » now has a terrible soundtrack…

YB: He gave a program of one hour where he spoke first and then he showed his first film « Rythmus 21” and it’s got music which is boogie, boogie.

RB: He had terribly bad judgement sometimes. He was very intelligent, a very articulate man, yet, he did make some embarrassing films : « Dreams that Money Can Buy », even though parts of it, of course Léger’s part was pretty good. Max Ernst did a rather nice sequence for it. But this was the same man who made « Rythmus 21 »! Nobody’s always perfect I guess. Sometimes I wish he’d quit after he made « Rythmus 21 « . Fortunately I’m not in charge…

 

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November 21th, 2005

Yann Beauvais : Few years ago we did an interview together about your work, it was in 1983. Since then you have made more films and you work as a painter and sculptor has been more visible here and there. I would like to ask you some questions concerning your filmmaking and your art practice  in general.

R. B. : My first euphoric episode that inspired me to devote my life to ART happened while I was painting one of my first « abstract » paintings.  Looking at it now,  it’s painfully obvious in this timid work that Mondrian was my inspiration.  At the time I was thrilled to be thrilled by formal arrangements – color and line.   My social realist teachers in the Stanford art department had somehow organized a trip to San Francisco to see a Mondrian show which blew me away and I immediately started painting abstractions.  I was subsequently told by these same teachers that if I continued to paint abstractly they would not/could not continue to teach me.

A new head of the art department gave me a faculty studio. Do you mean a studio or a class to teach?  For my last year I was left alone to paint what I wanted.  That was 1949.  That Spring I took

a former troop ship to France for $150 and on arriving received the annual painting award from Stanford for $150.

In my previous interview I described my gradual disenchantment with at least the Vasarely school of abstract painting and my welcome of film as an escape.   I soon discovered that I could sneak images into films without their being given undo attention and or being given extra attention – a new device absent from painting. You know how far I went with that.

Y.B.: It seems that since a few years your films are more obviously personal, to not say biographical. I didn’t catch on this aspect earlier; maybe it was due to the epoch. But looking backward it seems that it has been always an issue for you, despite the specificity of your filmmaking colors, patterns, and rhythms. Is this (auto) biographical impulse stronger has time passed ? Does the used of these biographical components shape the narrative?

Robert breer

R.B. : Pandora’s box!!  I probably concluded long ago that my personal history was not interesting enough to other people but should be examined closely by and for myself and that avoiding it would be unhealthy, I must have reached a compromise by including (and therefore confronting) at least some of it in my works. It was also a ready source for material that was familiar to me and real and yet could be kept second in importance to the formal construction of my works themselves.  There have been lapses in this method when I have allowed narrative to creep in but I am more likely to construct my films on a formal basis as far as possible away from and above personal/sentimental experiences.

Y. B. : Could you speak about the opposition one feel while looking at your films and seeing your sculptures? 

R.B.: Quiet viewing time of my sculptures is sabotaged by their movement.  I suppose this surprise ingredient is continuous in a way because they are quiet and slow and autonymous.  Another way out of conventional viewer-object relationship leading to euphoria  I would hope.  In both fast film and slow sculpture I’ve included audience expectations in the compositions.

Y.B.: The films are load with sound while the sculpture moved quietly; in a similar way than some of your mobile painting moves? 

R.B.: Music has often been compared to film composition and vice-versa as temporal media.  Coming from painting, I didn’t at first feel the need for sound accompaniment to film images until I realized that our daily experience was often a combination of image with sound so that the absence of sound in some cases became a concrete experience. As you know,  I’ve often isolated sound from image to give them both equal and independent importance in many of my films.   I have found that rhythm in visual sequences can be quite a different experience from the measured beat of sound.   Autobiographically, I’ve alluded to my deafness as in my film BANG! for instance.  Maybe in the attenuated process of drawing sequences,  I make personal allusions to reconnect with myself and then leave them in the final film if they fit rhythmically.  In this sense grounding myself in my work with an homage to DADA thrown in ? I merely refer to Arp’s original gesture of letting pieces of paper fall to decide his compositions back in 1917. That DADA gesture gave me permission to appreciate chance in my own compositions. I must see expressive possibilities in non-sequitor references that demand attention – non sequitor might sometimes be so sometimes only in the mind of the spectator of course.

Y.B.: Your sculpture work is now more present than ever in the art scene. The focus on the mobile sculpture, the soft one has the more geometrical ones seems to be understood better. The work’s recognition has benefit all the other aspect of your art such as the mutoscope, painting…. At the same time the card on which you draw your films on, have  acquired  an autonomy that they didn’t have in the past. How do you see things now ?

R.B.: I’ve been working on some extended panels that are perforated so that images on a recessed rear panel  are revealed through the openings as the viewer strolls along the length of it. I’m not good at explaining these « panoramas » and can hope you get to see some photos at gb agency if you go there or better see the real things in my show in Annecy. Otherwise, I have a new slogan : EVERYTHING GOES – NOT ANYTHING !

 

 

 

 

La toile d’Edson Barrus (Fr)

écrit dans le cadre d’un été brésilien à Metz 2005

[FR] « La Toile se construit dans l’adversité. »

L’installation créée par Edson Barrus dans l’église des Trinitaires à Metz, dans le cadre de un Eté brésilien (1), est singulière à plus d’un égard. Son titre : Toile indique un état et plus précisément un plan dans l’espace. La Toile occupe un espace indépendamment de son support. Le titre français partage avec sa traduction portugaise des similarités de compréhension et d’extension qui vont de la référence picturale, au réseau, en passant par le champ cinématographique.

L’œuvre proposée est un tissage de pellicule 35mm. Il s’agirait d’une proposition cinématographique. La Toile participe à l’expansion du cinéma, elle reprend la question de l’élargissement du cinéma selon des modalités très différentes de celles en vigueur dans l’art du temps. On est en présence d’un élargissement du cinéma en tant que sculpture. Il s’agirait d’une proposition plastique. L’investissement de l’espace, sa transformation par l’adjonction d’un élément qui vient littéralement occulter le déploiement de la nef.

L’ouverture à l’altérité est constante dans l’histoire du cinéma expérimental autant qu’elle l’est dans les rapports que les plasticiens entretiennent avec le cinéma. Mais si pour les cinéastes expérimentaux cet élargissement privilégie une expansion de l’œil et donc de la vision ;il ne peut, ni ne s’est cantonné à la seule production de dispositifs particuliers de projection. En effet, d’autres expériences prônaient l’élargissement de la conscience par la libération de l’œil, en le débarrassant des habitudes de voir afin de produire de nouvelles visions.
Cette attitude s’est incarnée dans toute l’œuvre (écrite et filmique) de Stan Brakhage(2). Cette compréhension du cinéma fait de celui-ci, dans sa pratique un art visionnaire qui propose des expériences visuelles inouïes. Ces expériences se traduisent dans un art du faire cinématographique qui interroge la caméra, autant que le support. Celle-ci manifeste une liberté vis-à-vis de l’outil et de son savoir techniciste normatif. Cet apprentissage de la liberté se retrouve de manière distincte dans la plupart des expériences de cinéma élargi depuis les années 60 et a permis ainsi d’envisager le cinéma autrement entre ce qui met en avant autant le dispositif cinématographique que ce qui l’excède.

Le film comme le dit Hollis Frampton (3), module la lumière . Si le support cinématographique semble avoir privilégié cette investigation, il n’est cependant pas le seul à l’avoir travailler ; la préoccupation quant à la modulation et qualification de la lumière est, depuis fort longtemps, l’un des enjeux de la peinture et la sculpture. Cette approche s’est considérablement renouvelé avec le modernisme dans différentes phases tel par exemple le Bauhaus(4), l’art cinétique ou l’op-art. On peut signaler des à présent qu‘avec le cinéma, les préoccupations de nombres d’artistes quant à la matérialisation d’une qualification de la lumière selon un développement temporel de la couleur se sont considérablement renouvelées, principalement dans le versant expérimental. C’est ainsi que les expérimentations directes quant au support chez Brakhage convergent, et retrouvent parfois, certaines préoccupations de plasticiens qui interrogeant la décomposition de la lumière (Nicolas Schöffer) ou de cinéastes et le lien entre film et lumière (Len Lye, Anthony McCall). Ces artistes explorent les passages entre cinéma et peinture et ou sculpture, chacun a sa manière.

Pour d’autres encore cette exploration peut s’accompagner d’une redéfinition du cinéma et d’une transformation de la représentation cinématographique qui s’extrayant de la simple projection se manifeste au moyen du frozen film frames(5) qui envisagent un rapport spatial au ruban et non plus dans le cadre de la projection même. Tableaux de pellicule ces travaux de Peter Kubelka et de Paul Sharits déplacent le cinéma vers les cimaises. Ils proposent au regard l’ensemble du ruban constituant l’ouvre, qui n’est plus accessible selon la succession des photogrammes mais selon une expansion spatiale. Remarquons que cette expansion spatiale a ceci de particuliers qu’elle au ruban même, sans l’appareil optique, le projecteur, sans lequel, l’expérience du cinéma que l’on connaît n’a pas lieu. Le tableau de pellicule permet d’envisager en totalité la structure du film, il est sa partition tout en conservant une caractéristique plastique certaine. Les frozen film frames de Paul Sharits partagent avec « le pattern painting » de troublantes similitudes quant à la modularité des motifs et quant au jeu de variations et d’alternances qui se propagent dans le plan.
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On retrouve ainsi cette question de la planéité du travail avec la Toile d’Edson Barrus. On retrouve une autre similarité qui vient de l’usage du matériau, le ruban, plus proche en cela du projet de Peter Kubelka qui recourt lui aussi au 35mm. Mais le travail de l’artiste brésilien s’en distingue de nombreuses manières.
Tout d’abord le film, le ruban est avant tout un matériau, comme un autre. Matériau que l’on travaille sans ménagement. Matériau auquel se confronte le corps. Il n’a pas de fétichisation de l’émulsion, elle est un véhicule qui a été imprimé. Le ruban tissé, ne représente pas autre chose que lui-même, il ne dévoile pas une structure d’un événement qu’on pourrait appréhender différemment en salle. Ce n’est plus tant la linéarité qui est investit que l’enchevêtrement qui assombrit les masses de couleurs. Le ruban est le matériau travaillé. Il vient avec les spécificités du tirage industriel. Il est avant tout constitué de bandes-annonces de films contemporains. Bandes-annonces accompagnées de leurs amorces opérateur, c’est-à-dire avec tout ce qui permet au film d’être projeté (et qui n’est pas vu par les spectateurs du cinéma de divertissement). LaToile abolit la distinction des contenus. C’est le matériau même qui est interrogé : sa fonction qu’il faut entendre comme film déjà impressionné qui qualifie par conséquent la lumière selon des intensités, couleurs particulières à chaque projet.
Avec cette Toile, l’appropriation est différente de celle qu’effectue les cinéastes et artistes quant ils travaillent avec des found footages(6) , car hormis les lettristes et plus particulièrement Maurice Lemaître, les contenus sont importants pour ces auteurs. Les rebuts sont utilisés en fonction de ce qu’ils peuvent signifier ou ce qu’ils revêtent comme intérêt quant aux textures, couleurs, e un mot quant à leurs qualités plastiques. Dans le cas d’Edson Barrus, tout cela est secondaire, par contre ce qui importe, c’est qu’il s’agit de bande-annonce de films de divertissement ou de publicités, autrement dit des rubans, qui sont les agents du spectacle cinématographique. Il s’agit là d’une mise en scène particulière puisqu’elle investit un lieu, une église, en substituant un opium à un autre. À un dieu, en est substitué un autre. Le glissement est intéressant dans la mesure où il s’effectue par une redéfinition de l’espace. Ici on ne s’élève plus, la Toile fait écran.

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La pellicule n’est plus projetée, elle est tressée selon des techniques classiques (archaïques), les rubans s’entrecroisent perpendiculairement. L’un passe au-dessus ou au-dessous-dessous de l’autre en alternance, créant des motifs et de légères torsades. Elle devient filtre, surface impressionnable, bien que déjà impressionnée qui inscrivent et donnent images (contours) aux vitraux transparents de l’église des Trinitaires, en reportant les faisceaux maintenant colorés sur les parois ou le sol de l’église.

Le film est tissé manuellement et non pas mécaniquement, en cela il s’oppose à l’appareil de cinéma, l’extrapolant de son appartenance dans le monde de la machine. Il s’agit de se réapproprier un médium devenu avant tout industriel, tout autant que le fait de spécialiste. Réintroduire une dimension tactile avec ce support trop souvent fétichisé ou réifié. Cette réappropriation du support entraîne de profond changement de perspectives. Le film n’est plus cet objet projeté, mais la projection d’un plan dans l’espace c’est en ce sens qu’Edson Barrus partage au travers de la Toile quelques-unes des qualités sculpturales du film Line Describing a Cone d’Anthony McCall(7) , a ceci près que son travail bien que renvoyant à une spatialisation ne la renouvelle pas à chaque présentation. De plus la Toile, ne propose pas une démultiplication de l’espace dans le volume comme le fait Line Describing a Cone. Elle investit l’espace architectonique sans lequel elle n’aurait vu le jour, elle ne constitue pas l’espace, elle s’inscrit dans un espace donné. Cependant comme cette Toile est faite de ruban, elle se modifie dans la durée de son exposition. Les parties les plus exposées au soleil pâlissent et se transforment l’expérience de la perception dans la durée.
Cette dimension souligne parfaitement le caractère fragile de toutes inscriptions (impressions) cinématographiques qui s’estompe à la lumière. L’ennemi du film est aussi la lumière. L’impression déposée sur le ruban n’est qu’un moment du film. Elle manifeste un moment que le virage des couleurs, la diminution des intensités donnent à voir. Un film développé et exposé à la lumière du soleil se fane progressivement pour s’abîmer dans la transparence. Dans ce sens, la Toile d’Edson Barrus permet à la lumière passant à travers les vitraux de se moduler pour un temps ; elle filtre la lumière plus ou moins fortement. Elle joue le rôle du projecteur sans agrandissement de l’image. Ce n’est pas l’un des seuls paradoxes de ce travail.

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Une autre caractéristique de cette Toile est l’importance de sa production. Les dimensions de la Toile, 20 m par 6m en font un écran géant qui a nécessité plus de cinq kilomètres de films. Est tissé l’équivalent de trois long-métrages, dont on peut reconnaître parfois une image lorsque le tissage la laisse apparaître plus nettement. Les rubans composant la Toile sont assortis au hasard de leur prélèvement lors de la production de la pièce. Des associations s’effectuent en fonction des rapports de couleurs, des mouvements d’appareils, mais celles-ci tendent à s’éclipser une fois laToile mise dans l’espace. Les photogrammes s’estompent au profit du flot. Le damier, produit par l’entrecroisement des bandes, domine et fait écho au réseau. En effet, le photogramme, n’a plus de finalité en tant qu’unité, mais, se donne alors en tant que partie d’un flux presque intermittent puisqu’une fois visible, une autre, occulté par la bande passante. La taille de cette Toile fait de ce tissu un produit industriel. Fait d’un support industriel il est détourné une première fois de son lieu afin de constituer un paradigme cinématographique. En effet dans l’industrie, la seule chose que ne voit pas le spectateur c’est le ruban, La seule chose que propose la Toile c’est le ruban, son tissage, comme d’autres tissent les photogrammes, Edson Barrus tisse le ruban à d’autres fins. Le spectacle cinématographique avec ses effets plus ou moins spéciaux est nié au profit de sa trame. C’est le tissage, cette forme d’extension et de marquage dans l’espace qui domine, c’est le mouvement des bandes qui vont d’un côté de la nef à l’autre qui occupe l’espace dans un volume qui s’oppose à l’idée même de l’écran du cinéma puisque cette Toile vole littéralement. Elle se gonfle et produit un plan incurvé en opposition avec celui de la voûte de l’église.

Ces rubans de films qui sont véritablement l’une des marques de l’industrie du cinéma, bande-annonce, publicité sont récupérées et se projettent dans l’espace et non plus à l’écran, c’est parce qu’ils font volume qu’ils quittent le champ du cinéma pour devenir ce que le cinéma est parfois, une sculpture temporelle. La récupération de ces objets valorisés par l’industrie ; ces bandes sont le support économique du spectacle cinématographique, s’apparentent à une dénonciation du mirage cinématographique, et des excès de la distribution de ce produit : le film. Cette machine à produire de l’illusion optique n’est plus qu’un matériau brut, à partir duquel un procédé est déployé dans l’espace. Il ne s’agit pas d’une esthétisation du déchet, de la récupération comme cela se pratique fréquemment dans l’art contemporain. L’appropriation de ces images dont on ne tient pas compte montre combien la domination de l’image aujourd’hui n’a aucune conséquence. Elles sont échangeables. Le spectacle cinématographique se repaît de ces variations sans intérêt, il en fait commerce. La Toile propose une autre approche, de ces rubans, ils ne sont plus que les fantômes d’un spectacle qui a pu avoir lieu, mais qui ne dépend plus d’elles. La Toile tisse ainsi l’envers du décor, l’époque du cinéma est révolue. L’ignorance du contenu des bandes signe un aveuglement vis-à-vis du type de cinéma qui est usé (8) au profit de la répartition, de la division des bandes et leurs caractéristiques physiques (bande-son stéréo, format, perforations, types…)

Il n’y a plus de point de vue privilégie dans ce tissage, c’est l’étendue, cette paroi souple tendue dans l’espace qui est le projet, et plus exactement sa production. D’un côté le geste de la Toile renvoi au cinéma structurel recourant au flicker (9) et qui nécessite de geler le défilement afin de saisir les processus mis en place, qui sont parties intégrantes de l’expérience même du film. D’une certaine manière, avec la Toile, on est en présence d’une expérience qui fait appel à des processus similaires dans la mesure ou la découverte de celle-ci, dans l’église, déclenche des questions quant aux processus de fabrication, de réception, et même de restitution ainsi que des rapports que la Toile entretient avec le cinéma et les arts plastiques, autant qu’avec l’artisanat et l’industrie.
Ce qui est enjeu c’est la circulation et la distribution des rubans. Ce sont les liaisons qui s’établissent entre des morceaux de bandes et d’autres selon le parcours du visiteur. Le photogramme est évincé au profit du passage des rayons de lumière sur le tissu pelliculaire le transformant en négatif d’une voix lactée.

(1) Evènement organisé par Faux-Mouvement, du 23 juin au 29 octobre 2005 , dans le cadre de l’année du Brésil en France et dans lequel Edson Barrus participait de trois lmanières : avec une installation in situ : La Toile, une exposition qu’il a conçut Made in Brazil dans lequel il présente Boca livre à la Galerie Faux-mouvement ainsi queMalandraGens : un événement qui ouvraient les dix premiers jours de cette manifestation.
(2)Voir Stan Brakhage : Metaphors on Vision publié par P.Adam Sitney, Film Culture n°30, N.Y. 1963, traduction française sous la direction de Jean Michel Bouhours, Centre Georges Pompidou 1998
(3) « Une Conférence », 1968 de Hollis Frampton publié dans The Avant garde Film : A Reader of Theory and Criticism, Ed P. Adam Sitney, NY, New York University Press, 1978, puis dans Circles of Confusion, traduction française L’écliptique du savoir sous la direction d’Annette Michelson et Jean Michel Bouhours, Ed centre Georges Pompidou, paris 1999
(4)On se souvient d’un texte manifeste de Lazlo Moholy-Nagy : « La lumière nouveau moyen d’expression de l’art plastique », publié dans Broom NY 1923, ainsi que Malerei, Photographie, Film, Bauhausbûcher 4, 25 et 27.
(5)Ce terme est avant tout celui par lequel Paul Sharits désigne ses tableaux de pellicules qui nous permettent de voir l’entièreté d’un film, et donc sa structure, d’un coup. Ces tableaux de pellicule sont souvent comme les partitions du film ou des dessins modulaires. Cf Paul Sharits Exhibition/ Frames, Regarding the Frozen Film Frame Series : A Statement for the 5th International Experimental Film Festival Knokke, December 1974, in Film Culture n°65-66 NY 1978
(6)le found footage a été étudié depuis quelques années parmi les ouvrages qui lui sont consacrés : Jay Leyda, Films beget film, A study of compilation film, Londres, Georges Allen & Unwin Ltd, 1964 ; “ Found Footage Filme aus gefundenem Material ”, Blimp n° 16, Vienne, 1991 ; William Wees, Recycle Images, New York, Anthology Film Archives, 1993 ; Eugeni Bonnet (directeur d’ouvrage), Desmontage : Film, video/apropiacon, reciclaje, Valence, Ivam 1993 ; yann beauvais, “ Plus dure sera la chute ” (1995), reprint in yann beauvais, Poussière d’images, Paris, Paris expérimental, 1998.
(7)On se souvient que ce film de 1973 propose le déplacement d’un point de lumière parcourant un cercle entier. La projection de ce parcourt occasionne la production d’un cône de lumière. Sur Anthony McCall voir Anthony McCall Film Installations Mead Gallery Warwick Art Center, Coventry, 2004.
(8)Parmi les bandes utilisées citons : La femme coréenne, Neverland, Dans les champs de bataille, Sideways, La voix des morts, Bob l’éponge…
(9) Un flicker est un clignotement qui est produit par l’alternance plus ou moins régulière de combinaison de photogramme de couleurs distinctes ou opposées.

Cinevivendo ou le cinéma selon Jomard de Britto (Fr)

en ligne en français, à paraître en portugais

Cinevivendo ou le cinéma selon Jomard Muniz de Britto

Si la poésie de Jomard Muniz de Britto est importante dans la littérature brésilienne et plus particulièrement pour le Pernambouco, il n’en va pas tout à fait de même de sa pratique cinématographique, qui est bien moins reconnue, bien qu’il ait réalisé une trentaine de films et vidéos. C’est cependant cette pratique cinématographique sur laquelle je souhaite réfléchir ; en effet, elle partage, à mon avis avec d’autres cinématographies des mêmes années, une familiarité dans le maniement et dans l’usage du super 8, ainsi qu’une similarité dans l’approche et la mise en scènes des situations et des comportements qui affirment à la fois un primat des corps autant qu’une esthétique camp. Enfin elle se singularise de la production brésilienne de son époque tout en partageant ; à son début, avec de nombreux artistes et cinéastes un dilettantisme assumé qui se conjugue à un lyrisme exacerbé.

Ma connaissance de l’œuvre poétique de Jomard de Britto est certes limitée par ma compréhension du Portugais et surtout par la méconnaissance de la spécificité et du contexte dans lequel sa poésie surgit. Les enjeux littéraires autant que les luttes dont se font échos certains livres de Jomard de Britto me sont souvent étrangers et ce, en grande partie, par la complexité de l’histoire des mouvements littéraires pernamboucains. Le travail de la langue telle que l’accomplit Jomard de Britto s’imprime de plusieurs manières dans ses films. Il recycle dans plusieurs films des poèmes, des manifestes. Et c’est par ce détour que je peux y avoir plus facilement accès.

Il y a quelques années alors que je séjournais à Recife avec Edson Barrus, je rencontrais Jomard de Britto. Edson Barrus le connaissait depuis de nombreuses années et il m’avait souvent parlé du travail cinématographique de ce dernier. La découverte des films a été grandement facilitée par Rubens Machado qui s’était occupé de réaliser un travail essentiel sur les films super 8 brésiliens dans le cadre de Marginalia 70 [1].

J’aimerais abordé le travail de Jomard de Britto avec toute la liberté, naïveté que confère le regard d’un étranger découvrant un territoire qui, bien que nouveau, semble partager un grand nombre d’affinités avec des films d’auteurs et de continents différents. C’est parce que ma connaissance du cinéma expérimental est étendue que la découverte d’un cinéaste est toujours stimulante à divers degrés. Elle permet de remettre en question nos certitudes autant qu’elle produit de nouvelles lignes de compréhension.

Le travail cinématographique de Jomard Muniz de Britto s’est principalement développé dans les années 70 et au début des années 80. C’est, au Brésil, le temps de la dictature. Le Super 8 apparaît pour beaucoup de cinéastes comme on le verra aussi bien en Argentine à la même époque, comme un outil qui facilite l’expression personnelle. Qui incarne une alternative au cinéma classique, aussi coûteux que contrôlé, et une résistance vis-à-vis de la dictature dans la mesure ou celle-ci ne peut pas tout contrôler et spécialement pas ces outils du divertissement domestique. Ainsi le super 8 dans le Pernambouco [2], s’est-il développé en dehors de toute école, tout en affirmant des tendances et des esthétiques multiples. Parmi celles-ci on notera principalement celle qui met en relation le théâtre et cinéma via la performance. Le privilège de l’improvisation se traduit chez les acteurs réunis pour tel ou tel film, mais aussi chez le cinéaste qui maîtrise ou ne maîtrise pas volontairement l’outil super 8, en privilégiant ses caractéristiques : la légèreté, la mobilité, la maniabilité en un mot la facilité de son usage si on le compare au 16mm et plus encore au 35 mm qui nécessite une équipe et d’autres moyens économiques. C’est un cinéma de combat contre une esthétique policée qui s’affirme ainsi : on pourra parler d’un cinéma du déchet, du rebus [3], mais plus exactement un cinéma du bricolage.
Le super 8 est un cinéma qui favorise l’appropriation d’un support souvent confiné à son usage professionnel, par l’amateurisme de ses protagonistes. Pour Jomard Muniz de Britto, Lygia Pape, ou Hélio Oiticica, cette appropriation s’accompagne d’une mise à l’écart par l’amateurisme même des protagonistes, comme on peut le voir déjà chez Jack Smith, Ron Rice ou Andy Warhol, pour ne citer que des Américains. Mais cette « perversion » a ceci de particulier qu’elle ouvre d’autres espaces, d’autres modes de penser et d’agir le cinéma et par conséquent bien souvent elle est enrichie par l’improvisation des participants autant que par celle du cinéaste.
“Dans O palhaço degolado (1976) [4http://www.youtube.com/watch?v=nvm1w-utZXM que je réalisais avec Carlos Cordeiro, le texte et le scénario du film, ce qu’il y avait à dire, les lignes du dialogue et le scénario, autant que l’élaboration de l’image se faisaient dans l’instant. [5]” Cette disponibilité à l’improvisation est certes la marque de l’époque, mais elle évoque autant le travail d’improvisation que Taylor Mead ou Jack Smith ont développé au cinéma, que celui de la performance beat quand à la récitation d’un texte, ainsi que les formes d’improvisations théatrâles utilisées par le Living Theater. L’improvisation permet une appropraition et une redistribution des rôles mais surtout elle inscrit le désir comme catalyseur de formes et de comportements, qui travaillent à mettre en relation, en rapport des cultures jusque là séparées.

Le super 8 semble tout permettre. Il fédère au Brésil, comme dans de nombreux pays, des attitudes, des conduites, et ce, plus encore, pour cette génération brésilienne qui ne se reconnaît pas dans la dictature et dans le Brésil qui lui est offert, et qui cependant est restée au pays. Ce sont avant tous les plasticiens brésiliens [6] ainsi que des poètes, des jeunes cinéastes qui s’emparent de cet outil peu onéreux. Ils produisent pendant une bonne décade des œuvres importantes qui se positionnent en porte-à-faux vis-à-vis du cinéma novo et qui pour certains se retrouveront dans ce qui fut désigné sous le nom de cinéma marginal.

Dans ce cas, le tournage devient un événement au même titre qu’un happening, il prolonge un état d’esprit, que se plait à défendre une certaine scène théâtrale de Recife et dans laquelle.est impliquée Jomard de Britto. La troupe Vivencial Diversiones [7] de Guilherme Coelho [8] avec laquelle il travaille, participe activement à plusieurs de ses films [9] tels que : Vivencial 1 (1974) http://www.youtube.com/watch?v=Dnp9Y3m-yichttp://www.youtube.com/watch?v=qvizBtQVdLMUma experiência didática (1974)O palhaço degolado (1976). Il ne pouvait s’agir pour Jomard, ni même pour Guilherme, d’un simple enregistrement d’une pièce dans la mesure où toute la spontanéité serait évincée au profit de l’enregistrement dans les lieux, il ne s’agit pas de faire du théâtre filmé. Afin de remédier à de tels inconvénients, il fut décidé de filmer en extérieur, dans la rue. Vivencial 1 est de fait la seule pièce qui a servi de base à un film. Le film devient le prétexte à un happening dont la trame est certes la pièce initiale, mais comme l’action se déroule en extérieur, sur une place devant une église à Olinda, elle est sujette aux impondérables qu’il soit du fait des acteurs ou des passants. Le spectacle est alors dans la rue, le film le déclenche autant qu’il l’enregistre. Le film procède alors de cet échange et participe ainsi de la catharsis déployée par les rôles qu’endossent les acteurs et qui tous jouent de l’ambiguïté sexuelle. Ainsi l’évêque qui bénit la foule sur le porche de l’église, ouvre les bacchanales à venir, qui sont signalés au moyen de différents plans détaillants, qui un sourire, qui d’autres parties de corps masculin. La fête peut commencer selon une chorégraphie qui s’accapare des murs en ruine, de terrasses qui deviennent les décors de danses proche de celle de Salomé espérant charmer Sébastien. Mises en scènes des corps qui affirment une liberté de mouvement dans la fluidité du désir. Désir polymorphe, désir qui inscrit toute forme de sexualité selon tous corps et indépendamment des races se jouant des clichés du sauvage, de l’esclave noir, du colonisateur, de l’homme et de la femme.
Confrontation entre ces corps désirables, libres de leurs mouvements avec ceux, policés, engoncés dans leurs rôles, dans leurs genres et dans leurs codes que défend la culture du Nordeste. Le numéro de danse dans le restaurant est à cet égard exemplaire de la division machiste des rôles.
Un texte, à la première personne, en voix-off évoquant le ridicule et la honte de tels comportements puis une autre voix-off, d’une femme déclarant la primauté et l’importance de la bisexualité en remontant jusqu’à Platon. Ce discours est délivré alors que les danseurs célèbrent un dieu sur une place. Quelques interactions avec le public sont captées, participations, regard interloqués…
Les vêtements des protagonistes affirment au travers d’un projet théâtral et ici cinématographique, une esthétique kitsch, proche en cela du camp qui joue avec les corps des protagonistes en détournant leur rôle. Il s’agit ici, comme ce fut le cas pour d’autres cinéastes de montrer des images auxquels ils n’avaient pas accès (c’est en ce sens que le cinéma, puis la vidéo ont été des instruments essentiels de cette autoproduction et célébration). Énoncer en image la nécessité de la liberté de disposer soi-même de son corps, thèse défendue par les féministes dans les années 70, se retrouve dans de nombreux films underground américains et plus particulièrement dans ceux de Barbara Hammer [10] en regard des lesbiennes, mais aussi dans ceux de William Moritz [11] pour les « bear ». La caméra n’est pas virevoltante, comme elle l’est chez les cinéastes du corps que l’on trouve en France à la fin des années 70 ; celui de Stéphane Marti, de Maria Klonaris et Katherina Thomadaki, de Téo Hernandez, Michel Nedjar ou Jakobois [12].
La production de telles images, la célébration de la jouissance des corps qui chez Jomard de Britto est suggérée, plus que montrée ; on ne voit pas d’actes sexuels explicites dans ses films, le poète cinéaste privilégiant le jeu avec l’image, les stéréotypes. Cette suprématie de l’image inscrit une résistance et affiche un clivage générationnel : l’influence de la circulation des images par et dans les médias. Produire ces images par le théâtre dans le cas du groupe Vivencial, par le cinéma avec Jomard de Britto, c’est favoriser leurs circulations et revendiquer l’importance d’une attitude. C’est dans ce film (Vivencial 1) de Jomard de Britto, plus que dans aucun autre, que ce manifeste une relation avec le type de sexualité qu’avait exploré Jack Smith dansFlaming Creatures (1963) [13], une sexualité ouverte, fluide, pas nécessairement phallique et performative. La grande différence toutefois est que la liberté d’invention visuelle de Jack Smith autant que dramaturgique est lié au fait qu’il est aussi « performeur » et qu’il inscrit son film en fonction d’une histoire du cinéma. De plus, ce n’est pas tant la libération qui préoccupe Jack Smith que la possibilité de montrer une sexualité perverse et polymorphe proche en cela de celles des enfants qui sauraient déjouer les attentes du social et qui se manifeste si bien à travers les personnages qu’il a incarné ou que ceux crées par Taylor Mead [14]. Ce qui est en jeu avec Jomard de Britto n’est pas tant l’histoire du cinéma que la production d’un acte de résistance vis-à-vis d’une société sous la dictature. Il s’agit de lutter contre les féodalismes culturels, il s’agit de promouvoir la mixité des cultures à la manière des revendications du Tropicalisme [15]. Il s’agit d’affirmer des espaces de liberté de l’intérieur, c’est à au Brésil. En 1974 la dictature militaire s’est renforcé favorisant une désertion massive des intellectuels et artistes brésiliens. La fin des années 60 avait vu surgir le Tropicalisme, mouvement musical et poétique qui visait, entre autres, à décloisonner ces pratiques.
On trouve par-delà les spécificités des lieux des similarités, partout où s’affirme une sexualité sans entrave dans ces années 70. C’est la figure de Wilhelm Reich plus que celle d’Herbert Marcuse qui prend le pas et ce au moment où on redécouvre ses théories [16].
La bénédiction épiscopale intronise le temps du plaisir. Cette irrévérence est salutaire tout comme l’était l’anticléricalisme d’Antonin Artaud pour La coquille et le clergyman(1927) ou celui de Luis Bunuel et Salvador Dali dans Un chien Andalou (1929), ou mêmeL’Âge d’or (1930). Cet anticléricalisme se retrouve autant dans le surréalisme belge et principalement dans le film L’imitation du cinéma (1960) de Marcel Marien, que chez Georges Bataille ou Pierre Klossowski [17].

Dès ce film, Jomard Muniz de Britto montre comment il ;entend se servir du cinéma. Il recourt à un caméraman, utilise le son et la voix-off afin de créer une friction entre les éléments visuels et sonores dont Inventário de um feodalismo cultural nordestino(1978) est l’un des meilleurs exemples. Il ne s’agit pas de discrépance comme chez les lettristes [18] car cette juxtaposition relève plus du collage tel que l’entendaient déjà les dadaïstes mais plus certainement les artistes du pop qui sont plus proches du poète. La plupart des films sont des dérives dans la ville ou dans la nature, ce qui n’empêche pas parfois d’autres propositions qui travaillent les tableaux vivant : Jogos Frugais Frutais (1979).
La confrontation des corps dans la ville, l’irruption de personnages incongrus dans la ville, que ce soit par le trouble de leur identité sexuelle, ou par leur comportement, vêtement qui les signalent comme marginaux (un clown dans O Palhaço Degolado, un vampire dans Aquarelas do Brasil III (2004) qui recourt à des séquences d’un film tourné dans les années 70, les égéries dansantes dans Vivencial 1). A chaque fois et ce, quel que soit le sujet du film c’est par la confrontation des corps dans un lieux puis leur appropriation de ces mêmes lieux que le film signale. Toques (1975) est exemplaire à cet égard, car il joint à la revendication de la liberté sexuelle un retour à la nature, et fait de la vague hyppie une symphonie nostalgique d’un temps lointain. Cette interprétation est soulignée par la chanson qu’interprète Caetano Veloso : Pelos Olhos, qu’il écrivait alors qu’exilé à Londres à cette époque de la dictature. Cette célébration se pare ainsi d’une dimension politique supplémentaire. Le cinéma super 8 se fait ici écho d’un mode de vie, il est alors une cinévie (Jomard dirait Cinevivendo) qu’il entend comme une esthétique et qui prend alors la forme du manifeste. Le cinéma est alors non seulement ce qui permet d’enregistrer un possible, une familiarité, une intimité, à partir duquel on liquide tous styles établis, au profit d’une anthropophagie stylistique. S’affirme ainsi à nouveau une « attitude anthropophage à partir des manifestes modernistes d’Oswald de Andrade [19]. Il s’agit dans ce cas d’une attitude d’appropriation partagée par les peintres et musiciens du Pop, autant que par le Tropicalisme. Récupération des outils autant que des formes et re-injections de ceux-ci dans un autre environnement, dans une autre culture. Ces appropriations sont décisives dans la mesure où elles conditionnent des formes de détournements et donc de redistributions selon des techniques de collages qui jouent plus ou moins des écarts entre les différents éléments réunis.

Dans Toques http://www.youtube.com/watch?v=JGaooahdba8 et dans Uma esperiênçia didática (1974), c’est l’exploration visuelle du corps qui est en jeu, ce qui la différentie grandement des expériences réalisées sur le toucher telle que Lygia Clark [20] l’a exploré dans quelques-unes de ses propositions, mais dans tous les cas c’est le geste qui est déterminant. Avec le cinéma, cette primauté du geste est évincée, en tout cas chez Jomard de Britto au profit de la découverte de partie de corps. Cette primauté du geste se retrouve en France à la même époque, dans plusieurs films de Téo Hernandez [21] qui conjuguent toucher et regard, la différence est que l’aspect incantatoire y est plus fortement prononcé. L’aspect rituel est absent chez Jomard, la dimension religieuse est écartée au profit d’une lecture politique de l’époque. On la retrouve principalement dans trois films. Dans O Palhaço Degolado, et dans Inventario de um feudalismo cultural(1978) http://www.youtube.com/watch?v=k5bwOU2K6sMc’est le dialogue entre images et textes sonores qui déploient ce contenu politique alors que dans Aquarelas do Brasil [22] (toutes versions confondues) c’est le poème même qui nous plonge dans cet abyme : le Brésil.

Palhaço Degolado met en scène un clown parcourant différents lieux de la maison de la culture qui fût la prison de Recife qui semble illustrer texte critique les poncifs de la culture brésilienne de ce miracle brésilien et de ces intellectuels de cette Armorial et qui promeut la lutte au moyen du super 8, qui est plus importante que nulle autre comme l’est la vie avec le film avec l’écriture.
Alors que le clown est arrêté, se font entendre les sirènes de la police qui interrompent une musique de cirque, quasi militaire dans son tempo. Le poète scande et hurle se demandant espérant pour ces matins de liberté, par-delà le populisme des classes moyennes, des intellectuels médiocres…il tourne en dérision le promoteur de l’Armorial [23] pour hurler sa haine de cette dictature en se demandant jusqu’à quand continuera-t-elle ?
La caméra suit le clown dans ces pérégrinations, rarement le précède. Nous sommes simultanément en présence d’un journal fictif, un pseudo documentaire de fiction en fait pour reprendre un terme du poète ce film est une œuvre de friction. Friction entre les composantes sonores et visuelles du film autant qu’entre les différents registres culturels dont se joue le poème déclamé. La friction c’est la fiction décollée dans le sens que lui attribuait Wolf Vostell dans ses TV décollage. Il s’agit d’une appropriation et d’un détournement d’informations télévisuelles mise en boucle en ce qui concerne l’artiste allemand, et qui en constitue une nouvelle œuvre. C’est le principe du collage disjonctif qui s’illustre ici, mais c’est aussi le montage comme l’a défini Eisenstein, juxtaposer, heurter des éléments séparés afin de constituer un nouveau sens. Mais c’est à partir de la bande-son qu’on voit ce qui est vraiment en jeu. Penons un exemple que nous traduisons :
« Maître Gilberto Freyre ! Senzala ! [24]
Maison principale de détention de la culture.
Très bien située sous les tropiques. Tristes tropiques … » [25].
Il faudrait pouvoir entrer dans le détail d’une explication de texte pour montrer comment il entre en friction avec l’image et concourt par sa dynamique même à produire cette « f(r)iction [26] » dans son déroulé même.
Gilberto Freyre est un écrivain qui a proposé une nouvelle approche de l’histoire du brésil au début du 20 ème siècle, en interrogeant le brassage des races. Casa grande [27]est le titre original de son grand œuvre. Tristes tropiques fait références au livre de Claude Levi-Strauss qui traite de sa découverte du Brésil et de son engouement pour l’ethnologie.
Jomard Muniz de Britto défend l’hybridation culturelle, enrichie de tous apports internationaux, c’est à la fois l’affirmation d’une pratique globale et locale. En ce sens son opposition au mouvement Armorial est au cœur du film O Palhaço Degolado. Le film signale l’existence d’autres attitudes culturelles, d’autres usages de la culture qui ne sont pas uniquement basés sur la redécouverte d’un patrimoine ; il milite en faveur d’une culture vivante [28]. La promotion de cette culture est risquée autant que la revendication d’une sexualité libérée, implicitement ces deux désirs attendent activement la chute de la dictature.
Dans ce film, par-delà la figure du clown, c’est la volonté de rencontre entre les cultures, officielle et souterraine, cette dernière, incarnée à la fois par le théâtre, la sexualité, la drogue autant que par le super 8. D’une certaine manière, ce qui est en jeu ici, c’est la revendication d’un statut de la culture privée et personnelle dont le super 8 et la sexualité sont manifestement les agents. Le recours au super 8 accompagne ici l’expression d’un mode de vie : Cinevivendo, autant qu’il est l’illustration pertinente de l’expression du désir dans toute son imprévisibilité. C’est la primauté du je sur la dictature de l’autorité et du bon goût. Comme le dit Jomard de Britto : « Désapprendre le bon goût des intentions symboliques, et des rites intellectuels, mêlant l’irréversible continuation et l’imprédictibilité du désir, suggérant plus que décrivant, argumentant moins que voyant/entendant… [29] »
Le super 8 est donc une école, un apprentissage de la vie, et dans ce sens, il est prolongement de celle-ci. Ce qui explique les films qui à la manière de certains travaux super 8 de Gianni Castagnoli : La Notte e il Giorno (1973-76), ou même Valentino Moon (1974-75), ou certains travaux de Téo Hernandez montre des pans de quotidiens, des rencontres amicales, amoureuses. En ce sens Jomard de Britto renoue avec le cinéma que défend Jonas Mekas [30] depuis les années 50/60 dans ses journaux filmés dans lequel la dimension politique était présente à travers les manifestations contre la guerre, les discriminations raciales…
Dans Inventário de um feudalismo cultural (1978), sous-titré : une friction historique existentielle, cette critique du culte historique est abordée de nouveau selon d’autres modalités qui associent au chant de Tonico Aguiar sur une des jetées de Recife, un parcours historique dans cette même ville et ses alentours : Olinda. Ce parcours, sur fond de discours déclamé par une figure historique, mène sur les routes une troupe de performeurs travestis. Les monuments et les lieux publics défilent à la suite des autres alors que surgit la voix du Poète se demandant : « et tout compte fait, à quoi sert le super 8 ? À sauver la conscience culturelle des journées de travail ? pour renier le miracle économique du cinéma brésilien ? en tant que devoir du populisme ou plaisir anarchiste ? [31] »
Aux monuments qui inscrivent une histoire de Recife on oppose les favelas. Alors qu’apparaît un plan de favelas, on entend la voix d’une femme disant : « Qui aime la misère (silence), intellectuelle. Le peuplemême veut que la lumière brille pendant le carnaval ». C’est ce type de relations entre des événements sonores et visuels qui sont source de frictions. Il en va de même de ces parodies de défilé religieux qui inscrivent à la fois la mémoire religieuse du brésil c’est-à-dire sa colonisation, avec ces processions que met en scène Glauber Rocha [32]dansDeus e o diabo na terra do sol (1963). Ces parodies sont proches alors des jeux de rôles de Taylor Mead ou Jack Smith, mais elles évoquent plus la « commedia del arte » que certaines scènes des films des frères Kuchar dans lesquels les acteurs amateurs tentent de prendre possession d’un rôle.
Une fois de plus l’actualité de la présence militaire, la dictature est manifeste dans le final qui voit chacun des protagonistes s’effondrer comme mitraillé alors que la caméra les passe en revue au moyen d’un travelling latéral.
Cette dimension politique n’est pas unique dans le cinéma brésilien de l’époque, on en trouve des traces chez Arthur Omar, en 35mm ainsi que chez d’autres cinéastes qui œuvrent en super 8 par exemple Paulo Bruscky, ou du 16mm tel Antonio Manuel.
Jogos Frutais Frugais http://www.youtube.com/watch?v=vGUd_m1gYz4 +http://www.youtube.com/watch?v=q_6HiCcQHvo nous propose une suite de portraits d’Ivonete Melo devant et en regard des tableaux Pop de Sérgio Lémas avec fruits et bouches. Le film est constitué d’un ensemble de compositions savantes entre la belle femme nue, odalisque qui se mêle, se pare ou joue avec les fruits qui l’entoure : banane, pastèque, cajous…Jeu d’opposition entre la langueur affichée du modèle et les bouches sensuelles dans les tableaux. Ivonete évoque une Viva [33] rousse, sans voix. Ces compositions aux fruits tropicaux semble provenir des diapositives de modes faites par Jack Smith, elle sont à la fois un hommage à la beauté mais aussi un jeu avec les codes et stéréotype de cette beauté, jusqu’à ce qu’un bataillon de mouches se déplace sur son corps, insufflant d’autres interprétations à ces tableaux vivants. Nous ne sommes plus dans le paysage de la fascination comme le déploie souverainement dans ses premiers films Werner Schroeter [34] mais dans celui de la déconstruction. La belle image s’effrite devant les réalités climatiques tropicales. Nous ne sommes plus en présence d’une icône européenne, mais plus certainement en présence d’une image en cours de façonnage. Ce portrait se distingue de celui que fait Hélio Oiticica à New York avec Mário Montez Agripina é Roma-Manhattan (1972), l’égérie de Jack Smith, dans la mesure ou la confrontation ne se situe pas tant entre le personnage et son rôle, qu’entre un personnage et des représentations de détails corporels ou des fruits. Dans les deux cas, rien ne nous renseigne sur le déroulement possible de l’action. L’action représentée autant que filmée est distincte et c’est cette distinction qui est source d’indétermination. Cette dernière nous conduit alors à envisager le cinéma que défend Jomard comme un cinéma de l’aléa, de l’impromptu, ou rien n’est totalement asservi aux règles d’une narration traditionnelle, mais dépend du souffle poétique autant que des qualités d’improvisation des performeurs. Dans ce sens, le cinéma de Jomard de Britto, comme sa poésie répondent à d’autres logiques discursives et ne travaillent pas selon ces mêmes régimes ; ils s’inscrivent comme des espaces de résistances contre la domination l’hégémonie de modèles culturels. Ils sont ainsi des outils qui tissent, orchestrent plusieurs voix. Ils signent l’écart, la différence. C’est en ce sens qu’il faut comprendre son intérêt pour la musique. N’a-t-il pas fait en 1997, un disque Pop Filosofia – O que E isto ? [35] qui propose un parcours à travers différents paysages sonores mais qui t est réminiscence des films des années 80.

Ce travail sonore est un travail collectif comme l’ont été et le sont les films et vidéos [36] , ils font appel à d’autres logiques, qui sont plus proches de celles du jeu de mot, du rébus, de l’allégorie dont nous avons tenté d’indiquer quelques voies. Les films fonctionnent alors comme des carrefours de possibles, ils admettent le multiple et peuvent par conséquent se démultiplier, c’est ce qui explique sans doute la diversité des travaux ainsi que le recours à des formes plus ouvertes de cinéma élargi, visuel et ou sonore.


[1] Marginalia 70, experimentalismo no super-8 Brasileiro, Itau Cultural Sao Paulo, 2001

[2] L’ouvrage d’Alexandre Figueirôa, O cinema super 8 em pernambuco : do lazer domestico a resistencia cultural Edicôes fundarpe, Recife 1994, est essentiel quant à l’analyse du mouvement superhuitiste du Pernambuco. On retrouve à Bahia une effervescence similaire dans l’état de Bahia et principalement à Salvador, voir Paolo Vieira : O cinema Super 8 na Bahia, Salvador 1984.

[3] Jomard de Britto parle souvent dans ses textes de l’esthétique du déchet, comme s’opposant à tout académisme

[4] Un clown décapité en serait la traduction française

[5] C’est nous qui traduisons : “Em O palhaço Degolado, que realizei com Carlos Cordeiro, o texto é o roteiro do filme, quer dizer, a linha do texto é o roteiro, enquanto a elaboraçao da imagem aconteicia na hora.”JMdB : Depoimento 02 01 89

[6] On se souvient que Lygia Pape déclarait en 1973 que « le super 8 est réellement un nouveau langage, et ce principalement quand on est en dehors d’un engagement commercial dans le système. C’est la seule forme de recherche, c’est aujourd’hui la pierre d’achoppement de l’invention. Lygia Pape in Expoprojeçao 73, de Aracy Amaral, Sao Paulo, ediçao do Centro de Artes Novo mundo, 1973

[7] Sur le Théatre du Pernambouco et sur Vivencial Diversiones, voir Memorias da Cena Pernambucana 01, ed Leidson Ferraz, Rodrigo Dourado et Wellington Junior, Funcultura Recife 2005

[8] Il fût le fondateur, directeur et acteur de Vivencial Diversiones

[9] de 1974 à 1982, Jomard de Britto réalisa 13 films avec la participation d’acteurs du groupe, voir : Memorias op. cit. p 98

[10] Renvoyer au site de Barbara Hammer http://barbarahammerfilms.com/.

[11] Sur Moritz, plus complexe, voir texte sur ses films de rites sur le site CVM

[12] Le cinéma du corps a été analysé par Dominique Noguez dans Eloge du cinéma expérimental re-édité par Paris expérimental et Raphaël Bassan dans différents articles

[13] Sur Jack Smith, on se reportera à Flaming Creature : The Life and Time of Jack Smith, Artist, Performer, Exotic Consultant by Edward Leffingwell, Serpentine Tails 1997

[14] Voir yann beauvais : Burlesque, in L’horreur comique, esthétique du slapstick, ed du Centre Pompidou, Paris 2004

[15] Rappelons que Jormard de Britto a été l’un des représentant de ce mouvement, il a écrit plusieurs manifestes dont : Inventaire de notre féodalisme culturel, que signeront parmi d’autres Caetano Veloso et Gilberto Gil. Sur le tropicalisme voir Caetano Veloso : Pop tropicale et Révolution, Le serpent à plumes, Paris 2003, Verdade Tropical, Companhia das lettras 1997

[16] On pense surtout à La fonction de l’orgasme, publié en France en 1952 par les éditions de L’arche

[17] Guilherme Coelho, Georges Bataille, Pierre Klossowski sont tous trois passés par le séminaire

[18] Sur le lettrisme Frédérique Devaux : Le cinéma Lettriste ed Paris expérimental, Paris 1992

[19] Le manifeste anthropophage écrit en 1928 et publié cette même année n’a été publié en français qu’en 1972 dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°6, Paris.

[20] Catalogue Ligya Clark, RNM Paris 1998, et Lygia Clark de l’oeuvre à l’événement : Nous sommes le moule, A vous de donner le souffle de Suely Ronik Musée des Beaux Arts de Nantes 2005

[21] Sur le cinéma de Téo Hernandez : Trois gouttes de mezcal dans une coupe de champagne, éditions du Centre Pompidou Mnam Paris 1998

[22] Il existe jusqu’à présent trois versions de ce poème. Il s’agit sans doute de trois variations sur le même poème, mais surtout trois interprétations qui convoquent des registres distincts. Une danse de Vava Paulino sur une digue de Recife pour le premier, une dérive diurne, entrecoupée avec de regards et d’extraits pornos, tandis que le troisième suit un vampire à travers la cité et reprend certaines séquences de la seconde version. Il semble que les images de ce film proviennent de Noturno em (Ré)cife Maior ou alors de Olho Neles. La figure du vampire est d’ailleurs fréquente à cette époque dans le cinéma expérimental brésilien : Nosferatu no Brasil (1971) d’Ivan Cardoso ou Wampirou (1974) de Lygia Pape. Pour une description de Noturno em (Ré)cife Maiorvoir Alexandre Figueirôa op cit p. 196

[23] Mouvement culturel qui a revitalisé les racines de la culture du Pernambuco, impulsé par Ariano Suassuna en Octobre 70, contre la massification de la culture. « Armorial est une tentative de créer un art érudit Brésilien, basé sur nos racines populaires de notre culture, c’en est l’essence » in Jornal de Poesia http://www.revista.agulha.nom.br/ecarvalho02c.html

[24] Lieux d’habitation des esclaves

[25] Un film de 1974 d’Arthur Omar empreinte à Levi-Strauss son titre, il s’agit d’une production 35mm qui critique le discours anthropologique

[26] C’est dans ses termes que Jomard de Britto qualifie ses films

[27] Traduction française : Maîtres et esclaves Gallimard Paris 1952, puis Tel 1997, le titre original est Casa Grande & Senzala

[28] Sur la querelle entre Jomard de Britto et Ariano Suassuna voir José Telles, Do frevo ao mangue beat Editora 34, 2000 et Ana-Mae Barbosa : Artes plásticas no Nordeste. Estud. av. [online]. 1997, vo Sur les rapports d’opposition l. 11, no. 29 [cited 2006-08-16], pp. 241-255. Rapellons que Suassuna fût le professeur de JdB <http://www.scielo.br/scielo.php?scr…> . ISSN 0103-4014. doi : 10.1590/S0103-40141997000100013

[29] JMB : Cinevivendo texto do programa recife Juillet 1974, in Alexandre Figueirôa, O cinema super 8 em pernambuco : do lazer domestico a resistencia cultural op cit

[30] Sur Jonas Mekas voir : David James ed, To Free The Cinema : Jonas Mekas and the New York Underground, Princeton, Princeton UP 1992

[31] C’est nous qui traduisons : A final de contas, para que serve o super 8 ? para salvar a consciência cultural das jornadas ? Para salvar a econômico do cinema brasileiro ? como dever do populismo ou parzer anarquismo ? voix off du film

[32] JdB et Gr se connaissait, à cet égard voir l’interview de JmB avec Carlos Adriano in Poesia, sous le titre : ô ultimodândy.http://pphp.uol.com.br/tropico/html/textos/2604,1.shl

[33] Viva a été un des superstars de Warhol, elle a joué entre autres dans Lonesome Cowboys (1967)…

[34] Parmi ceux-ci : Eika Katappa 1969, La mort de Maria Malibran 1971, Willow Springs 1972-73,

[35] Projeto Cultural JMB Recife 1997. Qu’est donc ceci. Ceci est cela, comme il le dit dans le livret du disque

[36] Jomard travaille en équipe, pour les images Carlos Cordeiro, Rucker Viera, pour le montage Lima.

Keith Sanborn (Fr)

Revue&corrigée n° 70 décembre 2006

Keith Sanborn est un cinéaste qui interroge les représentations que produisent le cinéma, la télévision. Il interroge les films afin de créer des espaces de réflexion autour de ces représentations. Il ausculte la société américaine à travers ses médias de film en film. C’est à la fin des années 70 qu’il commence à travailler dans le champ du cinéma expérimental en suivant d’une part les cours de Hollis Frampton à Buffalo [1], mais en se plongeant dans une tradition cinématographique, fortement renouvelée par les situationnistes, qui consistent, à travailler à partir de séquences trouvées afin de les remettre en circulation selon d’autres modalités. Ce travail oscille entre pillage et détournement et s’inspire d’un ensemble de pratiques que l’on trouve aussi bien chez Bruce Conner que chez les Lettristes, tout autant que dans les films plus politiques des situationnistes. Chacun des films de Keith Sanborn offre simultanément au moins deux discours parallèles, l’un qui affirme par le choix des séquences un amour du cinéma alors que l’autre déconstruit les mécanismes à partir desquels fonctionnent les films.

Si la sensibilité du travail de Keith Sanborn relève du cinéma expérimental, il le contourne en recourrant depuis plusieurs années au numérique. Il a œuvré pendant de nombreuses années avec le support argentique, mais, depuis plusieurs années il recourt aux outils qui lui confèrent une plus grande autonomie et qui de plus n’est pas trop onéreuse. La vidéo, le dvd ont facilité l’accessibilité à un nombre d’œuvres qui avaient souvent disparues du répertoire. Ces outils contribuent à la découverte d’images méconnues ainsi qu’à la redécouverte et à l’appropriation (devrait-on dire la réappropriation ?)d’images qui nous ont été familières à un moment ou à autre. Dans cet article, nous nous intéresserons avant tout aux dernières productions de Keith Sanborn.

Le film, The Artwork in the Age of its Mechanical Reproductibility by Walter Benjamin as told to Keith Sanborn (1999) est emblématique du travail contemporain du cinéaste. En effet, dans ce film, Keith Sanborn s’approprie ces avertissements qui ouvrent toutes les cassettes vidéos ou dvd et dans lesquels la loi s’inscrit en tant qu’impératif catégorique sous l’égide du FBI. Tout le film est composé d’une multitude de panneaux d’avertissement en regard de la notion de droits d’auteur tels que la compréhension de la loi américaine l’impose. Ces panneaux se succèdent au son d’une mélodie ressassée et qui fut une musique populaire des années 50, un réarrangement d’une musique dont l’original est Mac the Knife (Die Moritat von Macheath) from Dreigroschen Oper de Brecht [2]. Le film pose la question du droit d’auteur par le biais du copyright et de la protection de ces droits au moyen des administrateurs qui patentent où représentent les auteurs.
De plus, cette bande (comme plusieurs autres de KS) a la particularité d’être attribuée à Jayne Austen, laquelle n ‘est plus alors l’auteur que l’on croyait mais une fiction [3] . Comme le dit Keith Sanborn : « J’ai pris comme alter Ego Jane Austen car cela a à voir avec la question de la réception du travail. Étant anti- essentialiste, le fait de s’attribuer une œuvre nous enferme dans un genre, et cela est une fausse production d’autorité. Je comprends cela dans deux sens, à la fois l’autorité sociale mais aussi dans le sens d’auteur. Et par conséquent l’attribution de Jane peut subvertir ce genre de construction. » [4]
Par cette attribution à un alter ego, autant que, par son titre, le film de Keith Sanborn se différentie de Warnings (1988) de Muntadas qui travaillait à partir des mêmes cartons d’avertissements. Dans les deux cas, cependant, ces énoncés sont copyrightés alors qu’ils édictent la loi. Sont-ils par conséquent hors la loi ? Peut-on s’approprier la loi comme le font les administrations qui gèrent et protègent les droits d’auteurs ? Mais comme le dit si bien Sanborn si l’œuvre avait été réalisée en 1936, comme son titre l’indique, alors elle serait de fait l’œuvre numérique la plus vielle du monde… une œuvre qui interroge le sens politique de la propriété intellectuelle qui ici « s’approprie les imprécations de contre l’appropriation de la propriété intellectuelle » [5]. d’une œuvre d’un auteur vivant et celui qui représente (a produit) l’œuvre.
Un autre travail de la même année déplace la question de l’autorité en examinant une séquence de film qui a bouleversé l’Amérique autant par son invisibilité que par ce qu’elle contenait. Il s’agit de la séquence de Zapruder.
En 1999, Keith Sanborn s’est approprié la séquence à partir de laquelle il a réalisé un film à partir de variations, permutations, altérations de la séquence initiale de 26 secondes. Ces permutations sont accompagnées de la musique Jajuka, qui est au dire de Brion Gysin la plus vielle musique du monde. Pour Keith Sanborn, le choix de cette musique est fondamental dans la mesure ou elle est à la fois une musique de célébration des rites funéraires, elle est de plus, pré-islamique. [6] La juxtaposition de cette musique avec cette séquence retravaillée, accélérée, ralentie, inversée, masquée, procure un sentiment d’inquiétante étrangeté. On ne peut s’empêcher aujourd’hui, d’inscrire cette musique dans un cadre de penser magique, comme si elle illustrait déjà les conflits à venir.
Une fois de plus Keith Sanborn recourt à une séquence qui est devenu comme il le dit si bien l’événement même. Cette séquence s’est substituée à l’assassinat du président Kennedy, elle est devenu l’Histoire, même. En travaillant avec cette séquence, Keith Sanborn s’approprie l’événement pour le dépasser, pour enfin en faire son deuil. Ce sont ces images, qui ont été l’objet de tant d’analyses, et qui sont devenues les agents du mythe, de cette tragédie américaine, puis détournées par le cinéaste qui, s’appropriant cet enregistrement vise à construire d’autres discours.
« Je voulais à la fois reconnaître ce moment comme une tragédie mais peut-être comme une tragédie grecque, reconnaître ce moment pas seulement comme un deuil mais aussi comme une célébration, il y a des traditions et les funérailles sont l’occasion d’une célébration, c’est ça que je voulais faire de ce moment une célébration et pas seulement de l’accepter comme une partie de l’histoire, car on aimerait très bien comme effet idéologique …/… Ce que je voyais c’est que cet événement historique avait été transformé en un mythe religieux, pas seulement l’évènement, son enregistrement même et ça je trouvais bizarre. Parce que ce film de Zapruder est sans aucun doute le film le plus analysé dans l’histoire du monde, il avait été analysé mais, cependant même pas vu. » [7The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination, constitue par son traîtement , un remarquable hommage au cinéma structurel, en tout cas celui qui travaille les permutations et les variations sans pour autant épuiser son sujet. Les différentes variations que nous propose Keith Sanborn semblent faire des clins d’œil à différentes procédures et à quelques films célèbres dans ce corpus. On pense bien évidemment à tous ces films qui travaillent les boucles courtes, mais aussi à des films distincts comme Artificial Light de Hollis Frampton (1969), ou même du plus tardif Keaton Cops (1991) de Ken Jacobs. Dans ce film de Keith Sanborn, la juxtaposition de l’élément visuel avec ce son induit une séduisante désacralisation des deux éléments au profit d’un mirage synesthésique. L’instabilité relative occasionnée par ce rapport est dynamisée à chaque variation qui renouvelle l’étrangeté et magnifie le métrage retraité. S’élabore au fil des transformations une étonnante pyrotechnie qui ne semble pas suivre quelconque paradigme narratif mais plutôt un algorithme complexe. The Zapruder Footage : An Investigation Of Consensual Hallucination travaille ainsi la programmation d’un traitement visuel qui est dynamité par un son qui le désarticule. L’appropriation de cette séquence mythique remet ainsi cause le respect que nous avons pour la chose filmée quand il s’agit d’un enregistrement d’un moment historique. Un compteur d’image est placé dans le cadre supérieur droit de l’image, il inscrit un moteur de comparaison que nous exerçons ainsi à chaque passage de la voiture ou de la séquence du film et ce indépendamment des variations. Nous tentons d’ordonner la perception de l’événement, d’y repérer une stabilité que les procédures retardent, enjolivent et transforment.

Avec Operation Double Trouble (2003) ce n’est plus l’enregistrement d’un drame national qui est ausculté mais un autre outil de propagande : un film du corps des Marines américains. Ce film démontre comment il « démonte, fragmente, morcelle des œuvres préexistantes afin d’accéder à d’autres réflexions. Réflexion sur la consciente médiatisée dans lequel un espace de réflexion est possible. » [8] Ce film amplifie la déconstruction d’une des machines de vision que manifeste si bien le cinéma hollywoodien et sa forme condensée qu’est ce film de propagande de l’armée américaine. Renouant avec le style héroïque des années 40, qu’illustrait parfaitement John Ford, le film original que détourne et subvertit subtilement Keith Sanborn est une anthologie de bon sentiment distribué sous une forme épique. Le détournement s’effectue au moyen d’un doublement des scènes qui dévoilent tout ce que le film voulait cacher à savoir : ce qui permet sa construction. Les coupes sont occultées au moyen de la musique qui se poursuit au-delà de la coupe afin de créer un climat, mais surtout une continuité par-delà l’hétérogénéité des plans. Si pour Eisenstein le montage participait de la collision des plans afin de produire du sens par la dynamique du rapport, pour Hollywood et dans le cas qui nous concerne pour l’armée américaine, le montage vise avant tout à annihiler toutes ruptures, toutes réflexions qui n’iraient pas dans la production d’un sens unique. L’irruption des plans dupliqués dans Operation Double Trouble, manifeste alors le partis pris idéologique du film d’origine autant que ses intentions manichéennes. En appliquant à ce film une procédure simple, le cinéaste met à jour la qualité du mensonge à l’œuvre dans ce film original. « La qualité du mensonge ici est bien moins sincère. Mais c’est pour cette raison qu’elle est très habile, c’est bien plus roué que les mensonges que pratique le président des Etats-Unis même si cela participe du même style. C’est le style John Wayne, un style pseudo populaire, mais, logé très profondément dans ce style qui a l’air d’être populaire et transparent, il y a une sorte de labyrinthe idéologique. » Avec Operation Double Trouble, Keith Sanborn s’attaque frontalement la production idéologique au cinéma et rend hommage au travail autour de la notion de spectacle tel que l’a formulé Guy Debord à différentes époques. Le spectacle de la société se donne bien à travers le cinématographique, mais il ne s’y limite pas. Le spectacle a ceci de remarquable, qu’il procède de strates et réseaux annexant progressivement tous les champs de circulation et de distribution de toutes formes de marchandises. Subtilement Operation Double Trouble démonte les mécanismes de mystification à l’œuvre dans le film d’origine, qui lui-même fonctionne comme catalogue d’idées / clichés reçus .
En utilisant ce doublement des plans on assiste comme à l’élaboration d’un bégaiement peu développé mais constant. Ce bégaiement cinématographique [9] en convoque indirectement un autre : Critical Mass (1969) de Hollis Frampton. Dans ce film, deux jeunes gens se disputent, le garçon n’est pas rentré depuis plusieurs jours. La voix des protagonistes se substitue progressivement l’une à l’autre, au moyen du bégaiement, l’homme finissant par parler avec une voix de femme se désaccordant littéralement de l’image [10] . Si comme nous le dit K.Sanborn : « Hollis Frampton a monté , le film selon un système formel que l’on peut décrire comme algorithmique. Ce qu’il y a de remarquable avec Critical Mass, c’est que les deux personnes ne se connaissaient pas avant de faire le film, le scénario posait les questions quant à la fidélité. De mon côté, je n’ai pas appliqué d’algorithme aussi complexe que ceux-ci, mais il y avait quelque chose qui m’attirait et j’ai ainsi renforcé l’original du film par la duplication . [11] »
Les deux films travaillent la véracité des régimes de discours en les démontant au moyen d’une désynchronisation progressive, l’un exploite les conflits conjugaux par un bégaiement intensif, alors que l’autre explore les conflits internationaux par la duplication.
Cette duplication semble illustrer magnifiquement les théories du complot qu’ont su explorer Guy Debord, Gianfranco Sanguinetti, William Burroughs, Craig Baldwin, David Wojnarowicz… Le film Operation Double Trouble ne répète en rien ces théories, il nous permet de le lire à travers les énoncés du film, et fait du film original le vecteur qui sous-tend l’engagement impérialiste de l’armée américaine. La duplication brise la narration et démontre clairement les liens qui unissent films de propagandes et productions hollywoodiennes en dévoilant quelques-uns des mécanismes (la continuation de la bande sonore : musique ou voix-off, sur deux plans, annihilant ainsi le raccord, la coupe) et qu’ils exploitent avec maestria.

La reprise par Keith Sanborn, (il l’a téléchargé avant de le retravailler) de ce film de propagande commanditée à la fois par Navy et le corps des Marines [12], distribué pendant quelques semaines dans un circuit de salle se cinéma en Californie. Il avait beaucoup de femmes qui venaient avec leurs enfants au cinéma, elles se sont plaintes d’exposer de telles images à leurs enfants. Face à cette objection morale, le film n’a plus été montré en salle.
« Ironiquement il n’y a pas de copyright sur le film, donc si le gouvernement n’apprécie pas ce que j’ai fait il ne peut rien faire de légal. On sait très bien qu’il peut faire des choses, mais des choses légales non. » [13]

yann beauvais


[1] À partir de 1976, Keith Sanborn suit les cours de Frampton à Houston puis à Buffalo en 78 , auquel il adjoindra ceux de Tony Conrad. Il travaille pour Paul Sharits. Au début des années 80 il devient programmateur de Hallwalls à Buffalo.

[2] Keith Sanborn pensait qu’il s’agissait d’une version cubaine, quand il réalisa qu’il s’agissait en fait de le version d’un arrangement de 56, dans le style cubain de cette musique de Brecht par l’américain Dick Hyman et son orchestre

[3] Il s’agit de Jane Austen. Mais écrit avec un Y, nous invite à penser à Jayne Mansfield.

[4] Interviewé par Peggy Nelson pour Otherzine : X Marks the Spot : Hunting for Buried Treasure with Keith Sanborn

[5] L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, racontée par Walter Benjamin à Keith Sanborn, in Monter Sampler , l’échantillonnage généralisé, de yann beauvais & Jean Michel Bouhours, Scratch /centre Georges Pompidou Paris 2000

[6] Renseignement donné par Keith Sanborn lors d’une présentation et discussions à l’Ensba de Paris le 13 mars 2006.

[7] idem

[8] voir la séquence dans laquelle des familles attendent l’arrivées des Marines dans une base américaine. Scène de pleurs et de liesses qui, de fait, emprunte son style à Frank Capra, au cinéma de reportage autant que celui du grand spectacle qu’à l’histoire de la photographie.

[9] On retrouvera quelques années plus tard deux autres bégaiements célèbres l’un dans un film d’Andrei Tarkovsky : Le miroir (1974) dans un film de Jean Luc Godard : Passion (1981)

[10] idem, après présentation de Operation Double Trouble, plus récemment dans un film de Martin Arnold le bégaiement permet de questionner les relations œdipiennes et le désir sexuel dans Alone, Life is Andy Hardy (1999).

[11] idem après présentation de Operation Double Trouble.

[12] Pour mémoire le corps des Marines est une armée de volontaires, qui sont envoyés dans tous les champs d’opérations de l’armée américaine. Leur devise est « Semper Fi(delis).

[13] KS présentation de ses films à l’école des Beaux Arts Le quai Mulhouse le 17 mars 06.

Hélio (Fr)

Nós Contemporâneos n° 50 barrus MÀIMPRESSÃO editora, Paris 2007

Ce texte est extrait d’une conférence que j’ai donnée à Rio de Janeiro, lors de Ultima Semana do Rés do Chão, en décembre 2005.

http://www.youtube.com/watch?v=3-5eQk_PspI

L’un des traits distinctifs de la production cinématographique selon Hélio Oiticica fait voler en éclats la notion de cinéma (quand bien même il a tourné plusieurs films super 8, (Brasil-Jorge 1971, Agripina é Roma-Manhattan 1972) qui sont plus ou moins achevé. Pour Bruce Jenkins, Hélio désactive le cinéma pour renouer avec une sorte de pré cinéma [1]). Il propose une nouvelle forme de cinéma élargi : le quase-cinema. Ses propositions cinématographiques agencent des modes du cinématographique qui est entendu comme dispositif, un équipement qui outrepasse le seul ruban, c’est-à-dire : la salle. Dans ces installations de quasi-cinéma tel Neyrotika (1973 : slide show) et l’ensemble des Cosmococas, et Helena inventa Angela Maria (1975), il créé un environnement où des évènements audio-visuels se déroulent selon une mise en scène dans laquelle les interventions et la participation des spectateurs ne sont pas conditionnées par une narration stabilisée ; car elle est plus éclatée donc fragmentaire, mais par une ambiance audio-visuelle composée de chansons pop, et de projections dans laquelle l’expérience corporelle, la sensation physique de l’espace sont prépondérantes. On retrouve ici une influence décisive dans la compréhension d’un événement cinématographique qui transcendent le support même, au profit de la mise en scène, d’une spatialisation d’un évènement proche de la performance, en la personne de Jack Smith. [2] Les projections sont réalisées au moyen de diapositives, la temporalité, et la mécanique de ces projections multiples est constitutive du dispositif. En ce sens Hélio Oiticica partage avec de nombreux cinéastes expérimentaux et les artistes de l’époque, cette nécessité d’incorporer les outils qui façonnent l’expérience. Mais il partage avec d’autres la valorisation d’un art d’ambiance, un art de l’immersion. Préfiguration et revitalisation d’un art total qui se manifeste différemment selon les époques. Il faudra alors un jour se poser la question des rapports entre les propositions de projection lumineuse telles que les appréhendent au Brésil : Abraham Palatnik et en France : Nicolas Schöffer quant à l’immersion lumineuse et les projections d’Oticica qui travaillent dans un registre audio visuel.

« Diapositives : diapositives non-audiovisuelles parce que, lorsqu’on les programme, on élargit les limites de la succession des images projetées…, enrichies parce qu’elles deviennent relatives à l’intérieur d’une sorte d’environnement ridicule : à mon avis, Jack Smith en a été le précurseur : il a su tirer de son cinéma non pas une vision naturaliste cherchant à imiter l’apparence mais une sorte de narration fragmentaire… un miroir brisé, les diapositives déplacent l’environnement par une durée non spécifique et par le replacement continu du projecteur qui cadre et recadre les images sur murs-plafonds-sols, juxtaposition de la bande-son (disques) faite au hasard…ces blocks dont les cinq premiers ont été programmés par Neville et moi, replacent à mon avis les problèmes de l’image déjà épuisé par Tropicalia (quil réalise en 1967), (etc) dans une perspective de spectacle (spectacle performance) que l’expérience de Neville rend très intéressantes à mes yeux.. [3] »

On sait combien Hélio Oticica a été durablement impressionné par les performances et les films de Jack Smith ; en 1971 il écrit « J’ai vu un autre film de lui (Curse of Cretinism) et j’ai pensé : youpee, ce mec est égal à moi, non pas que je souhaite faire des trucs identiques, ou qui paraissent similaires, mais c’est que l’absurdité du langage allié au désintérêt pour le banal m’intrigue énormément, et l’esprit général des trucs me rend familier avec tout. [4] Il y a un paradoxe dans cet énoncé vis-à-vis du banal dans la mesure ou Jack Smith autant qu’Hélio Oiticica ont, tous deux travaillé sur des manifestations et mise en lumière du banal, chacun à leur manière, et qui peut se lire, par exemple, dans la liberté que s’octroient les deux artistes vis-à-vis de la production de la piste sonore de leur pièce. Je me souviens de Jack Smith jouant des disques, selon l’inspiration du moment sur un tourne disques lors des projections qu’il fit à Paris de Flaming Creatures (1963) et No Président (1968) [5]. L’expérience cinématographique se déplace alors dans le champ de la performance. Dans le cas de Smith, l’expérience est en suspens, quasiment virtuelle si l’on s’attend à un événement hors du commun. On est plongé dans une dilatation temporelle ; un espace-temps indéfini ; en effet on pouvait attendre plus d’une heure avant que Smith n’apparaisse sur « scène », si tant est que l’on puisse parler de scène, sans savoir exactement à quels moments la performance avait commencé. Les performances pouvaient présenter les manifestations d’un spectacle en devenir, qui sont marquées par la projection d’une diapositive, l’audition d’une musique, le réajustement d’un colifichet…
Cette faculté d’improvisation de Jack Smith se retrouve fortement dans le film d’Hélio :Agripina é Roma-Manhattan [6]
. Ce n’est pas un hasard si Hélio fait appel à Mario Montez qui est l’un des acteurs fétiches travestis de Jack Smith et auquel à fait appel Andy Warhol à plusieurs reprises. Dans ce film, la part d’improvisation est proche de celles qu’on voit à l’œuvre de Smith comme cinéaste ou acteur. Pour mémoire rappelons aussi que Mario Montez est l’un/e des protagonistes phares de Flaming Creatures. Cette dilatation, ou compression du temps inscrivent dans la performance l’expérience de la drogue, autant qu’elle manifeste une esthétique « camp » dont la particularité chez Smith est de s’en tenir aux préparatifs. Les deux artistes partagent ces préoccupations par-delà les différences des œuvres.

Ce travail d’Hélio est singulier à plus d’un égard dans la mesure où il met à la fois en crise le cinéma et les arts plastiques selon des formes participatives qui renouent en les renouvelant les expériences d’art total préconisé par Andy Warhol avec Exploding Plastic Inevitable de même avec les Cosmococas se peut se retrouvait un sentiment similaire à celui que devait ressentir les spectateurs du Movidrome de Stan Vanderbeck. Une plongée dans l’image et le son dont le spectateur n’avait aucune connaissance de la durée de l’expérience dans laquelle il s’est plongée. Cette expérience de la durée, Hélio l’a l’éprouvé lors de la vision de Chelsea Girls à Londres en 69 [7]

Deux autres points me semblent important à souligner. L’un relève de cette parenté qu’on peut discerner chez Hélio Oiticica et Andy Warhol vis à vis du monde des célébrités, qu’il s’agisse de cinéma ou de rock. On retrouve dans la productuion plastique de l’un et de l’autre les portraits de Marylyn Monroe, ainsi que des portraits de chanteurs pop ; Jimmy Hendrix, Mick Jagger… La fascination pour les stars rock est réaffirmé dans la production d’images mises en scènes ou à travers la production d’environnement (Plastic Inevitable, Cosmococa…)

L’autre point concerne l’homosexualité d’Hélio Oiticica et sa mise en scène dans quelques travaux. On ne peut s’empêcher d’y penser à la projection d’Agripina, ou deNeyrotika. Ce sont les corps plus que la trame narrative qui compte, c’est la performance de Mario Montez en drag qui importe plus que tout [8]. En ce sens on peut comprendre que la question du parangolé met aussi en scène le genre. Se vêtir du parangolé permet de déjouer le genre. De même, les corps de ces jeunes hommes dansNeyrotica exposent et exhibent une sexualité sont le sujet du travail. Ils inscrivent l’importance du rôle dans la constitution d’un personnage, et manifestent clairement des situations de désir. Il ne s’agit pas pour autant d’un travail militant, loin de là, cependant l’affirmation du désir pour ces corps est clairement prononcée par le nombre de clichés et par le type de cliché, l’enchaînement des photos créant une « quasi animation » pour reprendre les termes d’Ivana Benes [9] et donc une fois de plus se tient au seuil du cinéma.
Comme d’autres homos de sa génération et des précédentes, Hélio partage l’usage de la projection filmée pour montrer publiquement des images plus ou moins proscrites par les médias dominants. D’une certaine manière, en cela proche de nombreux cinéastes gais qui ont travaillé avec des photos et des films plus ou moins pornographiques ; Hélio ouvre des maisons closes lorsqu’ils montrent ses photos, et certains quase cinema de la série des cosmococas. Il rend publique ce que l’on veut cacher, il crée des collections de garçons (clichés de beaux adolescents et hommes, comme le fait Warhol avec le dessin et les polaroids). Il affirme ainsi une sexualité qui était disqualifiée dans le milieux de l’art officiel. En ouvrant ainsi l’espace de la galerie via le cinéma, ou quase cinéma, à des représentations qui profèrent le désir homosexuel autant que l’usage des drogues dures il affirme de nouveau l’importance de l’usage des corps.
Corps du désir et corps du plaisir, pour lequel le parangolé est un agent.

« Gostei muito do Empire State Building do Andy Warhol, e vi um outro dele chamado ondine’s loft na cas de um dos atores, que é amigo do gerchman e que aparece nu no filme. » HO p 163 cartas

estou terminando um curso de cinema na NYU, que me dara direioto a fazer outris em que poso usar equipamento, etc, por o quanto so tenho usado super 8, que comprei, tenho tamben uma montadeira e quero que essa prima expêriencia (um filme brasil jorge) seja ja algo palpavel.
Os primeiros rolos ficaram lindissimos : super 8 é bacana pois pega coisas em detalhe, ao alcane da mao-visao p 199

Ha um cineasta que quer me fazer de ator – filmes mudos underground : é jack smith, mito do underground americano, estive la uma vez e ele depois ficou me procurando, até que …
Fui a uma projeçào de slides com trihla sonora, uma esécie de quase-cinema, que foi incrivel ; wharol aprende muito com ele, quando començou, e tomou certas coisas que levou a um nivel, é claro ; Jack Smith é uma espécie de Artaud do cinema, seria o modo maos objetivo de defini-lo. 204
…/… sentei-me numa mesa de antiques para ser entrevistado por ele e foi incrivel ; depois mil coisas acconteciam simultanemente ; ja nisso, nào existe tal distancia de espectador e performance, como misa, nem nada ; a coisa simplesmente vai se desdobrando, como num ritual nào ritumistico. 205


[1] Bruce Jenkins in Critical Voices series pour l’exposition d’Hélio Oiticica Quasi-Cinema transcription, New Museum of contemporary art New York, 10/03/2002

[2] C’est nous qui traduisons « jack est un génie et je l’aime, (..) j’ai appris avec lui en peu de jours tout ce que j’ai toujours désiré comme fut le déchifrement viscéral du monde américain, les rebuts de consommation, etc : sujet film : la production d’un monde d’images richissimes : en même temps l’isolement et la mythification qui font de lui, c’est aliénante et absurde : on le prends pour une génie fou artaudien, à qui tout est permis et interdit simultanément, et les gens paraissent se contenter avec ce rôle passif qui performe ce jugement compulsif absurde : une folie ! Le jour de cette projection de diapositives avec bande son, c’était cette ambiance : ça s’appelait “Travelogue of Atlantis” (…) en somme tout a commencé à 10h30, et trois heures plus tard, les trois premières diapositives, il s’arrête pour demie heure : il a changé l’écran de place, en sorte que les diapositives projetées subissent une coupe à la projection, puis il a changé le projecteur de place afin de donner la coupe d’évitement à chaque diapositive, le reste de la diapositive teinter l’ambiance : incroyable, l’attente et l’anxiété qui me dominaient valaient vraiment la peine : ce fut une espece de quase cinema, si le cinéma est tout ce qu’on peut imaginer ; la même simplicité complexe que l’on peut ressentir avec godard, mais plus grand que godard pour moi ; les images, la durée de chaque diapos sur l’écran, etc, c’était génial et importantissime : la bande son musique d’une radio ondes courtes (…) musiques latines de types espagnoles de malaga), choses incroyables, bruits : son téléphone, et voitures dans le trafic, etc ça c’est fini à une heure du matin, j’en sorti transformé. Jack Smith en couleurs : un must : vous voyez que chaque diapositives est une totalité et la séquence intégralle est une transformation au degré le plus fort : un travelogue (un journal de voyage), concept génial ! » lettre à Waly Salomao le 24 avril 71, in Hélio Oticica e a cena americana, curadoria gloria ferreira , rio de janeiro 1997.

[3] in Helio Oticica, Galeria Nationale du jeu de Paume, RNM paris 1992

[4] c’est nous qui traduisons « havia vistou outro filme dêle (curse of cretinism ) e havia pensado : pux, esse cara é igual a min ; nao que eu quisesse fazer algo idêntico, ou mesmo paraceido, mas é que o absurdo da languagem, aliado a um desinteresse pelo banal, me interessam demais e o espirito geral dai coisa me faz muito familiar con tudo » lettre à Edival Ramosa d’avril 1971

[5] Scratch Projection le 29 avril 1985

[6] Le texte du film est : Agripina é Roma-Manhattan
em rum e em petroleo a inundar
herald-o-Nero aceso facho
e borracho
mae-patria ensinando a nadar !

[7] « O filme que mais impressionou em todoas os tempos foi Chelsea Girls do Wharol, procure vê-lo quando passar ai ; é um filme underground (so vi tres horas dele, mas original possui seis), a linguagem se desintegra : é a coisa mais americanana do mundo. Warhol & muito maior em cinema do que na época das proposiçoes pos (caixa de sabào, Marylin 30 vezes , etc). Carta de Hélio Oticica 23.12.1969 à Lygia Clark in cartas 1964-74 ; p 133 organizaçao luciano Figueiredo Editore UFRJ 1998.

[8] Sur Mario Montez, voir yann beauvais : hommage à Mario Montez in Poussières d’image, Paris Expérimental Paris, 1998

[9] Voir le texte H.O and Cinema world in Hélio Oiticica Quasi-Cinema, exposition organisée par Carlos Basualdo, Hatje Cantz publishers, 2001